PARTIE III : TRADUIRE TRISTAN ET ISOLDE : OBSERVATIONS, ANALYSE ET POINTS
3. Alfred Ernst et Victor Wilder dans la pratique : analyse d’extraits des traductions
Introduction
Partie I : Le Maestro et son œuvre
1. Richard Wagner
2.
Tristan et Isolde3. Le wagnérisme
Partie II : Traduire l’opéra : une tâche complexe
1. Les caractéristiques de l’œuvre opératique
2. De la difficulté de traduire le livret
3. Marge de manœuvre du traducteur et politiques en matière de traduction
Partie III : Traduire Tristan et Isolde : observations, analyse et points de vue
1. Le contenu de l’œuvre
2. Les principaux traducteurs de Tristan et Isolde et leurs stratégies traductives
3. Alfred Ernst et Victor Wilder dans la pratique : analyse d’extraits des traductions
de Tristan et Isolde
Conclusion
Annexes
Bibliographie
INTRODUCTION
Don Giovanni, La Traviata, Orphée et Eurydice, Carmen… Autant d’opéras dont le sujet, emprunté directement à des mythes séculaires ou à des ouvrages ayant fait date dans l’histoire de la littérature, éveillera chez le novice en matière d’art lyrique un tant soit peu cultivé le sentiment de se retrouver en terrain connu. Il n’est pas certain, en revanche, que Boris Godounov, Les Deux Veuves, Wozzeck ou Der Freischütz suscitent la même étincelle de reconnaissance, en tout cas dans l’esprit d’un auditeur de culture francophone. Le dénominateur commun à tous ces opéras ? Ils sont le reflet de cultures relativement éloignées de celle de l’auditeur en question, sont écrits dans des langues, le russe, le tchèque ou l’allemand, dont il est probable (en tout cas pour les deux premières) qu’il n’en ait que de faibles notions, et renvoient à un imaginaire dont il n’est pas familier. Lorsque se produit la rencontre entre un de ces opéras et cet auditeur potentiel survient chez ce dernier le besoin de satisfaire sa curiosité intellectuelle et la nécessité de comprendre pour savourer pleinement. C’est dans cette nécessité que réside la raison d’être de la traduction des livrets.
Ce type de traduction est relativement peu abordé dans les travaux de traductologie. La raison en est qu’il fait intervenir dans le processus de multiples paramètres ne relevant pas uniquement des domaines linguistique et culturel. Plus d'un traducteur hésite à s'attaquer à ce type de travail, sachant que le nombre et la nature des facteurs en jeu compliquent encore davantage le processus déjà complexe de la traduction et compromettent sérieusement les chances de produire un texte qui satisfait pleinement à tous les paramètres présents dans l'œuvre originale. En effet, dans un opéra s’entrecroisent la langue, la musique et le théâtre.
Chacun de ces éléments constitutifs trouve son expression dans un processus d’interaction sans lequel l’opéra ne peut prendre forme. La traduction des livrets ne peut donc logiquement s’effectuer abstraction faite du facteur musical et du facteur théâtral, ce qui implique pour le traducteur, en plus de ses compétences de linguiste, des connaissances dans ces deux domaines dont il ne dispose pas toujours. La traduction des livrets est un domaine très spécifique et exigeant qui suscite malheureusement un intérêt trop limité.
La traduction d’un livret est une entreprise dont la difficulté dépend en particulier du degré d’interaction entre le texte et la musique. Cette symbiose atteint des sommets chez certains
compositeurs. C’est certainement chez Richard Wagner qu’elle est le plus manifeste. Le nom du grand compositeur allemand est associé à celui d’opéras qui ont fait date dans l’histoire de l’art lyrique (Le Vaisseau Fantôme, Parsifal, Tristan et Isolde et le cycle de l’Anneau des Nibelungen entre autres). Le style musical et poétique très particulier de Wagner et les thèmes qu’il met en musique dans ses œuvres font de lui un artiste à part dans le monde de l’opéra. La traduction des livrets de Wagner fait reculer bien des traducteurs parce que chacun de ses opéras forme une structure extrêmement complexe, aux intrications multiples, offrant un degré d’harmonie entre le texte et la musique rarement atteint (avant et après) dans une œuvre de ce type, et que toute tentative de transformation du texte via la traduction est souvent perçue comme une menace pour l’équilibre de cette structure.
Toutefois, faut-‐il considérer la traduction des livrets, et de surcroît celle de Wagner, comme une entreprise vouée dès le départ à l’échec ? Le passage d’une langue à l’autre constitue-‐t-‐il réellement un obstacle insurmontable à la restitution des différents codes sémiotiques de l’opéra tels qu’ils se présentent dans l’œuvre originale ? La traduction de l’opéra, la traduction de Wagner, sont-‐elles aussi redoutables qu’il y paraît ?
Dans le présent travail, nous nous proposons de répondre à ces diverses questions en prenant pour support d’analyse Wagner et un de ces opéras emblématiques, Tristan et Isolde. Dans un premier temps, dans le souci de fournir un cadre concret à notre analyse, nous nous pencherons sur la personnalité et la vie de Richard Wagner, sur la conception de Tristan et Isolde, et sur les raisons qui ont poussé les universitaires, les musicologues et les biographes à accorder à Wagner une telle importance dans l’histoire de l’opéra. Nous évoquerons ensuite en détail les éléments constitutifs de l’opéra, la manière dont ils interagissent les uns avec les autres et influent sur le processus de traduction. Nous donnerons également un aperçu de l’influence des contraintes matérielles sur la traduction et exposerons les opinions des praticiens concernant la traduction des livrets. Enfin, en troisième et dernière partie, nous nous livrerons à l’examen approfondi de traductions de Tristan et Isolde selon les paramètres exposés en deuxième partie de ce travail.
Avant de procéder à l’exposé qui va suivre, nous précisons que toutes les citations apparaissant en français et entre guillemets sont à l’origine, pour un certain nombre d’entre elles, extraites d’ouvrages en langues allemande ou anglaise. Il s’agit donc de traductions.
PARTIE I : LE MAESTRO ET SON OEUVRE
1. Richard Wagner
Richard Wagner naît le 22 mai 1813 à Leipzig, en Allemagne. Son père, Carl-‐Friedrich-‐Wilhelm Wagner, « greffier de police, de petite souche bourgeoise (...), point dénué de culture » (George, 1929 : 5) meurt quelques mois seulement après sa naissance. Sa mère, Johanna-‐Rosina, se remarie l’année suivante avec un ami intime de son défunt mari, Ludwig Geier, qui « tenait au théâtre des rôles de caractère, peignait agréablement et savait à l’occasion trousser une comédie en vers » (Dumesnil, 1929 : 8). « Ce premier exemple de l’union des arts que rencontra l’enfant » (George, 1929 : 5) contribue à façonner l’esprit
artistique du jeune Wagner.
En 1814, la famille part s’installer à Dresde. Elle y restera établie jusqu’en 1827. Ludwig Geier meurt en 1821.
À Dresde, Richard Wagner fréquente la Kreuzschule. Il se prend de passion pour les tragiques grecs, comme Sophocle, et pour Shakespeare. Sous l’impulsion de ces grands poètes, il s’essaye lui-‐même à la tragédie, compose « un grand drame, forgé d’éléments empruntés à Hamlet, à Macbeth, à Richard III et à Goetz de Berlichingen » (Dumesnil, 1929 : 9).
C’est donc à la poésie et au théâtre que s’intéresse d’abord le futur grand compositeur, et non à la musique, qui ne suscitera sa curiosité qu’après son retour à Leipzig. En effet, il n’entre véritablement en contact avec
l’univers musical que lorsqu’une de ses sœurs, Clara, commence une carrière de chanteuse au théâtre italien de Dresde. Wagner aura l’occasion de rencontrer le compositeur Carl-‐Maria von Weber et le ténor Sassaroli, « dont la stature de géant, qui contraste avec la voix quasi féminine, épouvante le jeune Richard » (Dumesnil, 1929 : 9). Ces deux rencontres ont sans doute leur importance dans la formation de la sensibilité et des goûts musicaux de Wagner : en effet, dans ses mémoires, Wagner avoue « son aversion pour l’art italien, personnifié par Sassaroli, et son
Fig. 1 : Richard Wagner en 1865 Source : Richard Wagners photographische
Bildnisse. Munich : Bruckmann, 1908
engouement, son adoration presque religieuse pour le Freischütz et son auteur [Weber] » (Dumesnil, 1929 : 10).
Wagner s’initie également à Mozart (le Requiem et le deuxième final de Don Giovanni l’impressionnent tout particulièrement). Mais la découverte musicale la plus importante, celle qui aura une influence capitale sur l’œuvre et la pensée de Wagner, est celle des symphonies de Beethoven, en particulier la Neuvième symphonie.
Inspiré par ces grands compositeurs, il s’essaye à l’écriture de la musique mais il ignore malheureusement la méthode de la composition. Il comble quelque peu ses lacunes durant l’été 1829 avec l’aide de l’organiste Gottlieb Müller, qui lui enseigne les bases de l’harmonie. En 1831, il se met à travailler plus sérieusement la musique sous la direction de Theodor Weinling, cantor à l’église Saint-‐Thomas, qui lui inculque la théorie qui lui faisait défaut jusqu’à présent, notamment la technique de la fugue et du contrepoint.
Wagner sent désormais que la musique est sa véritable vocation. Son esprit bouillonnant et sa sensibilité exacerbée le poussent d’emblée vers l’opéra. Rappelons que, avant de s’intéresser à la musique, le jeune Richard était fou de théâtre et de poésie. Quoi de plus naturel que de se tourner vers une forme d’art qui concilie les trois ?
Lors d’un séjour à Prague, Wagner commence à écrire le livret d’un opéra, Les Noces (Die Hochzeit), qui restera inachevé.
Wagner revient à Leipzig puis entreprend un voyage en Bohême avec un ami. Lors de ce périple, il commence à écrire le livret de La défense d’aimer (Das Liebesverbot), dont l’argument s’inspire de Measure for measure de Shakespeare, et qu’il finira par laisser de côté pour ne le reprendre que deux ans plus tard. L’opéra est achevé en 1836.
En janvier 1833, il obtient un poste de directeur de chœurs au théâtre de Wurtzbourg. C’est là qu’il écrit le livret des Fées (Die Feen). Il ne devait originellement pas en être l’auteur : le texte qui devait être utilisé comme livret était un poème de son ami Heinrich Laube. Mais
les paroles de Laube lui font mesurer la difficulté de s’inspirer, pour sa musique, d’une suite de "morceaux" dont il n’est point l’auteur, et qui ne l’émeuvent pas. (Dumesnil, 1929 : 14)
Cette constatation mène Wagner à la conclusion que la seule manière de produire une œuvre cohérente et de qualité est d’être son propre librettiste. Il adoptera toujours à l’avenir cette double démarche de composition et de création littéraire, qui deviendra une de ces marques de fabrique.
Wagner quitte Wurtzbourg pour Lauchstädt, où il obtient le poste de chef d’orchestre. Par la suite, il séjourne également à Rudolstadt, puis à Magdebourg. Il rencontre à cette époque l’actrice de théâtre Wilhelmine « Minna » Planner, dont il tombe amoureux. Il l’épouse le 24
novembre 1836. C’est le début d’un mariage malheureux entre deux êtres fondamentalement opposés, qui ne se comprendront jamais et dont les personnalités ne pourront jamais s’accorder.
En effet,
elle n’avait pas d’esprit ; elle restait sur terre aux heures où le génie soulevait loin de ce monde le compositeur inspiré ; elle avait des exigences qu’il ne comprenait point, des aigreurs qu’il sentait trop. Mais elle supporta à ses côtés de longues périodes de misère ; elle fut la compagne des mauvais jours, et sut par son économie, ses qualités ménagères, permettre une vie qui, sans elle, eût sans doute été plus précaire si même elle ne fût pas devenue la pire existence de bohême. (Dumesnil, 1929 : 15)
Les jeunes mariés vont s’établir à Riga en 1837, où Wagner devient chef d’orchestre du Nouveau Théâtre. Le compositeur a en tête un nouveau projet d’opéra : Rienzi. Cette œuvre, dans sa version finale, a des dimensions proprement colossales (elle ne comporte pas moins de cinq actes), et Wagner, enthousiaste et sûr de lui, souhaite la faire représenter sur une des scènes les plus illustres de l’époque : l’Opéra de Paris.
Richard et Minna quittent donc Riga pour la capitale française, pleins d’espoirs et d’illusions de fortune et de reconnaissance. Mais leur séjour à Paris commence plutôt mal : l’Opéra refuse de lire Rienzi et même de recevoir Wagner, malgré les lettres de recommandation dont celui-‐ci s’est préalablement muni.
La période parisienne est une période très noire de l’existence de Richard Wagner. Le couple vit dans une misère à la fois morale et financière à laquelle Wagner tente de remédier en rédigeant des articles et des méthodes musicales, en faisant des arrangements musicaux et en composant des mélodies. Mais il est artistiquement frustré. Ce qu’il voit et entend autour de lui ne lui plaît guère. Le climat parisien est par trop frivole à son goût. C’est à cette époque que Wagner « prend conscience de son art, par opposition à l’art factice qui triomphe autour de lui » (George, 1929 : 9). Heureusement, il assimile très vite ce qu’il entend et en tire les bons éléments susceptibles d’être exploités pour une œuvre future. Il fait également à Paris trois rencontres déterminantes : Habeneck, chef d’orchestre qui lui révèle les secrets de la « direction et de l’exécution orchestrales, l’intelligence de la symphonie beethovénienne » (George, 1929 : 9) ; Hector Berlioz, dont les qualités de chef d’orchestre, témoignant à la fois d’une grande fougue et d’une parfaite maîtrise de l’orchestre, l’impressionnent beaucoup ; et Franz Liszt, avec lequel il noue une très forte amitié qui, malgré les aléas de l’existence, ne sera jamais remise en question.
L’année 1841 constitue un tournant dans l’histoire de l’œuvre wagnérienne : elle est celle de la composition du Vaisseau Fantôme (Der fliegende Holländer), considéré comme un opéra-‐
charnière dans l’œuvre de Richard Wagner. Le compositeur estime lui-‐même que cet opéra est le premier de tous ceux qu’il a déjà composés qui ait une véritable valeur musicale. Jusqu’à Rienzi
inclus, le style de Wagner était encore tâtonnant, « victime » des influences de musiciens italiens, comme Bellini ou Rossini, français, comme Auber, ou allemands, comme Meyerbeer. Le Vaisseau Fantôme est un pas fait en direction de l’indépendance et d’une véritable identité musicales et se démarque ainsi de la tradition symbolisée par Rienzi. La personnalité de Wagner s’affirme très fortement dans ce nouvel opéra. À noter que c’est aussi dans Le Vaisseau Fantôme qu’apparaît pour la première fois une des idées chères à Wagner : la « rédemption par l’amour » (George, 1929 : 10).
Rien d’étonnant, donc, à ce que Rienzi soulève l’enthousiasme et que Le Vaisseau Fantôme suscite un certain désarroi, à la fois chez les profanes et chez les initiés.
Grâce au succès de Rienzi, Wagner se voit proposer la fonction de maître de chapelle de la Cour de Saxe, qu’il accepte avec la certitude que cette place lui permettra de vivre confortablement et, par conséquent, d’avoir l’esprit assez libre pour se consacrer à son œuvre. Il occupera ce poste pendant sept ans.
Il s’attelle à un nouvel opéra, Tannhäuser, originellement intitulé Venusberg, qu’il achève en 1847. Mais son esprit est constamment en ébullition, et alors même qu’il compose Tannhäuser, il
est hanté par l’idée de Lohengrin, qu’il a puisée dans la lecture des poèmes de Wolfram von Eschenbach et des épopées anonymes du Moyen Âge. (Dumesnil, 1929 : 21)
Lorsque Tannhäuser est créé en Allemagne, il est clair que la signification musicale de l’œuvre reste inaccessible à une grande partie du public. Les musiciens eux-‐mêmes restent interdits, certains ne cachent pas leur désapprobation, comme Robert Schumann, qui avait pourtant été enthousiasmé par Le Vaisseau Fantôme. Wagner a conscience que son opéra dérange, mais il sait également qu’il vient d’ouvrir une porte que personne n’avait ouverte avant lui. Il commence à payer le prix de ses élans novateurs : il a de plus en plus de difficultés à faire jouer ses œuvres.
L’accumulation des échecs et des frustrations, l’hostilité grandissante à laquelle ses opéras se trouvent en butte vont finir par pousser Wagner dans les bras de l’anarchisme. Il commence à fréquenter le révolutionnaire russe Bakounine, dont les idées de liberté sont en accord avec les siennes. Il espère que la Révolution rendra possible la naissance d’un nouvel art qui lui permettra de donner libre cours à ses idées.
Les événements qui s’ensuivent trouvent leur raison d’être dans cette aspiration à la liberté artistique : en mai 1849, Wagner prend part au soulèvement de Dresde, ce qui lui vaut d’être chassé par la Cour de Saxe. Il est contraint de fuir l’Allemagne. Ses pérégrinations l’amènent en Suisse, à Zurich, où il s’établit. C’est le début d’un exil qui va durer douze ans.
La période suisse est l’époque des grands écrits et des grands opéras. C’est en effet à Zurich que Richard Wagner écrit, entres autres, L’Art et la Révolution (1849), L’Oeuvre d’Art de l’Avenir
(1849) et Opéra et Drame (1851), ouvrages qui constituent la pierre angulaire d’une vaste et ambitieuse entreprise de théorisation d’une pensée artistique novatrice et relèvent d’une démarche assez unique dans l’histoire de la musique. Ils décrivent le
dessein de réforme [de Wagner], sa conception personnelle d’un drame fort étranger à l’opéra régnant, et, tout ensemble, distinct des tragédies de Gluck où la musique, en quelque sorte, ne fait que doubler la poésie. (George, 1929 : 12)
Wagner achève aussi Lohengrin, que Liszt se charge de faire jouer. Le compositeur est infatigable, son inspiration est débordante, il est en pleine possession de son art : en 1851, il a déjà achevé les poèmes de la Tétralogie, que composent L’Or du Rhin (Der Rheingold), La Walkyrie (Die Walküre), Siegfried et Le Crépuscule des Dieux (Die Götterdämmerung).
Zurich, c’est aussi la période des péripéties sentimentales. Outre la naissance d’une nouvelle amitié avec Hans von Bülow, pianiste et chef d’orchestre, et par ailleurs gendre de Liszt, il convient de mentionner la rencontre de Wagner avec les Wesendonck. Otto Wesendonck
« associé d’une maison de soieries de New York, [est] un rhénan riche, cordial et sympathique » (Dumesnil, 1929 : 26). Mathilde, sa jeune femme de vingt-‐quatre ans, est une « nature sensible, délicate, ayant le goût de la musique » (Dumesnil, 1929 : 26). Wagner trouve auprès du couple le soutien et la sympathie dont il a grand besoin dans son exil. Entre Mathilde Wesendonck et le compositeur naît une sincère amitié, qui ne tardera pas à se transformer en un sentiment bien plus tendre, puis en une véritable passion. C’est dans ce tumultueux contexte que Wagner s’attelle à Tristan et Isolde, abandonnant la composition de Siegfried. Cependant, Minna puis Otto finissent par se rendre compte des sentiments que Mathilde et Richard éprouvent l’un pour l’autre. La situation devient intenable, tant et si bien que Wagner quitte Zurich et les Wesendonck. Minna retourne vivre sans lui à Dresde.
Il se rend à Venise, où il achève Tristan, qu’il espère faire jouer à Paris. Seulement, une fois sur place, il s’aperçoit vite que « [sa] musique (…) heurte non seulement la routine, mais aussi les intérêts de musiciens alors tout-‐puissants » (Dumesnil, 1929 : 30).
Tristan ne sera pas donné à Paris : c’est Tannhäuser que l’Opéra choisit de représenter. Hélas, la première, en 1861, est un échec cuisant, dont Wagner ressortira durablement meurtri. La nouveauté de l’œuvre choque à la fois les critiques et le public. Tannhäuser et Wagner sont hués.
L’opéra est retiré de la scène. Seuls quelques artistes, tels que Baudelaire, Barbey d’Aurevilly et Théophile Gautier témoignent de leur respect et de leur admiration pour l’œuvre du compositeur incompris.
Humilié et ébranlé, Wagner quitte Paris et tente d’oublier sa retentissante défaite. Le sort semble malheureusement s’acharner contre lui. Au début de l’année 1864, il se trouve dans une
situation qui paraît sans issue : criblé de dettes, rejeté à la fois par la France et par l’Allemagne, il ne parvient à faire monter ni Tristan, ni la Tétralogie. Comment réussir à faire valoir son art dans une telle détresse morale et financière ? À bout de forces, il est près de cesser le combat lorsque
situation qui paraît sans issue : criblé de dettes, rejeté à la fois par la France et par l’Allemagne, il ne parvient à faire monter ni Tristan, ni la Tétralogie. Comment réussir à faire valoir son art dans une telle détresse morale et financière ? À bout de forces, il est près de cesser le combat lorsque