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Par Ali Romdhani Doctorant en Sociologie UMR CNRS 6590 ESO - Université Rennes 2 ali.romdhani@univ-rennes2.fr

Ces journées étaient dédiées aux recherches faites par les « jeunes chercheurs », tant doctorants que maitres de conférence. La thématique interrogeait la notion d’espace à l’interface d’une grande variété de disciplines, ce que n’ont pas manqué de démontrer les contenus des 33 propositions reçues pour ces deux journées de colloque. Le premier axe questionnait l’interdisciplinarité en science sociale, en tant que nouvelle injonction pour la recherche, mais qui dénote aussi des frontières de plus en plus floues entre les disciplines. En ce sens, plusieurs communications ont abordé la notion d’espace à travers des thématiques transversales, telles que l’environnement, le cinéma ou l’urbanisme. Ces journées auront ainsi permis de clarifier davantage les différentes manières d’hybrider les disciplines, les méthodes ou les objets de recherches.

Plusieurs débats ont porté sur les termes utilisés pour définir ces pratiques de recherche. D’une part, la pluridisciplinarité concerne les configurations où plusieurs disciplines sont superposées, soit au sein d’une enquête ou d’une équipe de recherche. Il a semblé aux personnes présentes que cette forme reste encore la plus majoritaire, où les différentes approches apportent leur éclairage, sans nécessairement se confondre. D’autre part, l’interdisciplinarité se centre sur les interactions entre les disciplines autour d’un objet de recherche ou d’une méthode. Ainsi, les approches sont considérées comme complémentaires. Enfin, la transdisciplinarité effectue un brouillage volontaire entre les frontières disciplinaires, complètement fondues dans l’objet d’étude. Il s’agit moins de nouvelles pratiques disciplinaires que de nouveaux champs de recherche, qui émergent en même temps au sein de plusieurs disciplines et qui -de

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ce fait- poussent plus facilement les chercheurs à dialoguer entre eux à l’image des « gender studies ».

Dans ce contexte, est-il vraiment pertinent d’effectuer ces distinctions terminologiques souvent difficiles à départager ? Ne serait-il pas plus pertinent d’interroger ces mutations de la recherche au regard de « nouvelles hybridations » des disciplines ? Étant donné que toutes disciplines possèdent leurs noyaux durs et leurs périphéries ouvertes aux autres, on pourrait davantage parler d’emprunts opportunistes ou spécifiques aux besoins de la recherche. Au-delà de ces dynamiques, les mélanges disciplinaires permettent une plus grande réflexivité aux chercheurs, mettant en perspective leurs démarches.

Dès lors, se décentrer de sa spécialité est un enjeu même de la recherche, permettant de se centrer sur les phénomènes à étudier ou les problèmes à résoudre. C’est aussi un enjeu très actuel de la recherche parce que l’hybridation devient une contrainte institutionnelle, conçue par les organisations scientifiques comme une nouvelle source d’innovation. Ceci pose une double contrainte, dans la mesure où cette forme d’innovation est valorisée (notamment dans les réseaux internationaux dominés par les normes anglo-saxonnes) mais où des institutions nationales comme le CNU continuent d’organiser les soutenances, les qualifications et le recrutement des maitres de conférence selon des logiques disciplinaires. Malgré l’ouverture récente d’une section interdisciplinaire, celle-ci reste encore sous-valorisée dans les comités de sélection, eux-mêmes disciplinaires. Dès lors, on peut constater que l’ancrage identitaire aux disciplines, qui s’est forgé à travers une histoire, parfois de luttes institutionnelles de reconnaissance, a défini des groupes d’appartenances bien ancrés dans des relations de pouvoir.

Le second axe de ces journées portait plus spécifiquement sur la notion (ou le concept) d’espace, domaine de prédilection de la géographie, mais nécessairement partagé par d’autres sciences sociales et naturelles. De par sa dimension centrale de la vie sociale, l’espace a été abordé de plusieurs manières et sur plusieurs échelles au cours de ce colloque. Premièrement, conception chère au géographe, la notion de paysage a été abordée sous l’angle des transformations sociales et écologiques. Deuxièmement, le concept de territoire a été utilisé en chevauchant plusieurs disciplines autour d’objets variés comme la politique (souveraineté, communauté), les inégalités (éducation, gentrification), des relations sociales et économiques (innovation, stratégie commerciale), le « lieu » (habitat, lieu artistique, lieu de diffusion) et aussi autour de la question des frontières. Troisièmement, la question de

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la mobilité a été discutée en sociologie et en démographie, notamment autour de la marche et des relations entre espace de vie et de travail.

Le troisième axe portait sur l’engagement des chercheurs, ce qui n’a pas manqué de soulever plusieurs débats sur la finalité de la recherche. S’agit-il d’un simple travail de connaissance du monde ? Une action sur celui-ci est-elle réellement possible à éviter? Dans quelle mesure est-ce la représentation qui crée la réalité ou l’inverse ? Dès lors que ces questions sont posées, comment aborder la neutralité du chercheur? Plusieurs tables rondes ont discuté cet enjeu, notamment à travers la proximité que certains d’entre nous entretiennent avec leur terrain. Certains ont ainsi affirmé leur volonté d’être des chercheurs militants, comme Pierre Bourdieu et de pratiquer la sociologie comme « un sport de combat ». Tous n’ont pas cette approche, mais s’entendent pour dire qu’inévitablement c’est soit « le terrain qui nous prend », soit nos sources financement, soit les implications politiques de nos recherches qui induisent (bon gré-mal gré) une projection du chercheur dans le champ de l’engagement.

À l’issue de ces discussions, il semble que nous partagions tous le constat que travailler de manière décloisonnée sur nos objets de recherche est une profonde nécessité d’ordre intellectuelle et institutionnelle. En même temps, il apparait aussi que ces pratiques ne sont pas nouvelles pour toutes les disciplines ; au même titre que cette hybridation peut s’apparenter à une remise en question de l’hégémonie disciplinaire sur certains sujets, ce qui peut constituer un point d’achoppement non négligeable entre chercheurs. Au final, on peut toujours se demander si les jeunes chercheurs ont une conception foncièrement différente de leurs aînés dans leur pratique de l’interdisciplinarité.

Merci aux 70 participants à ces journées, autant les membres de l’UMR Espaces et sociétés que ceux venus des diverses universités de France, d’Espagne, de Suisse et du Brésil. Un remerciement particulier pour le comité d’organisation composé exclusivement de doctorants, ainsi qu’au comité scientifique composé de doctorants et d’enseignants chercheurs d’ESO. Leur rigueur et dévouement auront permis le succès de ces journées. Un merci particulier pour Karine et Emmanuelle pour leur soutien logistique, sans qui ces journées n’auraient eu ni salles, ni repas, ni cafés. Dernièrement, une mention spéciale pour Julien et Martin qui ont pris beaucoup d’énergie pour restituer ces journées.

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