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Adrian Le Roy et l’impression musicale

Adrian Le Roy et Robert I Ballard ont dominé le marché de l’édition musicale en France durant la deuxième moitié du XVIe siècle. Les données relatives à leurs vies et à leur association ont été exposées dès 1955 par François Lesure et Geneviève Thibault dans leur Bibliographie des éditions

d’Adrian Le Roy et Robert Ballard, 1551-15981, et plus récemment par Laurent Guillo dans un ouvrage similaire consacré aux descendants de Ballard qui se sont succédés à la tête de l’atelier au XVIIe siècle2. Le Roy et Ballard obtiennent du roi Henri II, le 14 août 1551, un premier privilège de neuf ans pour « imprimer, faire imprimer et faire exposer en vente tous livres de musique, tant instrumentale que vocale »3. Puis, ils reçoivent le 16 février 1553 la charge d’imprimeurs du roi pour la musique, auparavant détenue par Pierre Attaingnant. Cette charge est renouvelée régulièrement par les successeurs d’Henri II : en 1568 par Charles IX, en 1576 par Henri III, puis en 1594 par Henri IV. Elle implique des gages annuels mais, surtout, les associés bénéficient des avantages accordés aux membres de la maison royale, notamment l’exemption de taxes, dont la taille4. Le Roy et Ballard sont les seuls imprimeurs de musique dans toute l’Europe à avoir joui au XVIe siècle du titre d’imprimeurs du roi, et ils ont su conserver durant plusieurs règnes cette position privilégiée, et ce, malgré l’instabilité politique en France à la fin de ce siècle. Cet avantage leur a permis d’éliminer progressivement toute concurrence5. À Paris, la veuve de Pierre Attaingnant cesse ses activités après 1557, alors que Michel Fezandat – à qui on doit l’édition des œuvres des luthistes Guillaume Morlaye et de son maître Albert de Rippe – délaisse les publications musicales au début des années 1560. Le plus important concurrent parisien de Le Roy et Ballard, Nicolas Du Chemin, qui œuvrait dans le domaine de l’édition musicale depuis 1549, décline à partir de 1570 et met un terme à ses activités en 15766. À partir de cette date, Le Roy et

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Lesure et Thibaut, Bibliographie des éditions d'Adrian Le Roy et Robert Ballard.

2

Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard.

3 Ibid., 24. 4

La taille est le principal impôt direct servant notamment à soutenir l’effort de guerre. Elle est prélevée annuellement chez les roturiers, tandis que la noblesse et le clergé en sont exemptés. Pour le détail des avantages liés à la charge d’imprimeurs du roi, voir Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 26; Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 12.

5

Dans sa thèse de doctorat, Audrey Boucaut-Graille soutient que Le Roy et Ballard ont volontairement mis en œuvre des stratégies pour évincer leurs concurrents. Boucaut-Graille, « Les imprimeurs de musique parisiens et leurs publics : 1528-1598 », 362-403.

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Les activités des autres imprimeurs sont abordés dans Lesure et Thibaut, Bibliographie des éditions

d'Adrian Le Roy et Robert Ballard, 17; Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 9. Les informations ont été

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Ballard exercent donc un monopole quasi total sur tout le royaume de France, l’impression musicale en région étant alors marginale7. La direction de l’atelier sera transmise de père en fils chez les Ballard, et la famille jouera un rôle central dans l’édition musicale française jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, créant ainsi une véritable dynastie d’imprimeurs.

Une étude du catalogue de l’atelier à la fin du XVIe siècle et au début du siècle suivant permet de dresser le portrait de la vie musicale en France, puisque l’atelier, par ses stratégies commerciales, de même que grâce aux liens privilégiés qu’il a entretenus avec la cour, domine le marché de l’impression musicale. Il s’agit toutefois de la partie visible de l’activité musicale, où la transmission orale est encore importante, notamment dans le domaine de la musique instrumentale. De plus, Adrian Le Roy, par son statut de luthiste-compositeur et éditeur, apporte une dimension intéressante à cette étude portant spécifiquement sur la musique pour luth, puisqu’il a été au cœur de tous les développements liés à l’instrument.

Le Livre d’airs de cour miz sur le luth (1571)

S’il ne suscite pas l’intérêt des interprètes de nos jours, le Livre d’airs de cour miz sur le luth d’Adrian Le Roy est néanmoins révélateur des nouvelles tendances qui apparaissent dans le paysage musical français à la fin du XVIe siècle. D’abord, il contient la première mention du terme « air de cour », et ce, presque 40 ans avant que le genre ne prenne son véritable essor. Ensuite, il fait office d’ouvrage à caractère pédagogique, fonction explicitée par l’auteur dans l’épître dédicatoire. Finalement, il possède un caractère hybride : s’il permet une interprétation pour une seule voix soutenue par le luth, il peut également être envisagé comme un ouvrage destiné à un usage strictement instrumental.

La place du recueil dans la production de Le Roy

La liste des ouvrages écrits par Adrian Le Roy met en relief deux facettes de son œuvre : le travail du compositeur et celui du pédagogue. Dans les décennies 1550 et 1560, Le Roy se consacre principalement à la publication de ses propres compositions pour luth ou guitare. C’est d’ailleurs avec son Premier livre de tabulature de luth (1551) que s’amorcent les activités de l’atelier. Cette publication est suivie de plusieurs autres recueils pour luth et guitare la même année, puis l’année

7 Pour des informations sur les petits imprimeurs régionaux, voir Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard,

suivante. C’est donc par l’œuvre de Le Roy que les associés se lancent dans le domaine de l’impression musicale. Les dernières pièces pour luth de Le Roy se trouvent dans le Livre d’airs de

cour miz sur le luth de 1571. Celui-ci paraît à une époque où il se consacre davantage aux traités

de musique et aux instructions instrumentales, notamment celles pour le luth8. Les rééditions en France, ainsi que les traductions anglaises parues à Londres quelques années plus tard, attestent la popularité de ces instructions pour le luth. Cela confirme également l’existence d’une clientèle amateur dont les imprimeurs associés ont voulu tirer profit. Aucune édition originale française des instructions pour luth de Le Roy n’a été conservée, et c’est donc par leurs traductions que leurs contenus sont connus. Le livre A briefe and plaine Instruction... publié à Londres en 1574 réunit en un seul volume les trois instructions d’abord parues séparément. Les problèmes bibliographiques causés par la perte des éditions originales françaises imposent une certaine prudence quant à la chronologie de ces ouvrages. Ces problèmes ont été abordés dans l’introduction de l’édition des instructions pour le luth de Le Roy dans la collection « Corpus des luthistes français »9. Le tableau 1 présente le résultat de leur étude :

Tableau 1 : Chronologie des instructions pour luth d’Adrian Le Roy

Année Titre Lieu d’édition

[1567] [Breve et facile instruction pour apprendre la tablature, conduire et

disposer la main sur le luth]10

Paris

1568 A briefe and easye instruction to learne the tableture / to conducte and dispose thy hande unto the Lute / englished by J. Alford Londenor.

Londres

[1570] [Instruction de partir toute musique des huit divers tons en tablature de

luth]

Probablement associée à une réédition de [1567]

Paris

8

Le terme « instruction » est utilisé aux XVe et XVIe siècles pour désigner divers ouvrages pédagogiques généraux (Instruction fort facile pour apprendre la musique practique, Cornelius Blockland, 1573), ainsi que des ouvrages destinés à l’apprentissage du chant (Instructions pour apprendre à chanter à quatre parties, Laurent Dandin, 1582), de la danse (L’art et l’instruction de bien dancer, anonyme, 1490) ou d’un instrument (les divers recueils de Le Roy pour luth, guitare ou cistre).

9 Jacquot, Sordes et Vaccaro, Oeuvre d'Adrian Le Roy : Les Instructions pour le luth (1574). Malgré l’étude

étoffée présentée en introduction, certaines attributions douteuses sont encore considérées dans les recherches récentes. Par exemple, le tome V (1863) de la Biographie universelle des musiciens de François- Joseph Fétis mentionne l’existence d’une édition de 1557 de l’instruction de *1570+. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une erreur, et cette édition n’a pas été considérée par l’équipe du Corpus des luthistes français. On retrouve toutefois cette édition douteuse dans le catalogue de la thèse de Boucaut-Graille (p. 211-78).

10 Le titre de l’instruction de *1567+ est calqué sur celui l’instruction pour le cistre parue en 1565. Le titre de

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Année Titre Lieu d’édition

1571 Livre d’Airs de cour miz sur le luth Paris

1574 A briefe and plaine Instruction to set all Musicke of eight / divers tunes in Tableture for the Lute. / With a briefe Instruction how to play on the Lute by Tableture, to conducte and dispose thy / hand unto the Lute, with certaine easie lessons for that purpose. / And also a third Booke containing divers new / excellent tunes. / All first written in french by / Adrian Le Roy, and now trans / lated into english by I. Ki / Gentelman.

Regroupe trois livres : 1. Une traduction de [1570] 2. une réédition du livre de 1568

3. les airs de cour du livre de 1571 (auxquels s’ajoutent huit psaumes et une pièce intitulée Harte opprest, sans antécédents connus).

Londres

[1583] Réédition de [1570] Paris

Jean-Michel Vaccaro a insisté sur l’importance de l’apparition de traités instrumentaux au XVIe siècle, phénomène nouveau qui s’est développé d’abord autour des instruments à cordes pincées11. Outre le luth, Le Roy publie en effet des traités pour guitare, cistre et mandore12, qui n’ont aucun équivalent en France au XVIe siècle chez d’autres familles d’instruments13. Ce n’est qu’avec l’Harmonie universelle de Marin Mersenne en 1636 que l’art instrumental n’est plus traité de façon marginale, mais intégré dans un ouvrage général sur la musique, phénomène qui arrive plus d’un siècle après la parution de la Tres breve et familiere introduction... d’Attaingnant en 1529, première instruction française pour le luth14. C’est dire la place importante qu’occupe le luth très tôt dans l’histoire du développement de l’art instrumental en France, ce que confirme la série d’instructions de Le Roy. Selon Vaccaro, « la vulgarisation des techniques instrumentales devient un phénomène essentiel de l’histoire de la musique du XVIe siècle »15, et l’essor du luth est dû à la popularité de l’instrument chez une clientèle amateur pour qui l’apprentissage d’un instrument

11

Vaccaro, La musique de luth, 29-32.

12

Dans le second livre de son Harmonie universelle, Marin Mersenne mentionne que la mandore possède d’ordinaire quatre cordes, mais qu’on en trouve avec un plus grand nombre, afin qu’elle s’approche du luth, dont elle est « le racourcy, & le diminutif ». Mersenne, Harmonie universelle, Livre II, 93. Consulté à l’adresse

http://imslp.org/wiki/Harmonie_universelle_(Mersenne,_Marin).

13 Pour une liste des traités théoriques et instructions instrumentales publiés en France au XVIe siècle et au

début du XVIIe, voir l’annexe 1 dans Howard Mayer Brown, « Ut musica poesis : Music and Poetry in France in the Late 16th-century », Early Music 13 (1994) : 50-54.

14 Vaccaro, La musique de luth, 22. 15 Ibid., 31.

est désormais valorisé. La dédicataire du Livre d’airs de cour miz sur le luth de Le Roy, la comtesse de Retz, incarne cet idéal dont l’élite intellectuelle française fait la promotion à la fin du XVIe siècle. Selon Jeanice Brooks, « à une époque où de nombreux écrivains préconisaient une réhabilitation de la noblesse par le moyen de l’éducation, la comtesse fut l’exemple parfait des bénéfices de l’étude des sciences et des lettres, le modèle idéal pour une cour de l’avenir16. » Issue de la noblesse, Claude-Catherine de Clermont (1543-1603), comtesse de Retz, possède une vaste culture et un intérêt prononcé pour les arts et les lettres. Elle a été dame de compagnie de Catherine de Médicis et amie intime de Marguerite de Valois17. La Comtesse a consolidé sa position privilégiée dans la noblesse française grâce à son mari, le Florentin Albert de Gondi, qui a gravi les échelons à la cour de France jusqu’à devenir premier gentilhomme de la Chambre du Roy en 1568, maréchal en 1573, puis duc et pair en 158118. La comtesse de Retz a été l’hôtesse d’un cercle d’intellectuels réunissant les plus illustres artistes et penseurs de l’époque, annonçant l’essor des salons littéraires au XVIIe siècle. Dans l’épître dédicatoire du Livre d’airs de cour miz sur

le luth, Le Roy révèle l’intention derrière cette publication :

Ces jours prochains MADAME vous ayant présenté l’instruction d’asseoir toute Musique facilement en tablature de Luth, qui estoit fondée exemplairement sur les chansons d’Orlande de Lassus lesquelles sont difficiles et ardues comme pour rompre le disciple de l’art à franchier aprez toutes difficultez : je me suis avisé de luy mettre en queue pour le seconder ce petit opuscule de chansons de la cour beaucoup plus legieres (que jadis on appeloit voix de ville, aujourdhuy Airs de Cour), tant pour vostre recreation, à cause du suget (que l’usage ha desja rendu agréable) que par la facilité d’icelles plus grande sur l’instrument auquel vous prenez plaisir.19

Le livre a donc pour but de présenter des pièces plus simples que les mises en tablature des instructions précédentes, pour que la comtesse puisse elle-même les jouer au luth. La dédicace nous apprend également qu’elle connaît déjà les pièces, sans doute par les versions vocales de La Grotte, qui avaient connu un grand succès.

16 Jeanice Brooks, « La comtesse de Retz et l'air de cour des années 1570 », dans Le concert des voix et des

instruments à la Renaissance, sous la dir. de Jean-Michel Vaccaro (Paris : CNRS, 1991), 301.

17

Sœur des rois François II, Charles IX et Henri III, et première épouse d’Henri de Navarre, futur Henri IV, Marguerite de Valois a été immortalisée sous le nom de « reine Margot » par le roman d’Alexandre Dumas.

18

Pour les détails concernant la promotion sociale de Gondi, voir ibid., 301-302. Voir aussi Nicolas Le Roux,

La faveur du roi : mignons et courtisans au temps des derniers Valois (c1547-c1589) (Paris : Diffusion, Presses

universitaires de France, 2000), 63-68.

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De voix de ville à air de cour

Dans sa volonté de créer un ouvrage plus accessible, Le Roy se tourne vers un type de pièces « beaucoup plus legieres, que jadis on appelloit voix de ville, aujourd’huy Airs de cour ». Cette légèreté s’oppose à la complexité des chansons de Lassus utilisées précédemment par Le Roy pour enseigner l’art de la mise en tablature dans son instruction de 1570. Il est logique que ce soit des compositions de Lassus qui aient servi à cette démonstration, puisqu’elles incarnent le sommet de la chanson polyphonique, genre vocal sur lequel s’est élaboré l’art des luthistes de la génération de Le Roy20. Celui-ci délaisse néanmoins la chanson dans son dernier recueil de pièces pour luth.

L’évolution des genres vocaux au XVIe siècle pose des problèmes d’ordre terminologique, puisque des termes différents sont parfois utilisés pour décrire une même réalité ou, à l’inverse, un même terme décrit parfois des réalités très différentes. Il y a en outre des problèmes chronologiques, puisque l’apparition d’un nouveau genre n’implique pas la fin immédiate d’un genre antérieur21. Il devient alors impossible de circonscrire avec précision le passage d’un genre à l’autre. Les problèmes d’ordre terminologique seront abordés ici, alors que ceux liés à la chronologie du développement de l’air seront traités plus en détail à la fin de ce chapitre.

La dédicace de 1571 trace un lien direct entre les appellations « voix de ville » et « air de cour ». Le terme « vauldeville » apparaît dans une moralité jouée en 1507, mais c’est au milieu du siècle qu’on commence à le retrouver de plus en plus fréquemment, sous diverses orthographes (vau de ville, vaudeville, voix de ville). Il s’agit au départ d’une composition d’allure populaire sur un texte profane strophique, et dont l’intérêt musical repose sur la mélodie généralement confiée à la voix supérieure. Les parties inférieures font office d’accompagnement, en créant une texture homophonique basée sur une harmonie simple22. Il s’agit donc d’un genre opposé aux constructions contrapuntiques savantes de la chanson polyphonique. Un flou terminologique persiste cependant tout au long de la deuxième moitié du XVIe siècle, alors que les termes chanson, air (avec ou sans la spécification « de cour ») et voix de ville sont parfois utilisés pour

20

Vaccaro situe l’âge d’or de la mise en tablature en France entre 1545-1570. Vaccaro, La musique de luth, chapitre VI.

21 Il se peut également qu’une pièce possède les caractéristiques d’un genre avant l’apparition de celui-ci.

Par exemple, on retrouve les caractéristiques de l’air dans certaines compositions de Claudin de Sermisy sur des poèmes de Clément Marot publiées à la fin des années 1520, comme la célèbre Tant que vivray. Le terme air constituerait « une désignation plus adéquate », même s’il n’apparaît que 50 ans plus tard. Frank Dobbins et Annie Coeurdevey, « Air, Air de cour, Voix de ville, Air spirituel », dans Guide de la musique de la

Renaissance, sous la dir. de Françoise Ferrand (Paris : Fayard, 2011), 589-591.

22 Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 1-2; Dobbins et Coeurdevey, « Air, Air de cour, Voix

désigner le même type de composition. Bien que Le Roy mentionne que son livre est constitué d’airs de cour, jadis qualifiés de voix de ville, les modèles vocaux de Nicolas de La Grotte étaient parus sous le titre de Chansons de P. de Ronsard. Ainsi, les termes chanson, air et voix de ville s’appliquent aux mêmes compositions qui forment le Livre d’airs de cour miz sur le luth de 1571. Malgré sa dédicace qui semble rejeter l’appellation voix de ville pour consacrer l’air de cour, Le Roy publie deux ans plus tard un Premier livre de chansons en forme de vau de ville composé à

quatre parties, chansons qui sont pour la plupart des nouvelles harmonisations de mélodies

utilisées par Certon dans son Premier livre de chansons (1552).

Selon Brooks, une démarcation entre la voix de ville et l’air s’établit progressivement dans la deuxième moitié du XVIe siècle et s’observe dans les pièces du livre de 1571 où l’on remarque un style « distinctement déclamatoire, totalement exempt des structures métriques et des phrases régulières de l’ancienne voix de ville »23. L’air devient donc un genre distinct, même s’il conserve la texture homophonique et la structure strophique des voix de ville, desquelles il se démarque toutefois par une plus grande liberté rythmique. Une autre distinction entre voix de ville et air de cour est mentionnée par Le Roy dans sa dédicace, alors qu’il spécifie que les textes sont « sortis de bonnes forges comme du Seig. Ronsard, Desportes et autres des plus gentilz poëtes de ce siècle »24. Signe de l’ennoblissement du genre, l’air peut maintenant accueillir les meilleurs poètes, tandis que l’appellation voix de ville subsiste pour désigner des pièces monodiques plus légères et d’allure populaire. En plus d’apposer un nom inédit à ce nouveau genre de composition, et de le distinguer par la nature des textes utilisés, Le Roy l’assimile à la cour, lieu qui réunit ce qu’il y a de plus noble et raffiné. Le qualificatif « de cour » apposée aux airs de Le Roy n’est toutefois pas d’ordre géographique, mais implique, selon Brooks, une « qualité intrinsèque des pièces et l’esprit dans lequel leur interprétation doit être comprise »25.

Le caractère hybride du recueil de 1571

Le Livre d’airs de cour miz sur le luth, bien qu’il soit associé généralement au répertoire vocal, figure dans le présent mémoire au même titre que des ouvrages instrumentaux. Jonathan Le Cocq affirme même que le livre est d’abord destiné à une interprétation instrumentale, à l’instar de

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