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L’Afrique de Zigomar, de P Corentin et le parcours de lecture Sur l’idée de notre directrice de mémoire et à partir de quelques séances filmées par

5 – Analyse de pratiques didactiques

5.1 L’Afrique de Zigomar, de P Corentin et le parcours de lecture Sur l’idée de notre directrice de mémoire et à partir de quelques séances filmées par

une tierce personne, nous allons analyser des parties d’un parcours de lecture sur l’œuvre de Philippe Corentin, L’Afrique de Zigomar. Ce matériau nous donnera, nous l’espérons, des éléments supplémentaires dans notre recherche et notamment sur l’outil pédagogique proposé aux élèves de cycle 2. Dans le cadre d’études sur les parcours de lecture notamment, Catherine Huchet89 et François90 Simon de l’IUFM de Nantes, ont suivi la mise en acte de ce parcours de lecture dans une classe de cycle 2 à l’école élémentaire de Saint Jean-de-Boiseau en Loire Atlantique, durant le mois d’avril 2011. Ce parcours a aussi l’intérêt pour notre recherche de se terminer par un débat interprétatif.

Le parcours de lecture s’est déroulé en plusieurs étapes. L’analyse ne portera pas sur toutes les séances mais seulement sur celles qui ont été filmées et nous ont sympathiquement été transmises. Il s’agit là de la séance de l’entrée dans l’album par le thème de la carte postale, de celle de la restitution d’un niveau de compréhension par l’expression graphique du début de l’histoire et de la dernière proposant un débat interprétatif questionnant les élèves sur le pourquoi du titre et in fine le pourquoi du silence des enfants qui n’ont pas osé dire à Zigomar qu’il s’est trompé.

Les compétences observées liées aux disciplines et visées durant ce parcours sont nombreuses : distinguer la classe de certains mots (les déterminants, les verbes…) ;

89Catherine HUCHET, professeur en lettres modernes, formatrice en français et didactique du français à l’IUFM de Nantes.

concevoir et écrire de manière autonome un texte narratif de 5 à 10 lignes ; écouter et lire des œuvres intégrales courtes et identifier les personnages, les évènements, les circonstances temporelles et spatiales du récit ; utiliser des mots précis pour s’exprimer ; manifester sa compréhension d’un récit lu par un tiers en répondant à des questions le concernant : reformuler, identifier les personnages principaux ; raconter une histoire déjà entendue ; décrire des images ; écouter et donner un point de vue en respectant les règles de la communication ; rendre compte de sa lecture, utiliser des techniques traditionnelles des arts plastiques, le dessin ; dans le domaine des découvertes du monde, comparer ses milieux familiers avec d’autres milieux et espaces plus lointains ; dans le domaine de la découverte du vivant, découvrir la nutrition et les régimes alimentaires des animaux et dans le domaine de l’instruction civique et morale : approfondir l’usage des règles de vie collectives, appliquer les usages sociaux de la politesse, notamment dans la relation adulte/enfant (ex : se taire quand les autres parlent, se lever quand un adulte rentre dans la classe).

La première séance vise à la préparation et à la production par les élèves d’un court texte au dos d’une carte postale représentant les trois personnages principaux en vol pour leur voyage vers l’Afrique91 (Pipioli le souriceau, la grenouille et Zigomar le

merle). L’album n’a pas encore été ouvert, seule la photo de la carte postale (image des pages 13 et 14 dans l’album) est montrée. La consigne est : « Vous êtes Pipioli le souriceau, vous écrivez à votre maman et vous racontez votre voyage ». L’investigation passe par l’observation de l’image de la carte postale et les élèves anticipent la destination des personnages représentés grâce au chapeau de safari de Zigomar par exemple. L’occasion est aussi d’apprendre les codes de l’écriture d’une carte postale dans ses contenus (informations nécessaires à l’écriture et à l’envoi) et dans sa forme (localisation sur la carte) et de répondre au programme dans le domaine de la découverte du monde : se repérer dans l’espace en comparant des milieux familiers avec d’autres milieux et en évoquant les divers moyens de transport, le rôle de la poste, du facteur et en traçant le cheminement d’une lettre ou d’un courrier. Dans la deuxième partie de la séance l’enseignante lit les productions

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des élèves et part des destinations qu’ils ont mentionnées dans leur texte : Afrique, ferme, Amérique.

Lors de la deuxième séance, l’enseignante repart du travail réalisé sur la carte postale et les oriente sur un travail d’investigation sur l’image de la carte postale pour rassembler des indices qui attestent de la destination des personnages. L’enseignante intervient à chaque prise de parole d’élève, elle maîtrise les interventions qui peuvent s’écrire sous la forme : PE – élève – PE – élève – PE ... On note aucun échange entre élèves dans cette partie de séance. Leurs interventions réglées laissent transparaitre la manière dont ils ont travaillé (en binôme) ainsi que leurs représentations (si on paye l’avion pour aller en Afrique, il n’y a plus d’argent pour aller au Canada, et si on vole sur un oiseau, paye-t-on le voyage92 ?). Le rappel des règles de vie de classe et de prise de la parole est occasionnel et lié au comportement de certains élèves qui parlent sans lever le doigt, jouent au lieu de participer, mobilisent la parole ou se laissent oublier. Les élèves sont à leur place, l’espace de la classe n’a pas été particulièrement aménagée pour l’occasion de ces échanges de parole. La structure des échanges montre une boucle dialectique et non l’instauration de pratiques langagières dans le cadre d’un débat. Toutefois, cette étape du parcours de lecture amène les élèves à décoder, lire, observer, améliorer leur compréhension tout en commençant à anticiper ou interpréter l’histoire. Ce travail vise une préparation au débat. Ensuite, l’enseignante amène les élèves à illustrer un passage de l’histoire (page 1 de l’album) : « « Dit Maman pourquoi Ginette part-elle pour l’Afrique et pas nous ? »… Je vous demande d’illustrer ce que je viens de

dire ». Les élèves dessinent ce qu’ils comprennent du passage lu par l’enseignante. Pour des élèves de cycle 2 qui plus est de cours préparatoire, le dessin est un moyen très intéressant d’expression écrite, intermédiaire à l’écriture. A l’observation des dessins, il apparait que les élèves n’ont pas tous compris qu’il s’agissait de souris et non de personnages humains. Certains élèves représentent un des personnages dans son bain (mais le livre avait déjà été vu en grande section pour la plupart). Le développement des élèves est hétérogène : sur certains dessins, des souris sont très nettement représentées (voire même en train de pleurer), une maman et un enfant sont présents, sur d’autres ce sont des bonshommes avec encore des mains et des

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pieds comme des soleils, un environnement d’intérieur de maison est parfois dessiné. L’enseignante ramasse ensuite les dessins et les affiche au tableau en tentant de les regrouper par ressemblance. Elle demande aux élèves de relever les points communs (une maison, une maman, un enfant) et les différences entre les dessins (un jardin, une cuisine, une salle de bain, une chambre, la lune, les étoiles). Puis, l’enseignante lit la suite du texte (« Parce que ton amie est une hirondelle et que les hirondelles se nourrissent d’insectes, et qu’en hiver il n’y a d’insectes qu’en Afrique, répond la souris à son souriceau ») que les élèves ont de nouveau à illustrer. En plus des personnages, les élèves ont des indications sur le temps de l’action. Le film met en évidence le dessin d’une élève qui a bien représenté l’hiver (neige par la fenêtre93

). Le dessin est un bon moyen de la restitution du niveau de compréhension des élèves primo-accédant à la lecture/écriture (nous sommes ici dans une classe de CP, les affichages de l’étude des sons par la méthode Borel-Maisonny en attestent). L’enseignante rassemble les productions et les affiches de nouveau au tableau afin de les rendre objet de réflexion et de travail. Les représentations des élèves émergent comme le soleil en hiver qui choque certains élèves, les discussions toujours sur le même schéma de boucles didactiques, permettent les transformations des représentations.

La dernière séance s’appuie sur le travail préalable des précédentes séances. L’enseignante oriente les élèves sur un débat interprétatif d’une heure. Elle rappelle la recherche du titre de l’album, et demande aux élèves de raconter l’histoire dès le début. A plusieurs, ils reformulent le récit à chaque fois entrecoupés par les interventions de l’enseignante qui ne lâche pas la maîtrise du discours pour renforcer des éléments, faire apporter des précisions ou orienter dans la direction souhaitée et éclaircir des passages implicites du texte. Elle reformule et distribue la parole94, ceci dans le souci de faire participer le plus grand nombre95, sauf aux lignes 735 et 734 où Ariette intervient tout d’abord sans autorisation et ensuite entre Arthur, Brice et deux autres élèves96. Les élèves font des inférences logiques, ils se réfèrent au texte

93 Transcription de séances de C. HUCHET et F. SIMON, L’Afrique de Zigomar, occurrence 603 (annexe 15). 94 Transcription de séances de C. HUCHET et F. SIMON, L’Afrique de Zigomar, occurrence 783.

95 Transcription de séances de C. HUCHET et F. SIMON, L’Afrique de Zigomar, occurrences 741 et 743. 96

pour argumenter97. Dans son cheminement de question d’étape en étape, l’enseignante montre aux élèves que les éléments du texte prouvent que Zigomar s’est trompé dès le départ du voyage en sens contraire et dès le premier animal, il commet une deuxième erreur. Au moment où les personnages rentrent chez eux, l’enseignante stoppe la discussion pour lancer une activité visant à préciser ce que pensent les personnages98. Elle constitue des groupes et des binômes à qui elle distribue différents extraits de textes, des groupes devront relever les paroles et les comportements99 de Pipioli, d’autres groupes de Pipioli et de la grenouille, et enfin d’autres groupes de Zigomar. Elle fait reformuler les élèves avant de les laisser en autonomie. Dix minutes après elle procède à une mise en commun des données au tableau pour chaque personnage en demandant pourquoi ils réagissent comme ça d’après eux100. Par le tableau, elle régularise de nouveau l’incertitude de la situation

langagière tout en créant un nouveau matériau de travail. Listés, décontextualisés, les mots du tableau deviennent des objets à classer, à trier, des outils graphiques101 afin d’alimenter la compréhension et l’interprétation par la structuration des idées des élèves.

Elle met en évidence par les éléments du texte qui montrent que Pipioli et la grenouille avaient deviné que Zigomar se trompait, et elle essaye de faire parler les élèves sur le pourquoi de leur silence malgré tout. Pour tenter de maîtriser le plus possible l’incertitude d’une situation ouverte, l’enseignante se rassure aussi en reprenant la parole à quasiment chaque intervention d’élève. Elle oriente beaucoup la discussion par ses questions, mais les enfants de CP ont certainement encore besoin d’étayage pour avancer dans l’interprétation. En passant par l’explication du mot « insolent », elle centre les interrogations sur les attitudes de Zigomar. Pour faire avancer la discussion elle finit par faire trois propositions aux élèves sur le comportement de Zigomar (ligne 982) : Proposition 1 : Ils ne veulent pas dire qu’ils sont allés au pôle nord pour ne pas paraitre bêtes devant leur parent ; Proposition 2 : Ils ont un doute sur la destination, ils évitent la question, ils disent : « oui, oui, heu… pas mal, formidable… » ; Proposition 3 : Ils sont sous l’influence de Zigomar ils

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Transcription de séances de C. HUCHET et F. SIMON, L’Afrique de Zigomar, occurrence 709 (annexe 15). 98 Transcription de séances de C. HUCHET et F. SIMON, L’Afrique de Zigomar, occurrence 797.

99 Transcription de séances de C. HUCHET et F. SIMON, L’Afrique de Zigomar, occurrence 801.

100 Transcription de séances de C. HUCHET et F. SIMON, L’Afrique de Zigomar, occurrences 857 et 859. 101

ont peur de sa réaction, ils n’osent pas dire qu’ils ne sont pas allés en Afrique, parce qu’ils ont peur de la réaction de Zigomar. Les élèves votent en majorité pour la troisième proposition.

Le débat interprétatif ne démarre vraiment qu’à partir de ce moment ligne 982 car les questions fondatrices du débat émergent (grâce à l’enseignante) : Est-ce que les adultes ont toujours raison ? Faut-il toujours avoir peur des adultes ? Zigomar fait-il exprès de se tromper ? Quelles pourraient être les véritables intentions de Zigomar en fonction des caractéristiques livrées par le texte sur son personnage (particularité des gens qui veulent toujours avoir raison) ? L’enseignante termine par demander aux élèves de trouver d’autres titres pour l’album et de formuler une morale à l’histoire, comme celle que propose Mariette « Faut pas croire tout ce qu’on nous dit ! ».

En conclusion de l’analyse de cette séance de débat interprétatif, il revient à dire que le choix de l’enseignante d’adopter une relation frontale avec les élèves la rassure certainement, lui permet de maîtriser et diriger le « débat », cependant, elle reste dans une posture magistrale où elle seule interroge le texte. Ce choix est compréhensible notamment en cycle 2 où les élèves sont souvent peu familiarisés aux débats, toutefois il n’est pas au service des interactions verbales et des conflits sociocognitifs entre pairs. Cette retranscription montre que le débat interprétatif est un dispositif difficile à mettre en place du point de vue didactique. Naturellement l’enseignant investi des responsabilités qui sont les siennes sur le temps de classe, prend souvent l’habitude de se placer au centre du triangle didactique (enseignant – savoir –élève) alors que le débat interprétatif (tout comme le travail de groupe) nécessite un certain retrait de ce dernier. Et même si maintenant la grande majorité des enseignants connaît le concept et les avantages d’un schème relationnel enseignant-élève basé sur le modèle constructiviste (Piaget, Bachelard…), les pédagogies actives ne les rassurent pas toujours, qualifiées à raison (par ceux qui ne les utilisent pas systématiquement) de chronophages. Cette observation illustre la thèse démontrée ci-dessous par la transcription d’autres débats (notamment celui réalisé à partir de l’œuvre Le Loup et l’Agneau) à savoir que plus les élèves pratiquent régulièrement l’exercice, mieux ils en connaissent les règles et plus vite ils rentrent dans l’action.

5.2 Le Loup et l’Agneau de Jean de La Fontaine (cycle 3) et le débat