• Aucun résultat trouvé

2.3.1 Introduction générale : le statut de la prosodie dans l’apprentissage d’une langue seconde

Ces trente dernières années ont donné lieu à une véritable ascension de la prosodie dans les études linguistiques ainsi que dans d‟autres domaines (psycholinguistique, (traitement automatique des langues (TAL), etc.). Autrefois en marge de la linguistique, la prosodie semble aujourd‟hui ubiquiste, et ce, à de nombreux niveaux d‟analyse. Elle bénéficie aujourd‟hui d‟un statut fort différent de celui « subi » plusieurs décennies auparavant. Selon les propos de Di Cristo (2004 :68), on assiste à un changement soudain du statut de la prosodie, jadis véritable « Cendrillon de la communication » pour en arriver à une « épidémie de prosodimania ».

Si l‟essor de la prosodie est significatif, notamment à partir des années 80, cette affluence masque malgré tout, une absence de réflexion didactique sur l‟enseignement de l‟oral. En effet, l‟enseignement de la phonétique semble avoir toujours posé un problème important pour les enseignants : que faut-il enseigner en priorité, et comment ?

L‟enseignement et les recherches sur l‟apprentissage des éléments prosodiques n‟ont été entrepris, que de manière sporadique, cela malgré l‟importance de la prosodie soulignée par plusieurs phonéticiens/didacticiens et ce, à de multiples reprises.

James (1976) souligne l‟importance de l‟enseignement des traits prosodiques d‟une langue seconde, qui, selon ses propos, a été fortement négligé. Propos confirmés par Major

tel-00455248, version 1 - 9 Feb 2010

83 (2001 :14) : l‟auteur souligne que l‟enseignement des facteurs prosodiques est longtemps resté en retrait, au détriment de l‟apprentissage de la prosodie : « Segmentals have been the most thoroughly studied area in L2 phonology ».

Munro & Derwing (1995) ; Hardison, (2004) rapportent que les éléments prosodiques jouent un rôle très important, voire plus important, que l‟aspect segmental dans le discours en L2.

James (1976:227) évoque les conséquences négatives d‟une situation de communication, dans laquelle l‟intonation serait incorrecte :

« […] une intonation incorrecte ne risque pas seulement de créer des malentendus. Elle a parfois comme conséquence une rupture complète de la communication ».

Pritchard (1985) fait part du « contentement » général, face à l‟enseignement d‟une articulation des segments en français L2, et constate que l‟intonation, en tant que phénomène suprasegmental, n‟a pas souvent fait l‟objet d‟études systématiques.

Vaissière (1989:3), citée par Freland-Ricard (1995) fait remarquer que lorsqu‟un énoncé est jugé par un auditeur, la prosodie est tout aussi essentielle que la grammaire et la syntaxe : « Une phrase prosodiquement anormale est aussi peu naturelle qu’une phrase agrammaticale ».

Ginestet (2002 :87) évoque la portée de l‟intonation dans les échanges discursifs :

« Il s‟agit d‟un phénomène très important vu que dans la communication, en dehors des gestes, nous utilisons, pour nous faire comprendre, l‟intonation à 38% et les mots pour seulement 7%. Cependant au niveau de la didactique du FLE14, le problème de l‟intonation est encore laissé de côté ».

Crystal (1969) souligne que le vocable « suprasegmental » était ce qui venait « en plus » d‟autres éléments, et seul le segmental était prioritaire ; par cette approche, on considère alors que les éléments prosodiques sont redondants et que leur étude n‟est pas nécessaire, contrairement à celle des éléments suprasegmentaux. Cela peut, entre autres,

14 Français Langue Etrangère

tel-00455248, version 1 - 9 Feb 2010

84 expliquer pourquoi, pendant de nombreuses années, seul l‟enseignement des phonèmes paraissait crucial.

Si l‟on retrace brièvement l‟évolution de la prosodie dans le domaine de l‟apprentissage des langues, si l‟on ne peut pas parler ici de « prosodimania », on peut constater une ascension de la prise en compte des facteurs prosodiques, même si ces derniers ont longtemps été absents de l‟enseignement d‟une langue.

Les années 60-70 représentent un souffle novateur pour l‟enseignement de la prosodie, notamment avec des premiers essais de méthodes d‟apprentissage de la prosodie, lancés par Guberina (1965), suite à l‟élaboration d‟une approche verbo-tonale.

Par la suite, un peu plus de recherches ont été entreprises, mettant en avant le rôle fondamental de la prosodie dans l‟apprentissage d‟une seconde langue.

Alliaume (1989:98) fait primer l‟apprentissage de la prosodie d‟une langue seconde sur la grammaire. L‟auteur explique que l‟apprentissage de la grammaire ne serait possible que par le biais des éléments prosodiques :

« Un étudiant qui perçoit mal les éléments prosodiques de la parole étrangère est privé du seul véritable moyen d‟intégration dynamique de la grammaire de la langue ».

L‟auteur explique que l‟intégration du système prosodique de la langue mère est une contrainte pour l‟apprentissage de la prosodie d‟une seconde langue. Alliaume (1989:98) préconise donc une méthode, afin de « déconditionner l‟apprenant de la prosodie de sa langue maternelle, en le reconditionnant à la prosodie de la langue étrangère qu‟il apprend ; ce serait lui faciliter l‟intégration de la grammaire de cette langue, des contenus sémantiques et affectifs du discours […] ». C‟est ce que l‟auteur a cherché à exploiter par la création d‟I-lang (la méthode de l‟auteur est développée en fin de ce chapitre).

Les années 90 semblent « voir » le retour des manuels de phonétique de correction articulatoire, qui reprennent, sur les principes classiques de l‟apprentissage des phonèmes (en exemple, Ginésy (1995), quelques exercices sur l‟intonation et le rythme sont proposés.

Actuellement, même si encore parcimonieuses, les études sur « l‟accent étranger » commencent à prendre en compte l‟aspect prosodique de ce phénomène. Lepetit (1992) faisait remarquer qu‟à la fin des années 80, les travaux attachés aux éléments

tel-00455248, version 1 - 9 Feb 2010

85 suprasegmentaux liés à l‟accent étranger, ont fait l‟objet de peu de recherches et pour la plupart, ces études ne portent que sur l‟enseignement de l‟intonation de l‟anglais. A l‟heure actuelle, les recherches sur l‟influence des facteurs prosodiques sur l‟accent étranger commencent à émerger (Magen, 1998 ; Major, 2001 ; Jilka, 2000, Munro & Derwing, 2001 ; Poqulin, 2009).

Ces études récentes montrent l‟importance du rôle de la prosodie, à la fois dans la production des apprenants mais également dans la perception d‟un accent étranger.

Jusqu‟ici, l‟accent étranger a toujours été considéré comme causé par des stratégies articulatoires mal imprégnées ou mal reproduites. Si les facteurs prosodiques n‟ont guère été mis en cause, il est indispensable de considérer une production, à la fois au niveau segmental mais également suprasegmental ; il semble difficile d‟envisager un énoncé oral sans support prosodique. Il faut donc considérer à la fois la structure des sons et la prosodie, qui sont essentielles dans l‟apprentissage. Même si nous constatons une avancée dans la considération portée à la prosodie par la communauté scientifique et enseignante, il reste pourtant difficile à croire, au vu des approches pédagogiques, que la prosodie ait réellement trouvé sa place dans l‟enseignement des langues. Pourtant, le nombre de travaux portant sur l‟acquisition de la prosodie de la L2, de plus en plus grandissants, se concentrent essentiellement sur des notions d‟erreurs de prononciation ou bien d‟accent étranger, et examinent la contribution des erreurs segmentales et suprasegmentales dans la perception de l‟accent étranger. Ainsi plusieurs études, dont celles de Jilka (2000), montrent que les erreurs segmentales ont un effet moindre que les erreurs prosodiques sur l‟intelligibilité et la perception auditive d‟un accent étranger dans les productions d‟apprenants.

Si la progression de la prise en compte de la prosodie dans l‟apprentissage des langues a été lente, on peut observer qu‟aujourd‟hui, dans la littérature, son rôle fondamental (i) dans l‟acquisition L1/ L2, et (ii) dans la perception de l‟accent étranger, est reconnu. Les recherches fondamentales sur le rythme et l‟intonation se sont multipliées et ont largement progressé. Malgré tout, cette avancée reste insuffisante, et la prosodie continue d‟être mise à l‟écart au profit de pratiques articulatoires. Pourtant la prosodie devrait être à la base de l‟enseignement, comme elle l‟est à la base de l‟acquisition de la langue maternelle. De nombreuses futures études restent incontournables, notamment sur son fonctionnement, mais aussi son dysfonctionnement en L2. Des travaux

tel-00455248, version 1 - 9 Feb 2010

86 interdisciplinaires réunissant phonéticiens, didacticiens, enseignants, informaticiens, techniciens seraient les bienvenus afin de poursuivre l‟étude de concepts théoriques mais aussi de trouver une application dans l‟apprentissage d‟une langue seconde.

A partir de ces constats, nous nous intéressons aux différentes méthodes ou approches actuelles destinées à l‟apprentissage d‟une seconde langue par la prosodie et notamment par le rythme ; nous tentons également de comprendre en quoi la prosodie constitue une barrière dans l‟apprentissage L2.