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Dans la décision06-D-04 bis, le Conseil a rappelé que le caractère interruptif des actes de la procédure doit s’apprécier au regard des règles procédurales nationales et non communautaires, conformément au principe d’autonomie procédurale selon lequel les autorités nationales de concurrence doivent respecter les règles procédurales de droit interne, y compris lorsqu’elles ont à appliquer le droit communautaire3.

Il appartient par conséquent au Conseil d’apprécier si les actes de procédure qui lui sont soumis constituent des actes tendant à la recherche, à la consta- tation ou à la sanction des pratiques, au regard de l’article L. 462-7 du Code de commerce, dans le respect de la jurisprudence de la Cour de cassation et de la cour d’appel de Paris.

L’auteur des actes interruptifs

Les auteurs des actes interrompant la prescription ne sont pas précisés dans l’article L. 462-7 du Code de commerce. Il ressort de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris que des actes émanant d’autres organes que les rap- porteurs ou les enquêteurs peuvent interrompre la prescription d’une procé- dure devant le Conseil : il en est notamment ainsi de la décision sur le secret des affaires prise par le président du Conseil (cour d’appel de Paris, 13 décembre 2001, Gamm Vert) ou de la demande de l’avis du Conseil supé- rieur de l’audiovisuel (cour d’appel de Paris, 15 novembre 2005, TPS Canal Plus), ou encore des observations écrites du ministre de l’Économie en réponse au rapport du rapporteur (cour d’appel de Paris, 14 janvier 2003, pont de Normandie ; en ce sens, voir aussi décision 05-D-69). Ont par consé- quent valablement interrompu la prescription, bien qu’elles n’émanent pas des enquêteurs ou du rapporteur, la délibération de la commission perma- nente du Conseil demandant, en application de l’article 463-5 du Code du commerce, communication de pièces du dossier pénal au juge d’instruction et notamment « des procès-verbaux et rapports d’enquête ayant un lien

direct avec les faits dont le Conseil [était] saisi » ainsi que la lettre de relance

de la présidente du Conseil(06-D-07 bis).

Dans la décision06-D-08, le Conseil a précisé que la circonstance que la

demande de renseignements effectuée par télécopie par le rapporteur n’ait pas comporté la signature de son auteur était sans influence sur son effet

Analyse

de

la

jurisprudence

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3. Ce principe a été énoncé par la Cour de cassation, dans un arrêt Pharmalab du 14 décembre

2004 : « Les autorités nationales, statuant sur l’application du droit communautaire, appliquent les

règles de droit interne. [...] ; qu’en droit interne, le Conseil de la concurrence, qu’il soit saisi d’une violation du droit communautaire ou du droit interne, dispose de pouvoirs identiques pour ordon- ner une mesure conservatoire ; qu’en conséquence, ces dispositions procédurales de droit interne ne peuvent être ni écartées ni interprétées à la lumière de la jurisprudence communautaire. »

interruptif de prescription. Il résulte, en effet, de l’arrêt du 28 janvier 2003 de la Cour de cassation (Domoservices maintenance) que, sauf pour les cas par- ticuliers où un texte impose cette formalité, l’absence de signature ne rend pas irréguliers les actes d’instruction auxquels donne lieu la procédure devant le Conseil de la concurrence, dès lors qu’il n’existe aucune ambiguïté sur leur auteur et sur la qualité à agir de celui-ci (en ce sens, voir aussi déci- sion 04-D-01, points 21 et 22). En l’occurrence, la demande de renseigne- ments envoyée par le rapporteur par télécopie comportait clairement, en page de garde à en-tête du Conseil de la concurrence, ses nom et qualité et y était jointe une copie de la décision du rapporteur général le désignant pour rapporter l’affaire.

Les actes accomplis dans le cadre d’une procédure pénale

La décision06-D-07 bisa été l’occasion pour le Conseil de réaffirmer le carac- tère interruptif de prescription, pour la procédure de concurrence, d’actes accomplis dans le cadre d’une procédure pénale suivie concurremment (cf. aussi décision 05-D-69). Il a ainsi écarté les critiques des parties qui faisaient valoir, d’une part, que reconnaître l’impact d’une procédure pénale sur le droit de la concurrence irait à l’encontre du principe selon lequel le criminel ne tient pas l’administratif en l’état et, d’autre part, que le caractère interruptif d’un réquisitoire introductif ne serait, en tout état de cause, opposable qu’aux personnes parties à l’instruction pénale.

Le Conseil a rappelé que les juridictions pénales sont compétentes en matière de pratiques anticoncurrentielles, sur le fondement de l’article

L. 420-6 du Code de commerce4, pour sanctionner les personnes physiques

qui ont pris une part personnelle et déterminante dans la commission de pra- tiques anticoncurrentielles. Il existe donc un lien étroit, institué par le législa- teur lui-même, entre les faits à la source du délit pénal de l’article L. 420-6 et les infractions au droit de la concurrence réprimées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce. Compte tenu de ce lien, les actes afférents à l’instruction pénale, en ce qu’ils portent sur des faits dont la matérialité a une incidence directe sur la constitution des infractions de concurrence des arti- cles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, tendent à la recherche, à la constatation ou à la sanction des pratiques anticoncurrentielles. Le caractère interruptif d’actes relatifs à l’action pénale dans d’autres actions a déjà été admis par la Cour de cassation. La Chambre criminelle a en effet jugé le 30 mai 1994 que « les liens étroits de connexité entre, in rem, les faits à la

source des délits de droit commun et les infractions à la législation des con- tributions indirectes [...] permettent à l’action fiscale, malgré son indépen- dance, de bénéficier des actes interruptifs de la prescription à l’action publique, en matière économique, notamment les actes d’information et de poursuite jusqu’au jugement rendu sur l’action publique ». Les actes d’ins-

truction tendant à établir la matérialité du délit de l’article L. 420-6 interrom-

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4. « Est puni d’un emprisonnement de quatre ans et d’une amende de 75 000 euros le fait, pour

toute personne physique, de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2 [...]. »

pent donc la prescription de l’action devant le Conseil au sens de l’article L. 462-7 du Code de commerce.

Cette position ne conduit pas à reconnaître que le criminel tiendrait l’admi- nistratif en l’état, ce qui signifierait que le Conseil ne pourrait pas statuer sur les pratiques anticoncurrentielles avant que les faits objet de la procédure pénale n’aient été jugés par le juge pénal, ce que le Conseil a toujours écarté, les deux procédures étant distinctes. Il s’agit seulement de faire application de l’article L. 462-7 du Code de commerce, qui définit spécialement les actes interruptifs de prescription en fonction de leur objet ou de leur finalité (actes tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits dont le Conseil est saisi), sans préciser quels en sont les auteurs (en ce sens, voir décision 05-D-69).

En l’espèce, le Conseil a considéré que la première pièce du dossier pénal – soit le soit-transmis adressé par le procureur de la République de Paris à la préfecture de police (Direction de la police judiciaire) prescrivant l’audition du plaignant et faisant référence à des courriers envoyés par l’épouse de ce dernier au doyen des juges d’instruction et au vice-président du Conseil d’État « [...] pour signaler que la société Bouygues utilise depuis 85 un logi-

ciel pour l’entente des prix sur les marchés publics d’État » – constituait un

acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des pratiques d’ententes dénoncées. Ce soit-transmis contenait des instructions adressées par le procureur de la République à la police judiciaire pour enquêter sur les faits révélés. Cet acte, qui avait interrompu la prescription de l’action publique, avait également interrompu la prescription de l’action devant le

Conseil portant sur les mêmes faits5. Les actes subséquents de l’enquête, à

savoir l’audition du plaignant faisant état d’ententes de prix et d’offres de couverture, le réquisitoire introductif d’ouverture d’information judiciaire sur des « pratiques anticoncurrentielles », le procès-verbal d’audition du plai- gnant, le procès-verbal de transport sur les lieux du juge d’instruction et la commission rogatoire délivrée par ce dernier et exécutée par la DGCCRF, constituaient, chacun, des actes ayant interrompu la prescription, puisqu’ils tendaient à la recherche, la constatation ou la sanction des pratiques d’enten- tes dénoncées.

Dans la même décision, le Conseil a considéré que n’avait pas d’incidence sur la procédure suivie devant le Conseil, la prescription de l’action publique affectant la procédure pénale dont étaient issues des pièces communiquées au Conseil et qui avaient servi à fonder les griefs : « La prescription constatée

au pénal est sans effet sur la procédure devant le Conseil, qui est distincte de la procédure pénale » (en revanche, si l’annulation de procès-verbaux de

mise sous scellés, dans le cadre de la procédure pénale, n’a pas eu d’inci- dence sur la procédure suivie devant le Conseil, c’est parce que les pièces annulées n’avaient pas été utilisées pour fonder les griefs).

Analyse

de

la

jurisprudence

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5. Voir décision 92-D-37 dans laquelle le Conseil a déjà admis qu’ont interrompu la prescription

des faits des actes antérieurs à sa saisine, comme la lettre adressée à une partie par le chef de ser- vice de la DGCCRF marquant le point de départ de l’enquête administrative ou la lettre adressée par le chef du service régional de la concurrence à son supérieur hiérarchique, qui avait déclenché une enquête administrative.

Actes ayant également valablement interrompu la prescription

– le dépôt du rapport d’enquête administrative (en ce sens, voir les décisions

02-D-60, 03-D-18, 03-D-37, 03-D-65)(06-D-04 bis);

– les demandes de renseignements relatifs à la situation juridique et finan- cière des entreprises impliquées dans la procédure (en ce sens, voir aussi cour d’appel de Paris, 15 juin 1999, SOLATRAG et Cour de cassation, 20 novembre 2001, Bec Frères) et les demandes de chiffres d’affaires (cel- les-ci visant à l’obtention de données nécessaires pour déterminer les éventuelles sanctions pécuniaires à venir)(06-D-04 bis);

– le soit-transmis du procureur de la République aux services de police pres- crivant l’audition du plaignant et faisant référence à des courriers envoyés par ce dernier à différentes autorités pour dénoncer les faits, ainsi que les actes subséquents de l’enquête pénale (audition du plaignant faisant état de pratiques anticoncurrentielles, réquisitoire introductif d’ouverture d’information judiciaire sur des « pratiques anticoncurrentielles », pro- cès-verbal d’audition du plaignant, procès-verbal de transport sur les lieux du juge d’instruction et commission rogatoire délivrée par ce dernier et

exécutée par la DGCCRF)(06-D-07 bis);

– l’autosaisine du Conseil de la concurrence (en ce sens, voir décision 90-D- 08, confirmée par la cour d’appel de Paris, 20 septembre 1990) ; en raison de la saisine in rem du Conseil, cette autosaisine, portant sur la situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatée à l’occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Île-de-France, a interrompu la prescription à l’égard de tous les marchés particuliers figurant parmi les marchés de travaux publics retenus dans cette région

(06-D-07 bis);

– la délibération de la commission permanente du Conseil demandant, en application de l’article 463-5 du Code du commerce, communication de pièces du dossier pénal au juge d’instruction et notamment « des procès-

verbaux et rapports d’enquête ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil [était] saisi », ainsi que la lettre de relance de la présidente du

Conseil(06-D-07 bis);

– le procès-verbal de communication de documents dressé par le rappor- teur, attestant la remise par le juge d’instruction des pièces du dossier pénal ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil était saisi (ce pro- cès-verbal fait foi jusqu’à preuve contraire de l’appropriation, par le rap- porteur, de ces pièces transmises par le juge d’instruction ainsi que de leur

contenu)(06-D-07 bis);

– le procès-verbal de communication de documents dressé par le rappor- teur, qui atteste la présentation de l’original d’un scellé au directeur juri- dique d’une société et recueille les déclarations de celui-ci(06-D-07 bis); – la notification de griefs(06-D-07 bis);

– la saisine du Conseil(06-D-07 bis);

– la demande de renseignements effectuée par le rapporteur par télécopie, même si cette demande n’est pas revêtue de la signature du rapporteur dès lors qu’il n’y a aucune ambiguïté sur l’identité de son auteur et la qua- lité de celui-ci (cf. supra « L’auteur des actes interruptifs »)(06-D-08); – la demande de renseignements du rapporteur visant à faire préciser l’iden-

tité des sociétés en cause et la modification de leur structure : la bonne

identification des sociétés mises en cause est un préalable indispensable à l’instruction d’un dossier (la demande était particulièrement justifiée, en l’espèce, en raison des importantes modifications ayant affecté le secteur

du BTP)(06-D-33);

– la demande d’une société auprès de la DGCCRF ou du Conseil tendant à obtenir le bénéfice du IV de l’article L. 464-2 du Code de commerce (clé- mence) : les courriers adressés à cette fin « doivent nécessairement être

interprétés comme les actes volontaires d’une entreprise révélant aux autorités de la concurrence sa participation à la commission d’infractions à l’article L. 420-1 du Code de commerce, et permettant à ces autorités, à l’aide de son témoignage et des documents versés, d’en faciliter la recherche, d’en constater l’existence et finalement de les sanctionner »

(en ce sens, voir cour d’appel de Paris, 25 novembre 2003, SAS Prefall, pour la déclaration spontanée d’un chef d’entreprise aux agents de la DGCCRF ; 27 septembre 1990, Société des lubrifiants du Midi, pour la lettre d’une société demandant à la Commission de la concurrence de se saisir d’office)(06-D-09);

– la convocation aux fins d’audition adressée par le rapporteur à un tiers intervenant dans le secteur concerné : la circonstance que l’intéressé n’a pas eu qualité de partie à l’instance devant le Conseil est sans consé- quence sur le caractère interruptif de l’acte, pas plus que le fait que le pro- cès-verbal d’audition a été signé postérieurement au jour de l’audition, puis retourné par courrier, n’a d’incidence sur la validité de l’audition (cour d’appel de Paris, 9 avril 2002, Bloc Matériaux, 99-D-01)(06-D-15); – la demande adressée par le rapporteur à un tiers afin d’obtenir des rensei-

gnements sur le secteur concerné(06-D-38);

– le procès-verbal d’audition d’un tiers intervenant dans le secteur concerné dressé par le rapporteur(06-D-38).

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