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1-1/ Rôles respectifs des GEFs en complexe avec Bcr-Abl dans l’activation des petites protéines G de la famille Rho :

L’un des premiers objectifs de mon travail a été de déterminer les spécificités d’activité des domaines DH/PH de p210bcr-abl etde Vav. Nous avons réalisé des mutants de ces domaines GEF, mutants négatifs pour l’activité GEF nommés VavT205A et p210bcr-ablS509A, mutant positif pour l’activité GEF nommé VavL. Les pull-down réalisés avec le domaine CD de PAK ont permis de montrer une augmentation de l’état d’activation de Rac1 dans les lignées exprimant VavL et une diminution majeure de l’activation de Rac1 dans les lignées exprimant VavT205A (Figure R 9). La mesure de l’activité GEF in vitro des protéines Vav recombinantes démontre la spécificité de Vav pour Rac1. De plus, les pull-down réalisés avec le domaine C21 de la Rhotékine montrent que RhoA n’est pas activé dans les cellules Ba/F3p210S509A (Figure R 10). D’autre part, la mesure d’activité d’échange de nucléotide effectuée sur p210bcr-abl recombinant produit en bactéries montre que l’activité GEF de la chimère est strictement spécifique de RhoA (Figure R 19).

L’utilisation de ces mutants, exprimés dans les cellules Ba/F3, a donc permis de démontrer que le GEF de p210bcr-abl est l’unique vecteur de l’activation de RhoA et le GEF de Vav est le principal activateur de Rac1 dans notre modèle.

Très récemment, au cours d’un exposé oral, Giorgio Scita (Milan) a présenté des résultats très surprenants. Il montre que dans les cellules K562, la déplétion de SoS1 induit une forte inhibition de l’activation de Rac1. Bien que le rôle de Vav dans ces cellules n’ait pas été étudié, cette observation doit être commentée ici. On sait que les cellules K562

129 possèdent la forme dominante positive de Vav, VavL, et donc il devrait être très difficile d’éteindre l’activation de Rac1 dans ces cellules. Il faut donc envisager un modèle de coopération entre protéines à domaines GEF, dans lequel l’inactivation d’un GEF entrainerait l’inactivation de son partenaire. Ce point sera discuté plus bas. Il est intéressant de noter que l’inactivation de Rac1 par délétion de SoS1 entraîne la différenciation des cellules K562 en érythrocytes. Ce phénomène vient corroborer notre modèle de leucémogenèse (Figure I 32) dans lequel Rac1 joue un rôle majeur dans la transformation induite par Bcr-Abl. En poussant le raisonnement plus loin, il serait possible d’envisager que l’activation de Rac1 soit un frein à la différenciation hématopoïétique, alors que l’activation de RhoA semble plutôt favoriser cette différenciation.

Une étude récente a confirmé dans des cellules COS-7 que le domaine RhoGEF de p210bcr-abl peut aussi activer spécifiquement RhoA (Sahay et al., 2008). Cependant, en contradiction avec notre modèle, ces auteurs ont conclu au caractère indispensable de ce domaine pour la transformation de ces cellules. Ces résultats nous paraissent très discutables dans la mesure où le type cellulaire utilisé pour cette démonstration n’est pas hématopoïétique (il s’agit de fibroblastes Rat1 transformés par Myc) et que l’on connaît le caractère exclusivement hématopoïétique de la transformation par Bcr-Abl (Tao et al., 2008).

Cdc42 est visiblement activé par un autre GEF que Vav, les résultats obtenus n’ayant pas permis de résoudre la question. L’identification du GEF de Cdc42 est actuellement réalisée au laboratoire. Ces travaux permettent d’apporter des précisions quant à l’activation de Rac1. Les premiers résultats montrent que cette activation peut être réalisée via la protéine RhoG, suite à l’activation du complexe Elmo/DOCK2 (Tristan Rochelle, en cours).

1-2/ Mise en évidence d’une coopération entre les différentes activités GEF du complexe formé autour de Bcr-Abl :

L’étude des mutants des domaines GEFs de p210bcr-abl et de Vav1 a permis de mettre en lumière un phénomène de coopération entre ces domaines. La détermination précise de l’attribution des activités GEFs respectives de Vav et p210bcr-abl implique en effet de discuter un certain nombre de résultats discordants.

130 Tout d’abord, dans les cellules exprimant VavL, on constate de manière logique une hyperactivation de Rac1. Cependant, on constate en parallèle dans les cellules Ba/F3p210VavL une hyperactivation concomitante de RhoA (Figure R 17). De plus, dans les cellules Ba/F3p190VavL, RhoA est étonnamment sous forme activée. A l’inverse, la mutation T205A du domaine GEF de Vav entraîne, en parallèle d’une disparition de l’activation de Rac1, la diminution de la forme activée de RhoA dans les cellules Ba/F3p210VavT205A (Figure R 17). Enfin, la mesure de l’état d’activation de Rac1 dans les cellules Ba/F3p210S509A montre que la forme activée de Rac1 est diminuée dans ce type cellulaire par rapport aux cellules Ba/F3p190 et Ba/F3p210. Il semble donc important de dégager la notion a minima d’un phénomène de coopération entre GEFs en complexe. En effet, dans les cellules Ba/F3VavL, on constate bien la présence de Rac1 sous forme activée, mais pas de RhoA.

Quelques données dans la littérature permettent d’envisager l’existence de coopération de domaines GEF entre eux ou de GEFs et de leurs effecteurs dans l’activation de GTPase. Une oligomérisation des domaines DH via le domaine CR2 de l’oncogène Dbl permettait le recrutement de plusieurs GTPases pour un même complexe, augmentant ainsi l’activation de ces dernières (Zhu et al., 2000a). Il a également été montré que l’activation de Rac1 a lieu seulement dans le cas d’une dimérisation des protéines Cool-2, induisant un rapprochement des domaines DH (Feng et al., 2004). Dans le cas de Bcr-Abl, il a été montré que le phénomène d’oligomérisation joue un rôle important dans l’activité de cette protéine. Le domaine d’oligomérisation N-terminal de Bcr est indispensable à la transformation des cellules par Bcr-Abl (McWhirter et al., 1993a). Bien que l’activité GEF de p160bcr n’ait jamais été clairement caractérisée, on est en droit de penser que l’oligomérisation de la protéine joue un rôle dans cette activité.

Nous ne pouvons pas actuellement définir le type de coopération entre les domaines GEF de Vav1 et p210bcr-abl. La mutation ponctuelle T205A que nous avons réalisée dans la protéine Vav se situe dans la première hélice α du domaine DH, dans le domaine CR1 (Figure I 9). Cette mutation empêche la liaison de la GTPase au domaine GEF et donc l’échange du GDP contre du GTP, mais n’affecte pas a priori la structure du domaine CR2 (Zheng et al., 1997). Les domaines GEF devraient alors pouvoir s’oligomériser entre eux. Nous pouvons supposer que le changement de conformation dû à cette mutation peut donc, par oligomérisation avec d’autres domaines DH, perturber les liaisons GTPase/domaine DH

131 des autres protéines GEF du complexe. Cependant, il a été montré que l’oligomérisation des domaines DH n’était possible qu’avec des domaines DH très homologues (Zhu et al., 2001). Nous avons dans ce sens contacté le Dr Isabelle Callebaut de l’Institut de Minéralogie et de Physique des Milieux Condensés (CNRS UMR 7590) pour effectuer l’analyse d’un assemblage possible entre les domaines GEFs de p210bcr-abl et de Vav1. La première possibilité est d'étudier les contacts DH observés dans les unités asymétriques des différents cristaux connus de ces protéines et de voir si un consensus se dégage de cette analyse. Il semble qu'il y ait des structures intéressantes à étudier de ce point de vue. Il pourrait alors être envisageable de créer un modèle de ces protéines d'intérêt à partir des structures. La méthode HCA (Hydrophobic Cluster Analysis) peut s'avérer précieuse pour affiner les alignements en vue d'une modélisation. Une autre voie pour prédire des zones d'interactions est celle des méthodes de type "Trace Evolutive" (par le logiciel ConSurf par exemple) qui reportent sur la surface des structures considérées les conservations d'acides aminés observées au sein de la famille étudiée. Des zones bien conservées peuvent indiquer des sites préférentiels d'interaction protéine-protéine.

Une autre hypothèse permettant d’expliquer l’effet coopératif ou synergique repose sur l’existence d’une augmentation de l’activité GEF par l’intermédiaire d’un complexe GEF/GTPase/effecteur. Ce phénomène n’est envisagé dans la littérature que dans le cas d’un effecteur commun aux GTPases considérées. Par exemple, l’activation des GTPases par le GEF est plus efficace lorsqu’un effecteur de Rab5, la Rabaptine5, est présent au sein du complexe (Lippe et al., 2001). De même, la protéine ARF a une affinité augmentée pour le GTP en présence de ses effecteurs (Zhu et al., 2000b). Cependant, dans notre modèle, la coopération se fait entre le domaine GEF de Bcr-Abl et le domaine GEF de Vav1. Nous avons montré la présence en complexe avec les différentes formes de Bcr-Abl d’effecteurs tels que ROCK1 ou PAK1. Ces effecteurs ne sont pas communs à RhoA et Rac1, mais on ne peut exclure la présence d’un tel effecteur dans le complexe Bcr-Abl.

Enfin, il a été récemment décrit une boucle de régulation de RhoGDI dépendante des effecteurs, en particulier pour Rac1 et PAK (DerMardirossian et al., 2004). En effet, PAK est capable de phosphoryler RhoGDI, libérant ainsi Rac1 et le rendant disponible pour un échange GDP/GTP. Vu la présence de PAK en complexe avec Bcr-Abl, ce mécanisme pourrait être évoqué.

132 Ces mécanismes de coopération des activités des domaines GEF mènent à une vision beaucoup plus dynamique et intégrée des petites protéines G de la famille Rho, où ces protéines oscilleraient entre ces deux états très rapidement grâce à cette coopération et la présence des effecteurs dans le même complexe. Cette dynamique implique que nous recherchions dans l’avenir la présence de GAPs présentes également en complexe, capables d’accélérer le cycle GDP/GTP. Dans ce cadre, p190rhoGAP, substrat de Bcr-Abl, pourrait être un bon candidat (Hernandez et al., 2004).

1-3/ Rôle de l’activité GEF de Vav dans la transformation induite par Bcr-Abl:

Les mesures de prolifération effectuées sur les lignées exprimant les mutants de Vav ont montré que les lignées exprimant le mutant VavL prolifèrent deux fois plus rapidement par rapport à celles exprimant Vav endogène (Figures R 20 et R 21). En revanche, l’expression du mutant VavT205A n’affecte pas la vitesse de prolifération. On peut donc conclure que l’activité GEF de Vav n’est pas essentielle à la prolifération des cellules exprimant Bcr-Abl. Dans le cadre de la leucémogénèse induite par Bcr-Abl, la fonction la plus étudiée de Vav est son activité facteur d’échange. Il a été suggéré que sa fonction GEF pouvait être essentielle à l’activité transformante de Bcr-Abl (Bassermann et al., 2002; Skorski et al., 1998a). Or, d’autres domaines de Vav semblent impliqués dans ces phénomènes. En particulier, la structure en doigt de zinc, en C-terminal du domaine PH, bien que jouant un rôle dans l’interaction de la GTPase avec le tandem DH/PH, est impliquée dans une fonction encore à identifier mais essentielle au pouvoir transformant de Vav (Zugaza et al., 2002).

Diverses études ont montré la nécessité de l’activité GEF de Vav dans le pouvoir transformant. Ces travaux sont basés sur l’utilisation d’un mutant négatif pour l’activité GEF de Vav, constitué uniquement des domaines SH3 et SH2 terminaux, ce qui représente dans le cas d’une protéine multidomaine comme Vav un biais certain (Bassermann et al., 2002). De plus, ces mêmes auteurs utilisent un modèle fibroblastique qui n’est vraiment pas adapté à l’étude de Bcr-Abl. En effet, il a été montré que ces cellules ne sont que très peu transformées par la chimère (Tao et al., 2008).

Notre hypothèse est donc que si Vav participe à l’activité transformante de Bcr-Abl, c’est une fonction de Vav différente de l’activité GEF qui joue le rôle principal dans ce

133 mécanisme par l’intermédiaire d’une voie de signalisation qui reste encore à identifier. Cette fonction pourrait être portée par le domaine en doigt de zinc situé en C-terminal du tandem DH/PH.