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3 Établissement du texte

3.3 Les ajouts de contenu : deux versions augmentées du texte

Ce travail a été réalisé à partir de la base de données qui recense tous les ajouts de texte observés, d’abord entre la première édition latine et l’édition latine augmentée, ce qui constitue le premier espace d’écart, puis entre cette version et la version en castillan, ce qui contitue le second espace d’écart. Dans le premier espace, la langue ne change pas, tous les écarts sont donc repérables et signifiants et peuvent faire l’objet d’une interprétation. Dans le second espace en revanche, la langue change et de nombreux ajouts de mots ou d’expressions sont imposés par l’exercice de la traduction ; la frontière est donc toujours difficile à déterminer entre un ajout de traduction et un ajout volontaire de sens. Nous avons donc fait le choix d’intégrer dans la base de données la totalité des ajouts de contenu observables dans le premier espace, mais seulement les ajouts d’une taille supérieure au mot dans le second.

Ce travail sur les ajouts de contenu se donne pour objectif de répertorier les éléments de sens que l’auteur a intégrés à son texte au fur et à mesure des rééditions et de tenter de comprendre pour quelle raison il a fait le choix d’enrichir son œuvre un an seulement après la publication de la version primitive. Dans cette perspective, ne seront étudiés ici que les ajouts d’importance occupant un volume textuel supérieur à la phrase, considérant que les ajouts d’une taille inférieure constituent plutôt des reformulations ponctuelles dont l’étude figurera dans le chapitre correspondant aux réécritures. Après consultation, la base de données permet de repérer 13 de ces ajouts importants.

Concernant le second espace, nous avons mis à jour une trentaine de cas où, indiscutablement, le traducteur dépasse son rôle strict pour intégrer dans la version espagnole des éléments de sens qui n’apparaissaient pas et n’étaient même pas sous- entendus dans la seconde édition latine. Ils seront étudiés intégralement car ils constituent l’un des indices qui permettront de déterminer si la version en espagnol peut être considérée, dans une certaine mesure, comme une édition augmentée.

L’objectif n’est pas de décrire en détail ces ajouts – le plus important occupe 16 pages – ni d’analyser leur sens. Il s’agit plutôt de comprendre les raisons qui ont poussé Claude Clément à ajouter du contenu à son texte et de révéler le rôle que ces phénomènes jouent dans l’argumentation. C’est la raison pour laquelle ils seront classés selon leur fonction argumentative. Chaque ajout sera restitué dans son contexte et soumis à trois questions : pour quelle raison l’auteur insère-t-il ce contenu ? Pourquoi l’insère-t-il à cet

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endroit du texte ? Et enfin, quelle orientation nouvelle souhaite-t-il donner à son œuvre par ce biais ?

3.3.1 Contenu ajouté entre la première et la seconde version latine

Il est évident que la grande majorité des ajouts de contenu se trouvent dans cet espace et c’est, comme l’indique la page de titre, la principale raison de la publication de

Machiavellismus jugulatus : il s’agit d’une « Altera editio priore auctior singularium &

novarum rerum huius temporis accessione132 ». C’est une version améliorée et surtout actualisée du texte initial, dont le but avoué est de démontrer que les événements de l’année 1636 et du début de l’année 1637 – c’est-à-dire immédiatement postérieurs à la publication de la première version – confirment brillamment les théories de l’auteur. D’ailleurs, l’une des particularités de l’argumentation de Claude Clément consiste à combiner, dans son argumentation, les références historiques anciennes et les événements d’une actualité immédiate.

Conformément à notre méthodologie, ces phénomènes ont été classés selon leur fonction dans l’argumentation : 3 sont des ajouts d’actualisation où Claude Clément intègre des faits historiques récents ; 4 sont des ajouts d’argumentation grâce auxquels il ajoute une preuve supplémentaire de ce qu’il avance ; 4 sont des ajouts d’autorité qui ajoutent la voix d’un auteur de référence aux voix de ses partisans ; 2 ajouts enfin viennent rectifier une imprécision et nous les appellerons ajouts de correction.

Les deux textes comparés sont en langue latine, c’est la raison pour laquelle les références et les citations seront majoritairement dans cette langue. Toutefois, lorsque la formulation latine présente des difficultés de compréhension, la traduction en espagnol sera indiquée en note, mais uniquement lorsqu’elle correspond parfaitement au texte de la seconde version latine.

3.3.1.1 Ajouts d’actualisation

La raison pour laquelle Claude Clément réédite son texte quelques mois seulement après une première parution est l’une des énigmes de l’œuvre, cependant les ajouts d’actualisation apportent un éclairage sur cette question. L’auteur a intégré des descriptions d’événements qui n’avaient pas eu lieu ou dont le dénouement était encore incertain lorsqu’il rédigeait l’édition primitive. Ces événements ont une importance telle pour lui que c’est probablement pour pouvoir les inclure dans son argumentaire qu’il a

132 M. J., p. de titre. Dans E. M. D., p. de titre : « Traducido de la segunda edicion latina, añadida con cosas

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souhaité rééditer son œuvre. Et parmi ces événements, la levée du siège de Dole par les troupes françaises au mois d’août 1636 est celui qui le touche le plus directement ; il fait d’ailleurs l’objet du plus gros ajout observable sur plus de 12 pages133.

Le siège de Dole

Si l’on met les deux textes latins en parallèle, on constate que le chapitre III de la première version, et le chapitre V de la seconde qui lui correspond, ont pour titre et pour thème principal : « Hispanica Imperij incrementum ex studio Orthodoxæ Religionis134 ». Ils traitent tous deux, comme le titre le laisse imaginer, de la piété des rois espagnols et des bénéfices qui en ont été retirés. Après une mention rapide du roi Athalaric135, Claude Clément analyse, dans l’ordre chronologique, les règnes de Ferdinand d’Aragon136, de Philippe Ier le Beau137, de Charles Quint138, de Philippe II139, de Philippe III140 et termine logiquement avec Philippe IV141 qui fait à lui seul l’objet d’un chapitre complet142.

Dans cette structure chronologique, il aurait été naturel de présenter le récit du siège de Dole dans le passage consacré au règne de Philippe IV. Or, dans la réédition, l’événement est évoqué à la fin de sa description du règne de Charles Quint. Le texte primitif concluait cette biographie de l’empereur par une citation de Valère Maxime, or dans la version modifiée, Claude Clément a déplacé cette citation143 et l’a remplacée par le récit du siège de Dole. Celui-ci se trouve donc intercalé, en rupture avec la chronologie initiale, entre les descriptions du règne de Charles Quint et de celui de Philippe II.

On peut donc s’interroger sur les raisons de ce choix, et l’explication la plus logique tient aux thèmes abordés. Dans la première version latine, l’auteur termine l’éloge de la piété de l’empereur par un passage d’environ deux pages qui énumère les bénéfices que les Comtois ont retirés de sa politique chrétienne. Le passage est précisément intitulé : « Comitatus Burgundiæ suam felicitatem acceptam refert Religioni; & secundum Deum,

133 12 pages en latin mais plus de 16 dans la version espagnole. Voir M. J., p. 58-70 et E. M. D., p. 82-98. 134 D. C. P., fol. 24 r° et M. J., p. 45. Dans E. M. D., p. 65 : « Augmentos de España por el zelo de la

verdadela [sic] Religion ».

135 D. C. P., fol. 24 v° et M. J., p. 46. Roi ostrogoth au début du VIe siècle, successeur de son grand-père

Théodoric qui gouverna l'Espagne wisigothique après la mort d'Alaric II à la bataille de Vouillé (507).

136 D. C. P., fol. 25 r° et M. J., p. 47. 137 D. C. P., fol. 25 v° et M. J., p. 49. 138 D. C. P., fol. 26 r° et M. J., p. 49.

139 D. C. P., fol. 30 r° et M. J., p. 70, avec un changement de chapitre dans M. J. 140 D. C. P., fol. 33 v° et M. J., p. 79.

141 D. C. P., fol. 34 v° et M. J., p. 80.

142 Il s’agit du chap. IV de la première version latine et du chap. VIII de la seconde.

143 La citation de Valère Maxime dans D. C. P., fol. 30 r° est déplacée vers M. J., p. 135 et E. M. D., p. 179-

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Religionem Carolo V144 ». C’est à ce moment du raisonnement que Claude Clément évoque sa nation de Bourgogne et le bonheur de ses habitants gouvernés par un prince chrétien, ainsi que sa réciproque, le bonheur du prince dont les sujets sont bons chrétiens : « Fortunatam Provinciam, quæ tam Religiosos Principes sortita est : Beatos Principes quibus Provinciæ tam religiosæ obtigerunt145 ».

Il n’est donc pas illogique d’enchaîner sur une description des relations qu’entretiennent les mêmes Comtois avec son arrière-petit-fils ; c’est le moment qui convient le mieux pour évoquer ce nouvel exemple de leur fidélité indéfectible à leur prince naturel. En un sens, la logique thématique l’a emporté sur la chronologie. Il opère donc un saut de trois générations pour évoquer le même lien qu’entretient Philippe IV avec ses fidèles Bourguignons : « Philippi IV. erga Burgundos singularis benevolentia &

studium146 ». Cette position explique pourquoi la chronique du règne de Charles Quint est suivie du récit des événements de Dole, qui se passent plus de 70 ans après sa mort, pour revenir ensuite à la structure initiale douze pages plus loin, avec l’évocation du règne de Philippe II.

Concernant la raison de cet ajout, Claude Clément la donne lui-même dans la phrase introductive : « Y porque no faltassen recientes, y autenticos testimonios de lo que vamos diziendo; aora nuevamente permitió la divina providencia fuesse sitiada la Ciudad de Dola147 ». Il avoue la rupture logique dans son exposé et justifie le saut temporel : il le fait pour donner une illustration supplémentaire de sa théorie sur l’attachement des Comtois à leurs seigneurs. De son propre aveu, la description du siège de Dole est un témoignage, une preuve tangible de ce qu’il avance : la pureté religieuse des Comtois fait leur bonheur et garantit leur attachement à leur seigneur. Une image facilement interprétable en 1637 dans une Espagne qui éprouve de plus en plus de difficulté à conserver son autorité sur ses territoires. Cet ajout ne constitue pas une réorientation du discours mais renforce plutôt une idée présente dans le texte primitif.

Dans la première version du texte, il termine son éloge de la politique chrétienne de Charles Quint par l’exemple de la Franche-Comté : province idéale d’un empire catholique, fidèle car pieuse et débarrassée de toute forme d’hérésie alors qu’elle est toute proche de Genève « omnis impietatis Metropoli148 ». La citation de Valère Maxime

144 D. C. P., fol. 29 r° et M. J., p. 56. Dans E. M. D., p. 80 : « El Condado de Borgoña debe su felicidad a

la religion Catholica, y despues de Dios debe la misma Religion á Carlos V ».

145 D. C. P., fol. 30 r° et M. J., p. 58. Dans E. M. D., p. 82 : « O dichosa Provincia que alcançaste por suerte

tan Religiosos Principes. O felicissimos Principes a quienes cupo el Señorio de tan Religiosa nacion ».

146 M. J., p. 58. 147 E. M. D., p. 82.

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permettait dans cette version primitive, de conclure naturellement ce raisonnement par un commentaire plein d’espoir : « Quam firmitatem par est sperare in rebus politicis149 ». Rappelons que cette citation touche à un thème fondamental de la pensée de Claude Clément : la priorité accordée aux questions religieuses sur les questions politiques.

Or, quelques mois seulement après la publication de cette version de l’œuvre, la résistance farouche des Dolois vient brillamment confirmer sa théorie : elle prouve par les faits ce que la citation de Valère Maxime ne faisait que promettre : sa Franche-Comté natale donne à voir l’image exemplaire qu’il lui attribuait. L’occasion était trop belle, c’est à cet endroit que le récit du siège de Dole devait être placé. La citation de Valère Maxime semblait un argument bien faible comparée à cette actualité ; il était donc compréhensible qu’il la déplace et qu’il lui substitue le récit du siège de Dole. C’est d’ailleurs probablement cette victoire des Dolois qui a poussé Claude Clément à retoucher et à rééditer son œuvre : il ne pouvait pas manquer d’y inclure un tel événement.

Combats dans les Flandres

Les Pays-Bas sont un autre théâtre d’affrontements et une source d’inspiration pour Claude Clément qui va pouvoir y puiser des exemples d’une actualité immédiate. Les indications temporelles sont soulignées et les éléments ajoutés sont indiqués en gras, dans cet exemple comme dans les suivants. La note ajoutée en marge est indiquée entre crochets à la place qu’elle occupe dans le texte imprimé.

Lovania obsidione duorum maximorum exercituum liberata; Sexaginta millium hostium fuga, strages, miserabilis interitus; Eskenkium, (qua arce nulla urbs est in toto Batavico Statu maioris in utramque partem momenti, ut pote Hollandiæ claustra & clavis) Genepium haud multo etiam minoris quám Eskenkium momenti uná cum plurimis alijs oppidis captum ; Dunkercanarum navium in Batavica Piscaria ut felix faustaque nostris, sic hosti funesta & luctuosa expeditio; præsidium Trevirense postliminio restitutum; Ducatus Limburgi recuperatus; & cætera150

Lovania obsidione duorum maximorum exercituum liberata; Sexaginta millium hostium fuga, strages, miserabilis interitus; Eskenkium, (qua arce nulla urbs est in toto Batavico Statu maioris in utramque partem momenti, ut pote Hollandiæ claustra, & clavis) captum, &, quantum humanis viribus fieri potuit, annum circiter

incredibili hostium damno servatum ; Genepium haud multo etiam minoris quám

Eskenkium momenti uná cum plurimis alijs oppidis captum, & retentum ; Dunkercanarum navium in Batavica Piscaria ut felix faustaque nostris, sic hosti funesta & luctuosa expeditio ; præsidium Trevirense postliminio restitutum ; Ducatus Limburgi recuperatus ; Classis Hollandica quinquaginta duarum navium bené

onusta, & armata nuperrimé a Dunkerkanis navibus non amplius octo quæsita, & post acrem, & internecinam pugnam, fœdamque eius lacerationem [24. Fer. 1637] ad deditionem compulsa, ac Dunkerkam abducta ; præter varias, & illustres clades eidem Rebelli, cui nihil exitialius esse, quám regiarum navium tamestsi pauciorum occursus, solet, á nostris illatas : & cætera151

149 D. C. P., fol. 30 v°. 150 Ibid., fol. 55 v°-56 r°. 151 M. J., p. 126.

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Lobayna libre del cerco de los copiosissimos exercitos, la huyda de sesenta mil enemigos, el estrago, la matança, la toma de EsKenK, y a quanto las fuerças

humanas pueden llegar, el aber guardado aquella llave y passo de toda Olanda, cosa de un año, con increybles daños de los contrarios: la de Genep, poco inferior

a ella con otros muchos pueblos: la armada de los navios de Dunquerque contra las pesquerias Holandesas tan feliz, y afortunada para los nuestros, como funesta y lamentable para el enemigo. El aber vuelto a recobrar la ciudad de Treberis, la recuperacion del Ducado de Lymburgo. [24. Febrer. 1637.] Otra armada Olandesa

de cinquenta y dos navios, que venia rica y bien artillada, fue poco ha acometida de ocho navios de Dunquerque, con tan singular valor, que despues de porfiada y reñida pelea quedó destrozada, vencida, y llevada con solemne triunfo a Dunquerque, y esto fuera de varios destrozos que el Rebelde ha recebido de los nuestros en essos mismos mares de Flandes, el qual ninguna otra tiene por declarada infelicidad suya, que encontrar con velas Españolas, aunque sean inferiores en numero, y todas las demas cosas152

Les nombreuses indications temporelles ont été soulignées car nulle part dans l’œuvre on n’en trouve une telle concentration. Elles expliquent en outre le positionnement de cet ajout : il complète une chronologie des faits démarrée un an plus tôt dans la version primitive. Le premier événement, la levée du siège de Louvain a lieu le 4 juillet 1635153. La prise de la forteresse de Schenk par les Espagnols, quant à elle, date de fin juillet 1635154. Elle n’est reprise par les troupes hollandaises que huit mois plus tard, le 30 avril 1636155. Quant à Gennep et au duché de Limbourg, ils sont pris entre les mois d’août et d’octobre 1635156. La prise de Trèves date de fin mars 1635157. En ce qui concerne les attaques contre les pêcheries hollandaises, elles sont difficiles à dater précisément en raison de leur aspect répétitif.

L’armada joue cependant un grand rôle jusqu’en 1639, comme le montra, en 1635, la destruction du convoi de 150 busses de Colaert. Cette année-là, les pertes hollandaises se montèrent à 2 millions de florins. De 1631 à 1637, les pêcheurs de Maasluis auraient perdu 200 bateaux, évalués à un million de florins158.

D’après ce document, une flotte hollandaise aurait pu être attaquée par des navires de Dunkerque à la date du 24 février 1637, indiquée en note. Cet auteur précise d’ailleurs : « En février 1637, l’armada, commandée par Michel de Horne, s’empara cependant d’un convoi de 12 prises et de deux navires d’escorte armés de 28 et 22 canons. En mai, la vente de ces 12 prises rapporta 200 000 florins159 ». Dans l’édition de la seconde version latine, la note marginale est placée au même niveau que la phrase décrivant l’attaque navale, ce qui pourrait indiquer qu’elle se rapporte bien à cet événement. Rappelons

152 E. M. D., p. 168-169.

153 Voir Diarium obsidionis lovaniensis…, op. cit., p. 47-50.

154 Appelé également fort de Skink, ou du nom du village, fort de Schenkenschanz ou Schenkenschans. 155 Voir LE CLERC, Jean, Histoire des Provinces-Unies…, op. cit., t. II, p. 156-162. On peut y lire une

description très détaillée de ce siège.

156 WADDINGTON, Albert, La république des Provinces-Unies…, op. cit., t. I, p. 272-273. 157 Voir Relation de la surprinse…, op. cit.

158 VILLIERS, Patrick, Les corsaires du littoral…, op. cit., p. 73-74. 159 Ibid.

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qu’aucune des trois éditions n’utilise d’appel de note ; seule la position de la note dans la marge permet de repérer ce à quoi elle se rapporte.

En récapitulant cette chronologie, on constate que les événements mentionnés dans le texte initial publié en 1636, à savoir la fin du siège de Louvain, la prise du fort de Schenk, la prise de Gennep, la prise de Trèves et du duché de Limbourg, ont tous eu lieu entre les mois de mars et d’octobre 1635. Dans la réédition publiée en 1637, l’auteur ajoute le récit d’un combat naval en date du 24 février 1637, mais il ajoute aussi un détail au sujet du fort de Schenk : « annum circiter […] servatum ». Si l’auteur s’enorgueillit que les troupes espagnoles aient conservé la place près d’un an – à peine plus de neuf mois en vérité – c’est qu’il a appris qu’elle a été perdue. Et c’est certainement la raison pour laquelle il ne l’associe plus à la ville de Gennep. Dans la version de 1636, les deux places de Schenk et de Gennep sont associées au même participe « captum », alors que dans la version de 1637, Gennep est « captum, & retentum » alors que Schenk est seulement « captum, & […] annum circiter […] servatum » car, dans l’intervalle, la première fut conservée mais la deuxième, perdue.

La raison pour laquelle Claude Clément fait cet ajout est évidente : il cherche à donner de nouvelles preuves de la force des armées espagnoles afin d’appuyer sa théorie politique providentialiste : une armée qui se bat pour Dieu ne peut échouer. Mais il donne également des informations sur le sens qu’il veut donner à son texte. S’il tient à ajouter des événements qui se sont déroulés entre l’édition des deux textes, c’est parce qu’il souhaite que la dernière version soit aussi proche de l’actualité que l’était la première. Pour preuve : la référence temporelle la plus récente se trouve dans la version en espagnol. Dans les quelques semaines de l’année 1637 qui ont séparé l’édition latine et l’édition espagnole, l’auteur est parvenu à ajouter une dernière information d’actualité. C’est ce qui fait l’une des caractéristiques de l’œuvre : elle est émaillée d’événements historiques remontant parfois aux temps bibliques mêlés à des informations récentes de quelques mois, voire de quelques semaines au moment de la mise sous presse. Claude Clément a besoin de montrer une forme de cohérence transhistorique, comme si toutes les luttes religieuses, depuis celles de Gédéon contre les Amalécites et jusqu’à celles des marins de Dunkerque contre les Hollandais, venaient démontrer le même principe : Dieu soutient ceux qui affrontent les hérétiques. Dans le contexte de la guerre de Trente Ans, le message adressé à Philippe IV est très clair.