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Tableau 1: Part d’adoption d’un PCET par les collectivités territoriales en France

2.6 Analyse transversale aux monographies

L’analyse transversale des monographies manifeste des points communs et des particularités dans la mise en œuvre des PC(A)ET par les agglomérations de Lorient de Besançon et de Nancy. Différents points se dégagent à l’analyse. On verra d’abord ce qui nous apparaît correspondre à des éléments communs à ces territoires pionniers. En contrepoids seront avancées les particularités qu’ils ont chacun

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développées. Ensuite, on montrera ce qui nous semble relever des effets propres aux politiques

nationales. Enfin, la conclusion essaiera de formuler des explications à ces phénomènes dans leur similarité et singularité.

Des pionniers aux points communs

Plusieurs points communs peuvent être observés à l’analyse de la mise en œuvre des PCAET des agglomérations de Lorient, Besançon et Nancy. Ils relèvent des caractéristiques de ces territoires, des trajectoires de structuration de leur action publique climatique, comme d’approches et d’outils communs.

• Un contexte territorial propice

Un terreau préparé par l’écologie politique

Ces trois territoires présentent un contexte politique, au sens large, favorable au développement d’une politique climatique volontariste. Les deux villes centres de Lorient et Besançon sont gouvernées depuis plusieurs décennies par des majorités dites de gauche plurielle, où les écologistes, sans être majoritaires au sein de l’exécutif, ont la responsabilité de délégations environnementales, au niveau de la municipalité et de la communauté d’agglomération. À Nancy également, l’implication précoce et le poids de l’élu longtemps en charge de l’environnement sont soulignés. Ce sont souvent ces élus qui vont directement piloter l’élaboration et la mise en œuvre des PC(A)ET, parfois depuis le début de son intégration, comme à Besançon. À ce volontarisme politique s’ajoute une forte sensibilité écologique locale. Elle est structurée par des mouvements militants à Besançon ou par un tissu associatif dynamique à Lorient. L’ensemble forme un terreau où une politique climatique nationale est appelée à germer. L’inverse serait perçu comme un manquement, voire une faute politique. Les PCET s’inscrivent ici dans des continuités politiques et citoyennes. Ils constituent des leviers d’action publique attendus, connus et routinisés. Ils font la marque de distinction de ces territoires. Les élus en charge de ces politiques s’en saisissent plus qu’ils ne constituent des obligations. Il s’agit pour eux d’opportunités de développement, comme ils ont pu se saisir auparavant d’autres politiques environnementales dans les déchets, l’alimentation ou les transports. Ce sont des instruments au service d’une action publique locale dont l’un des axes s’appuie sur l’environnement : pour renforcer l’attractivité du territoire comme à Besançon, pour conforter le tourisme, l’innovation technique et les économies publiques à Lorient, pour réduire les factures énergétiques à Nancy. Ces politiques sont d’autant plus saisies qu’elles sont considérées efficaces et faciles à mettre en œuvre en connaissance des relais locaux présents sur le territoire, constitués d’institutions partenaires et d’associations actives. Enfin, ces politiques publiques germent ici d’autant plus facilement qu’elles bénéficient du soutien des institutions régionales.

Des partenaires régionaux en soutien

En effet, à ce terreau fertile à l’action publique environnementale s’ajoutent des institutions régionales volontaristes sur ces questions climatiques. La Région Franche-Comté demande à ces territoires d’élaborer un PCET dès la publication de la loi et finance cette élaboration, tout comme le Région Bretagne. Cette dernière lance un appel à projets « Boucle locale énergétique » qui constitue un maillon central dans le financement et la structuration de l’action climatique de l’agglomération de Lorient. À Besançon, le programme TEPOS, cofinancé par la Région, joue un rôle similaire.

De même, dans ces deux régions, la Région et la délégation de l’ADEME forment un binôme solidaire dans la définition des prescriptions et l’allocation des financements. Leur association assure des financements conséquents comme elle structure l’action climatique par la cohérence des orientations qu’elle fixe.

Des élus impliqués sur le long terme

Enfin, dans les trois agglomérations, on peut remarquer la continuité dont bénéficie la politique climatique au travers la permanence des majorités en place. Aucune des trois agglomérations et des villes-centres ne connaît d’alternance politique sur l’ensemble de la période. Les élus en charge des PC(A)ET demeurent quasiment les mêmes. À Besançon, une seule élue assure la délégation du premier plan climat jusqu’à maintenant. À Lorient, un changement est opéré en 2014, mais l’élu nommé était déjà impliqué dans l’agence locale de l’énergie depuis le milieu des années 2000. A Nancy l’élu en charge de l’énergie et du développement durable est également resté en place longtemps et n’a quitté son poste que récemment.

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Le fil opératoire suivi par les agglomérations étudiées présente lui aussi d’importantes similitudes.

Des politiques publiques environnementales préparant l’arrivée des PCET

Il s’agit en effet de villes pionnières dans la gestion économe des consommations énergétiques de leur patrimoine. Débutées dans le courant des années 1980, ces gestions créent à terme un service (ou un sous-service) dédié à cette gestion. Ces services réalisent des apprentissages dans la gestion économe de l’énergie, innovent dans les investissements dans les EnR. Ces apprentissages sont capitalisés à l’occasion de l’élaboration des PCET.

De même, dans ces agglomérations, un important travail a été réalisé sur la réduction à la source des déchets. Engagées au début des années 2000 en réaction aux crises sanitaires qu’ont engendrées les rejets d’incinération, ces actions ont construit des dispositifs originaux d’incitation, parfois ambitieux (comme la tarification incitative à Besançon). Elles ont appris aux services en charge de la gestion des déchets la patience, la ténacité et l’inventivité comme modalités essentielles à la transformation des comportements. Ces apprentissages ont circulé au sein des institutions intercommunales, informellement et formellement, ou au travers de la mobilité qu’effectue son personnel en interne (par exemple la chargée de mission PCAET est originaire de ce service à Lorient). On peut penser que ces apprentissages ont été en partie remobilisés dans la mise en œuvre des PC(A)ET, qui visent également des changements comportementaux.

Une élaboration poussée vers la transversalité et l’animation territoriale

Ces trois agglomérations ont aussi connu des élaborations d’Agenda 21 couplées à celle des PCET : au niveau de la ville de Besançon en Franche-Comté, au niveau de l’agglomération à Lorient et à Nancy. L’« approche Agenda 21 » a pu en particulier être un vecteur de réflexion à l’élaboration d’une action publique transversale.

En effet, l’élaboration des PCET sont dans les trois agglomérations relativement longues (trois ans), comparées en particulier à leur ville-centre qui l’élabore dans le temps : Lorient met moins d’une année et Besançon semble, elle aussi, relativement rapide (on manque ici d’éléments factuels). Les villes se centrent sur des actions déjà réalisées (en particulier sur leur patrimoine), alors que les agglomérations prennent, dès cette époque (on est au tournant des années 2010 et la loi n’oblige pas à ce type d’élaboration), une posture climatique transversale. Cette posture s’apparente à celle de prendre la tête de l’animation de l’action climatique sur leur territoire, mission qui ne sera formalisée dans la loi qu’à partir de 2015 (mais sans doute connue, via les échanges interinstitutionnels, dès 2014). Notre hypothèse est donc qu’elles sont en partie orientées vers cette posture par l’élaboration concomitante d’Agenda 21. Sans doute, voient-elles aussi dans cette posture une manière de se distinguer de leur ville centre, de trouver une place dans la distribution locale des rôles institutionnels. On peut aussi y voir un effet des orientations d’élaboration proposées par les bureaux d’études alors choisis pour les accompagner dans l’élaboration des PCET à cette époque. Leurs habitudes d’élaboration de politiques environnementales les ont peut-être fait choisir les plus avancées en la matière, et donc susceptibles d’anticiper les politiques publiques à venir.

Un même schéma de mise en œuvre

Pour des raisons différentes, les services dédiés à la mise en œuvre du PCET éprouvent des difficultés une fois la validation obtenue. À Lorient, le service est freiné par un exécutif qui recompose la gouvernance intercommunale. À Besançon, ce sont davantage les autres services qui freinent le déploiement du PCET (en particulier le service urbanisme, peu convaincu de l'interêt du plan). Dans les trois agglomérations, cette période va être mise au profit de la construction d’une transversalité interservices, d’une appropriation du PCET par l’ensemble de l’institution intercommunale. Elle opère au travers d’actions similaires. La première consiste en un travail patient de rencontre des services réalisé par la personne en charge de la mise en œuvre. Il est redoublé par la mise en place d’un outil d’évaluation (SKOVEO à Lorient et Cit’Ergie à Besançon et à Nancy), qui place au centre des échanges avec l’ensemble des services de l’agglomération (et aussi des partenaires institutionnels extérieurs à Lorient) le service chargé de la mise en œuvre du PCET. Les deux actions concourent à asseoir la légitimité du service, mais aussi à concevoir des actions avec les autres services ou des institutions partenaires, notamment dans le cadre des appels à projets qui sont publiés à la même période. En effet, à la suite ou de manière concomitante à la construction de cette transversalité, les services en charge du PCET répondent à des appels à projets, la plupart régionaux. Les financements qu’ils décrochent organisent leur action selon un schéma similaire. Les premières actions consistent à mobiliser les acteurs pour repérer ou faire émerger des besoins ou des projets. Les plus pertinents sont ensuite financés pour être réalisés. Ce vivier d’acteurs et de projets va peu à peu se déployer et prendre

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de l’ampleur au fur et à mesure qu’ils génèrent des financements, pourvoyeurs de postes et d’actions.

Un cercle vertueux d’action publique s’esquisse et se consolide à mesure que se capitalisent les apprentissages réalisés, les ressources en expertise et la notoriété des acteurs et des équipes.

Des approches et des outils communs

Ces équipes présentent aussi des approches et des outils communs. Besançon et Lorient ont par exemple toutes les deux investi dans l’animation : Besançon en recrutant en interne une chargée de mission spécialisée, Lorient en formant son personnel de façon intensive. Elles ont également la même conception des modalités de mise en œuvre d’une transformation des pratiques : elle passe, selon ces équipes, par le soutien aux pionniers (early adopter) qui, par effet d’imitation et de sensibilisation persuaderont une autre partie de la population, prête à changer ses pratiques. Ces deux groupes formeront une majorité qui emportera, par conformation aux pratiques dominantes, le reste de la population. On peut faire l’hypothèse que cette même conviction des équipes trouve sa source dans la participation à des réseaux professionnels communs, pourvoyeurs d’analyses et de modèles d’action qui semblent correspondre aux problèmes rencontrés tout en proposant des solutions ou du moins une stratégie guidant l’action. C’est le cas par exemple de l’expérimentation, à Lorient et Besançon, des « Conservations carbone », méthode d’animation importée du Royaume-Uni, présentée notamment aux Assises de l’énergie 2017 et soutenue par l’ADEME. La méthode qui se décrit comme fondée sur une démarche scientifique en psychologie, cherche à créer des « minorités actives » et à « accélérer l’effet de contagion » dans la dynamique énergie-climat du territoire en formant des groupes de six à dix personnes selon un protocole très normé : sessions de six ateliers participatifs, deux encadrants, thématiques prédéfinies, etc. (cf. figure 11).

Enfin, ces organisations centrent prioritairement leur action sur la recherche de financement. Elles profitent pour cela d’apprentissages et des capitaux relationnels, culturels, symboliques « climatiques » qui leur permettent souvent d’avoir un coup d’avance par rapport aux agglomérations de taille similaire, en concurrence sur les appels à projets régionaux et nationaux. Cette avance génère un effet « boule de neige », les financements publics obtenus permettant d’en déclencher d’autres.

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Figure 17 : Plaquette de présentation des Conversations carbone

Des modes d’action particuliers, produits de territoires singuliers ?

Si nos trois cas d’étude présentent de nombreuses similarités, ils ont aussi des singularités. • Une organisation de l’action publique distincte

La principale différence tient au mode d’organisation choisi par chacune des équipes. L’équipe chargée de la mise en œuvre du PC(A)ET à Lorient est relativement réduite (2 à 3 agents), mais s’appuie sur un réseau d’institutions locales alter ego. Besançon a au contraire constitué un sous-service robuste (presque 10 personnes) au sein du service environnement. L’équipe de Lorient regroupe essentiellement deux chargées de mission. Une autre personne s’occupe plus particulièrement des questions d’énergie et est de fait très en lien avec le service environnement de la ville, plus robuste. Ces deux chargées de mission sont dédiées à la recherche de financement, à l’élaboration du PC(A)ET, à la coordination de la mise en œuvre et à l’évaluation. Elles ne réalisent pas (ou très rarement) elles- mêmes des actions. En revanche, elles financent des partenaires qui vont les réaliser : la ville de Lorient sur l’économie d’énergie dans le patrimoine public, la production d’énergie et l’énergie partagée ; l’agence locale de l’énergie dans la MDE et la rénovation énergétique ; l’agence d’urbanisme dans un observatoire de l’énergie, les CEE, l’économie circulaire, le service urbanisme dans l’intégration des orientations climatiques dans les documents d’urbanisme. Le service PC(A)ET sert finalement de fonction support à ces partenaires. Leur collaboration construit en particulier des dispositifs pérennes

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d’action publique climatique, tels la plateforme énergétique de rénovation de l’habitat ou le fonds chaleur

territorial. Une faible part des actions est orientée vers l’expérimentation. C’est plus particulièrement les questions énergétiques qui ont été investies à Lorient et dans une moindre mesure celles liées à l’aménagement.

Au Grand Nancy et au surtout Grand Besançon, l’équipe au sein du service environnement chargée de la mise en œuvre du PC(A)ET n’a eu de cesse de s’étoffer. A Besançon l’équipe réunit aujourd’hui les compétences pour mettre en œuvre une part importante des actions qu’elle finance. La directrice coordonne et assure la représentation du service. La chargée de mission élabore le PCAET, recherche de nouveaux financements et est en charge de l’évaluation. L’animatrice élabore et anime les actions transversales de mobilisation des acteurs dans les différents secteurs d’action publique visée (alimentation, énergie, transport, déchet). Certains services (transport et déchet) mènent en partie des actions de manière indépendante, mais toujours en lien avec le service environnement. L’équipe mène ici davantage une animation du territoire, visant la création de réseaux d’acteurs qui formeront des organisations porteuses d’actions climatiques. L’approche est davantage diffusionniste et intersectorielle qu’à Lorient. Une plus large place est donnée à l’expérimentation. Seul le secteur des transports est nettement plus investi, en partie grâce à un financement spécifique lui attribuant en propre un poste.

Des caractéristiques territoriales expliquant ces différences ?

Quelques hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ces différences. En premier lieu, les territoires des agglomérations de Lorient et de Besançon présentent des caractéristiques territoriales différentes. Lorient est ouvert sur l’océan. La relation à la mer (navigation, pêche) constitue une part importante de sa culture et de son économie. De nombreux projets d’EnR ont également vu le jour ou sont en cours de réalisation. On peut penser que ces caractéristiques l’orientent davantage vers des questions énergétiques et une conception pragmatique de l’action. De même, la préexistence d’un réseau partenarial ou du moins son émergence concomitante à l’élaboration du PCET a orienté une conduite partenariale de l’action.

À Besançon, la forte emprise politique de l’écologie peut peut-être expliquer un attrait plus important pour l’expérimentation. Surtout, la concentration des moyens sur un service renvoie à l’opposition densité urbaine/faible densité rurale que forme l’agglomération. En dehors de la ville centre, le territoire n’offre pas d’institutions partenaires de taille équivalente. Le service n’a pas vraiment d’alter ego sur lequel peut s’appuyer son action, en dehors de la ville de Besançon. C’est donc sur ces propres forces que le service peut compter et ce d’autant qu’il est au départ mis en difficulté par les autres services. Il y a donc aussi une logique de survie à accumuler les postes et les moyens pour exister au sein de l’institution intercommunale.

Les faibles effets universels d’un État de droit

Quelques effets communs à l’ensemble du territoire national peuvent être repérés. Ils se situent principalement au niveau de la réglementation. On les retrouve ainsi dans les règles d’élaboration des documents de planification de l’espace qui imposent la prise en compte de la lutte contre le changement climatique et son adaptation. C’est aussi le cas pour ce qui concerne les mesures en faveur de la biodiversité et de la sanctuarisation des espaces naturels. En revanche, sur des dispositifs de financement nationaux, comme le Fonds chaleur de l’ADEME, ou les programmes TEPOS et TEPCV, nos trois exemples montrent au contraire une application particulière de ces dispositifs

Des enseignements pour l’action

Si les intercommunalités de taille moyenne disposent de moyens et d’un rayonnement moindre que les métropoles, elles sont néanmoins en capacité de dédier à l’action climatique des moyens humains et financiers et, davantage que les petites villes, de permettre à leurs agents de s’insérer dans les réseaux professionnels régionaux et nationaux, de répondre aux appels à projets, voire de les anticiper par l’expérimentation. Les exemples étudiés montrent que ce qui semble faire le succès des plans se

retrouve à trois niveaux essentiels : le premier est la politisation des enjeux, lorsqu’une obligation

est portée par des acteurs politiques, notamment des élus référents influents, qui en font un axe important de leur action ; le second point est le dépassement de la dimension expérimentale d’actions ponctuelles, qui petit à petit infusent dans de nombreuses dimensions de l’action ; le troisième

est la mise en place de changements institutionnels graduels, qui permettent d’institutionnaliser

l’action dans les collectivités. On constate que non seulement les enjeux de la transition sont devenus importants et que ceux-ci peuvent amener certaines collectivités, sous certaines conditions, à exercer

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une action de planification assez transversale. Toutefois, les PC(A)ET des villes moyennes étudiées

montrent que les EPCI ne se sont saisis que d’une partie des leviers qu’ils ont en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Agissant principalement sur le volet

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