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Faire acquérir des compétences langagières : c’est quoi le problème ?

4.3.1 « Comprendre » le métier ensemble

4.3.3 Faire acquérir des compétences langagières : c’est quoi le problème ?

Bien que notre projet initial visait prioritairement une analyse du dispositif de formation indépendamment de son objet, la manière dont ce dernier a été considéré au cours du processus mérite d’être développée.

A partir des situations visionnées, les participantes ont discerné un certain nombre d’événements, d’actions, de gestes, tous tirés de leurs pratiques. Elles les ont interprétés, comparés en les ramenant à leur propre expérience, évalués. En s’adonnant à ces différentes opérations, elles ont révélé des croyances et des valeurs professionnelles de référence. Par ailleurs, nous avons vu précédemment qu’on ne perçoit d’emblée, dans l’activité, que ce qui nous conforte dans le système de normes qui fonde notre manière d’exercer le métier, et que le potentiel déplacement de ces normes génère des résistances.

Le fait que la démarche ait été réalisée en deux sous-groupes a eu comme conséquence qu’il a été nécessaire de rapporter dans le collectif les éléments sur lesquels nous souhaitions poursuivre les investigations. Les séances en sous-groupes ayant été enregistrées, nous nous sommes donc attelée à lister tous les sujets abordés avec comme intention de mettre en évidence les dilemmes sous-jacents5, afin de pouvoir y revenir lors du dernier module de formation, que nous avons nommé

« débat professionnel ». Nous avons été attentive à présenter des thèmes de discussion qui puissent générer des confrontations de points de vue, en dégageant les conflits de normes restés en arrière plan lors des séances précédentes. Les éléments apparus au cours des échanges ont été repris, regroupés selon des thématiques, problématisés. Nous avons donc importé dans le débat collectif des contenus qui ont été en quelque sorte secondarisés, puisque ramenés d’un premier travail de formalisation de l’expérience à un genre discursif. En somme, n’ayant plus la possibilité du recours aux séquences vidéo, les objets de réflexion apparus lors des enquêtes collaboratives ont été décontextualisés et ont revêtu la forme de concepts.

Intéressons-nous donc à ce que nous disent ces éléments. Comment les enseignantes parlent-elles de l’enseignement apprentissage de l’oral, qu’en disent-elles ? Quel rapport entretiennent-elles à cet objet ?

Nous pouvons affirmer qu’elles lui reconnaissent un statut très important. Cela se repère notamment dans le fait qu’elles s’accordent pour envisager que les situations pédagogiques les plus satisfaisantes sont celles où les élèves sont en petits groupes, situations dans lesquelles leur temps de parole est plus important d’une part, et leur est plus facilement garanti d’autre part.

Réciproquement cela offre la possibilité à l’enseignante d’accorder un temps d’écoute attentive, d’avoir des interactions privilégiées, d’apporter des régulations individualisées, de différencier son accompagnement. Les enseignantes mettent également en évidence que le travail qui est fait à l’oral est souvent plus porteur que ce qu’elles nomment les « fiches », c’est-à-dire toutes les activités où est impliqué un rapport à l’écrit, quel qu’il soit. Elles soulignent l’importance des interactions entre pairs : faire parler les élèves entre eux. Finalement, elles relèvent la nécessité de permettre aux élèves d’enrichir leur vocabulaire et de développer leurs capacités syntaxiques.

Ces premiers éléments répondent bien aux exigences du plan d’étude romand. Ce dernier, rappelons-le, définit des objectifs s’inscrivant dans la logique de faire parler les élèves afin de les outiller de procédures langagières adéquates et adaptées aux contextes de production. Dans le domaine des langues, et en particulier du français oral, les visées prioritaires sont le développement de la capacité à s’exprimer en acquérant des compétences opérationnelles de communication et la découverte des mécanismes de la langue et de la communication.

Au regard des dispositifs que les enseignantes jugent favorables à l’apprentissage des élèves, nous percevons donc bien leur souci de développer l’activité langagière de ces derniers, en leur proposant des situations concrètes de production qui soient suffisamment adaptées pour que chaque enfant y trouve l’occasion de s’exercer et de progresser. Leurs stratégies s’orientent vers des situations d’enseignement qui font produire aux élèves des contenus oraux : des mots de vocabulaire, des phrases, des histoires, des dialogues.

Nous avons évoqué, dans le chapitre théorique qui lui est consacré6, que l’enjeu de l’oral est crucial à l’école. Les apprentissages scolaires s’inscrivent la plupart du temps dans des situations décontextualisées, dans lesquelles les objets de savoir en jeu ne sont pas explicites. Leur appropriation nécessite des efforts de conceptualisation qui mettent certains élèves en difficulté.

Nous faisons l’hypothèse que nombreux sont les enseignants qui n’en ont pas conscience, tant ces efforts sont pour eux-mêmes des procédures familières, voire machinales.

6 Chapitre 2.2 L’oral, un enjeu majeur dans le parcours scolaire des élèves

Pourtant, parmi les éléments que nous avons relevés, nous en trouvons qui y font indirectement référence. Par exemple, les enseignantes soulignent le fait que comprendre n’est pas inné, qu’elles doivent donc apprendre aux élèves à comprendre. Cela nécessite notamment d’instaurer un cadre pour l’étude, structuré et structurant, qui permette de favoriser l’attention des élèves, de les préparer à l’écoute, de mettre en place des habitudes et des procédures de travail. Elles disent aussi devoir leur faire comprendre ce qu’elles cherchent à faire. Il s’agit donc bien là de rendre explicite l’enjeu des tâches proposées. Cela se concrétise par un usage de l’oral qui outille les élèves pour penser leurs apprentissages. C’est à ces conditions, avancent-elles encore, que les élèves s’engagent, trouvent la motivation et acquièrent de l’autonomie.

Le double enjeu de l’oral est donc bien présent dans les conceptions qu’en ont les enseignantes : l’oral travaillé pour lui-même, pour son propre développement, et l’oral envisagé comme outil pour comprendre. Cependant, il est intéressant de souligner que les conceptions qui sont apparues dans le premier sous-groupe (réunissant des enseignantes travaillant avec des élèves de 1P et 2P) sont davantage reliées à ce que nous appellerons « faire parler les élèves », alors que celles issues du deuxième (3P et 4P) à ce que nous assimilons à « faire comprendre aux élèves ». Peut-être ces conceptions sont-elles influencées par l’âge des élèves, les situations d’enseignement apprentissage sur lesquelles nous avons travaillé mettant en jeu d’autres types de savoirs ? Peut-être encore que ce qui divise l’équipe, au-delà des relations interpersonnelles, relève des conceptions contrastées sur l’enseignement que convoque leur rapport à leur activité, et que de fait les sous-groupes existants permettent d’éviter de se frotter à la controverse ? Quoiqu’il en soit, à l’occasion du travail mené sur les séquences filmées dans les classes, la conceptualisation par les participantes de leur activité a permis d’importer dans le milieu de la formation les tensions liées aux normes individuelles, mises en mouvement par la confrontation à d’autres pratiques et conceptions, sur un objet propice à cela.

Par rapport au problème initial identifié par les enseignantes, à savoir que leurs élèves n’ont pas les compétences langagières requises, les enquêtes collaboratives les ont amenées à appréhender la complexité de la tâche qui est la leur, dans un domaine, l’oral, qui recouvre toutes les activités proposées à l’école. Les connaissances mises à jour, ainsi que les controverses, ont nourri les échanges. Toutefois, dans le temps imparti, il n’a pas été possible d’aller plus loin, d’envisager les pistes concrètes de transformation des pratiques, laissant aux participantes la responsabilité d’adapter leurs manières d’agir aux apprentissages qu’elles auront effectués en donnant à leur travail le statut d’objet de pensée. L’effort de secondarisation qui leur a été imposé n’offre en effet aucune garantie sur la capacité future à recontextualiser, dans la réalisation de leur activité, les savoirs acquis.