• Aucun résultat trouvé

Analyse complète de l’œuvre

IV- 1-Analyse du chapitre I 1

Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. Ce n’est pas une raison pour ne pas se consoler, ce soir, dans les bruits finissants de la rue, se consoler, ce soir, avec des mots.

Oh, le pauvre perdu qui, devant sa table, se console avec des mots, devant sa table et le téléphone décroché, car il a peur du dehors, et le soir, si le téléphone est décroché, il se sent tout roi et défendu contre les méchants du dehors, si vite méchants, méchants pour rien.

Par cet incipit2, l’auteur annonce qu’il va exposer un problème d’ordre général, problème caractérisé par des douleurs imperceptibles chez les uns et les autres, il s’agit d’un grand problème : une mésentente totale entre les humains . Cette mésentente est source de douleurs qui restent isolées comme une île déserte. Le manque d’entendement a laissé donc ce problème sans solution. Mais , en dépit de la délicatesse de ce problème , il importe d’essayer de lui trouver une solution , ne serait ce que par des mots . Face à cette situation, l’auteur se console en essayant de le résoudre tout en étant dans un état d’épouvante , liée à l’appréhension venant d’autres qu’ils qualifient de « méchants », des méchants pour rien à son avis . Ceci étant vrai car la mésentente engendre forcément toutes sortes de problèmes, néfastes discordes généralement fondées sur de fausses allégations. Par cet incipit, il porte l’attention du lecteur à son paroxysme et le pousse à se poser des questions.

1 Albert COHEN , Le livre de ma mère, Editions Gallimard, Collection Folio, Paris, 1954 , p. 9-13.

2 Commencement.

Quel étrange petit bonheur, triste et boitillant mais doux comme un péché ou une boisson clandestine, quel bonheur tout de même d’écrire en ce moment, seul dans mon royaume et loin des salauds. Qui sont les salauds ? Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Je ne veux pas d’histoires avec les gens du dehors. Je ne veux pas qu’on vienne troubler ma fausse paix et m’empêcher d’écrire quelques pages par dizaines ou centaines selon que ce cœur de moi qui est mon destin décidera. J’ai résolu notamment de dire à tous les peintres qu’ils ont du génie, sans ça ils vous mordent. Et, d’une manière générale, je dis à chacun que chacun est charmant. Telles sont mes mœurs diurnes...

Puis il assure qu’il est prêt et même emporté par l’idée d’écrire à propos de ce grand problème et qu’il est en mesure de parler de ceux qui sont la source de ce problème tout en incitant le lecteur à pouvoir les reconnaître lui-même. Puis il affirme qu’il ne veut pas d’histoires , telles les histoires déjà vécues .

Somptueuse, toi, ma plume d’or, va sur la feuille, va au hasard tandis que j’ai quelque jeunesse encore, va ton lent cheminement irrégulier, hésitant comme en rêve, cheminement gauche mais commandé. Va, je t’aime, ma seule consolation, va sur les pages où tristement je me complais et dont le strabisme morosement me délecte. Oui, les mots, ma patrie, les mots, ça console et ça venge. Mais ils ne me rendront pas ma mère. Si remplis de sanguin passé battant aux tempes et tout odorant qu’ils puissent être, les mots que j’écris ne me rendront pas ma mère morte. Sujet interdit dans la nuit. Arrière, image de ma mère vivante lorsque je la vis pour la dernière fois en France, arrière, maternel fantôme.

L’auteur affirme sa compétence ( plume d’or) pour parler au nom de sa nation , il la désigne expressément par mère, et qu’elle sera comme telle par métonymie , et que ça le console et le venge aussi bien que ces mots ne lui rendent pas sa patrie, cette patrie qui est devenue un tabou avait une origine qui remontait aux premiers temps , un passé rempli de sang qui a coulé à flots, et dont l’auteur en a pris conscience , en France, en conséquence à l’affaire Dreyfus donnant l’occasion à un camelot pour l’insulter et ayant ouvert devant lui, à son jeune âge, toute grande la plaie de sa nation déchiquetée sans patrie déterminée (fantôme). Ici, l’auteur entre sciemment dans le fond du sujet et en détermine le point de départ.

Soudain, devant ma table de travail, parce que tout y est en ordre et que j’ai du café chaud et une cigarette à peine commencée…J’ai pitié de moi, de cette enfantine capacité d’immense joie qui ne présage rien de bon...

Faisons donc en marge un petit dessin appeleur d’idées, un dessin réconfort, un petit dessin neurasthénique, un dessin lent, où l’on met des décisions, des projets, un petit dessin, île étrange et pays de l’âme, triste oasis des réflexions qui en suivent les courbes, un petit dessin à peine fou, soigné, enfantin, sage et filial. Chut, ne la réveillez pas, filles de Jérusalem ne la réveillez pas pendant qu’elle dort.

L’auteur se déclare tout prêt , moralement et matériellement, à parler ,et à sa manière de ce grand problème, il le précise par malheur enfoui , permanent et inoubliable. Il aurait aimé s’occuper des joies de la vie, des belles créations mais il ne pouvait pas car il est obsédé par sa patrie , présente seulement dans ses pensées ,ou par des décisions ou des projets non concrétisés1, patrie habitée par les filles de Jérusalem, c’est-à-dire Israël (le lieu).

1 On est en 1943, Israël n’existait pas encore.

Qui dort ? demande ma plume. Qui dort, sinon ma mère éternellement, qui dort, sinon ma mère qui est ma douleur ? Ne la réveillez pas, filles de Jérusalem, ma douleur qui est enfouie au cimetière d’une ville dont je ne dois pas prononcer le nom, car ce nom est synonyme de ma mère enfouie dans de la terre... Raconte ta mère à leur calme manière, sifflote un peu pour croire que tout ne va pas si mal que ça, et surtout souris, n’oublie pas de sourire.

L’auteur affirme que sa mère est éternelle , ayant existé alors avant sa mère biologique et existera après celle-ci , il confirme que c’est sa patrie, qui n’existait pas encore , et qui est sa douleur et qu’il va la décrire calmement et courageusement.

Synthèse chapitre I

Il existe un problème douloureux qui concerne tout le monde. Mais il n’y a pas de plus sage que de poser ce problème et d’en décrire la solution par des mots écrits par un homme expérimenté. Ce problème est un malheur enfoui dans le temps et il est persistant et surtout inoubliable que l’auteur esquisse par une île étrange et comme le pays de l’âme, habité par les filles de Jérusalem , la mère éternelle qu’il raconte à leur calme manière , autrement dit il cherche à expliquer les malheurs de la nation juive au sein des autres nations aussi clairement que possible en dépit des méchants du dehors (les différentes formes d’oppression), situation bien décrite dans le premier manifeste de Theodor Herzl :

« …Ils sont enracinés depuis de longs siècles en des patries nouvelles, dénationalisés, différenciés, et le peu de ressemblance qui les distingue encore ne tient qu'à l'oppression que partout ils ont dû subir. ».

L’auteur confirme qu’il a un tenace espoir pour parvenir à une solution.

Comment va-t-il alors procéder ?

Titre le plus acceptable : Présentation de la condition juive.