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De l’administration publique bureaucratique au nouveau management public : rupture ou continuité ?

ENQUÊTE PRAGMATISTE Situation

1.1. De l’administration publique bureaucratique au nouveau management public : rupture ou continuité ?

« Après des années de défaites sociales, voici qu’un mouvement inédit a contraint le gouvernement à abjurer son orthodoxie budgétaire » (Halimi, 2019, p. 1). C’est le mouvement des gilets jaunes, né en France en novembre 2018. Les modalités d’organisation de l’État et de ses services publics sont notamment portées au débat sur la scène nationale et internationale. Depuis plus de deux siècles, les premiers modèles d’administration publique21 se sont développés en Allemagne et en France, considérés comme des exemples car ils ont su faire face à différentes sources d’instabilités (Pollitt et al., 2007). Dès 1900, à l’échelle internationale, les administrations publiques se caractérisent par une gestion bureaucratique (Stoker, 2006 ; Pollitt et al., 2007). Si la bureaucratie (Weber, 2003b, 2013) contribue incontestablement à la création de richesses, dans les années 1930, de nombreuses critiques émergent au sein des organisations publiques (Merton, 1940 ; Selznick, 1949 ; Gouldner, 1954 ; Blau, 1955 ; Crozier, 1963 ; Downs, 1967 ; Crozier et Friedberg, 1977 ; Hibou, 2012 ; Getz et Carney, 2012 ; Graeber, 2018) et revendiquent d’humaniser les relations de travail (Plane, 2013). Au début des années 1980, en réaction aux crises financières, une vague de réformes est alors portée par les principes du nouveau management public (Pollitt et al., 2013), plus communément appelé New Public Management (NPM). Culture du résultat, réduction des coûts, orientation client sont mis à l’agenda dans les organisations publiques. Dès qu’une découverte scientifique est universellement reconnue, elle fournit, pour un temps donné, des problèmes types et des solutions à la communauté des chercheurs et des professionnels (Kuhn, 1983, p. 71). Cette définition du paradigme caractérise les changements perpétuels des cadres d’analyses et d’actions qui structurent les disciplines scientifiques. En management public, « la question de la modernisation du service public n’est pas nouvelle. Les usagers du service public ont clairement affirmé leurs attentes et souligné les inadaptations des services qui leurs sont offerts » (Fouchet, 1999, p. 37).

Nous présenterons d’abord les caractéristiques de la bureaucratie d’État wébérienne (1.1.1.), puis nous les détaillerons sous l’angle des recherches en sciences de gestion (1.1.2.), afin d’analyser les dysfonctionnements majeurs du phénomène de bureaucratisation (1.1.3.), et enfin d’interroger le nouveau management public comme réponse à ces dysfonctionnements (1.1.4.).

21Dans sa définition organique, l’administration publique se comprend comme l’ensemble des personnes morales (État, collectivités territoriales, etc.) et physiques (fonctionnaires, contractuels, etc.) qui accomplissent des activités dont le but est de répondre à l’intérêt général.

24 1.1.1. De la bureaucratie d’État wébérienne…

L’objectif n’est pas de questionner l’origine et les dimensions du concept22 de bureaucratie, qui reste imprécis (Lefort, 1971), et qui est apprécié différemment selon les disciplines (e.g. la sociologie politique, la philosophie du droit, l’histoire, le management). Pour exemple, Lefort (1971) explique que les travaux de Marx mobilisent la théorie marxiste pour proposer une analyse de la bureaucratie d’État, à l’aune de la classe sociale qui se charge de l’administration des affaires publiques.

L’objectif est de mettre en lumière les caractéristiques de cette forme d’organisation, qui a structuré, et structure encore le fonctionnement de nombreuses organisations publiques (Graeber, 2015 ; Péron, 2016 ; Van Ryzin et al., 2017 ; Baekgraard et al., 2018 ; Akram, 2018 ; Guul, 2018). La bureaucratie est abordée sous l’angle de la sociologie des organisations, et plus particulièrement des travaux de Weber (2003b, 2013) puis d’autres sociologues (Merton, 1940 ; Selznick, 1949 ; Gouldner, 1954 ; Blau, 1955 ; Touraine, 1960 ; Crozier, 1963 ; Downs, 1967 ; Lefort, 1971 ; Crozier et Friedberg, 1977 ; Lascoumes et Le Galès, 2005 ; Hibou, 2012 ; Getz et Carney, 2012 ; Guillemet et Jeannot, 2013 ; Graeber, 2018). En effet, Friedberg (1993, p. 2) défend « l’utilité d’une approche sociologique pour le management », en expliquant que la sociologie des organisations « analyse le fonctionnement d’une organisation comme le produit (ou l’effet émergent) de la rencontre et de l’interaction des stratégies ou logiques de comportements des différents acteurs dans l’organisation (…) Elle oblige donc à prendre du recul par rapport aux conceptions technicistes et/ou formelles pour s'interroger concrètement sur les logiques d’acteurs ». Dès lors, quelles sont les origines sociologiques de la bureaucratie ?

Selon Weber (2003b, p. 233) « la bureaucratie professe toujours comme critère absolu de valeur, d’une part, un rationalisme des plus sobres et, d’autre part, l’idéal d’un « ordre » discipliné et la sécurité ». De plus, la bureaucratie repose sur le principe qu’une administration est efficace dès qu’elle repose sur un système rationnel. Basée sur la notion d’« idéal-type23 », la bureaucratie est une forme d’organisation, dont le développement est dû au rôle majeur du

22 Selon les auteurs, la bureaucratie s’envisage comme un phénomène (Crozier 1963 ; Weber, 2003b), un concept (Lefort, 1971) ou une théorie (Plane, 2013).

23 Colliot-Thélène (2019) explique la notion d’idéal-type au sens wébérien comme le fait que ce ne soit ni un concept ni une théorie mais une interprétation des concepts. De plus, le terme idéal renvoie simplement au fait de s’entendre sur ce qui est désigné. L’idéal-type est donc une construction intellectuelle qui caractérise un phénomène spécifique, et qui n’a pas d’équivalent sur le terrain (Weber, 2013). Pour exemple, l’idéal-type rationnel-légal propre à la bureaucratie renvoie à la logique idéalement construite d’une forme d’organisation mais ne propose pas une forme d’organisation idéale.

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capitalisme (Weber, 2003b, 2013). En effet, ce système économique se caractérise par le calcul rationnel de l’optimisation des gains et tend à recourir à une administration de masse des biens et des personnes. En se basant sur les travaux de Weber, Plane (2013, p. 25) caractérise la bureaucratie à partir de huit principes : des agents personnellement libres soumis à une autorité dans le cadre de leurs fonctions (1), des agents organisés selon une hiérarchie d’emplois (2), chaque emploi circonscrit dans une sphère de compétences légales (3), chaque emploi occupé selon une libre relation contractuelle (4), des candidats sélectionnés en fonction de leurs qualifications (5), des rémunérations basées sur un salaire fixe et un droit à la retraite (6), des promotions en fonction de l’ancienneté et du jugement des supérieurs (7), des agents soumis à une discipline, un contrôle strict et systématique de leur travail (8).

Touraine (1960, p. 11) propose quant à lui de caractériser la bureaucratie wébérienne comme « un système d’organisation où les statuts et les rôles, les droits et les devoirs, les conditions d’accès à un poste, les contrôles et les sanctions sont définis d’une manière fixe, impersonnelle et où les différents emplois sont définis par leur situation dans une ligne hiérarchique et donc par une certaine délégation d’autorité. Ces deux caractéristiques en supposent une troisième : c’est que les décisions fondamentales ne sont pas prises à l’intérieur de l’organisation bureaucratique, qui n’est qu’un système de transmission et d’exécution ». Pour exemple, le système d’organisation des régions est encadré par la loi24 (i.e. définition fixe et impersonnelle). Ainsi, comme toutes les régions, la région Sud est dotée d’une administration qui exécute les décisions de l’assemblée délibérante appelé Conseil régional (i.e. ligne hiérarchique et décisions prises à l’extérieur de l’organisation). Le Président du Conseil régional délègue notamment la réalisation des Schémas Régionaux de Développement Économique d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII) à la direction de l’attractivité, du rayonnement international et de l’innovation (i.e. délégation d’autorité).

La bureaucratie wébérienne (2003b, 2013) se comprend à l’aune de ses fondements méthodologiques, propres à la sociologie compréhensive et rationaliste, et à la notion d’idéal type. « La construction d’une activité strictement rationnelle en finalité sert, dans ces cas, de « type » (…) afin de comprendre l’activité réelle, influencée par des irrationalités de toute sorte » (Weber, 2003a, p. 31). La construction de la bureaucratie sert donc à comprendre les systèmes d’organisation, influencés par des contingences internes (e.g. comportements des agents) et externes (e.g. restrictions budgétaires).

24 Article 34 de la Constitution française de 1958 : « La loi détermine les principes fondamentaux (…) de la libre

26 1.1.2. …à la bureaucratie organisationnelle

Si Weber est le père de la bureaucratie en sociologie, Mintzberg l’est en management. Mintzberg (1979, 2004) développe en effet une approche analytique des organisations fondée sur la caractérisation de configurations structurelles, c’est-à-dire des types d’organisation, tels que par exemple la bureaucratie mécaniste et la bureaucratie professionnelle. Ces configurations structurelles sont en management ce que l’idéal type de Weber (2013) est en sociologie et permettent donc de caractériser la bureaucratie dans un contexte organisationnel. En effet, Mintzberg (1979, 2004) propose cinq configurations organisationnelles25 qui dépendent de la combinaison des composantes fondamentales de l’organisation26, ses mécanismes de coordination27 et ses paramètres de conception28. Ces configurations sont dominées par l’une des composantes et l’un des mécanismes de coordination. L’objectif n’est pas de décrire des types d’organisations idéales mais de proposer des configurations types qui évoluent en fonction des contingences internes et externes à l’organisation (Mintzberg, 1979). Tout d’abord, la bureaucratie mécaniste se caractérise par : « des tâches opérationnelles routinières et très spécialisées ; une communication très formalisée à travers toute organisation ; des unités opérationnelles de grande taille, un groupement de tâches sur la base de fonctions, une centralisation relativement importante du processus de décision, une structure administrative élaborée par une distinction très nette entre la hiérarchie et le personnel » (Mintzberg, 2004, p. 241). Cette configuration structurelle se traduit dans la plupart des grandes entreprises industrielles, un système postal national, une prison voire une petite société de gardiennage. Dans son ouvrage intitulé « Structure et dynamique des organisations » (1998), Mintzberg appelait ce type d’organisation une « bureaucratie mécaniste » mais six années plus tard, il préfère les caractériser comme des « organisations mécaniques » car « pour la plupart d’entre nous, bureaucratie est un terme péjoratif » (Mintzberg, 2004, p. 237). Ensuite, une structure peut prendre la forme d’une bureaucratie professionnelle « quand son travail est complexe, nécessitant une réalisation et un contrôle effectués par des professionnels, tout en restant dans le même temps relativement stable, de sorte que les qualifications de ces

25 Les cinq configurations organisationnelles sont : la structure simple, la bureaucratie mécaniste, la bureaucratie professionnelle, la structure divisionnelle, l’adhocratie (Mintzberg, 1979, 2004).

26 Les cinq composantes principales sont : le centre opérationnel, le somment stratégique, les cadres intermédiaires, la technostructure, les services de support logistique (Mintzberg, 1979, 2004).

27 Les cinq mécanismes de coordination sont : la supervision directe, la standardisation des processus de travail, la standardisation des résultats, la standardisation des qualifications, l’ajustement mutuel (Mintzberg, 1979, 2004).

28 Les six paramètres de conception sont : l’ajustement mutuel, la supervision directe, la standardisation des procédés, la standardisation des résultats, la standardisation des qualifications, la standardisation des normes (Mintzberg, 1979, 2004).

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professionnels puissent être perfectionnés à travers des programmes de standardisation opérationnelle » (Mintzberg, 2004, p. 310). Cette configuration se retrouve particulièrement dans les milieux professionnels tels que les cabinets de comptables, d’avocats, ou encore d’ingénieurs, les universités, et les hôpitaux.

Plus largement, les chercheurs en sciences de gestion étudient aussi le phénomène bureaucratique à travers la notion de « bureaucratie représentative » (Rosenbloom et Dolan, 2006 ; Van Ryzin et al., 2017 ; Akram, 2018 ; Guul, 2018). Cette notion peut être envisagée sous deux aspects : l’attention portée sur les agents des structures gouvernementales (1), et les mécanismes institutionnels associant les citoyens ou les groupes de citoyens aux prises de décision publique (2) (Rosenbloom et Dolan, 2006).

La bureaucratie, qu’elle soit mécaniste, professionnelle ou représentative, permet de comprendre l’adaptation des tendances institutionnelles - mises notamment en perspective à travers l’analyse de la bureaucratie d’État en sociologie - à l’échelle organisationnelle voire individuelle.

28 1.1.3. Les dysfonctionnements de la bureaucratisation

« Le terme même de bureaucratie n’a jamais su s’abstraire de l’imaginaire collectif et de l’affect qui en fait une notion négativement connotée » (Péron, 2016, p. 119. À la différence de la bureaucratie qui caractérise une forme d’organisation, la bureaucratisation renvoie à un processus de transformation d’une organisation selon les principes de la bureaucratie. Si la gestion bureaucratique des administrations publiques au sens wébérien s’instaure au début des années 1900, dès 1930 apparaissent les premières critiques, qui sont synthétisées dans le Tableau 2 ci-après. Les critiques s’intensifient au XXIème siècle autour du phénomène de « Bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale », comme le titre l’ouvrage d’Hibou (2012). Ce phénomène, lié à l’essor des calculs d’optimisation et au besoin de spécialisation, a désormais une emprise sur l’intégralité de la vie sociale des citoyens et des travailleurs. Depuis plusieurs années déjà, comme l’illustre l’Encadré 3, la bureaucratisation souffre d’une perception négative dans l’imaginaire collectif.

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Encadré 3 : La perception négative de la bureaucratisation dans l’imaginaire collectif

Comme le montre l’Image 2, l’illustration négative de l’ensemble des critiques de la bureaucratisation trouve un écho dans « Les Douze Travaux d’Astérix » en 1976, lorsque qu’Astérix et Obélix ont pour mission de récupérer le laisser-passer A-38 dans la maison qui rend fou. Les deux héros du petit village de la Gaule font alors face à des informations contradictoires dues aux appellations des formulaires administratifs. S’ajoutent un « labyrinthe » pour accéder aux différents guichets et une répartition hiérarchique des tâches entre les fonctionnaires, qui entravent l’obtention du formulaire. Cette caricature accentue certes les dérives de l’administration bureaucratique, mais elle a le mérite d’être une scène d’humour culte pour de nombreuses générations depuis 40 ans, instillant une perception négative de la bureaucratisation dans l’imaginaire collectif.

Image 2 : Les douze travaux d’Astérix - À la recherche du laisser-passer A-38

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Le Tableau 2 ci-dessous synthétise les dysfonctionnements majeurs de la bureaucratisation, issus des travaux critiques des sociologues français et américains.

Tableau 2 : Synthèse des dysfonctionnements majeurs de la bureaucratisation

Source : Auteur Auteurs Dysfonctionnements de la bureaucratisation Exemples

Merton, 1940 Absence de distinction entre les fins et les moyens du fait de règles devenues absolues perdant alors leur efficacité

Décision du ministère du travail de ne pas attribuer la citoyenneté américaine à un pionnier de l’exploration polaire et de l’aviation (i.e. Bernt Balchen d’origine norvégienne) du fait d’une expédition en antarctique sur un navire du pavillon américain : condition de résidence continue de cinq ans aux États-Unis, pour obtenir la citoyenneté américaine, non remplie

Selznick, 1949

Détournement des buts de l’organisation au profit de règles de fonctionnement propres à des sous-groupes

Projet agricole entre une agence publique (i.e. Tennessee

Valley Authority), les agriculteurs et les organismes

agricoles pour encourager l’utilisation des engrais : collaboration avec les États de la région et leurs établissements d’enseignement agricole conduisant à céder l’octroi de terres aux collaborateurs, et ce au détriment des agriculteurs

Gouldner, 1954

Bureaucratie artificielle : règles fixées par une autorité et non respectées

Bureaucratie punitive : imposition de règles et de leur respect sous peine de sanction

Bureaucratie artificielle : défense de fumer non respectée Bureaucratie punitive : règlement codifiant les absences et les retards entrainant des sanctions disproportionnées et conduisant alors à des absences massives

Blau, 1955 Capacités d’apprentissage des agents pour

contourner les procédures de travail

Mise en place de projets de coopération entre les fonctionnaires pour soulager leur anxiété d’avoir à travailler avec des réglementations en constante évolution

Crozier, 1963

Stricte obéissance aux normes entrainant des relations rigides entre fonctionnaires et citoyens ainsi que des attitudes ritualistes : isolement du fonctionnaire et non-communication entre les différentes couches hiérarchiques

À l’Agence comptable parisienne, à la question « Que

pensez-vous des chef de division ? » 44% des interviewés

déclarent ne pas pouvoir se prononcer n’ayant eu aucun contact avec leur supérieur : les commentaires favorables (i.e. 20%) s’expliquant par le fait que ces employés ont été personnellement reçu

Downs, 1967 Détournement des buts de l’organisation du fait d’incitations financières

Exagération des besoins financiers par le manager du service communication, entrainant une baisse de financements pour le service production

Crozier et Friedberg, 1977

Cercle vicieux de la bureaucratie souhaitant garantir la régularité des comportements : modèle statique faisant fi de l’imprévisibilité des actions individuelles, collectives et de la contingence des situations organisationnelles

Au ministère de l’Industrie, des directions horizontales administratives sont chargées d’unifier les initiatives sectorielles des directions verticales (i.e. experts du corps de Mines) : services administratifs divisés par produit/technique de fabrication conduisant à un fonctionnement en vase clos et ne permettant aucun impact réel sur le fonctionnement quotidien des services d’expertise

Hibou, 2012

Bureaucratisation du travail variable en fonction du degré de rationalisation et du degré de développement du capitalisme

À l’université, inflation des procédures d’évaluation (e.g. articles, projets de financement, activités en lien avec le laboratoire de recherche) issues de l’entreprise (e.g. suivi de procédures, indicateurs quantitatifs)

Getz, 2012

Bureaucratie hiérarchique : inflation des contrôles et des procédures à tous les niveaux de l’organisation

Le manager devant expliquer à tous ses subordonnées comment poser leurs congés : formalisation d’une

procédure diminuant le temps de travail pour

l’organisation

Graber, 2018 Création d’emplois inutiles voire nuisibles

Essor des nouveaux emplois liés aux fonctions support d’une organisation (e.g. soutien administratif, technique ou de sécurité) ne créant pas de valeur économique : emplois mieux rémunérés que les fonctions de production

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1.1.4. Le nouveau management public comme réponse aux dysfonctionnements de la bureaucratie ?

Au début des années 1980, en réaction aux crises financières29, à la rigidité des procédures administratives, et au besoin d’humanisation des relations de travail, les principes du management, notamment vantés par l’ouvrage d’Osborne et Gaebler (1992), trouvent un écho favorable pour moderniser les organisations publiques (Pollitt, 2000 ; Pollitt et Bouckaert, 2004 ; Pollitt et al., 2007). Le nouveau management public, plus connu sous le terme de New Public Management (NPM), apparaît alors comme une solution. Dès lors, quelles sont les caractéristiques du NPM ? Et, le NPM s’inscrit-il en rupture avec les principes de la bureaucratie wéberienne ?

Face à la rigidité des organisations bureaucratiques centralisées, fondées sur un pouvoir descendant et considérant les citoyens comme des « administrés », le NPM revendique une approche décentralisée et autonome du secteur public (Pollitt et al., 2007). De plus, la logique des « 3e », c’est-à-dire « économie, efficacité, efficience » (Urio, 1998, cité par Amar et Berthier, 2007) guide les principes du NPM. La finalité est donc de promouvoir des prestations de services publics à moindre coût, visant à satisfaire les attentes des citoyens désormais perçus comme des « clients » (Amar et Berthier, 2007). Le NPM renvoie à l’introduction de principes marchands dans les administrations publiques et donc à une forme de privatisation et de marchandisation de l’action publique (Bezès et Mucelin, 2015). D’ailleurs, pour Morgana (2012, p. 5), Fayol est le précurseur du NPM car sa démarche vise à « moderniser les administrations publiques, en s’inspirant des pratiques de gestion du privée pour améliorer la performance ». L’une des conséquences est notamment la présence de frontières de plus en plus poreuses entre la sphère publique et la sphère privée (Bartoli et Chomienne, 2011). Cette porosité des idées est induite par le fait qu’avant les années 1980, aucun outil de gestion n’était présent dans la sphère publique. En effet, la règle de droit était le seul et unique cadre qui régissait le fonctionnement des organisations publiques ; la finance publique étant encore l’apanage des juristes. La porosité des frontières entre sphère publique et privée s’est donc d’abord jouée autour des idées puis des outils de gestion. La Figure 10 ci-après synthétise les cinq caractéristiques principales du NPM.

29 Une vague successive de crises financières commence dès 1971 (i.e. inconvertibilité du dollar US), amplifiée à la suite de deux chocs pétroliers (i.e. 1973 et 1979), se traduisant par une déréglementation des principes bancaires (i.e. abolition du contrôle des changes), et ce sous l’impulsion de dirigeants libéraux tels que le Président des États-Unis Reagan et le Premier ministre du Royaume-Uni Thatcher (tous deux élus en 1979).

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Figure 10 : Les principes du nouveau management public

Source : Figure adaptée de Pollitt, Van Thiel et Homburg (2007) ; Morgana (2012) ; Bezès et Mucelin (2015)

Ces cinq principes majeurs se concrétisent à travers la mise en place de réformes (Hood, 1991 ; Bouckaert, 2003 ; Pollitt et Bouckaert, 2003, 2011 ; Pollitt et al., 2007 ; Pollitt, 2015 ; Ringeling, 2015) et d’outils (Pupion et Chapoz, 2015) cherchant à transformer les relations entre les entités administratives et les citoyens. Le NPM est empreint d’une logique économique à travers l’instauration d’un « référentiel de marché » (Muller, 2011) et donc de mécanismes de type marché30 (Lacasse, 2013). Toutefois, « le NPM représente aussi une entreprise de rationalisation qui prend la forme d’une intensification de la spécialisation des tâches et des fonctions » (Bezès et Mucelin, 2015, p. 129). En effet, selon Pollitt et al. (2007, p. 21), le NPM ne s’inscrit pas en rupture avec les principes de la bureaucratie : « l’histoire a été celle d’une modernisation de la tradition wébérienne, et non son rejet catégorique en faveur du marché modèle. Il s’agit d’un processus d’addition, et non de démolition31 ». Dès lors, comment se traduisent ces principes du NPM dans les organisations publiques françaises et internationales ?

Le NPM a favorisé d’une part une réduction du poids de l’État au profit des autorités de régulation (e.g. via l’essor des agences) chargées du bon fonctionnement des marchés, et d’autre part, à travers la délégation des fonctions administratives à des organismes privés ou