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L’innovation responsable et les termes de la question réflexive

B. Latour, « En attendant Gaïa », Libération, 29 juin

1. L’agenda*de*l’innovation*responsable 1 *

A. Genèse*et*fortune*d’un*objectif*stratégique*

Les sciences sociales veulent se mêler de nanotechnologies, ça tombe bien : c’est réciproque. À ce stade, nous avons délibérément laissé de côté un des groupes pourtant lui aussi mobilisé par le développement des nanotechnologies : les sciences humaines et sociales. Pourtant, elles sont convoquées à jouer un rôle dans ce cadre, conformément à l’agenda dit de « l’innovation responsable ». Revenons à présent sur la genèse politique des nanotechnologies et plus particulièrement sur la question du mandat dévolu aux sciences sociales.

Dans le domaine des nanotechnologies, le premier plan stratégique de politique scientifique est adopté aux États-Unis, au tournant du siècle (NSTC, 2000). Fruit d’un long processus de consultations, dont il ressort la convergence d’un certain nombre de disciplines scientifiques à l’échelle du nanomètre, la NNI entérine un soutien de principe des autorités publiques à la R&D relative aux nanotechnologies (Laurent, 2010, pp. 21-24). Ce document séminal annonce déjà une attention soutenue portée aux enjeux dits « sociétaux ». Ainsi, comme le montre le sociologue Brice Laurent, « dès les premiers appels à projets de la NNI, les chercheurs en sciences humaines sont concernés : le programme fédéral américain attend des éthiciens, des philosophes, des économistes qu’ils étudient les implications sociales des nanotechnologies » (ibid., p. 57). Un rôle précis leur est assigné, dont le sens est celui d’une prise en compte anticipative des conséquences indésirables de leur développement. Bensaude- Vincent pose avec clarté les bases du problème :

Contrairement à la recherche en physique nucléaire qui se développait à l’abri des regards, les nanotechnologies sortent la science de sa tour d’ivoire et s’adressent en priorité aux citoyens. Leur message global est facile à saisir : avec les nanotechnologies on aura plus de produits, plus performants, consommant moins de matière et d’énergie. On aura plus avec moins. Les programmes de recherche comme les rapports officiels égrènent complaisamment une longue liste d’applications portant sur tous les domaines : des ordinateurs plus petits et plus puissants ; des informations sécurisées grâce à la cryptographie quantique ; de l’énergie propre à bon marché ; des véhicules non polluants ; des nanofiltres pour purifier l’eau, des nanoparticules pour éliminer les bactéries, des bactéries pour dépolluer ; des médicaments vectorisés sur une cible précise ; des laboratoires sur puce pour une médecine personnalisée ; des soldats mieux armés et invincibles...

Ce sont partout et toujours les mêmes exemples, invariablement escortés d’une liste de « risques potentiels » : des nanoparticules potentiellement toxiques pour les êtres vivants comme pour l’environnement, des incursions dans la vie privée et des atteintes à la liberté individuelle par des moyens technologiques invisibles, des menaces sur la sécurité si ces technologies étaient développées à

1 Une version préliminaire des éléments reproduits dans ce chapitre a été préalablement publiée dans un ouvrage

collectif dirigé par C. Kermisch et M.-G. Pinsart, avec une contribution intitulée « Nanotechnologies et ‘innovation responsable’ : sur la gouvernementalité d’un concept » (Thoreau, 2012).

des fins terroristes, etc. Car la véritable nouveauté des nanotechnologies réside dans la volonté d’innovation « responsable ».

Bensaude-Vincent, 2009b, p. 608 (nous soulignons).

Cette volonté d’innovation « responsable » ne résout certes pas tout. Elle ne règle ni ne détermine l’ensemble des rapports complexes qui se nouent entre nanotechnologies et sciences sociales. Toutefois, cette notion prend place dans le cadre plus large d’un tournant vers la société, un nouvel horizon téléologique qui se produit dans le cadre du développement des technologies émergentes. C’est ce que Bensaude-Vincent (2009a) appelle « Society, The

Endless Frontier ». En quoi faudrait-il y voir une évolution décisive ? Nous avons vu que le

volontarisme politique qui anime le développement des nanotechnologies, aussi fort soit-il, n’était pas en soi un phénomène nouveau. Dès lors, comment distinguer un système d’innovation qui serait « responsable », par rapport à ces décennies de soutien actif à la R&D ? Il faut tenter d’identifier la ligne de démarcation, à supposer qu’elle existe, qui indique la rupture entre l’innovation, au sens traditionnel, et « l’innovation responsable », telle qu’elle est en voie de s’instituer dans les politiques scientifiques. On pourrait postuler que l’innovation responsable entérine une mainmise des pouvoirs publics sur la question de l’innovation, via le développement d’une Big Science et de la recherche stratégique (Bensaude-Vincent, 2009a, pp. 31 et ss.). Toutefois, si ceux-ci jouent un rôle d’impulsion initiale important, les acteurs extra-étatiques jouent et continuer de jouer un rôle crucial dans les processus d’innovation en matière de nanotechnologies (Vinck, 2009).

Ainsi, l’innovation responsable est un discours politique consubstantiel aux

nanotechnologies, ce que nous allons nous attacher à démontrer en en retraçant la genèse (sur

ce point, voy. également Laurent, 2010, pp. 58-60). Pour donner un premier aperçu général, l’idée d’une « innovation responsable » émerge dans le sillage du « principe de précaution » et de l’anticipation des conséquences indésirables induites par le développement technoscientifique. Cette notion désigne une volonté de prévoyance, par l’ensemble des acteurs concernés (politiques, industriels, scientifiques, publics), des conséquences qui ne manqueront pas d’être générées par le processus d’innovation. C’est donc un principe d’accompagnement du développement des nanotechnologies qui tente d’en détecter les incidences négatives le plus tôt possible.

Les origines du concept d’innovation responsable se situent également aux États-Unis. Dès le départ, les multiples déclinaisons opérationnelles des politiques scientifiques, dans le domaine des nanotechnologies, déploient une rhétorique autour du concept de « responsible

development ». Ce dernier est introduit par l’acte législatif fondateur instituant le programme

national de nanotechnologie, le « 21st Century Nanotechnology Research & Development Act » (US Congress, 2003). Ce document est intéressant de par son statut et la valeur juridique

qu’il revêt. Il confère à l’idée de « développement responsable » la portée d’un objectif politique à atteindre, qui n’a toutefois pas force de loi. Plus précisément, l’Act aborde cette

ambition de manière incidente, sous la forme d’un rapport triennal commandité au National

Research Council (NRC). Le législateur étatsunien s’aventure à mentionner, à titre

d’illustration, certains des éléments dont se compose, selon lui, le « développement responsable ». Ceux-ci reflètent les préoccupations du moment ; il est ainsi fait mention des thématiques du human enhancement (sous l’angle cognitif), du problème de l’auto-réplication (en référence à la gray goo), ou encore de la dissémination dans l’environnement (US Congress, 2003, Section 5, point c).

Trois ans plus tard, en 2004, le NRC présente son rapport triennal, qui porte donc, notamment, sur le « développement responsable » (NRC, 2006, pp. 73-98). Pourtant, la conception qu’en propose le NRC opère une singulière réduction des éléments soulevés par le Congrès américain. Le rapport le précise d’emblée, dès sa préface ; il s’agira de se focaliser sur les « préoccupations tangibles », c’est-à-dire les enjeux de risques, ceux qui sont mesurables en termes d’impact sur l’environnement, la santé publique ou la sécurité. Ceux-ci sont désignés par l’acronyme « EHS » (environment, health and safety) et présentent la caractéristique d’être susceptibles de connaissance scientifique. Ils sont en principe calculables et prévisibles. Ce choix est justifié par la complexité inhérente du sujet et le manque de données disponibles, le NRC affirmant sa volonté de faire œuvre « utile »2 (NRC, 2006, p. x). Toutefois, l’approche du « développement responsable » de la nanotechnologie y est caractérisée, dans une démarche inédite, comme consistant « à équilibrer les efforts en vue de maximiser les apports positifs de la technologie, tout en minimisant ses conséquences négatives » (NRC, 2006, p. 73, nous traduisons). Garantir les bénéfices, amoindrir les risques : tel est le credo de la démarche d’« innovation responsable ».

Ce point de départ « formel » de l’innovation responsable, en 2003 et 2004, son énonciation explicite, ne doit pas occulter le fait que cette appellation ne fait qu’entériner une série de préoccupations exprimées dès 2000 et la publication de la NNI. Ainsi, on peut trouver dans ce document fondateur l’expression des mêmes préoccupations : implémenter un agenda très volontariste tout en minorant les « effets » sur la société. Ainsi, une volonté très claire est exprimée dans la section « A Revolution in the Making » du rapport : « Federal support of the nanotechnology is necessary to enable the United States to take advantage of this strategic technology and remain competitive in the global marketplace well into the future » (NSTC, 2000, p. 21). Plus loin dans la NNI, ce potentiel disruptif reconnu aux nanotechnologies s’accompagne de précautions : « When radically new technologies are developed, social, economical, ethical, legal, environmental and workforce development issues can rise. Those

2 Il est à noter qu’un chapitre entier est dévolu au débat brûlant de l’époque, à savoir la possibilité théorique

d’une auto-réplication de masse d’engins moléculaires, qui est dans le rapport considérée essentiellement sous l’angle de sa faisabilité technique (NRC, 2006, pp. 99-109). On sent toutefois dans l’approche générale du NRC une volonté de se départir de discussions trop spéculatives.

issues would require specific research activities and measures to take advantage of opportunities or reduce potential risks. NNI will address these issues » (ibid., p. 79).

Ainsi, le sort des nanotechnologies est lié, dès les premiers plans stratégiques en la matière, à celui de leur « développement responsable ». Ce point est crucial, car certaines analyses situent l’émergence de l’innovation responsable aux environs de 2005 comme une « réponse institutionnelle » aux contestations d’opposants comme ETC group, ou encore aux craintes exprimées in illo tempore par le Prince Charles du Royaume-Uni (par exemple, Doubleday, 2007). Or, il est plus plausible, comme nous le montrerons, que cette « réponse » n’ait été en réalité formulée de manière préventive, pour répondre à des questions qui ne se

posaient pas encore. Il n’est même pas besoin de postuler une « nanophobie-phobie » (Rip,

2006) dans le chef des promoteurs des nanotechnologies pour voir apparaître une volonté de minimiser les risques ou de prendre en considération les enjeux éthiques, légaux et sociaux. Cette volonté existe, préexiste aux controverses et/ou aux conflits publics en matière de nanotechnologies. Contentons-nous, pour l’heure, de ce simple constat.

Dès 2000, donc, les bases de ce qui deviendra l’innovation responsable sont posées. Cet objectif politique s’affirme progressivement et devient un des quatre piliers fondateurs des politiques de nanotechnologies aux États-Unis (NSTC, 2004 ; 2007 ; 2011a). La recherche sur les problèmes EHS capte l’essentiel de l’attention, au détriment des problématiques dites « ELSA3 » (ethical, legal and social aspects). Sur ces derniers enjeux, l’approche stratégique soutenue fait d’ailleurs la part belle à la communication, destinée à « éduquer le public », ou à tout le moins à promouvoir une démarche de « dialogue » avec ce même public. L’approche préconise également un accroissement des ressources éducationnelles (NSTC, 2007, p. 20). En 2011, ce mouvement s’accroît ; une partie signifiante des enjeux « ELSA », préalablement appréhendée au titre du développement responsable, se trouve « délocalisée », plus explicitement rattachée à un autre des grands objectifs stratégiques de la NNI : le volet éducatif (NSTC, 2011b, point 3.2., p. 26).

Cela participe d’un mouvement stratégique plus général de dissociation, d’un côté, des enjeux « EHS », autour desquels se recentre et se recompose le développement responsable des nanotechnologies et, de l’autre, des enjeux ELSA qui se voient distribués, répartis sur l’ensemble des objectifs stratégiques du programme, chaque fois qu’il y a lieu. On peut ainsi lire dans la dernière version du plan stratégique NNI, où d’ailleurs le volet « sociétal » per se est réduit à la portion congrue, que « les problèmes ELS[A] sont entrelacés avec tous les objectifs de la NNI et se voient intégrés dans chacun des ‘besoins’ de recherche décrits dans la stratégie EHS » (NSTC, 2011a, p. 32). Concrètement, plusieurs agences, chacune pour le

3 La terminologie de la NNI utilise l’acronyme « ELSI », où il est question des « impacts » éthiques, légaux et

sociaux, lorsque l’approche européenne préfère parler d’ « aspects ». Dans la suite, nous employons exclusivement l’acronyme européen.

domaine dont relève sa compétence, mettent en œuvre des instruments qui concourent au « développement responsable ». Parmi elles, seule la National Science Foundation (NSF), traditionnellement plus proche des milieux académiques, propose une réflexion de type « ELS[A] » spécifique (NSTC, 2011b, pp. 30-38). Toutes les autres focalisent davantage sur les aspects toxicologiques et les enjeux de type « EHS ». Lorsqu’ils sont abordés, les enjeux ELSA le sont, soit par des démarches de « dialogue » avec les parties prenantes ou « le public » (Barben et al., 2008), soit au travers de programmes éducatifs (voir not. NSTC, 2004, p. 13). Dans ce premier cas, ils concernent la plupart du temps le citoyen-électeur, qui doit pouvoir exprimer ses préférences individuelles, ou encore le consommateur, qui doit pouvoir prendre des décisions « informées », par une information appropriée sur la composition et la traçabilité des produits. Cela implique donc que les enjeux sociétaux puissent être anticipés et produits avec suffisamment de clarté pour permettre un choix clair et posé en connaissance de cause.

Cette préoccupation se manifeste très clairement par le biais de l’allocation de moyens budgétaires. Les budgets afférents au « développement responsable » augmentent plus que proportionnellement, eu égard aux investissements totaux consentis dans le cadre de la NNI. Ils traduisent donc une attention accrue des autorités publiques à ce sujet. C’est surtout vrai en ce qui concerne les financements portant sur les enjeux « EHS », qui s’élèvent à 124 millions de $ annuels sollicités pour l’exercice 2012 (à comparer avec les 35 millions $ qui y ont été dévolus en 2005) (NSTC, 2011, p. 33). Ils demeurent toutefois marginaux, lorsqu’ils sont rapportés à la masse globale, d’un montant annuel avoisinant les 1,85 milliard $, dont ils représentent environ 6,3 %, pour 20114 (NSTC, 2010, p. 7). Les enjeux « ELSA », quant à eux, recueillent aux alentours de 2,5 à 3 % des financements5.

Au niveau européen, la rhétorique de « l’innovation responsable » sera progressivement importée et appropriée, incluse dans un cadre plus large qui n’appelle toutefois pas une redéfinition d’ensemble de son principe général. Le déclencheur de cette appropriation est le rapport, déjà cité, de la Royal Society au Royaume-Uni, qui reprend presque mot pour mot les termes de la NNI : « Nanoscience and nanotechnologies have huge potential. It is recognised that nanotechnologies and the uses to which they might be put may raise new challenges in the safety, regulatory or ethical domains, which will require societal debate if they are to fulfil this potential. The implementation of our recommendations will address many of the potential ethical, social, health, environmental, safety and regulatory

4 Cette augmentation plus-que-proportionnelle sur les enjeux « EHS », a connu un petit bond en avant en 2011,

qui s’explique par l’implication financière inédite de la Food and Drugs Administration et de la Consumer Product Safety Commission (NSTC, 2010, p. 7).

5 Les budgets ELSI portant aussi bien sur les efforts de recherche que ceux d’éducation, dorénavant, il devient

impacts, and help to ensure that nanotechnologies develop in a safe and socially desirable way » (Royal Society, 2004, pp. 83-84).

La Commission européenne entend promouvoir, pour sa part, une « stratégie de nanosciences et nanotechnologies sûre, intégrée et responsable » (2005). En d’autres termes, elle reprend la traduction de « l’innovation responsable » de la Royal Society, à laquelle elle adjoint une dimension « intégrée ». Ces trois caractéristiques sont considérées comme le point d’ancrage par excellence de la politique européenne en matière de nanotechnologies, selon René Von Schomberg qui a largement contribué, au niveau de la DG recherche de la Commission, à la mise à l’agenda de l’innovation responsable (Von Schomberg, 2011, p. 5). Le vocabulaire employé frappe par son étroite proximité avec les politiques américaines, comme d’ailleurs les ordres de grandeur des financements auxquels consent la Commission à l’appui de sa stratégie6. Pourtant, à l’examen, de nombreux flottements se font jour sur la manière d’utiliser les concepts et, surtout, sur les significations qu’ils recouvrent. On le constate à la différence de ton entre l’intention d’une stratégie en matière de nanotechnologies, exprimée en 2004, et ladite stratégie, dans sa déclinaison opérationnelle, adoptée en 2005.

Ainsi, tout d’abord, la Commission européenne publie en 2004 une communication intitulée « Vers une stratégie européenne en faveur des nanotechnologies ». Ce premier document met fortement l’accent sur les dimensions éthiques et leur nécessaire intégration à un stade précoce (CE, 2004, pp. 22-23)7. Phénomène étonnant : une substance particulière est conférée à ces dimensions « éthiques ». Il est ainsi fait explicitement référence à une série de textes fondateurs de droits, dont la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cinq valeurs absolues forment la charpente de cette éthique-là, à titre non exclusif : « respect de la dignité, autonomie de l’individu, justice et bienfaisance, liberté de la recherche, et proportionnalité » (CE, 2004, point 3.5.1., § 2nd, p. 23). Ces principes ou, à tout le moins, « certains principes éthiques doivent être observés et, le cas échéant, mis à œuvre [sic] par voie réglementaire » (ibid., §1er). À notre connaissance, il s’agit là de la seule référence formelle ainsi faite aux droits fondamentaux, c’est-à-dire de droits dont l’application serait susceptible de relever d’une véritable mise en politique des nanotechnologies.

La section suivante du même document propose trois manières de permettre « au public » de « comprendre l’invisible » : information, communication et dialogue. En partant du constat que les nanotechnologies sont très mal connues de l’opinion publique, cette section

6 Ainsi, dans une résolution de 2009 du Parlement européen, appellant la Commission à adopter une stratégie

réglementaire plus ferme quant aux nanomatériaux, le Parlement faisait état d’un financement sur les enjeux EHS d’environ 4 % du total (28 millions € sur 600 millions € au total), voir Parlement européen (2009).

7 C’est également l’époque du rapport de Nordmann sur les technologies convergentes qui fait la part belle à

l’inclusion sociale et à la dynamique d’intégration européenne que permet le développement des nanotechnologies (Nordmann, 2004). Cf. supra, chapitre I, partie 2, section B).

propose une série d’initiatives didactiques pour améliorer cette connaissance. Suite à quoi pourrait s’engager un authentique « dialogue », en ce sens que les opinions publiques devraient pouvoir influencer les décisions de politique scientifique. Cette perspective « processuelle », orientée vers un dialogue et le rassemblement des parties prenantes, présente l’innovation responsable comme une modalité d’accompagnement des innovations technologiques, appelée à se continuer tout le temps de leur développement. Récemment, René von Schomberg s’est essayé à une définition provisionnelle qui correspond à une telle approche de l’innovation et de la recherche responsables : « Responsible Research and

Innovation is a transparent, interactive process by which societal actors and innovators become mutually responsive to each other with a view to the (ethical) acceptability, sustainability and societal desirability of the innovation process and its marketable products (in order to allow a proper embedding of scientific and technological advances in our society) » (Von Schomberg, 2011). En l’espèce, cette définition provisoire, qui ne reflète pas

la politique officielle de la Commission, désigne toutefois l’horizon fondateur de la démarche d’innovation responsable : emporter l’adhésion « du public », démontrer l’acceptabilité des innovations technologiques et leur caractère « durable ».

On comprend que le plan stratégique n’est pas exempt de contradictions entre, d’un côté, les principes forts auxquels il a l’audace de se référer, cités ci-avant et, d’un autre côté, la relative timidité des moyens qu’il entend mettre en œuvre pour mobiliser ces principes et les traduire dans la pratique. Cependant, cette ambivalence est tranchée en supprimant toute référence aux droits fondamentaux dans les plans opérationnels de la Commission, en particulier « Nanosciences et nanotechnologies: Un plan d’action pour l’Europe 2005-2009 » (CE, 2005). Ce plan d’action, pour sa part, propose un alignement presque total sur la conception américaine du « développement responsable » : on y retrouve l’idée de s’assurer la réalisation des bénéfices potentiels, tout en se prémunissant des risques éventuels, dont la survenance est de toute façon perçue comme, à la fois, banale et inéluctable (puisque consubstantiels à « n’importe quelle technologie ») (CE, 2005, p. 8). Si la catégorie de l’éthique y est toujours bien présente, elle se voit réduite aussi bien quant à ses destinataires (la R&D financée par la Commission, à l’exclusion des investisseurs industriels) que dans sa portée. En effet, les quelques exemples concrets par rapport auxquels une démarche éthique est envisagée8 ne ressortent pas du même registre que les principes généraux précités. De manière tristement prévisible, les seuls « droits » auxquels il est encore fait référence sont ceux de la « propriété intellectuelle », dont « la protection (…) est essentielle à l’innovation, tant pour attirer les investissements initiaux que pour en garantir les retombées ultérieures » (ibid., p. 7, section 4 : « de la connaissance au marché »).