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Après avoir affronté les temps troublés du Sonderbund et du régime radical, la Société d'études ne put survivre

Dans le document FRIBOURG ûMffêl''^^ SOIXANTE-QUATRIEME ANNEE (Page 187-193)

à la réaction de 1856, qui éloigna du pays fribourgeois les plus actifs de ses membres. » (Auguste Schorderet, Les vicissitudes de l'esprit fribourgeois, dans les Annales frib.

de 1917, p. 75.)

Le mouvement poétique de l'Emulation porte une

mar-que gruyérienne bien accentuée, sinon exclusive. La Gruyère,

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-pays de l'indépendance frondeuse et du ranz des vaches,, sentait passer un souffle encore inconnu aux esprits pour-t a n pour-t culpour-tivés de la capipour-tale: « P a r la sincéripour-té de sa n a pour-t u r e , p a r son individualisme, sa fraîcheur et sa poésie, l'âme gruyérienne s'insinua doucement et s'imposa en conqué-r a n t e dans t o u t le canton [La conqué-revanche gconqué-ruyéconqué-rienne, d a n s les Annales frib. de 1919, p . 21.)

Nicolas Glasson est le meilleur poète de la Gruyère, Il avait d é b u t é dans le premier numéro de VErnidalion p a r la pièce A ma faux, que t o u t le monde connaît, et qui fut une révélation. H u b e r t Charles, qui rimait fort agréa-blement, prenait volontiers, sans doute à titre d ' h o m m e politique, des allures de Mentor. Il dédia une poésie à l'auteur de A ma faux, et y glissa plusieurs conseils p a t e r -nels :

Que tes chants inspirés, mais toujours sans excès, Des auteurs vaporeux dont notre siècle abonde, Repoussant la: manie el la triste faconde.

Des règles du bon goût ne s'écartent jamais.

« Pas de romantisme s u r t o u t », t r a d u i t M. Eugène Dé-v a u d dans l'article déjà cité.

Nicolas Glasso"n répondit avec déférence:

Je n'aurai pas besoin de thème fantastique Tout est thème chez nous, car tout est poétique.

[Em. no 3 , p . 8.)

Au fond, c'était une fin de non-recevoir ; c'était dire avec H u g o :

Pas de mot où l'idée au vol pur

Ne puisse se poser tout humide d'azur.

hes règles et le bon goût q u ' H u b e r t Gtiarles m e t t a i t en a v a n t , étaient les grands dadas de l'école classique. Victor H u g o disait à ce propos : « Que de beautés nous c o û t e n t les gens de goût, depuis Scudéry j u s q u ' à L a h a r p e ! On com-poserait une bien belle œ u v r e de t o u t ce que. leur souffle aride a desséché dans son g e r m e . » (Préface de Gromwell, p . 31-32.)

H u b e r t Charles, en effet, sans chercher plus loin, rendait dans le même t e m p s un m a u v a i s service à la littérature

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fribourgeoise. A l'apparition des î'seyrejs, de Louis Bornet, il partit en guerre pour démontrer que le patois ne pouvait devenir une langue littéraire et qu'il fallait y renoncer.

Nicolas Glasson.

(Dessin de J. Reichlen.)

Bornet si attacha, dès lors, à écrire en français et certaine-ment notre héritage poétique y perdit ; quelques" petits chefs d'œuvre du même genre.

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-Nicolas GJasson fut plus indépendant. Il fut r o m a n t i q u e p a r m a i n t endroit, entre autres par une tristesse langoureuse qu'il se plaît à détailler. Il protestait cependant à H u b e r t Charles :

S'il ne faut que chanter la terre où l'e suis ne

Ce cœur est encore vierge, ce cœur n'est point fané.

Mais, dans un a u t r e poème intitulé Oisiveté, il laissa t r a n s p a r a î t r e un goût des choses passées q u ' u n contradic-t e u r ( H u b e r contradic-t Charles sans doucontradic-te) contradic-trouva quelque peu mor-b i d e ;

Qu'un autre dans son char roulant dans la carrière Se tourne vers le but et regarde en avant ;

Je me place à rebours et regarde en arrière :

J'aime que chaque objet m'apparaisse en fuyant.

Qu'un aulre dans l'esquif qui le berce et l'entraîne Prenne place à la poupe et regarde le port.

Je reste au gouvernail et ma vue incertaine, Même quand il a fui, s'attache encor au bord.

Le Mentor, qui signait avec une fierté un peu aigre: Un Gruyérien, lui r é p o n d i t :

Je'n'ai pu m'expliquer ta vague théorie...

Non, le passé n'est rien, tu t'abuses Poète.

Espérons l'avenir, jouissons du présent.

Le reste est une erreur, la raison le rejette:

1/6 sophisme est sophisme, en dépit du talent.

{Emulation, n» 20, juin 1842, p . 8.) C'était raide. Cela n ' a v a i t q u ' u n défaut, c'est de n'être pas poétique. Glasson répliqua. Contre l'anonyme, il avait les coudées franches. Il ne fit point de syllogisme. Mais il fut é l o q u e n t :

Tu ne relis donc point la page déjà lue.

Ton œil rêveur ne s'est donc jamais détourné Pour revoir une fois la beauté déjà vue.

La rose respirée et le champ moissonné.

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-Chez moi le cœur esl ioui et chez loi c'est la lêle.

Il le faul un bonheur qu'étaie un argument.

Tu n'es que logicien, je crois être poète, El mon bonheur à moi jaillit du sentiment.

(Emu/., a o û t 1842, p . 16.) Il eut le dernier mot, mais avec des raisons que la raison ne connaît pas.

La n a t u r e p a r t a g e les émotions de l'homme, c'est un t h è m e favori des romantiques. Glasson t r o u v a i t en elle une confidente:

La nature n'a pas toujours un air de fêle.

Sur ses lèvres aussi, le chant joyeux s'arrête.

Si l'homme esl abreuvé des angoisses du cœur, Elle aussi sent parfois quelque étrange douleur.

Alors courbant la tête et voilant son sourire, Trisle, mélancolique, elle souffre et soupire.

{EmuL, octobre 1842 n» 4. L ' a u t o m n e . ) Le fatalisme de Glasson va parfois j u s q u ' a u lugubre, m a i s c'est précisément alors q u ' a p p a r a i s s e n t de véritables b e a u t é s :

Moi, je ne chante rien que la mort inflexible ; Près d'un lit de douleur se dressant impassible, Suspendant dans tes airs son fatal instrument.

D'un air horrible et calme épiant le moment.

(Emut., n" 12, février 1842, p . 8. La cloche d'agonie.) Cet air «horrible et calme » est une trouvaille. Un peu plus, on commencerait à parler de génie.

Encore une belle chose dans la peste de Milan, tiré d e la prose de Manzoni:

Et l'enfant eût paru dormir, si sa main blanche Comme un rameau séché n'eût pendu sur sa hanche...

Si son front n'eût coulé sur le front maternel Avec un abandon qu'on sentait éternel.

(Ibid., année 1843-44, p . 179.)

La description de cette a t t i t u d e a quelque chose de sculp-t u r a l . Chasculp-teaubriand ne peignisculp-t pas mieux ses vierges.

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-J ' i m a g i n e qu'il aurait volontiers serré la m a i n à l'auteur de ces deux derniers vers.

Il ne l'aurait pas. serrée, par contre, pour les euphuisti-ques périphrases suivantes:

Ce îrésor des hameaux, celte pomme étrangère Qu'un ami des humains d'Amérique apporta T r a d u c t i o n : la pomme de terre.

Le h o y a u devient, dans ce style « Un fer à double dent ».

• {Emut., 1842, n"4, octobre, p . 32). Il n ' a v a i t pas encore pu lire ces vers de H u g o :

J'ai dit à la narine : Eh, mais ! tu n'es qu'un nez ! J'ai dit au long fruit d'or: Mais tu n'es qu'une poire f Chez Louis Bornet, en fait de romantisme, nous trou-vons également un délicat sentiment de la n a t u r e , que nous illustrerons par cette citation:

J'ai retrouvé le souris d'une étoile Qui s'entretient avec mon cœur

Sur la voûte éthérée, La voilà de retour, Vive flamme voilée, Etoile, astre d'amour!

Verse-moi la lumière ! Que l'argenté rayon Qui tremble sur ton front

Est cher à ma paupière ! ' [Emut., t o m e IV, mai 1845, p . 271.)

« Paupière » a bien l'air d'une coquille, mais enfin... c'est peut-être voulu.

Au m o m e n t de la publication de ces vers, Louis Bornet, pareil en cela à Byron, c o m b a t t a i t pour l'indépendance d'un peuple opprimé. Ce peuple était la Pologne et non la Grèce, et, de plus, B o r n e t n ' y périt point, ce qui n'enlève rien à son mérite.

De retour à Fribourg, en 1848, il preiid possession d'une chaire de l i t t é r a t u r e à l'école cantonale. A ce m o m e n t , nous dit M. Eugène Dévaud, «il l u t les romantiques. Il t r o u v a qu'ils avaient du bon, que le XVII™^ siècle avait

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-des règles trop arbitraires et trop rigoureuses ; que la

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