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Chapitre II : Analyse des résultats

II. Analyse des corpus

2. Analyse des productions de Lucie

2.1. Passation individuelle

En-dehors des épreuves, Lucie s'adresse à nous à l'oral. Pourtant c'est la seule enfant

qui nous demande si elle doit signer (« en langue des signes ? »), ce à quoi nous avons

répondu « comme tu préfères, tu me racontes comme tu préfères ». Elle approuve (« d'accord ») puis dit « alors » : nous pensions alors qu'elle allait se mettre à parler. Mais elle

choisit de signer dans les deux épreuves et ne changera pas d'outils .

Dans la première épreuve, Lucie perçoit l'implicite et elle le signe. Elle fournit quelques détails (notamment la couleur du chapeau) et complète la fin de l'histoire en faisant mine de remettre son chapeau sur la tête (ce que le monsieur ne fait pas sur l'image). Les transitions entre les images sont assurées par le signe APRES, son récit est construit.

Dans la deuxième épreuve, elle veut continuer à raconter une histoire mais très rapidement elle commence à décrire puis à énumérer ce qu'elle voit sur l'image.

La complétion de notre tableau de recueil (cf annexe VI) nous montre que le signe prédomine mais que Lucie accompagne presque toutes ses productions signées de

à voix chuchotée (se limite à un mot pour un signe).

Nous avons ensuite procédé à l'analyse du corpus. Pour la première épreuve, nous avons constaté que tantôt elle exprime une réelle identification au personnage de l'histoire (situation de transfert personnel) tantôt elle produit le récit d'un narrateur externe. Il y a un passage de

l'un à l'autre. Elle articule les signes entre eux de façon logique et décrit le décor avant

l'action. Elle ne se contente pas de signer de façon « standardisée » mais donne du mouvement à ses signes pour mieux refléter la réalité (c'est notamment le cas quand elle fait mine que le chapeau s'envole). Quelques expressions faciales, essentiellement au niveau des yeux et de la bouche, accompagnent ses productions signées. Elle porte son regard tantôt sur les images, tantôt vers la caméra, tantôt sur ce qu'elle signe.

Dans la deuxième épreuve, elle nous demande si elle doit raconter l'histoire et tente de construire un récit en signant IL Y A LONGTEMPS. Toutefois l'image ne se prête pas beaucoup à cet exercice. Elle décrit alors plutôt le décor et s'attarde beaucoup sur la description de la forêt en plaçant les arbres dans l'espace de signation, en décrivant leur taille et en précisant quels fruits ils portent. C'est l'occasion pour elle d'utiliser à deux reprises un pointage LSF concernant le signe ARBRE. La suite est consacrée à une énumération des signes dont elle voit la représentation imagée (elle signe VOIR). Elle ne produit qu'une description d'action à propos du personnage qui se repose dans le hamac. Nous remarquons qu'elle regarde plus ce qu'elle signe. Par ailleurs, nous relevons qu'elle accompagne presque toutes les productions signées de parole à voix chuchotée (un mot pour un signe).

2.2. Passation collective

Lucie s'exprime à de nombreuses reprises, que ce soit pour raconter ce qu'elle avait compris du récit d'un enfant, parler de son propre week-end, répondre à des questions collectives et individuelles mais aussi donner spontanément son avis. Elle utilise tous les outils qu'elle a à sa disposition (signes isolés, structures LSF, gestes, parole) et n'hésite pas à les combiner entre eux. Elle accompagne notamment sa parole de signes isolés ou de

gestes, elle combine des signes LSF et produit très souvent en parallèle une labialisation et

des mots à voix chuchotée ou encore elle parle sans produire ni gestes ni signes.

pas pu observé l'utilisation de structures de grande iconicité. Par ailleurs, elle ajoute des détails (précision quant aux couleurs par exemple) et joint aux signes des expressions faciales quand l'occasion s'y prête.

En situation de (re)construction d'un récit, Lucie choisit de signer. Elle accompagne régulièrement ses productions LSF de mouvements labiaux et de mots à voix chuchotée. Réciproquement, elle accompagne sa parole de signes isolés. Il n'y a pas un outil qui semble être plus privilégié qu'un autre, sauf en cas de difficultés. En effet, Lucie privilégie spontanément l'oral au détriment des signes à deux reprises: la première fois quand l'instituteur essaie de savoir si ce sont de vraies cloches qu'elle a vues (« les cloches de Pâques... je l'ai vu », « les cloches de Pâques elles sont passées »), la seconde fois pour préciser le nom du chat et de la souris (« Tom et Jerry i s'appellent »). Dans ces deux situations, il lui

fallait donner rapidement des précisions et la LSF ne le lui permettait pas. Si l'oral est

très clairement privilégié dans ce cas, Lucie ne délaisse pas complètement les signes pour autant. Elle décide à chaque fois d'apporter un signe en rapport avec la situation. Dans le premier cas, elle s'efforce d'améliorer la production du signe CLOCHE grâce au modèle fourni par l'instituteur. Dans le second cas, elle produit le signe NOM après avoir dit « Tom et

Jerry i s'appellent ».

Nous avons pu observer une autre situation dans laquelle Lucie renforce le signe par

de l'oral. Tandis qu'elle pensait signer MATIN, elle signe APRES-MIDI ce qui provoque la

confusion dans le groupe. L'instituteur l'interpelle à ce sujet, elle confirme alors sa position en soutenant le signe NON par la production d'un « non » affirmé à plusieurs reprises.

Nous avons également pu noter que Lucie répond à la parole de son interlocuteur soit par la parole soit par un autre outil soit par les deux. Elle s'adresse notamment à Magalie en signant et en parlant. Mais l'utilisation exclusive du signe par son interlocuteur appelle

systématiquement le signe, sauf dans les cas où Lucie a besoin de « s'imposer » ou d'être précise.

Lucie entre peu dans l'imitation des signes. Par contre, elle est attentive et n'hésite pas à commenter ce qu'il se passe autour d'elle. Elle prend la parole à plusieurs reprises, la production d'un signe par l'ATSEM appelle par exemple la création du mot « l'attrapeur ».

2.3. Dépouillement du questionnaire

Avant son entrée à la CLIS, Lucie répondait aux interpellations orales de ses parents surtout par des cris mais aussi des mots sans faire de phrases. Il lui arrivait de parler et de faire des gestes. Désormais elle fait des phrases et ne crie plus. Elle parle beaucoup et produit des signes de la LSF à la maison. Elle se montre d'ailleurs très intéressée par les signes, même si ses parents ne les utilisent pas.

La psychologue qui prend Lucie en charge au Centre Médico-Psychologique nous a donné un avis similaire. Selon elle, Lucie s'est toujours montrée très bavarde en séance et avait recours assez naturellement à des gestes. Lors des premiers mois qui ont suivi son entrée à la CLIS, Lucie utilisait des signes à toutes les séances (même s'ils n'étaient pas forcément nombreux). Au retour des grandes vacances, les signes étaient moins présents mais ils sont revenus progressivement. La psychologue considère qu'ils s'inscrivent naturellement dans sa communication et trouve que Lucie prend du plaisir à partager et à utiliser les signes.

Conclusion

Lucie donne l'impression de saisir tous les outils offerts par son environnement. Les moyens d'expression sont souvent combinés, les uns dominant les autres (selon ses besoins) puis inversement mais sans jamais que l'un ou l'autre ne soit complètement délaissé. Tandis que ses productions signées sont souvent accompagnées de labialisation et de mots à voix chuchotée, sa parole est régulièrement ponctuée par des signes.

Lucie n'est scolarisée à la CLIS que depuis février 2009 mais elle semble déjà s'être approprié les bases de la LSF et n'hésite pas à y recourir hors contexte classe. Ses récits sont construits à partir du lexique standard LSF mais aussi de quelques structures de grande iconicité. Selon l'instituteur, la LSF l'aide plus sur le versant expressif que sur le versant réceptif.