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Altération de l’homéostasie calcique au cours de l’IR

Chap 1 : Ischémie- Reperfusion : Place de la mitochondrie dans ce phénomène

II. La mitochondrie dans l’Ischémie-Reperfusion

2. Altérations mitochondriales liées à l’ischémie-reperfusion

2.1. Altération de l’homéostasie calcique au cours de l’IR

2.1.1. Homéostasie calcique mitochondriale

Les mitochondries jouent un rôle essentiel dans l’homéostasie du Ca2+ au cours du CEC (Bers, 2002). En effet, la concentration calcique cytoplasmique des cardiomyocytes au repos est basse (environ 100 nM). Lors d’un potentiel d’action (PA), la dépolarisation membranaire active les canaux calciques de type L, ou les récepteurs à la dihydropyridine (DHPR) pour faire rentrer du Ca2+ dans la cellule. Celui-ci sert à ouvrir le canal calcique du RS appelé le RyR, ce qui favorise la libération de Ca2+

par le RS dans le cytosol via un mécanisme appelé « Ca2+-induced Ca2+ release » (CICR). Cette augmentation transitoire de la concentration cytosolique de Ca2+ ([Ca2+]c= 1-3 µM), appelée transitoire calcique, déclenche une contraction cardiaque via la fixation du Ca2+ sur la troponine C présente au niveau de la machinerie contractile. La relaxation se produit lorsque celui-ci se détache des troponines. Il est alors recapté par le RS via SERCA (sarco/reticulum endoplasmique Ca2+ ATPase) et/ou extrudé de la cellule par les échangeurs NCX. Le Ca2+ est ainsi ramené à sa valeur de repos (environ 100 nM) (Figure

9).

Bien que le rôle de la mitochondrie dans l’homéostasie calcique ait longtemps été négligé, il est aujourd’hui bien établi que celle-ci est capable de capter une quantité importante de Ca2+ au cours du CEC, en réponse au transitoire calcique (Bassani et al., 1993; Negretti et al., 1993). En effet, l’utilisation de sondes fluorescentes sensibles au Ca2+ localisé au niveau de la mitochondrie a permis de montrer que le Ca2+ mitochondrial oscille de façon synchrone au Ca2+ cytosolique et qu’il répond

aux sollicitations inotropes et chronotropes telles que l’exposition à l’adrénaline ou l’acetylcholine (Robert et al., 2001). Outre sa participation au CEC, l’entrée de Ca2+ dans la mitochondrie joue un rôle énergétique par l’activation des déshydrogénases sensibles au Ca2+ (pyruvate, isocitrate, oxoglutarate déshydrogénases) gouvernant la disponibilité des équivalents réduits (NADH et FADH2) et donc la synthèse d’ATP (Glancy and Balaban, 2012; McCormack et al., 1990; Tarasov et al., 2012). La mitochondrie peut donc réguler de façon fine l’homéostasie calcique cellulaire.

Cependant, il a été démontré que l’affinité du MCU (Mitochondrial Calcium Uniporteur, principale porte d’entrée du Ca2+ dans la mitochondrie) pour le Ca2+ est faible (Kd = 10 µM). Ainsi, la concentration cytosolique au repos ([Ca2+]c=100 nM) n’est pas suffisante pour permettre une absorption mitochondriale efficace (De Stefani et al., 2016). En conséquence, des concentrations importantes et localisées de Ca2+ sont nécessaires afin de permettre l’activation du MCU. Pour cela, l’existence de microdomaines à l’interface entre RS (réserve principale de Ca2+) et mitochondries a été mis en évidence et permet d’expliquer en partie ce phénomène (De la Fuente and Sheu, 2019; Rizzuto et al., 2000). En effet, des récentes études utilisant des techniques de tomographie électronique ont révélé la présence de zones de contacts entre les protéines du RS et la mitochondrie (Rizzuto et al., 2004), permettant la transmission rapide de Ca2+ du RS au réseau mitochondrial sans impacter la [Ca2+] cytosolique. L’association du RS avec les mitochondries a été décrite pour la première fois par Copeland et Dalton (Copeland and Dalton, 1959). Depuis, ces zones de contacts entre mitochondries et RS ont été observées par plusieurs autres groupes de recherche (Morré et al., 1971; Rizzuto et al., 1998). On parle de « mitochondria-associated membranes » (MAM). Ces MAM sont composés du récepteur de l’inositol 1, 4, 5 triphosphate de type 1 (IP3R1), principal canal de libération de Ca2+ présent sur le RS et de VDAC1 présent au niveau de la membrane externe mitochondriale et qui permet l’absorption de Ca2+ par la mitochondrie. On retrouve également, la protéine de stress mitochondrial GRP75 (ou mtHSP70) qui relie les deux canaux à travers leurs portions cytosoliques (Szabadkai et al., 2006). De cette manière, ce complexe dont la stabilité peut être modulée dynamiquement par différents stimuli (tel que l’H2O2) (De Stefani et al., 2012), favorise le transfert du Ca2+ de la lumière du RS vers la mitochondrie (Giacomello and Pellegrini, 2016). Le RyR serait également présent au niveau des MAM, où il jouerait un rôle crucial dans les cellules excitables (Eisner et al., 2013). En effet, dans le cœur, l’isoforme RyR2 est reporté comme étant le principal médiateur de la relation entre RS-mitochondrie (Eisner et al., 2013). En plus du GRP75, qui relie les canaux du RS et de la RS-mitochondrie, les mitofusines (Mfn 1 et Mfn 2, protéines de fusion mitochondriale) ont également été proposées pour stabiliser le complexe RS-mitochondrie (de Brito and Scorrano, 2008; Chen et al., 2012). Ainsi,

dans des conditions physiologiques normales, la communication RS-mitochondrie semble cruciale pour le système cardiovasculaire. Malgré la proximité physique des mitochondries avec le RS et la dépendance des mitochondries au Ca2+ dans la production d’ATP, la capacité des mitochondries à tamponner de manière dynamique le Ca2+ cytosolique est encore débattue (Boyman et al., 2014).

Plusieurs canaux et transporteurs ont été proposés comme régulant l’absorption de Ca2+ par la mitochondrie (Dedkova and Blatter, 2013). Comme abordé ci-dessus le passage du Ca2+ de l’espace intra-membranaire vers la matrice mitochondriale est principalement contrôlé par le MCU (Pan et al., 2013), un complexe protéique situé au niveau de l’IMM et connu comme étant dépendant du ΔΨm (Baughman et al., 2011; De Stefani et al., 2011). Celui-ci se compose de la sous-unité MCU (450 kDa), qui s’oligomérise en tétramère pour former un canal fonctionnel (Baughman et al., 2011; De Stefani et al., 2011), de MICU 1 (Mitochondria calcium uptake 1) et MICU 2, (Mitochondria calcium uptake 2) des protéines régulatrices qui contiennent toutes les deux des domaines « main-EF » faisant face à l’espace inter membranaire et capables de détecter le Ca2+ et ainsi de contrôler l’ouverture du MCU. En effet, MICU 1 est considéré comme le « portier » du MCU. A de faibles concentrations extra-mitochondriales de Ca2+, MICU 1 maintient le MCU dans un état fermé, inhibant l’absorption de Ca2+, alors qu’en présence de fortes concentrations de Ca2+, le domaine « main-EF » de MICU 1 se lie au Ca2+ conduisant à un changement conformationnel de MICU 1 et à l’ouverture du canal (Csordás et al., 2013; Mallilankaraman et al., 2012). EMRE (Essential MCU Regulator) est le dernier composant du canal à avoir été identifié. C’est une protéine de 10 kDa, présente dans la membrane interne mitochondriale (IMM) et qui est essentielle à l’activité du MCU, comme le démontre des expériences menées sur des cellules déficientes pour EMRE et pour lesquelles l’absorption mitochondriale de Ca2+ est abolie. En effet, celui-ci permet l’assemblage des sous-unités régulatrices MICU 1 et MICU 2 à la membrane (Sancak et al., 2013). Le Ca2+ peut également entrer dans la mitochondrie par un mécanisme rapide appelé RaM (Rapid Uptake Mode) (Buntinas et al., 2001), dont la structure est encore inconnue à ce jour. Son activité est supérieure à celle du MCU pour de faibles concentrations de Ca2+ et diminue avec l’augmentation du Ca2+ mitochondrial (Santo-Domingo and Demaurex, 2010). L’existence d’un RyR mitochondrial a également été suggérée (Ryu et al., 2010), mais reste controversée. Le RyR tout comme le RaM permettrait une séquestration rapide du Ca2+ à de faibles concentrations. Celui-ci est inhibé à de fortes concentrations de Ca2+, suggérant son rôle physiologique dans l’homéostasie calcique (Ryu et al., 2010). La sortie de Ca2+ dans les cellules du muscle cardiaque est principalement médiée par l’échangeur mitochondrial NCX, dont l’identité n’a été identifiée que récemment (Boyman et al., 2013; Palty et al., 2010).

Figure 9 : La mitochondrie au centre de l’homéostasie calcique.

Alors que l’entrée de petites quantités de Ca2+ peut avoir des effets bénéfiques sur l’homéostasie métabolique, un nombre considérable d’études démontre que l’absorption d’une grande quantité de Ca2+ est responsable de dysfonctionnements de la mitochondrie et finalement de la mort des cellules (Rasola and Bernardi, 2011; Rizzuto et al., 2012). Il est bien décrit que l’homéostasie calcique est fortement perturbée en cas d’IR myocardique, dans ce cas les mitochondries deviennent capables de stocker d’importantes quantités de Ca2+ (Griffiths and Rutter, 2009). Cependant, quand la concentration du Ca2+ atteint un certain seuil, on parle de « set point » (1 à 3 µM de Ca2+ cytosolique) (Nicholls, 1978), l’échange calcique de part et d’autre de la membrane devient insuffisant et conduit à une surcharge calcique qui peut être préjudiciable pour la cellule (voir Chap1/II/ 2.1.2 : conséquences

de l’IR).

2.1.2. Conséquences de l’ischémie-reperfusion

Comme décrit précédemment, l’entrée de Ca2+ dans la cellule se fait majoritairement par l’ouverture du MCU, qui utilise l’énergie du ΔΨm pour absorber ce dernier. Dans ce cas l’entrée de Ca2+ dans les mitochondries agira en dissipant le ΔΨm à moins que le transport d’électrons ne soit fortement activé afin de restaurer ou maintenir le gradient électrochimique. Ainsi, pendant l’ischémie, alors que le transport d’éléctrons est diminué, on s’attend à ce que l’absorption de Ca2+ par les mitochondries dissipe le ΔΨm limitant finalement l’entrée de Ca2+ dans les mitochondries. Néanmoins, la plupart des études reportent une légère augmentation du Ca2+ dans la matrice mitochondriale (Griffiths et al., 1998 ; cardiovas Res). Afin d’expliquer ce phénomène, Griffiths et al. ont démontré en 1998 que l’augmentation du Ca2+ matriciel au cours de l’ischémie pouvait être inhibé par le clonazépam, un inhibiteur du NCX mitochondrial, une autre porte d’entrée du Ca2+ dans la mitochondrie au cours de l’IR, suggérant que le NCX fonctionne en mode inversé au cours de l’ischémie et contribue à augmenter le Ca2+ matriciel (Griffiths et al., 1998). En accord avec ces résultats, certains auteurs rapportent une augmentation de la quantité d’ARNm du NCX au cours de l’ischémie (Luongo et al., 2017). Pendant la reperfusion, l’apport brutal d’O2, le rétablissement du ΔΨm et la restauration du pH conduisent à une exacerbation de la surcharge calcique mitochondriale. Grigffiths et al. en 1998 démontrent que l’utilisation de clonazépam, exacerbe la surcharge calcique au cours de la reperfusion, suggérant le rôle du NCX dans l’extrusion de Ca2+ au cours de la reperfusion (Griffiths et al., 1998). Il est intéressant de noter, que l’utilisation d’agents cardioprotecteurs tels que le diazozide et les inhibiteurs du NCX sarcolemmales réduisent la surcharge calcique au cours de la reperfusion post-ischémique (Murata et al., 2001).

Par ailleurs, la reprise de la chaîne respiratoire mitochondriale conduit à un rétablissement du ΔΨm ce qui conduit à la réactivation du MCU (Joiner et al., 2012) et permet ainsi d’expliquer l’origine de la surcharge calcique mitochondriale au cours de la reperfusion (Oropeza-Almazán et al., 2017). En effet, des études rapportent que la reperfusion est associée à une augmentation de l’expression du MCU (Guan et al., 2019). En accord avec ce phénomène, Luongo et al., ont pu démonter en 2015 (Luongo et al., 2015) que la délétion du MCU (souris MCU-/-) limite les lésions d’IR en empêchant la surcharge calcique mitochondriale au cours de la reperfusion. Une récente étude menée par Oropeza-Almazàn et al. en 2017 confirme ces résultats puisque les auteurs démontrent que la baisse de l’expression du MCU par un siARN semble protéger les mitochondries des lésions d’IR (Oropeza-Almazán et al., 2017). Cette surcharge calcique est associée à une altération de fonction cardiaque au

cours de l’IR. En effet, Miyame et al. (1991) démontrent par la mesure du Ca2+ mitochondrial, via l’utilisation d’une sonde fluorescente sensible au Ca2+ (iodo-1) que la [Ca2+] mitochondriale au cours de l’ischémie est négativement corrélée à la récupération fonctionnelle des cœurs au cours de la reperfusion post-ischémique (Miyamae et al., 1996). L’utilisation de rouge de ruthénium (Ru360), un inhibiteur du MCU atténue la [Ca2+] mitochondriale et améliore la récupération fonctionnelle à la reperfusion (Miyamae et al., 1996). L’activation du MCU au cours de la reperfusion s’explique en partie par l’altération de MICU 1, une protéine essentielle à la régulation du Ca2+ mitochondrial. En effet, Mallilankaraman et al. (2012) démontre qu’en l’absence de MICU 1, les mitochondries deviennent constitutivement chargées en Ca2+, et ainsi plus sensible au stress apoptotique (Mallilankaraman et al., 2012). Une récente étude, confirme ce résultat puisque les auteurs démontrent sur un modèle d’IR, une diminution de MICU 1 au niveau mitochondrial, sans modification de son niveau total (Xue et al., 2017). Les auteurs expliquent cette diminution par l’altération de l’expression de TOM70 (Mitochondrial import receptor subnit), une protéine connue comme pouvant réguler la localisation mitochondriale de MICU 1 (Xue et al., 2017).

Lors de la reperfusion, l’augmentation du Ca2+ cytosolique et mitochondrial conduit à l’activation des calpaines, des protéases à cystéines connues pour participer aux lésions d’IR (Inserte et al., 2012; Zheng et al., 2020). L’activation des calpaines entraine une altération de la dynamique mitochondriale qui s’explique par une augmentation de la fission des mitochondries au cours de l’IR (Gao et al., 2016; Maneechote et al., 2018). En effet, les calpaines vont activer la calcineurine, elle-même capable de phosphoryler Drp1, une GTPase régulatrice de la fission mitochondriale. Ceci est associé à une diminution de l’expression d’OPA1 (Optic Atrophy type 1), une protéine impliquée dans la fusion des mitochondries. Considérant le rôle que pourrait jouer MCU au cours de l’IR, Guan et son équipe, ont récemment démontré par l’utilisation de modèles in vivo et in vitro d’IR, que l’activation des calpaines suite à la surcharge calcique induite par l’ouverture du MCU, inhibe la fusion mitochondriale et favorise la fission des mitochondries, via une augmentation de l’expression de Drp1 (Guan et al., 2019). Tout ceci participe à expliquer les altérations mitochondriales liées à l’IR et met en lumière le rôle du MCU dans la surcharge calcique au cours de l’IR. Ainsi toutes les stratégies visant à inhiber l’ouverture du MCU au cours de la reperfusion semblent prometteuses.

Enfin, plusieurs études se sont intéressées au rôle de la communication RS-mitochondrie dans la surcharge calcique au cours de l’IR (Zhou et al., 2018). Il est aujourd’hui bien connu que la Cyp D, régulateur clé du mPTP est capable d’interagir avec le complexe VDAC1/GRP75/IP3R1 des MAM afin

de réguler le transfert de Ca2+ du RS aux mitochondries dans les cardiomyocytes (Paillard et al., 2013). Au cours de l’IR, l’interaction entre la Cyp D et MAM est augmentée, ce qui permet d’expliquer la surcharge calcique au cours de la reperfusion. L’inhibition de l’expression d’un des composants du complexe (VDAC1, GRP75 ou IP3R1), atténue la surcharge en Ca2+ des mitochondries et protège ainsi les cardiomyocytes des effets néfastes de l’hypoxie/réoxygénation. De manière intéressante, l’inhibition génétique ou pharmacologique de la Cyp D fournit des résultats similaires, confirmant le rôle de la Cyp D dans la surcharge calcique.