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1.3.1 – Traditions et potentialités : Brett, je ne te hais point.

Malgré la connotation négative qui règne généralement autour de Brettanomyces sp. force est de constater que cette levure peut dans certaines situations s’avérer utile et désirée.

Ainsi les productions de bières type lambic ou gueuse font appel par exemple à B. lambicus comme agent de transformation lors de fermentations spontanées de moût de malt ou en deuxième fermentation (Verachtert et al., 1990 ; Larue et al., 1991). Elles y développent en effet des changements aromatiques importants, notamment grâce à leur activité estérase (Spaepen et Verachtert, 1982) et contribuent à l’élaboration d’une typicité acide, aboutissant alors à une bière au caractère marqué et complexe (Spaepen et al., 1978 ; Nedervelde et Debourg, 1995).

Lachance (1995) montre par ailleurs que dans l’élaboration traditionnelle de la tequila,

Brettanomyces anomala se développe spontanément et fortement au cours de la première

fermentation du moût d’agave avant de laisser progressivement la place à B. bruxellensis lorsque le degré en alcool devient important. Ces deux espèces qui se retrouvent en fin de fermentation dans le milieu font naturellement partie de la flore présente sur les racines de l’agave utilisé (Agave tequilana

weber).

En Orient, dans la confection du « Haïpao » (boisson fermentée obtenue à partir de thé noir sucré), Brettanomyces intervient dans la formation du « nata », un biofilm cellulosique apparaissant à la surface du thé en fermentation au bout d’une semaine. Ce biofilm est le résultat d’une véritable symbiose très stable entre Brettanomyces sp. et Acetobacter sp. (Liu et al., 1996). Les bactéries profitent de la capacité qu’ont ces levures à produire de l’éthanol. En contrepartie l’acidification réalisée par les bactéries inhibe la croissance des autres micro-organismes concurrents.

Des travaux ont également été menés et appliqués industriellement dans le domaine de l’environnement. En effet, possédant une aptitude à métaboliser la cellobiose (Blondin et al., 1982 et 1983 ; Parekh et al., 1988) grâce à leur activité cellulase ou -glucosidase, certaines espèces de

Dekkera/Brettanomyces ont été étudiées comme potentiels agents de dégradation des déchets de

l’industrie du papier (Jian et Ju, 1998). Mais l’utilisation de ces levures dans une optique de valorisation de ce type de déchets cellulosiques reste problématique en ce sens où la température optimale de l’enzyme mise en jeu (45 °C) est incompatible avec la relative faible résistance de la levure à ces températures «élevées» (Spindler et al., 1989 et 1992).

Dans la production industrielle d’acide acétique, une pré-fermentation acétique des moûts par des levures semble stimuler les bactéries acétiques qui interviennent comme agents principaux de transformation, permettant au final des meilleurs rendements et conversions. Les essais avec

Brettanomyces se sont révélés extrêmement prometteurs. Ces dernières pouvant produire jusqu’à 24

En bio-énergie, B. intermedius permet en culture mixte avec Pichia stipitis une production d’alcool à partir de sciure de bois pré-hydrolysée par sulfitage et saccharifiée par un mélange de cellulases et d’hémicellulases (Wayman et al., 1987). Une souche mutante, thermo-tolérante, a pu produire à partir de ce substrat de l’alcool avec un rendement en éthanol s’élevant à 75 % du rendement théorique possible pour un mélange direct de glucose et de cellobiose à 40 °C (Park et al. 1999).

1.3.2 – Le revers de médaille : un sérieux agent de contamination.

Sorti des cadres précédemment décrits, pour la majorité ramenés à des échelles relativement locales ou encore expérimentales, le portrait généralement dépeint de Brettanomyces dans les études qui lui sont consacrées n’est pas des plus flatteurs, à l’image des dégâts qu’on lui reproche.

Dès 1989 des cas de contaminations de fermentations alcooliques industrielles de sous-produits de l’industrie sucrière par Brettanomyces sont décrits et étudiés. Ainsi montre-t’on pour la première fois que les levures Brettanomyces sont responsables de la chute du rendement en éthanol mais également de l’augmentation des teneurs en acide acétique (de Miniac, 1989). L’implantation de

Brettanomyces au cours de la fermentation se fait alors au détriment de Saccharomyces cerevisiae

considérée comme agent de bio-conversion des substrats sucrés en alcool. D’autres travaux sont alors menés pour mieux comprendre cette contamination. On s’intéresse notamment aux comportements de

Brettanomyces vis-à-vis de souches de Saccharomyces utilisées pour produire de l’éthanol à partir de

mélasses, de sirops ou de jus sucrés (Powchinda, 1994 ; Delia et al., 1997 ; Gilis, 1999). Mais à ce jour, les causes exactes de la bascule de population entre Saccharomyces et Brettanomyces lors de telles contaminations ne sont pas totalement expliquées. La seule action de l’acide acétique produite par Brettanomcyes ne suffit pas à l’expliquer, le milieu tampon que représentent les mélasses réduisant fortement l’action inhibitrice de croissance de ce composé (Rasmussen et al., 1995 ; Taherzadeh et al., 1997).

Rencontrées également dans les boissons fermentées comme les vins, qu’ils soient rouges, blancs, mousseux, …, (Heresztyn, 1986 ; Chatonnet et al, 1995 ; Baumes, 1998 ; Günata, 1998) et le cidre entre autres, ces levures sont impliquées dans des contaminations induisant des défauts analytiques et sensoriels. Cette contamination induit alors une forte détérioration de la qualité du produit, soldée par sa dévaluation, voire sa perte (la seule solution étant souvent la destruction des produits devenus impropres pour les marchés).

En nologie par exemple, Brettanomyces, est responsable de la synthèse de tétrahydropyridine et de phénols volatils tels que le 4-vinyl-phénol, le 4-vinyl-gaïacol, le 4-éthyl-phénol, et le 4-éthyl- gaïacol qui à des concentrations relativement faibles suffisent à transformer une séance de dégustation en cauchemar (Chatonnet et al., 1992a et 1997 ; Licker et al., 1997, Chatonnet et Dubourdieu, 1999(a) ; Collard, 1999). Des cas de voile de surface sur des vins contaminés par Brettanomyces sont

rapportés par Galzy et Rioux (1955), décrivant également une production importante d’acidité. Il semblerait par ailleurs que tous les vins peuvent d’une façon ou d’une autre être concernés par la présence de Brettanomyces (Bioteau, 2000). Cette contamination dans le contexte oenologique sera plus amplement développée dans la suite de ce manuscrit.

2 – Caractérisations phénotypiques et physiologiques.

2.1 – Une levure polymorphe.

Observées au microscope, les Brettanomyces se présentent généralement sous forme de petites cellules ogivales, plus ou moins allongées, à bourgeonnement multipolaire (Van der Walt, 1970). Mais on remarque, comme le soulignent plusieurs auteurs, que la morphologie de ces micro-organismes est sujette à des variations prononcées en fonction des conditions de culture passant de la forme ogivale à cylindrique, ellipsoïdale, ou allongée voire même sphérique. On rencontre parfois même une forme rappelant une petite cuillère (Aguilar-Uscanga, 1998 ; Aguilar-Uscanga et al., 1999 ; Medawar, 2003). On peut les trouver sous forme de petites cellules isolées de (2,0-4,5 ; 2,0-7,0) x (3,5-18,0 ; 4,0-22,0)

µm, en paire ou formant de petites chaînes adoptant parfois même une forme de pseudo-mycélium non septé (Smith et Van Grinsven, 1984 ; Shung-Chang et al., 1985). Ce polymorphisme contribue à rendre difficile leur dépistage et leur identification par simple observation au microscopique.

Dans des conditions stressantes, une partie de cette flore peut prendre une forme résistante très petite et capable de passer à travers des membranes de seuil de coupure de 0,45 µm. Dans ce cas elle se trouve généralement sous forme Viable mais Non Cultivable. Une culture d’enrichissement peut leur permettre de reprendre une croissance normale (Millet et Lonvaud-Funel, 2000).

En culture sur malt-agar ou extrait de malt ou milieu minimum, leur croissance est lente et les colonies, aux bords lisses, présentent une couleur crème brillant. Des colonies vieillissantes se teintent parfois en brun (Medawar, 2003).