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L’analyse de l’activité professionnelle en formation continue des enseignants genevois

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Academic year: 2022

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Master

Reference

L'analyse de l'activité professionnelle en formation continue des enseignants genevois

ZURN GRILLON, Aline

Abstract

Ce travail présente un dispositif de formation continue réalisé auprès d'une équipe d'enseignantes primaires genevoises. L'ingénierie proposée convoque les principes de l'analyse de l'activité, sous la forme d'enquêtes collaboratives, sur une problématique identifiée par les participantes : l'enseignement des compétences orales. Deux étapes structurent la recherche. La première concerne le temps de la conception. Y sont explicités le contexte du projet, les paramètres qui ont influé sur l'ingénierie de formation, les choix méthodologiques, les visées de développement professionnel et les contenus. La deuxième, dans une perspective exploratoire, s'intéresse à ce qu'a fait exister le dispositif, dans trois domaines : le développement de capacités collectives, l'usage de la vidéo à des fins d'analyse de l'activité et la production de connaissances sur les pratiques, en lien avec l'objet cible. La recherche met à jour et questionne le processus complexe de développement professionnel en lien avec un projet qui rompt avec les approches de formation descendantes et transmissives, plus habituelles [...]

ZURN GRILLON, Aline. L'analyse de l'activité professionnelle en formation continue des enseignants genevois. Master d'études avancées : Univ. Genève, 2018

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:107254

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L’analyse de l’activité professionnelle en formation continue des enseignants genevois

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DU MAS

"THEORIES, PRATIQUES ET DISPOSITIFS DE FORMATION D'ENSEIGNANTS"

PAR

Aline ZURN GRILLON

DIRECTRICE DU MEMOIRE Valérie LUSSI BORER

JURY

Gabrielle STIASSNY Olivier MAULINI

GENEVE juin 2018

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RESUME

Ce travail présente un dispositif de formation continue réalisé auprès d’une équipe d’enseignantes primaires genevoises. L’ingénierie proposée convoque les principes de l’analyse de l’activité, sous la forme d’enquêtes collaboratives, sur une problématique identifiée par les participantes : l’enseignement des compétences orales.

Deux étapes structurent la recherche. La première concerne le temps de la conception. Y sont explicités le contexte du projet, les paramètres qui ont influé sur l’ingénierie de formation, les choix méthodologiques, les visées de développement professionnel et les contenus. La deuxième, dans une perspective exploratoire, s’intéresse à ce qu’a fait exister le dispositif, dans trois domaines : le développement de capacités collectives, l’usage de la vidéo à des fins d’analyse de l’activité et la production de connaissances sur les pratiques, en lien avec l’objet cible.

La recherche met à jour et questionne le processus complexe de développement professionnel en lien avec un projet qui rompt avec les approches de formation

descendantes et transmissives, plus habituelles dans le contexte des formations continues à l’enseignement.

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L’analyse de l’activité professionnelle en formation continue des enseignants genevois

Table de matières

Introduction générale ………. p.1

1 . Problématique ………. p.3

1.1 La formation continue des enseignants primaires genevois ……….. p.3

1.2 L’exemple d’une formation réalisée ………. p.5

1.3 Une double implication ………. p.7

2. Cadrage théorique ……….. p.9

2.1 L’analyse de l’activité dans une ingénierie de formation ………... p.9 2.1.1 Une approche centrée sur l’activité ………... p.9

2.1.2 L’ergonomie de l’activité ………... p.10

2.1.3 Activité et concept d’enaction ………... p.11 2.1.4 L’analyse de l’activité comme ingénierie de formation ….………….. p.12 2.2 L’oral, un enjeu majeur dans le parcours scolaire des élèves ……… p.16 3. Le temps de la conception ………... p.18 3.1 Les particularités du contexte ………... p.18 3.1.1 Les acteurs impliqués dans le projet ……… p.18 3.1.2 L’accompagnement pédagogique de l’équipe enseignante ………. p.19 3.1.3 Les contraintes temporelles ……… p.20 3.2 Les facteurs qui ont influencé le dispositif ……… p.21 3.2.1 Les principes qui ont guidé l’ingénierie ………. p.21 3.2.2 Déclinaison de l’objet de formation ……….. p.21

3.2.3 Le contrat de formation ……… p.23

3.3 Les contenus de la formation ……… p.24

3.3.1 Tâches proposées, modalités de travail, éléments de méthode et gestes du formateur ………. p.27

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4. Le temps de l’accompagnement ……… p.30

4.1 Eléments de méthode ………... p.31

4.1.1 Recueil des données ………... p.31

4.1.2 Traitement des données ………... p.33 4.2 Constats ……….. p.35 4.2.1 Le développement de capacités collectives ……….. p.35 4.2.2 Le focus sur l’activité réelle, via l’artefact vidéo ……… p.38 4.2.3 La production de connaissances sur les pratique, en lien avec l’objet de

formation ……… p.40

4.3 Analyse et discussion ……….. p.44

4.3.1 « Comprendre » le métier ensemble ……… p.44

4.3.2 Voir ce qui est transparent ……… p.47

4.3.3 Faire acquérir des compétences langagières : c’est quoi le problème ? …. p.49 5. Perspectives et ouvertures ……… p.52

6. Conclusion ……… p.54

7. Bibliographie ……… p.57

Annexes

Annexe 1 : questionnaire soumis aux enseignantes Annexe 2 : transcription de la séance 1a

Annexe 3 : transcription de la séance 1b

Annexe 4 : transcription du bilan de la formation

Avertissement: le texte qui suit évoque une situation de formation réalisée auprès d'une équipe enseignante constituée de femmes. L'emploi du féminin renvoie à ce contexte particulier, alors que c'est le masculin qui est utilisé lorsque nous sommes dans des considérations plus générales, dans un sens générique, sans distinction de sexe.

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Introduction générale

La formation continue des enseignants genevois constitue un des axes de travail qui me mobilise, en tant que coordinatrice pédagogique. Rattachée à des établissements scolaires, je suis amenée à collaborer avec les équipes pour définir des projets qui répondent le mieux possible à leurs préoccupations professionnelles, et leur offrent des perspectives de développement de leurs pratiques. Le Service de Formation et Développement (SEFOD), au sein duquel je suis engagée, s’efforce de gagner en cohérence sur cet objet, tant la formation continue telle qu'elle est actuellement envisagée et réalisée dans les établissements scolaires ne produit globalement pas les effets attendus. L’évolution de la formation et les changements institutionnels récurrents ont indéniablement un rôle à jouer face au constat d’un système peu satisfaisant.

Mon inscription au MAS « Théories, pratiques et dispositifs de formation des enseignants » coïncide avec ma récente reconversion professionnelle. Ayant exercé la profession d’enseignante primaire pendant vingt-deux ans, dans deux écoles consécutives, j’ai moi-même bénéficié d’un nombre important de formations continues, certaines choisies individuellement, d’autres négociées et suivies avec les équipes auxquelles j’appartenais. J’ai pu éprouver à quel point les apprentissages réalisés dans ces contextes n’aboutissaient pas toujours à une transformation durable de ma pratique, quand bien même des déplacements de mes normes professionnelles avaient eu lieu.

Aujourd’hui, le mandat qui m’est confié est l’accompagnement des enseignants. Le cahier des charges du coordinateur pédagogique, récemment validé par la Conseillère d’État, met en avant la mission d’accompagnement en ces termes :

Le/la coordinateur/trice pédagogique d’établissements scolaires soutient les enseignant-e-s et la direction de l’établissement dans le domaine de la gestion pédagogique de l’établissement, de la formation continue et l’accompagnement des changements. A ce titre, il/elle met au service des écoles son expertise sous forme de conseil dans les domaines de l’enseignement, de l’animation, de la formation et l’accompagnement des équipes enseignantes.

Le genre de mémoire proposant l'analyse d'un dispositif de formation s'est rapidement imposé à moi comme l'occasion de renforcer ma nouvelle identité professionnelle. Avec le projet d’élaborer une ingénierie de formation, de la mettre en œuvre pour finalement en analyser certains effets, je me suis engagée dans un processus mêlant aux contenus académiques la résonance d'une situation pragmatique, éprouvée dans toute sa complexité, favorisant l’alternance entre les divers apports théoriques proposés à l’université et la concrétisation pratique d’un projet intégrateur des concepts mobilisés.

Chaque module de formation proposé au cours du MAS m’a laissé entrevoir un nouvel éclairage pour comprendre les aspects de ce qui se jouait dans la situation que je vivais. De nouvelles pistes s’offraient successivement à moi pour envisager la concrétisation de mon travail de recherche. Il m’a donc fallu opérer des choix pour guider l’analyse que je livre dans le présent document, encouragée par la certitude que toute recherche est par nature incomplète, car :

le réel est aussi complexe et changeant que les méthodes de recherche destinées à mieux le comprendre sont grossières et rigides. Nous ne l’appréhendons de mieux en mieux que par touches successives et imparfaites qui demandent sans cesse à être corrigées. (Quivy &

Van Campenhoudt, 1995, pp. 145-146)

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Le pari qui sous-tend mon projet est la confrontation à de potentielles résistances, de la part des enseignants auxquels je propose un dispositif non transmissif, centré sur l’analyse de leurs pratiques et s’appuyant sur la capacité à réfléchir sur leur activité. Mon but est d’abord un enjeu de développement professionnel, puisque la réalisation de ce mémoire me permettra d’une part de clore et de valider mon parcours de formation, d’autre part d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences.

Mais je vois aussi dans cet exercice l’occasion d’envisager des pistes pour faire évoluer les dispositifs de formation proposés dans les établissements, et de renforcer le rôle du coordinateur pédagogique dans ce qui touche à leur ingénierie. En effet, si ce dernier semble tout désigné pour accompagner la réflexion en lien avec les projets de formation, il n’est pas considéré comme un formateur et sa légitimité est parfois mise à rude épreuve, tant les modalités de collaboration avec les différents acteurs (enseignants, directeurs d'établissement, direction générale) demeurent variables. La manière d'habiter la fonction varie selon le parcours professionnel de chacun, et les réalités de travail fort diverses renforcent le sentiment communément partagé d'une reconnaissance encore fragile. Notons encore que la fonction, héritière de fluctuations fréquentes des mandats qui l'ont caractérisée, fait actuellement l'objet d'un travail de redéfinition par ses membres, tant le sens qui lui est conféré demeure encore flou pour certains partenaires.

L'analyse d'une formation réalisée propose un éclairage contextualisé tant sur des aspects institutionnels que sur les courants de recherche actuels dans le champ de la formation des enseignants. La mise en perspective de l’intersection entre ces deux pôles me paraît prometteuse pour rendre compte des enjeux partagés.

Au terme de cette introduction que j’ai rédigée à la première personne du singulier, mettant en évidence mon implication dans ce travail, je poursuivrai l’écriture avec le pluriel de modestie

« nous », régulièrement utilisé dans la recherche.

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1. Problématique

1.1 La formation continue des enseignants primaires genevois

L’offre de formation continue destinée aux enseignants primaires genevois se décline actuellement en deux catégories : la formation personnelle et la formation collective en établissement. Pour la première, un catalogue répertorie les propositions de l’Institution, couvrant des contenus liés à l’enseignement ainsi que d’autres relevant d’objets de développement personnel. Depuis la rentrée scolaire 2016, les cours proposés sont dispensés en dehors des heures d’enseignement et les personnes s’y inscrivent selon leurs intérêts. La deuxième catégorie concerne la formation continue collective, qui s’adresse aux équipes enseignantes. Son quota annuel est de deux jours, octroyés sur temps scolaire. Le coordinateur pédagogique assure la réalisation des projets, de l’analyse des besoins à leur concrétisation, et en accompagne le suivi sur la durée.

Nous assistons actuellement à une forme de « consommation » de formations de la part des enseignants primaires. Celles-ci sont plus ou moins en adéquation avec la réalité des contextes scolaires et les effets de développement professionnel qu'elles génèrent auprès des usagers ne sont pas toujours significatifs. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet état de fait. Tout d’abord, la profession suit un rythme qui se décline en années scolaires. Chaque nouvelle année est en quelque sorte un recommencement : l’accueil de nouveaux élèves, la planification d’un programme d’enseignement qui ne correspond pas à celui de l’année précédente, la mise en œuvre de nouveaux moyens d’enseignement mis à disposition des praticiens, le renouvellement des équipes enseignantes sont autant d’éléments qui contribuent à reconfigurer continuellement l’exercice du métier, tant dans la classe que dans le collectif professionnel. Cette logique annuelle exerce une influence sur la pérennité des projets pédagogiques, qui se trouvent constamment redéfinis en fonction des critères qui se modifient.

Un autre facteur concerne la multitude des pistes potentielles de formation, qui va de pair avec une forme d’inachèvement du développement professionnel, car

le métier n’est pas immuable. Ses transformations passent notamment par l’émergence de compétences nouvelles (liées par exemple au travail avec d’autres professionnels ou à l’évolution des didactiques) ou par l’accentuation de compétences reconnues, par exemple pour faire face à l’hétérogénéité croissante des publics et à l’évolution des programmes.

Tout référentiel tend à se démoder, à la fois parce que les pratiques changent et parce que la façon de les concevoir se transforme. (Perrenoud, 1999, p.16)

Le choix d’un objet de formation communément partagé relève en outre d’un exercice complexe et implique des renoncements, alors même que la logique de consensus n’existe pas toujours au sein des collectifs. Paradoxalement, alors que les intérêts sont multiples, le fait de devoir s’accorder sur un projet prioritaire, de négocier le contenu et le format de la formation, nécessite du temps et des espaces de concertation qui peuvent être perçus comme une charge, alors que la plupart des enseignants dédient déjà un temps de travail conséquent à leurs prestations destinées aux élèves. Par ailleurs, les attentes variables que les uns et les autres nourrissent à l’égard de la formation, dépendantes des représentations qu’ils se font de ce qu'est une « bonne » formation, ne rassemblent pas toujours. Entre la quête de procédures importables dans la classe, la recherche de clés de compréhension de ce qui génère la complexité du métier, le besoin de concertation avec les collègues pour envisager concrètement l’enseignement, les espaces de formation peuvent prendre

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des formes multiples et variées. L’histoire de l’équipe, sa cohésion, son rapport au collectif professionnel, sa compétence à collaborer, à échanger sur les pratiques, sont autant de facteurs qui influent sur les choix et les modalités de formation.

En outre, les changements qui ont eu cours ces trente dernières années dans le cursus de formation initiale ainsi que les transformations récurrentes du système scolaire ont exercé des influences sur le contexte de la formation continue collective. Un bref historique nous permettra d’en souligner quelques enjeux.

La tertiarisation de la formation initiale, désormais gérée par l’Université, a fait place à une

« culture de la professionnalisation », que Barbier (2006) associe à la notion de compétence en ces termes :

le travail éducatif est essentiellement représenté comme un espace de développement de compétences en situation d’activité évolutive. La référence centrale y est bien sûr la notion de compétence et l’hypothèse finalisant le travail éducatif, celle d’une transformation conjointe de l’action et des acteurs. (p. 70)

Entendue comme la capacité à mobiliser des connaissances en situation pour accomplir des tâches données, la compétence renvoie directement à l’activité, en dehors de laquelle elle est impossible à appréhender. Le concept remet donc en question la compréhension applicationniste de la pratique enseignante, selon laquelle la pratique suit la théorie, et met au centre de l’attention l’action professionnelle. Des réflexions importantes autour des savoirs professionnels de référence nourrissent les étayages théoriques. On distingue notamment l'apprendre et le faire, les « savoirs à enseigner » et les « savoirs pour enseigner » (Hofstetter & Schneuwly, 2009) et c’est un nouvel idéal de professionnel enseignant qui devient central: le praticien réflexif (concept emprunté à Schön, 1983), dont le travail se dote de « deux dimensions principales : le développement de compétences et de capacités collectives » et « l'intériorisation des normes et des valeurs institutionnelles qui fondent un modèle de comportement professionnel et culturel » (Lang, 2009, p.

293).

C’est dans cette mouvance liée au courant de la professionnalisation que l’école genevoise a connu une succession de réformes. Dans les années quatre-vingt, la Rénovation de l’enseignement primaire a notamment mis l’accent sur une compétence devenue incontournable : travailler en équipe. Durant cette période, les enseignants pouvaient s’engager dans l’élaboration de projets d’école, moyennant de nouvelles ressources mises à leur disposition. Jusqu’alors, chaque collaborateur pouvait consacrer quatre jours de travail à sa formation continue, dont l’offre était gérée par l’Institution. Dans le but de favoriser la construction de compétences collectives, deux de ces quatre jours ont alors pu être dévolus à la formation des équipes, en lien avec leurs projets. Des coordinateurs pédagogiques (dont la fonction diffère de celle des actuels titulaires de cette dénomination) étaient désignés pour accompagner les équipes. Puis ce sont des postes de responsables d’école ont été créés pour la prise en charge de l’organisation des modalités du travail collectif. Les enseignants qui s’engageaient dans ces fonctions étaient alors déchargés d’heures d’enseignement dans un pourcentage proportionnel à la taille de leur école. Il s’agissait donc de collaborateurs faisant partie du collectif, qui dédiaient une partie de leur temps de travail à l’organisation des collaborations pédagogiques.

La période de la Rénovation a permis l’essor de projets variés dans les écoles qui ont profité des moyens mis à leur disposition et ont développé des modalités de travail collaboratif. Cependant, du

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moment qu’il ne s’agissait pas d’une exigence, il s’en est suivi une importante disparité entre les établissements. Alors que certains se mobilisaient pour intégrer le travail d’équipe au service des prestations dévoluesin fine aux élèves, d’autres ont conservé un rapport individualisé à leur travail.

En effet, si certaines équipes d'enseignants ont trouvé dans les impulsions que représentaient les changements institutionnels l'occasion de construire des compétences communes au travers de projets en lien avec leur réalité de terrain, pour d'autres, cela n'a pas été une motivation première.

Perrenoud apporte un éclairage intéressant sur ce que l'on peut appréhender comme des résistances à ce nouvel idéal professionnel. Il explique notamment que, tant que le travail donne satisfaction au praticien, répond à ses convictions, lui permet de mesurer son implication aux limites qu'il estime acceptables et suffisantes, sa motivation à l'envisager différemment est faible. Les savoirs académiques sont alors perçus comme « des savoirs qui désenchantent le monde et le métier, qui heurtent le sens commun, des croyances, des convictions, des espoirs qui sont au cœur de l'identité de beaucoup d'enseignants. » (2009, p. 277). Réfléchir à sa pratique nécessite justement de convoquer des savoirs théoriques, ainsi que de bousculer le sens commun, au risque d'ébranler certains espoirs.

Paradoxalement, alors que les équipes enseignantes acquéraient une forme d’autonomie dans la manière d’organiser leur travail et dans la définition de projets propres à leurs contextes, dès le mois d’août 2007, la mise en place de directions d’établissement transforme les modalités de collaboration. L’organisation précédente mettait en avant une forme de leadership, aucun statut hiérarchique n’étant attribué aux personnes chargées de l’organisation du travail d’équipe, la hiérarchie directe étant représentée par des inspecteurs de région. L’arrivée des directeurs favorise une hiérarchie de proximité. Dès lors en charge du pilotage de l’établissement, le directeur se voit confier la responsabilité des projets pédagogiques ainsi que celle de la formation collective, qu’il gère en étroite collaboration avec le coordinateur pédagogique, désormais rattaché au SEFOD, donc externe à l’équipe enseignante.

1.2 L’exemple d’une formation réalisée

Le dispositif de formation qui fait l’objet de ce travail rompt avec les formats de formation les plus fréquemment réalisés au sein des établissements scolaires, à savoir des interventions de formateurs externes sur des problématiques données, qui viennent dispenser un cours dans leur domaine d’expertise. Les choix peuvent être guidés par des questionnements, des besoins d’approfondissement sur l’un ou l’autre aspect du métier, mais, parfois, c’est le bouche à oreille qui génère des envies : on a entendu parler d’un formateur d’une manière tellement positive qu’on souhaite lui demander d’intervenir. Ainsi y a-t-il des formations « à la mode », qui, indépendamment des contextes scolaires, sont dispensées selon une ingénierie qui reste la même quels que soient le public et ses problématiques spécifiques. Même si elles reçoivent un bon accueil et suscitent des intérêts, les enseignants ne sont pas toujours enclins à y puiser des pistes pour faire évoluer leurs pratiques, ou, s’ils tentent de nouvelles expériences, celles-ci ne s’inscrivent souvent pas dans la durée, le retour à ce qu’on maîtrise bien reprenant le dessus. Par ailleurs, si des tentatives d’implémentation de nouvelles options pédagogiques s’actualisent, elles demeurent individuelles, répondant à des motivations qui ne sont pas forcément partagées par le collectif professionnel. Le pari était donc de tenter une autre approche, qui prenne en compte la dimension collective du projet et fasse émerger de véritables pistes de transformation des pratiques d’enseignement, cela en lien étroit avec les problématiques propres au contexte.

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Ce pari a été facilité par l'occasion qui nous a été donnée de concevoir un dispositif de formation, dans lequel l'analyse des pratiques (sur la base de séquences d'enseignement filmées) a constitué le levier principal pour appréhender des questionnements liés à l'enseignement des compétences orales, dans les quatre premiers degrés de l'école primaire (cycle 1). La formation a été réalisée durant l’année scolaire 2015-2016 auprès d'une équipe de neuf enseignantes, dans une école genevoise du réseau enseignement prioritaire (REP). L'impulsion a été donnée par le Directeur de l'établissement, qui, suite aux bilans de suivi des élèves relayés par les enseignantes, a souligné la récurrence des difficultés langagières et proposé dès lors d'y accorder une attention particulière.

Le projet d'aller filmer les enseignantes dans leurs classes et d'effectuer collectivement un travail d'analyse des situations vécues a donc été possible et mené à terme1.

L'objet que propose ce mémoire s'inscrit dans des champs de recherche actuels. En formation des enseignants, si la pertinence de la dialectique entre les savoirs théoriques et les savoirs pratiques n'est plus à démontrer, les contextes qui la favorisent s'intéressent de plus en plus à l'analyse des pratiques. Dans une profession qui reconnaît avant tout l'expérience comme constituant principal, considérer et analyser les composantes de celle-ci présente l'avantage de lui reconnaître ce statut essentiel et de mettre en perspective les aspects prescriptifs du métier, qui ont tendance à prendre une importance de plus en plus inhibante, de par leur formalisation accrue. Nous verrons notamment que, dans le cas de l'enseignement de l'oral, la lecture du prescrit invite à des interprétations inévitables et très diversifiées.

Depuis les années 2000, l'analyse de l'activité constitue un champ de recherche conséquent en sciences humaines et sociales, notamment en sciences de l'éducation. L'activité réelle des enseignants ainsi que son analyse deviennent une préoccupation importante. On s'intéresse aux dilemmes posés par l'écart entre la tâche prescrite et la réalité de l'activité professionnelle et aux stratégies mises en place sur le terrain pour appréhender cet écart et le gérer (Yvon & Saussez, 2010). En formation continue, cela devient un enjeu majeur, car les transformations du travail, aussi bien au niveau de ses conditions que de ses normes, impliquent comme conséquences « le caractère rapidement obsolète des acquis des formations initiales » et « la nécessité d'une mise à jour permanente de la formation professionnelle » (Durand, 2009, p. 187). Lorsqu'il s'agit de proposer une formation continue à une équipe d'enseignants issus de générations différentes, dont les parcours de formations initiales sont par conséquent multiples, l'enjeu prend tout son sens.

Si le recours à l'analyse de l'activité constitue un défi très actuel, il se heurte cependant à une difficulté : réunir les conditions nécessaires à sa mise en œuvre. Faire émerger l'activité réelle exige des acteurs un engagement considérable. Nous verrons que se donner à voir en situation de travail ne va pas de soi,a fortiorilorsque l'activité est envisagée comme l'objet-même d'un processus de transformation. Nous préciserons ce que nous entendons par activité en faisant référence à ce que Durand appelle le couplage structurel, concept qui rend compte de la relation entre l'acteur et son environnement, considérés chacun comme un système évolutif en transformation permanente.

La formation comprend alors un caractère consensuel et interactif, parce que les transformations de l'activité, ou du couplage acteur / environnement, ne peuvent pas être déterminées a priori.Par ailleurs, c'est l'acteur qui choisit ce qui est significatif pour lui, dans le cadre de son environnement.

La formation ne peut donc pas être prescriptive (Durand).

1 Il n’est pas exclu, voire même vivement souhaité, que le travail se poursuive.

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Ce travail offrira l'occasion, à travers une situation singulière, de prendre la mesure des exigences liées à ce caractère consensuel et interactif, alors que celui-ci tend à devenir une exigence pour toute démarche de formation continue.

L’analyse de l'activité réelle des enseignants demeure énigmatique et constitue un défi majeur pour la recherche et l'intervention. Les expériences de formation qui relèvent ce défi sont prometteuses.

Le site Néopass@action, par exemple, propose des démarches innovantes, dont une des ambitions est de faire circuler les savoirs entre les professionnels, qu'ils soient débutants, expérimentés ou chercheurs. L'usage de la vidéo constitue le moyen de rapatrier les pratiques réelles afin de les discuter, en vue de les faire évoluer.

Nous verrons à travers le dispositif proposé dans ce travail comment, à partir d'outils méthodologiques proposés notamment par Valérie Lussi Borer et Luc Ria, nous pouvons envisager la réalisation de ce type de formation dans le contexte genevois.

La thématique sur laquelle a porté la formation (l'enseignement des compétences orales dans les quatre premiers degrés de l'école obligatoire) a constitué le champ d'investigation pour les enquêtes qui ont été menées. Nous en sommes arrivée à considérer des savoirs professionnels implicites, des dilemmes et controverses de métier qui, bien qu'étroitement liés à la didactique de l’oral, relèvent de dimensions professionnelles plus génériques. Nous le verrons en effet : l’oral constitue un enjeu scolaire qui s’étend à l’ensemble des matières enseignées, et ne se limite pas à la question du développement des compétences langagières. Il s'agira de considérer comment le plan d'étude et les prescriptions le présentent, mais aussi d'apporter quelques éclairages théoriques actuels. En effet, cette question est, elle aussi, au cœur de préoccupations scientifiques en éducation. Nombre d'études portent notamment sur l'accès à la réussite scolaire des élèves de milieux socio- économiques défavorisés, relevant l'importance du développement de compétences à l'oral, dans les diverses composantes qui le structurent. L'étude de cet objet est en elle-même conséquente, c'est pourquoi l'option de lui réserver un traitement secondaire répond à la nécessité de circonscrire le champ de notre recherche.

L'ambition de cette étude est donc double : présenter un dispositif réalisé et recueillir les éléments qui permettent de considérer sa pertinence, son degré d'adéquation avec les problématiques rencontrées par les enseignantes en lien avec l'objet choisi, l’opportunité qu’il offre de favoriser le travail en équipe, et finalement son potentiel de développement, en terme de généralisation à d'autres contextes et à d'autres objets. Nous distinguerons donc deux parties : le temps de la conception et le temps de l’accompagnement.

1.3 Une double implication

Il s’avère finalement nécessaire d’attirer l'attention sur notre double implication dans ce travail, engagée à la fois dans le processus de conception et d'accompagnement de la formation, et dans celui d'analyse des logiques de sa réalisation et de certains de ses effets. Cette double implication a des conséquences à la fois dans le contexte de la formation et pour l’élaboration du travail de recherche.

Dans le contexte de la formation, nous avons perçu certains avantages à nous présenter non pas en

« personne qui sait », mais en « personne qui cherche » auprès de l’équipe avec laquelle nous avons

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collaboré. En effet, en prêtant au projet de formation une valeur expérimentale, le pari étant de tenter une nouvelle approche, l'adhésion des enseignantes a sans doute revêtu un caractère empathique. Nous pouvons en effet faire l'hypothèse que, l'enjeu de ce travail étant l'aboutissement d'un mémoire professionnalisant, elles ont accepté de se prêter à l'expérimentation de nouvelles modalités de formation dans une logique de participation et de soutien au projet de recherche.

Nous voyons un autre avantage dans le fait que la composante expérimentale du projet a permis de limiter les risques encourus. En posant d'emblée un certain nombre d'incertitudes sur la portée formative du processus, en regard de l'expertise relative liée à son accompagnement, cela a permis de détendre les enjeux se rapportant aux attentes réciproques et permettre des engagements solidaires.

Dans le cadre du travail de mémoire, cette double implication est parfois difficile à discerner. Il s’agit en effet de bien distinguer ce qui appartient à la méthodologie de la formatrice de ce qui appartient à la méthodologie de la chercheuse, d’où notre choix de proposer deux parties distinctes : la première relative à la description du dispositif, la seconde centrée sur une analyse compréhensive de ce qui s’y est passé.

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2. Cadrage Théorique

Notre étayage théorique propose deux objets distincts, qui a priori n’ont rien à faire ensemble : 1. l’analyse de l’activité en formation ;

2. l’enjeu de l’oral, dans une perspective socio-éducative.

Ils constituent tous deux des ancrages déterminants pour les réflexions que propose cette étude.

C’est pourquoi nous avons pris l’option de les réunir dans ce chapitre, en leur réservant toutefois un traitement séparé.

2.1. L’analyse de l’activité dans le contexte de la formation 2.1.1. Une approche centrée sur l’activité

La contribution que propose ce travail s’inscrit dans les champs de recherche qui mettent en évidence les principes divergents à l’origine des offres de formation, dans le domaine de l’éducation :

La conception de la formation des enseignants peine à sortir de deux approches opposées : l'une « descendante », c'est-à-dire structurée à partir de savoirs disciplinaires, didactiques et pédagogiques qu'il faudrait appliquer dans les classes, l'autre « ascendante » se concrétisant dans de nombreux dispositifs d'analyse de pratiques (…). (Ria & Leblanc, 2011, p. 155)

L’approche centrée sur l'activité rompt avec une approche cognitiviste du travail, lui-même envisagé comme l'application d'un savoir préalable (Durand, Ria & Veyrunes, 2010). L’efficacité de ce dernier n’est donc pas uniquement associée à des actions de préparation, d’anticipation, de planification, mais aussi, dans une compréhension ergonomique, à l’adaptation permanente de l’agir aux contraintes de l’environnement.

Le propos n’est pas de mettre en concurrence ces deux approches, qui de fait ne demeurent pas contradictoires et ont par ailleurs chacune une visée normative. Toutefois, force est de constater qu’en formation continue, l’analyse des pratiques ne répond que rarement à une demande des enseignants, qui lui préfèrent des apports méthodologiques, théoriques, voire technologiques.

Pourtant le décalage entre la formation (initiale et continue) et le travail effectif au sein de la classe est largement reconnu comme une entrave à la mise en œuvre de ce qui a été appris. Ria et Leblanc (2011) l’expriment ainsi :

un des principaux malentendus de la formation réside dans ce décalage extrêmement important entre une vision idéalisée de l’enseignement à partir d’une approche applicationniste de […] savoirs décontextualisés et le monde d’expérience des enseignants qui vivent une réalité professionnelle très éloignée de ces discours prescriptifs. (Ria &

Leblanc, 2011, p. 153)

Avec l’idée que ce qui est vécu en classe représente le constituant fondamental du travail enseignant, nous proposons un étayage théorique issu des courants de recherche qui misent sur le pari d’apprendre à partir de l’expérience.

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2.1.2. L’ergonomie de l’activité

L'évolution actuelle de la formation des adultes voit émerger de nouvelles pratiques qui proposent une proximité toujours plus grande avec les situations réelles du travail, alors que ce dernier se transforme lui-même continuellement, tant au niveau de ses formes, de ses conditions et de ses normes (Durand, 2009). Dans le domaine de l’éducation, la didactique professionnelle fait de plus en plus référence aux connaissances issues de l’ergonomie de l’activité. Cette science cherche à comprendre de quoi sont faites les tâches du travailleur, et plus précisément à quelles contraintes, voire quels obstacles, elles s’adaptent, afin d’envisager des manières de transformer le travail. La transposition de ces principes ergonomiques dans le champ de la formation fait place à des dispositifs qui prennent appui sur l’analyse du travail pour faire émerger des pistes de développement des compétences professionnelles. La composante dynamique du travail y est fondamentale.

Dans les situations d’enseignement, cette composante se caractérise par le fait que chaque nouvelle situation est inédite, mêlant aux savoirs formalisés des occurrences imprévisibles, découlant de la nature spontanée des interactions dont elles sont faites. En ce sens, le facteur humain a un impact direct sur la singularité et la créativité qui teintent les situations (Poizat & Durand, 2015), qui contiennent de fait toujours un caractère improvisé. Ainsi l’enseignant opère-t-il un va-et-vient constant entre les principes qui le guident et leur adaptation à la réalité, parce que les situations engendrent toujours des modalités d’action qui leur sont propres et qui débordent des cadres qui sont censés les contenir. Ils font alors appel à des savoirs-faire qui s’inventent au gré des problèmes particuliers qu’ils doivent résoudre.

Le registre des contraintes auxquelles tout enseignant est confronté concerne essentiellement ce qui relève de la prescription. L’ergonomie conceptualise l’activité professionnelle à partir de la distinction entre le travail réel et le travail prescrit en postulant que « l’écart entre ce qui devrait être fait en théorie et la façon dont l’activité se déroule en réalité existe toujours. En fait, il constitue le socle théorique de l’ergonomie de l’activité » (Yvon & Saussez, 2010, p. 12). L’affirmation de l'irréductibilité du travail réel aux aspects prescriptifs qui le contraignent invite à prendre en considération tout ce qui constitue l’activité du travailleur, au-delà des actions visibles : la compréhension qu’il a de la situation, les choix qu’il opère pour la gérer au mieux, les renoncements que ses choix impliquent, et finalement son appréciation de la situation.

La confrontation des logiques en présence : celle liée aux aspects prescriptifs et aux contraintes externes et celle du travailleur, imprégnée de ses normes propres, de ses valeurs, de tout ce qui le pousse à agir d’une manière plutôt que d’une autre, implique que le travail est une succession de compromis qui permettent de réguler le champ des tensions qui en sont issues. Il consiste donc, au- delà de la mise en pratique des injonctions liées aux programmes et des procédures institutionnelles, en l’adaptation permanente de ces dernières aux exigences du contexte. Tardif et Lessard (2007) définissent ainsi la connaissance professionnelle :

il s’agit d’un montage de savoirs composites, de nature différente, façonné par le travailleur et qui prend son sens et sa pertinence dans et par le travail d’une part, dans et par les rapports sociaux qui structurent ce travail d’autre part. (Tardif & Lessard, 2007, p.

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L’approche de formation centrée sur l’activité poursuit donc le but d'amener les enseignants à prendre conscience de l'écart entre le travail prescrit et le travail réel, alors que les aspects

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prescriptifs du métier ont tendance à prendre une importance de plus en plus inhibante, et ne sont pas toujours en adéquation avec la réalité des contextes scolaires et les profils de certains élèves.

2.1.3. Activité et concept d’enaction

Afin de préciser de quoi on parle, il s’agit maintenant de définir ce qu’on entend par activité. En nous référant à l’article de Poizat et Durand (2015), nous relevons d’abord l’importance de son socle de production : l’activité est produite par un acteur dans une situation déterminée par l’environnement social et physique dans lequel elle se réalise. Cette relation entre l’acteur et son environnement est qualifiée de couplage structurel, c’est-à-dire qu’on ne peut pas dissocier les constituants de ce couplage. L’environnement est construit par la conscience qu’en a l’acteur, de même que l’acteur existe nécessairement dans un environnement, en-dehors duquel on ne peut pas concevoir d’activité : autrement dit, ils se définissent l’un l’autre, se contiennent réciproquement.

Ce couplage structurel est asymétrique, car c’est l’acteur, en fonction de qui il est, qui détermine ce qui, de l’environnement, est significatif pour lui. En lui attribuant une consistance, « l’acteur fait émerger son monde propre dans le mouvement même de son engagement à son environnement : il l’énacte » (Poizat & Durand, p. 4). L’enaction est le terme qui conceptualise le processus auto- organisé au cours duquel s’actualise l’activité, considérant la nature dynamique de sa production qui lui confère un caractère toujours unique et original. En définitive, les systèmes vivants ont cette faculté de se créer. « Leur existence et organisation ne sont pas établies par ailleurs et préalablement à leur activité, mais tiennent à leur fonctionnement même : ils s’auto-produisent » (Durand, 2008, p.4).

Toujours en référence à l’article cité précédemment (Poizat & Durand, 2015), nous proposons d’aller plus en détail sur ce qui constitue l’activité. Ses composantes sont plurielles et se réfèrent à trois registres distincts. Le premier registre recouvre ce qui relève du possible. Il contient ce que l’acteur projette sur l’activité en fonction de sa culture et de ses connaissances de l’environnement : ses intentions et les attentes qu’il attribue à sa réalisation, en termes de potentialités. Le deuxième regroupe les significations que l’acteur donne à l’activité et ce qu’il y fait : les perceptions qu’il en a conditionnent ses actions, à partir des possibles en présence au préalable. Ce registre se réfère au champ de l’actuel. Finalement, le troisième registre comprend ce qui, extrait de l’actuel, va pouvoir être projeté sur des possibles ultérieurs. Les nouvelles connaissances engendrées à l’occasion de l’activité, le renforcement ou au contraire la remise en question de certaines convictions, auront inévitablement une influence sur le futur et impliquent que chaque situation est singulière et ne peut pas être répétée de manière identique. Ce dernier registre appartient au virtuel. L’entremêlement des trois registres constitue le « cours d’activité », inscrit dans le temps. On pourrait dire que le moment de l’émergence de l’activité comportant à la fois des éléments du passé et des éléments de l’avenir (elle est teintée de ce qu’elle n’est plus et de ce qu’elle va devenir), la succession d’activités qui caractérise le cours d’activité donne lieu à des situations qui se transforment continuellement, et de façon irréversible. Les transformations de l’activité qui émergent des transitions entre le possible, l’actuel et le virtuel sont plus ou moins durables. Certaines d’entre elles marquent l’expérience au point de s’inscrire dans une signification de l’ordre de la généralisation et de la typicalisation :

Certains états du couplage donnent lieu à une généralisation : parce qu’elles se répètent ou parce qu’elles sont particulièrement pertinentes et significatives, certaines occurrences sont typicalisées et deviennent des types. Ce processus de typicalisation consiste en l’extension

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la signification d’une occurrence, qui prend une valeur d’ancrage pour les expériences passées, présentes et futures. (Durand, 2008, p. 103)

Lorsque l’on s’attelle à prendre pour objet d’étude l’activité et qu’on l’envisage dans toute la complexité que nous avons esquissée, nous pouvons présager de la pertinence de sa prise en compte dans des projets de développement de la personne, et, plus particulièrement, en lien avec notre propos, dans ceux de développement professionnel. En effet, l’activité étant constitutive de l’identité professionnelle, lui attribuer un statut prioritaire dans les espaces de formation représente un levier pour l’implication des acteurs dans le processus de transformation de leurs pratiques.

2.1.4. L’analyse de l’activité comme ingénierie de formation

Selon le postulat que le travail enseignant ne se résume pas à l’application d’actions pré-définies ni à la mise en œuvre de savoirs formels, mais est constitué d’une multitude de savoirs pratiques émergeant de l’expérience, construits à travers elle, les approches relevant de l’analyse de l’activité proposent des ingénieries de formation centrées sur les savoirs-faire des professionnels.

Dans le travail, les savoirs-faire sont opérant en situation. En ce sens, ils sont « situés, c’est-à-dire a) spécifiques à des situations, b) encapsulés dans l’agir au point d’en être indissociables, et c) incorporés au sens où le corps des acteurs est toujours impliqué et où la pensée comme l’action portent des traces de cette inscription corporelle» (Poizat & Durand, 2015, p.3). Leur imbrication aux situations fait qu’ils sont difficiles à identifier et à reconnaître, cela même par l’acteur qui les mobilise, qui n’en a pas obligatoirement conscience. Cela rend bon nombre de gestes professionnels implicites. Parce que les travailleurs inventent constamment « des modalités d’action en situation » (Poizat & Durand, 2015, p.3), s’intéresser à leur activité offre l’opportunité de considérer l’autonomie de la pratique, de saisir de quoi est fait le couplage structurel dont celle-ci est issue, c’est-à-dire comment l’acteur donne signification à son environnement et quelle influence ce dernier a sur la manière dont il réalise son travail. En matière de formation, cela signifie qu’il faut prendre en considération le caractère situé de l’activité et envisager des dispositifs qui permettent d’appréhender le rapport que le travailleur entretient avec celle-ci, dans tous les registres qu’elle contient : le possible, l’actuel et le virtuel.

Partant du principe que « toute situation de formation consiste en une situation d’interactions censée amener le formé à se transformer et à changer de point de vue » (Ria & Leblanc, 2011, p. 156), les ingénieries intégrant l’analyse de l’activité professionnelle peuvent être apparentées à des projets d’enquête. En effet, on tend alors à tirer des informations de l’activité en prenant appui sur le fait que derrière toute action visible se cache le vécu de l’acteur. Ainsi donc l’activité est-elle signifiante d’une « conscience pré-réflexive […] considérée comme une composante de l’activité qui est exprimable, continue (l’acteur y accède potentiellement à chaque instant), concomitante (elle n’interrompt pas le flux de l’activité) et partielle (toute l’activité ne fait pas expérience) » (Durand, 2008, p. 5). La quête de ce qui est significatif dans l’activité, pour l’acteur, pour la réalisation de son travail et pour les effets que ce dernier produit permet de répondre à plusieurs buts :

• voir ce qui est transparent, ce qui, de l’activité, est tellement intégré qu’il relève de l’implicite ;

• comprendre les intentions qui sont à l’origine des actions entreprises ;

• distinguer ce qui produit des effets attendus et ce qui peut être contre-productif ;

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• repérer dans l’activité des occurrences typiques, qui peuvent potentiellement être généralisées, en d’autres termes conceptualiser l’activité ;

• ouvrir à d’autres possibles.

Dans cette perspective de rendre accessible et intelligible ce qui est constitutif de l’activité, les opérations de formation proposées regroupent des processus qui visent à « déconstruire la complexité [du] travail et de […] donner des repères concrets et prioritaires pour guider [l’]action en classe et pour pouvoir l’analysera posteriori » (Ria & Leblanc, 2011, p. 164). A une échelle collective, cela contribue à construire des normes professionnelles, qui soient établies non pas à partir de ce qui est attendu comme produit du travail, mais à partir de l’expérience même du travail, et, par là, à définir le travail en fonction de son contexte de production, davantage qu’à tenter de le faire correspondre à des modèles

L’usage de la vidéo pour accéder à l’activité réelle

L’usage de la vidéo comme moyen de donner accès à l’activité est une pratique qui prend son essor dans les offres de formation, grâce aux outils technologiques qui se démocratisent et aux dispositifs numériques qui équipent progressivement les établissements, rendant toujours plus commodes les manipulations nécessaires. Le concept de « vision professionnelle », « définie comme la capacité de l’enseignant à remarquer et à interpréter les éléments objectivement pertinents des interactions en classe » (Serin, 2001, cité par Flandin, Leblanc et Muller, 2015), est mis en œuvre dans des modalités de formation qui font usage de cet outil, permettant alors d’intégrer une « forme de médiation […] dans le rapport qu’entretiennent les enseignants formés avec leur travail » (Flandin, Leblanc et Muller, 2015, p. 180). C’est à travers cette médiation que peuvent être repérés des signes qui permettent d’appréhender l’activité dans toute sa complexité, à savoir comment s’actualise le couplage structurel de l’acteur et de son environnement. L’acteur devient spectateur de la situation dans laquelle il évolue. Son activité mise à distance comporte des évidences en même temps qu’elle soulève des questionnements. En ce sens elle est à la fois compréhensible et énigmatique.

L’émergence des signes que l’artefact de la vidéo donne à voir et leur identification permettent de problématiser les situations de travail, de montrer qu’elles ne poursuivent pas une logique linéaire qui permettrait d’en anticiper l’aboutissement, mais se construisent au fil de leur déroulement.

L’issue de la réalisation de l’activité est en cela douteuse, aléatoire et incertaine, d’où l’intérêt de lui accorder une attention particulière. Elle a en effet des choses à nous apprendre.

Parmi les dispositifs de formation qui se réfèrent au concept de « vision professionnelle », nous portons un intérêt particulier à la méthodologie d’enquête collaborative, empruntée à Lussi Borer et Muller (2016), qui a inspiré le dispositif de formation faisant l’objet du présent travail. Les principes théoriques sur lesquels elle s’appuie s’inscrivent dans la continuité des travaux cités. Nous retenons l’irréductibilité du travail aux principes qui le guident, la nature indéterminée a priori de l’activité et son potentiel de conceptualisation du travail, par une rétroaction réflexive. Les auteurs fondent leur ingénierie sur les trois postulats suivants :

1) L’écart entre le travail prescrit et le travail réel doit être pris en considération, non pas comme un défaut de prestation, mais comme une preuve même de la compétence du travailleur. Toute situation de travail étant singulière, le système de prescriptions sera toujours incomplet. C’est l’interprétation et l’adaptation que le travailleur en fait au cours de son activité qui permet d’avoir accès à l’essence même du travail.

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2) Le travail ne se limite pas à ce qu’on peut voir, mais comporte des aspects cachés : les intentions du travailleur, ses choix, ses renoncements, son appréciation, son ressenti. En ce sens, l’activité d’un individu contient deux facettes : ce qui est réalisé et ce qui ne l’est pas.

3) L’activité est à la fois productive, dans le sens où elle exerce une transformation sur l’environnement, et constructive, dans le sens où elle exerce une transformation sur l’acteur.

La dimension collaborative du dispositif d’enquête implique qu’elle est portée par un collectif :

« L’enquête sera collaborative quand plusieurs individus (singuliers ou collectifs) collaborent à transformer leurs situations respectives » (Lussi Borer & Mulller, 2016, p. 195). Dans le cas où ce collectif regroupe praticiens et théoriciens, l’enquête peut à la fois aboutir aux développements des pratiques et générer de nouvelles connaissances scientifiques.

En prenant comme objet le travail réel, la démarche d’enquête collaborative comme démarche de formation vise la transformation de l’activité professionnelle en misant sur son potentiel, « repéré dans ce qui existe mais qui n’est pas encore actualisé, et non pas sur [la] distance à un étalon (ce qui devrait être) » (Lussi Borer & Muller, 2016, p. 198). Les objectifs de formation sont alors déterminés en fonction de l’activité même, car c’est à cette condition que les perspectives de transformation de celle-ci auront les meilleures chances d’aboutir.

L’enquête consiste à passer d’une situation indéterminée (confuse, contradictoire, obscure) à une situation problématique – ce qui pose problème dans la relation organisme -environnement est identifié et par là une solution devient possible – pour aboutir à une situation déterminée, dans laquelle organisme et environnement ont trouvé un nouvel équilibre. (Lussi Borer & Muller, 2016, p. 194).

Le rôle du formateur

En partant du principe que les professionnels savent déjà beaucoup de choses et que leurs savoirs exercent une influence sur le système de formation, il s’agit, dans les dispositifs visant l’analyse de l’activité, de mobiliser les savoirs d’expérience convoqués dans les situations réelles de travail, pour favoriser le développement de compétences nouvelles. La relation formateur-formé ne suit donc pas une logique de transmission. Elle se nourrit mutuellement et revêt un caractère consensuel. C’est pour cette raison que la conception de la formation ne peut pas être totalement pré-déterminée et cela constitue un paradoxe pour le formateur (Perrin, Lussi Borer, Flandin, à paraître). Celui-ci doit obligatoirement faire preuve de souplesse pour aménager en cours de route ce qu’il a planifié en fonction de ce qui émerge de son interaction avec les personnes en formation, dont l’engagement exercera nécessairement une influence sur le déroulement du projet.

Dans cette même logique, « en raison des propriétés d’ouverture et d’indétermination de l’activité des formés, le concepteur ne possède jamais de certitude a priori quant à l’atteinte des effets attendus » (Durand, 2008, p. 9), et « la convergence entre le projet formatif et l’activité du formé [n’est] jamais acquise » (Perrin, Lussi Borer, Flandin, à paraître, p. 3). La tâche du formateur consiste à « accompagner une activité hic et nunc prometteuse d’un progrès utile ailleurs et plus tard » (Durand, 2008, p. 10), avec l’idée fondamentale que celle-ci comporte son développement potentiel et ouvre à d’autres possibles (registre du virtuel). La conception de la formation implique alors de formaliser ce que Durand (2008) appelle des « espaces d’actions encouragées », pour favoriser l’émergence de ce potentiel. L’activité qui fait l’objet d’une analyse doit nécessairement

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se distinguer de l’activité ultérieure, ou « activité cible », sans quoi elle n’a pas de potentiel de développement. L’auteur évoque à ce propos le « principe de dépassement », sans lequel « les propositions du concepteur ne sont que des occasions de reproduction, dans lesquelles les acteurs réalisent du déjà connu, agi, perçu, éprouvé » (Durand, 2008, p. 9), et le dispositif n’est pas formateur, dans le sens où il n’amène pas de transformations.

La nature consensuelle des dispositifs centrés sur l’activité des formés engage à la définition partagée, à travers un contrat, des modalités de collaboration. Cela s’avère d’autant plus nécessaire lorsque les modalités d’analyse de l’activité ne sont pas familières au public concerné et que, de fait, le rapport que celui-ci entretient avec la formation va être bousculé.

Le formateur se met en recherche avec les participants, sur un mode coopératif, de nouvelles modalités d’activité qui soient innovantes. Cela nécessite qu’il ait lui-même connaissance de l’objet -cible de l’activité et qu’il puisse en envisager des transformations opérantes.

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2.2. L’oral, un enjeu majeur dans le parcours scolaire des élèves

La question de l’enseignement apprentissage des compétences orales, objet-cible de la formation proposée, mérite d’être contextualisée, d’une part dans sa dimension prescriptive, d’autre part par rapport à la place qu’elle occupe actuellement dans les courants de recherche qui s’intéressent notamment à l’échec scolaire et aux conditions de la réussite. Toutefois, nous précisons bien que nos questions de recherche sont orientées sur le dispositif de formation lui-même, et que la temporalité de la recherche ne permettra pas de renseigner l’évolution des compétences des enseignantes, ni celle des élèves, par rapport à cet objet.

Dans le Plan d’Etudes Romand (PER), référence en matière de prescription, le statut de l’oral est assez peu représentatif des défis auxquels doit faire face l’enseignant, lorsque le double enjeu de l’oralité est envisagé dans les processus d’apprentissage : parler de etparler sur. La définition des objectifs qui lui sont consacrés s’inscrit dans la logique de faire parler les élèves, en les outillant de procédures langagières adéquates et adaptées aux contextes de production. C’est donc le parler de qui prédomine, avec une conception du langage comme objet d’apprentissage pour lui-même. Or, il s’avère que l’usage du langage s’inscrit dans des processus d’appropriation bien plus complexes, en tant que le langage est aussi un outil : outil pour comprendre, outil pour penser, outil pour conceptualiser, outil pour s’approprier des savoirs et pour les restituer. L’acception de l’oral qui fonde la norme institutionnelle, référence à laquelle doivent se conformer les enseignants, fait abstraction de ce double enjeu.

La manière dont l’Ecole (avec un grand E qui regroupe les composantes prescriptives et les pratiques effectives) se saisit du langage pour appréhender et conceptualiser les situations d’enseignement apprentissage demeure très spécifique, et requiert des compétences de la part des élèves, qui sont jusqu’alors souvent passées sous silence, dans les textes institutionnels aussi bien que dans la manière dont les professionnels du « terrain » les interprètent. Or, pour certains enfants, le point de rupture que représente l’entrée dans le monde scolaire par rapport à leurs expériences de vie préalables peut constituer un obstacle considérable à leur réussite.

Cela pose la question des prérequis : des prérequis sont-ils attendus pour devenir élève ? Si l’institution évite de s’attaquer à cette question, en mettant à disposition des professionnels des outils de référence (plan d’études et moyens d’enseignement) qui proposent une mise en œuvre de situations d’enseignement très « scolarisées », il revient alors à l’élève d’utiliser les connaissances liées à son expérience personnelle pour établir les liens qui s’imposent entre situations scolaires et objets de savoir. Nombreux sont les chercheurs qui mettent en évidence ce phénomène.

Ils montrent, et ceci pour divers degrés scolaires, que si la référence à des connaissances et expériences quotidiennes peut aider l’élève à donner du sens à ses apprentissages, elle peut également constituer un obstacle ou une source de malentendu (Bautier & Goigoux, 2004 ; Säljö & Bergqvist, 1997).

En effet, la mobilisation d’une connaissance quotidienne en classe repose sur un double processus de décontextualisation et recontextualisation qui change pour tout ou partie la signification de ce savoir. (…) Ainsi, en s’inscrivant dans le curriculum scolaire, les connaissances quotidiennes deviennent des objets à enseigner et sont soumises à un travail de conceptualisation qui s’appuie sur les « préconcepts » développés dans la vie quotidienne et les transforme. (Grossen & Ros, 2014, pp. 177-178).

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Entre alors en jeu le concept de secondarisation, emprunté à Bakhtine. Ce concept traduit le processus de transformation de l’expérience en connaissance, ce que Rochex définit par la faculté de faire un lien entre expériences et connaissances. Comme son nom l’indique, il fait référence à deux niveaux : un genre « premier », qui relève de la production langagière spontanée relative au contexte de production dont elle est issue, et un genre « second », que nous assimilons auparler sur que nous évoquions précédemment. La capacité à faire des liens dont il est question implique la mise en relation des différentes sphères d’expérience du sujet apprenant (Grossen & Ros, 2014), confrontant ce dernier à des tensions dialogiques, dans le sens où se rencontrent, voire parfois se confrontent, un dialoguein situ avec un dialogue importé d’une expérience faite ailleurs, à un autre moment. Ces tensions sont multiples : entre ce que signifie apprendre à l’école et ailleurs, entre la valeur attribuée à l’apprentissage scolaire et celle attribuée à d’autres apprentissages dans d’autres espaces de vie, entre ses différentes sources de connaissance. Elles constituent des passages à risque dont il s’agit d’avoir conscience pour ne pas les laisser devenir des obstacles.

Dans le contexte de la formation qui fait l’objet de l’analyse proposée dans ce travail, nous partons du constat que tous les élèves ne sont pas dotés des mêmes capacités à faire usage du langage dans une perspective scolaire, et que les enseignantes font face aux difficultés que cela représente pour la mission qui leur est attribuée : faire apprendre. En somme, celles-ci sont confrontées à une forme de déni de la part de l’institution, qui « vit dans cette évidence : c’est à l’élève de se constituer et de développer une posture d’appropriation réfléchie des savoirs » (Bonnéry, 2007, p. 67). L’institution ne propose pas, ou alors de façon trop diffuse et trop peu explicite, dans les outils de travail qu’elle met à leur disposition, des prescriptions sur les manières de s’y prendre pour faire apprendre et les stratégies de cadrage de l’activité cognitive requise, laissant dans le flou les principaux enjeux de savoir qui se cachent derrière les situations proposées. En se référant aux conceptions pédagogiques institutionnelles, Bonnéry livre encore ce constat qui perpétue le douloureux principe de reproduction sociale : « Même si ce n’est pas volontaire, les dispositifs d’enseignement qu’elles mettent en place, en donnant libre cours à l’interprétation spontanée des élèves, s’offrent au « délit d’initiés » de ceux qui sont préparés aux bonnes interprétations, et laissent les autres se contenter de

« réciter » ». (2007, p. 67)

On voit bien, nous semble-t-il, à quel point, avec un objet de formation de cette nature, nous sommes au cœur d’une problématique cruciale à laquelle se confronte quotidiennement l’enseignant, quelle que soit la discipline qu’il enseigne.

Fort de ces constats, l’offre de formation va être déterminante sur la possibilité qu’elle laissera ou non aux enseignantes d’envisager la complexité de leur travail en lien avec cet objet, et de s’outiller de pistes de développement professionnel, en adéquation avec leur contexte et le profil de leurs élèves. D’où l’intérêt de concevoir la formation comme un espace pour penser l’écart entre le travail tel qu’il est prescrit et le travail dans sa réalité. Cela prend tout son sens, dans la perspective de permettre aux enseignants d’assumer cet écart et de l'envisager comme une caractéristique intrinsèque de leur travail.

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3. Le temps de la conception

Ce chapitre se rapporte à l’ingénierie de la formation qui a été proposée. Nous souhaitons faire état de ce qui a été réalisé. Nous détaillerons à cette fin les particularités du contexte dans lequel le projet a été conçu, et nous proposerons une analyse des éléments qui l’ont influencé. En tant que formatrice, nous avons fait un certain nombre de choix méthodologiques pour élaborer ce produit.

Nous tenterons d’expliciter les facteurs qui les ont motivés. Finalement, nous décrirons ce qui a été aménagé, en termes de contenus et de méthodes.

3.1 Les particularités du contexte

Il s’agit là de considérer les variables propres au contexte de la réalisation de la formation.

3.1.1 Les acteurs impliqués dans le projet

L’équipe comprend neuf enseignantes travaillant avec des élèves âgés de 4 à 8 ans (cycle 1 de l’enseignement primaire). Huit d’entre elles sont alors titulaires de classe, dont une a dans son horaire quelques heures destinées au soutien scolaire. La neuvième personne est exclusivement en charge du soutien scolaire, accueillant des petits groupes d’élèves des différentes classes, selon les projets définis avec ses collègues.

L’école compte 7 classes : une classe de 1P, une de 1P/2P, deux de 2P, une de 3P, une de 3P/4P et une de 4P. Située dans un quartier populaire comportant une forte proportion de familles socio- culturellement défavorisées, elle fait partie du « réseau d’enseignement prioritaire » (REP), bénéficiant d’un meilleur taux d’encadrement des élèves.

Les enseignantes ont des profils variés. Les années d’expérience des unes et des autres, au moment de la formation, vont de un an à plus de vingt ans. Leurs parcours de formation initiale diffèrent, la formation des enseignants genevois ayant connu des changements importants durant ces trente dernières années. Certaines ont obtenu un diplôme délivré par une institution qui n’existe plus : les Études Pédagogiques de l’enseignement primaire. D’autres se sont engagées dans la profession comme suppléantes et ont suivi en cours d’emploi une formation pédagogique. D’autres encore ont obtenu un titre universitaire, ayant effectué le parcours proposé en Faculté des sciences de l’éducation. Si certaines travaillent depuis longtemps dans l’école, d’autres ont rejoint l’équipe récemment. Comme dans la plupart des équipes enseignantes, le groupe de professionnelles est sujet à des transformations récurrentes, liées aux départs et aux arrivées de collaboratrices. Le travail en équipe constitue donc un enjeu régulièrement renouvelé.

Le Directeur d’établissement est impliqué dans les réflexions pédagogiques de l’équipe. C’est lui qui, suite aux bilans de suivi des élèves relayés par les enseignantes, a souligné l’ampleur des difficultés langagières et proposé dès lors d'y accorder une attention particulière. Il a par ailleurs participé à deux des quatre modules de la formation.

Pour notre part, c’est dans notre rôle de coordinatrice pédagogique que nous nous inscrivons dans le projet, en proposant un dispositif de formation que nous expérimentons et sur lequel nous avons choisi de baser notre mémoire professionnalisant.

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