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b Altération du manteau de l’ophiolite d’Oman : serpentinisation et carbonatation

Chapitre II: CONTEXTE GEOLOGIQUE

II.1 Généralités sur les montagnes et l’ophiolite d’Oman

II.1.3. b Altération du manteau de l’ophiolite d’Oman : serpentinisation et carbonatation

Altération hydrothermale : serpentinisation et carbonatation

Le manteau « frais » peu altéré a été préférentiellement étudié dans les années 70-80 lors des premières campagnes d’exploration de l’ophiolite d’Oman (Boudier et Coleman, 1981 ; Coleman, 1981 ; Glennie et al., 1974 ; Lippard et al., 1986). L’altération hydrothermale dans l’ophiolite d’Oman a été mise en évidence par McCulloch et al., en 1981 et Gregory et Taylor, en 1981 par des variations importantes en isotope de l’oxygène δ18O et en strontium

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Sr/86Sr à travers la section crustale et mantellique de l’ophiolite (Figure II.9). La déviation en δ18O et 87Sr/86Sr par rapport aux valeurs initiales magmatiques (δ18O= 5.7 et 87Sr/86Sr= -19.5) est observée en particulier au sommet de la section crustale. Cette déviation caractérise l’interaction hydrothermale au niveau de la croûte océanique.

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Figure II.9: Mesures en δ18O, εSr ((87Sr/86Sr)Tinitial/(87Sr/86Sr)Tstandard -1)*104) et εNd

((143Nd/144Nd)Tinitial/(143Nd/144Nd)Tstandard -1)*104), réalisées dans la région d’Ibra dans le massif de Wadi Tayin à travers la section crustale et mantellique de l’ophiolite d’Oman. Les symboles sont : V= laves en coussins, SD = complexe filonien, HG= gabbros isotropes, G= gabbros lités, WG= filons de wehrlit ; D= dunite et H= harzburgite (McCulloch et al., en 1981)

Le manteau de l’ophiolite d’Oman a subi différents degrés d’altération au cours de l’histoire de l’ophiolite : du refroidissement off-axis lié à des circulations océaniques hydrothermales jusqu’à la mise en place de l’ophiolite avec des circulations actuelles d’eau superficielle et météorique. L’altération du manteau et en particulier son hydratation (serpentinisation) a été étudiée dans les années 2000 par Dewandel et al., 2003 et 2005 et par Boudier et al., 2009. Ces études ont permis de mettre en évidence différents degrés de serpentinisation dans la section mantellique : les péridotites sont en moyenne serpentinisées entre 30-70% allant jusqu’à 100% sur les bas-reliefs tels que les lits des rivières nommés wadis. Cette serpentinisation forme typiquement une structure maillée (« mesh texture ») composée de veines de lizardite, omniprésente dans les péridotites faiblement à complètement serpentinisées. L’orientation de ces veines de lizardite est contrôlée par la fabrique initiale ; i.e. l’anisotropie du manteau (Boudier et al., 2009 ; Dewandel et al., 2005). Les zones de bas-reliefs les plus serpentinisées sont également celles qui présentent une carbonatation intense ; indiquant l’étroite relation entre la serpentinisation et la carbonatation.

La carbonatation a commencé à être étudié dans les années 90 (Clark et Fontes, 1990, Clark et al., 1992) et de nouveau dans les années 2010 avec les travaux de Kelemen et Matter, 2008 et Kelemen et al., 2011, sous l’impulsion de l’intérêt grandissant du stockage de CO2 dans les roches mantelliques. Deux types de carbonatation ont été mis en évidence en Oman (Figure II.10) :

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- (a) les listvenites sont composées de quartz et magnésite/dolomite, associées à des péridotites serpentinisées et localisées à la base de la section mantellique (Falk et Kelemen, 2015 ; Figure II.10). Elles se forment à relativement haute température (<150°C ; thermométrie en utilisant l’isotopie ∆47 « clumped isotope» et l’isotopie classique de l’oxygène ; Falk et Kelemen, 2015 ; Streit et al., 2012). Les mesures en 87Sr/86Sr des listvenites indiquent principalement des fluides interagissant avec des sédiments subductés et non avec les sédiments de la nappe d’Hawasina ou des massifs de Jebel Akhdar et Saih Hatat qui entourent actuellement l’ophiolite (Falk et Kelemen, 2015 ; Streit et al., 2012). Les listvenites sont donc associées au stade de la subduction/obduction.

- (b) les veines de carbonate et les travertins qui précipitent principalement à basse température associés à des sources alcalines de surface et des eaux météoriques (Clark et Fontes, 1990, Clark et al., 1992, Falk et al., 2016, Kelemen et al., 2011, Mervine et al., 2014, 2015 ; Figure II.10 C et D). Ces veines de carbonate et travertins sont présentes seulement dans quelques localités particulières à travers la section mantellique (e.g., Falaij, Duck, Batin, Wadi Kafifah, Wadi Fins) où des sources alcalines ont été mises en évidence. Les âges mesurée en 14C indiquent que les veines de carbonate et les travertins ont un âge < 50000 ans (Kelemen et al., 2011 ; Mervine et al., 2014, 2015). Ces âges sont relativement jeunes par rapport à l’histoire de l’ophiolite (voir II.1.2) ; ce qui indique que ces carbonates se sont formés principalement durant l’altération superficielle après la mise en place de l’ophiolite. Les mesures en isotopes stables δ18O et δ13C des veines de carbonate indiquent soit un fractionnement isotopique des carbonates les plus jeunes, âgés de < 10000 ans, soit un équilibre isotopique avec des eaux alcalines de surface ou de subsurface, enregistrant des températures de précipitation de surface < 60°C (températures les plus élevées en été). Le fractionnement isotopique est une conséquence soit de l’absorption du CO2 atmosphérique loin de l’équilibre chimique lors de la précipitation de ces carbonates, soit des variations paléoclimatiques (Clark et Fontes, 1990 ; Clark et al., 1992). Cependant l’étude de cette carbonatation de basse température s’est focalisée sur de larges veines de carbonate (centimétrique à métrique) et les dépôts massifs de travertin. Dans notre étude, nous nous sommes intéressés aux veines de carbonates à plus petite échelle : millimétriques à centimétriques et à la carbonatation pénétrative dans la matrice serpentinisée, non étudiée jusque-là en Oman.

Les dépôts carbonatés sont composés essentiellement de magnésite (MgCO3), de dolomite (CaMg(CO3)2) et de calcite (CaCO3). L’une des grandes questions relatives à ces fluides est de connaître la source d’enrichissement en magnésium et en calcium, permettant la précipitation de ces carbonates (calcite, dolomite, magnésite). L’enrichissement en magnésium peut être lié à l’altération du manteau (réactions RI.8 à 10). Le calcium peut provenir de l’altération des clinopyroxènes dans le manteau mais ils sont présents en trop faible proportion (< 5%) pour permettre la précipitation de la totalité de la calcite et dolomite

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en Oman. Le calcium peut provenir de toutes les roches sédimentaires qui entourent les massifs ophiolitiques, telles que les nappes de Hawasina ou les sédiments autochtones Hajar Super Group formant les massifs Jebel Akhdar et Saih Hatat. Ces massifs sont hauts topographiquement, ce qui permet l’écoulement de l’eau météorique de ces massifs vers les massifs ophiolitiques.

Les sources alcalines

Les études des fluides et des sources alcalines dans les ophiolites en particulier dans l’ophiolite d’Oman sont le fondement de la recherche actuelle sur l’altération active de basse température du manteau ophiolitique (Barnes et O’Neil, 1969 ; Chavagnac et al., 2013a, 2013b, Cipolli et al., 2004 ; Dewandel et al., 2003, 2005 ; Kelemen et al., 2011 ; Neal et Stanger, 1985 ; Matter et al., 2006 ; O'Neil et Barnes, 1971 ; Paukert et al., 2012, Weyhenmeyer et al., 2000). Ces études identifient trois sources de fluides pouvant être à l’origine de l’altération à basse température du manteau suivant trois étapes (Figure II.11): - (i) l'eau météorique dans les aquifères peu profond à profond, qui s’enrichie en Mg-HCO3 après interaction avec le manteau, nommées eaux de type I.

- (ii) les eaux de type II souterraines riches en Ca-OH et pauvres en carbone dissout et à pH élevé permettant la précipitation de calcite et de dolomite.

- (iii) les eaux de type II alcalines remontant en surface, réagissent rapidement avec le CO2

atmosphérique pour précipiter les travertins riches en calcite au niveau des sources alcalines.

Figure II.10: (A) Affleurement de bandes de listvenite dans la péridotite serpentinisée à Wadi

Mansah (Falk et Kelemen, 2015) ; (B) Fractures remplies de dolomite recoupant la dolomite et le quartz finement intra-cristallisés (Falk et Kelemen, 2015) (C) Source alkaline à pH élevé (11-12) de Wadi Kafifah ; (D) Exemple d’une large veine de carbonate aux-alentours de Batin.

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Les sources alcalines et les aquifères dans les péridotites sont caractérisés par une variabilité du pH et de l’alcalinité mettant en évidence différents fluides et voies d'écoulement dans la section mantellique ainsi que des réactions chimiques permettant la précipitation de la serpentine et de carbonate en profondeur et à la surface (Dewandel et al., 2005 ; Pauckert et al., 2012 ; Figure II.8). Des études récentes sur les sources alcalines en Oman (Chavagnac et al., 2013a, 2013b ; Miller et al., 2016 ; Pauckert et al., 2012), sur les travertins associés et sur les veines carbonatées (Falk et al. , 2016 ; Mervine et al., 2014, 2015) ont montré que les réactions de serpentinisation et de carbonatation sont toujours actives aujourd’hui.

Ma thèse s’inscrit dans cette démarche de comprendre et d’étudier la serpentinisation et la carbonatation passée et active dans l’ophiolite d’Oman. De grandes incertitudes existent encore, relatives aux processus mécaniques, physiques et chimiques contrôlant la minéralisation du CO2 et son couplage à la serpentinisation aux différentes étapes de l'altération du manteau de l’ophiolite d’Oman. Ces questionnements concernent en particulier : les sources des fluides, le développement des microfissures à l’origine des voies d’écoulement, la contribution des différentes étapes d’altération (circulation hydrothermale océanique VS fluides contaminés lors de l'obduction VS l'altération actuelle) et l’effet de la serpentinisation, de l’activité microbienne ainsi que de certains paramètres tels que la fugacité en oxygène, en hydrogène et l’état redox, sont encore mal compris.

Figure II.11: Modèle conceptuel de la structure et du fonctionnement de l'aquifère de l’ophiolite

d'Oman (modifié par J. Matter, d’après Dewandel et al., 2005). La flèche rouge indique le trajet de l'eau météorique dans les aquifères peu profond (Type I). La flèche grise indique le trajet des eaux de Type II : en profondeur avec les réactions qui peuvent avoir lieu au contact des péridotites (flèches colorées) jusqu’à leur remontée en surface formant les sources alcalines et les travertins.

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