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3.4 D U L IVRE BLANC AU PROJET DE T RAITE CONSTITUTIONNEL

3.4.4 Accès

L’ouverture et la participation figurent parmi les cinq principes qui sous- tendent l’ensemble des propositions du Livre blanc en matière de gouvernance européenne.

« La qualité, la pertinence et l’efficacité des politiques de l’Union dépendent d’une large participation des citoyens à tous les stades, de la conception à la mise en œuvre des politiques. L’amélioration de la participation devrait accroître la confiance dans le résultat final et dans les institutions qui produisent les politiques » (Commission, 2001 : 12).

Ce discours en faveur « d’une nouvelle approche faisant précisément appel à la participation de tous » (ibid.) présente un caractère novateur dans le contexte européen. Les modalités d’accès aux institutions proposées se distinguent du canal historique d’association des citoyens au processus de policy-making, la représentation des citoyens au sein du Parlement européen. « This is an interesting shift in the discourse of the Commission, whose members have long argued that the Union could be legitimate if it produced good policies » (Magnette, 2001b: 1). Certains auteurs analysent ainsi le discours de la Commission sur la « gouvernance participative » comme un « changement de paradigme » (Liebert, 2001 : 10).

Dans le cadre de ce nouveau « paradigme », les partis politiques et les partenaires sociaux, jouissant historiquement d’un statut privilégié au sein du processus d’élaboration des politiques européennes, voient ce statut remis en cause au profit de la société civile dans son ensemble. Le Livre blanc met en avant la contribution que des réseaux reliant entreprises, communautés, centres de recherche et collectivités régionales et locales peuvent apporter à l’élaboration des politiques, en tant que « multiplicateurs d’opinion » favorisant un rapprochement du public avec l’Union et ses actions (Commission, 2001 : 21). Cette insistance sur la participation et les réseaux de la société civile comme modalité d’accès des citoyens aux institutions européennes renvoient à un régime de citoyenneté de gouvernance qui se distingue d’une citoyenneté de gouvernement fondée sur la représentation parlementaire.

Le principe de la démocratie participative formulé dans le projet de Traité constitutionnel procède du même paradigme :

« Les institutions donnent, par les voies appropriées, aux citoyens et aux associations représentatives la possibilité de faire connaître et d’échanger publiquement leurs opinions dans tous les domaines d’action de l’Union. Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile. En vue d’assurer la cohérence et la transparence des actions de l’Union, la Commission procède à de larges consultations des parties concernées » (article I-47).

Ces trois paragraphes reprennent assez largement les débats qui ont animé les années 2000 et 2001 autour du Livre blanc sur la gouvernance européenne. Ils formalisent des pratiques auxquelles recourent largement le Parlement européen et surtout la Commission (Levrat, 2005 : 92-93). Dans la même perspective, le dernier paragraphe de l’article I-47, relatif à la pratique de l’initiative citoyenne, établit une connexion directe entre les citoyens européens et la Commission. Le texte promeut également le principe d’ouverture mis en exergue dans le Livre blanc : « Le Parlement européen siège en public, ainsi que le Conseil lorsqu’il délibère et vote sur un projet d’acte législatif » (article I-50, paragraphe 2). Introduit dans le Traité d’Amsterdam, le principe d’ouverture fait ici l’objet d’une extension ; l’exigence de publicité des débats au sein du Conseil lorsque celui-ci statue sur un projet d’acte législatif dépasse le droit d’accès aux documents formulé dans le traité CE (article 207).

Le projet de Traité constitutionnel consacre donc explicitement le principe de la participation, directe ou médiatisée par les organisations de la société civile, comme mode d’accès des citoyens aux institutions européennes, se démarquant par là même des traités existants promouvant un régime de citoyenneté fondé exclusivement sur la représentation parlementaire. Toutefois, les limites du texte en matière de démocratie participative, conjuguées à la force nouvelle octroyée au Parlement européen, montrent que l’importance de la représentation comme canal d’accès traditionnel des citoyens aux institutions n’est nullement remise en cause par cette innovation. Si la démocratie participative est explicitement consacrée comme principe de la vie démocratique de l’Union, l’opérationnalisation concrète de ce principe reste sous-développée dans le projet de Traité constitutionnel. L’insuffisance de dispositions opérationnelles pour mettre en œuvre le principe de démocratie participative est l’une des critiques principales formulées par le Comité économique et social à l’égard du texte45. À titre d’illustration, le processus de

coordination présenté en matière de politique sociale (cf. supra) ne fait pas mention de la participation des acteurs de la société civile (de la Porte et Nanz, 2004 : 268). Seuls la consultation et le dialogue avec les partenaires sociaux sont évoqués (articles III-211 et III-212). Par ailleurs, l’importance de la démocratie représentative comme principe de la vie démocratique de l’Union est clairement affirmée dans le texte. L’article consacrant le principe de la démocratie participative est précédé d’un article sur la démocratie représentative : « Les

45 Voir CES, Avis à l’intention de la « Conférence intergouvernementale 2003 » (2004 : 47) et Avis

citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen. Les États membres sont représentés au Conseil européen par leurs chefs d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens » (article I-46, paragraphe 2). La formulation du premier paragraphe de cet article montre explicitement la force du paradigme de représentation au sein de l’UE : « Le fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative ». Dans la même perspective, si dans le cadre de la démocratie participative, le Traité ne définit en aucun cas les organisations visées par le concept de société civile, les partis politiques sont explicitement mentionnés comme organes de représentation (article II-72). L’extension des pouvoirs du Parlement européen à travers l’érection de la codécision comme procédure législative ordinaire, faisant ainsi du Parlement un co-législateur à part entière (article III-396), confirme enfin l’importance accordée à la représentation comme modalité d’accès aux institutions dans le projet de Traité constitutionnel.

La dimension « accès aux institutions » du régime de citoyenneté de l’Union est ainsi certainement celle où la juxtaposition de deux types de régimes s’exprime avec le plus de netteté : les éléments embryonnaires d’un régime de citoyenneté de gouvernance basé sur la participation de tous viennent se greffer sur un régime de citoyenneté de gouvernement fondé sur la représentation parlementaire.

3.5 CONCLUSION

Analysant l’évolution de l’article I-47 relatif à la démocratie participative, Nicolas Levrat remarque que son contenu a été modifié en substance par rapport à la proposition originelle de la Convention : son premier paragraphe, relatif au « droit de participer à la vie démocratique de l’Union » a été intégré dans le texte final à l’article I-46 sur la démocratie représentative. L’auteur conclut alors qu’ « il est intéressant qu’une telle affirmation relative au ‘droit de participer à la vie démocratique de l’Union’ puisse trouver, dans les mêmes termes, mais alternativement, sa place dans un article sur la démocratie participative (projet du Praesidium) ou dans un article relatif à la démocratie représentative. Cela nous semble illustrer la relative confusion qui entoure le champ respectif de ces deux modes démocratiques » (2005 : 92).

C’est précisément à l’analyse cette « confusion » de deux modes de régulation et de son impact sur la citoyenneté qu’était consacré le présent article. Fondé sur une définition large de la citoyenneté européenne comme relation dynamique et contingente entre les Européens et l’entité politique européenne - définition appelant à une analyse contextualisée de cette dimension de l’intégration européenne-, il visait à proposer une nouvelle grille d’analyse pour penser la citoyenneté telle qu’elle est aujourd’hui conçue dans le discours institutionnel européen. Dans cette perspective, à la lumière des développements politiques récents que sont la publication du Livre blanc sur la gouvernance européenne et le

projet de Traité constitutionnel, il a cherché à démontrer qu’un prisme d’analyse juxtaposant « régime de citoyenneté de gouvernement » et « régime de citoyenneté de gouvernance » offre un cadre fructueux pour appréhender la conception de la citoyenneté européenne promue aujourd’hui au sein des institutions de l’UE.

Les changements apportés au modèle de régulation promu par les institutions de l’UE ne sont pas directement et expressément formulés comme éléments de la « politique de citoyenneté » (Wiener, 1998) de l’Union. Ils ont pourtant un impact important sur la définition de la citoyenneté valorisée dans le discours institutionnel européen. Le cadre analytique proposé a permis de saisir cette relation et de mettre en lumière les éléments de transformation - et de permanence - de la citoyenneté européenne. À travers la comparaison de deux épisodes chronologiquement proches, cette étude a également permis de démontrer que des tensions existent dans les conceptions qui guident le processus de « citoyennisation » européen, i.e le processus de construction de la citoyenneté de l’UE; elle vient ainsi rappeler combien la citoyenneté est une construction dynamique, dont les contours ne cessent d’évoluer et ne sauraient donc être postulés a priori dans l’analyse.

PROJET DE TRAITÉ CONSTITUTIONNEL

Le rejet du projet de Traité constitutionnel par les peuples français et néerlandais à la fin du printemps 2005 a provoqué de nouveaux rebondissements dans le processus de réforme institutionnelle européen. Le Conseil européen a en juin 2005 appelé à une « période de réflexion » sur l'avenir de l'Europe pour décider de l'avenir de la Constitution et reconnecter les citoyens avec le projet européen. La lecture de cette période à travers une perspective « citoyenneté » visant à analyser les développements récents en matière de citoyenneté européenne montre que deux processus parallèles se sont déroulés au cours de cette phase. Le processus le plus visible a sans doute été le processus intergouvernemental, avec la convocation par les Chefs d’État et de gouvernement d’une Conférence intergouvernementale invitée à rédiger un traité modifiant les traités actuels en vue de renforcer l'efficacité et la légitimité démocratique de l'Union élargie. Les travaux de celles-ci ont abouti au Traité de Lisbonne, signé par les Chefs d’État et de gouvernement le 13 décembre 2007 et aujourd’hui en cours de ratification par les États membres (CIG, 2007).

L’analyse de ce traité à la lumière du projet de Traité constitutionnel qui l’a précédé révèle néanmoins peu, voire aucune, nouveauté institutionnelle en matière

de citoyenneté (voir notamment Pennera, 2008 ou Shaw, 2008). Les développements intergouvernementaux récents qui ont abouti au Traité de Lisbonne n’offrent donc pas d’innovation significative pour le processus européen de « citoyennisation », c’est-à-dire de construction de la citoyenneté, et reflètent les mêmes hésitations que celles présentes dans le projet de Traité constitutionnel formulé il y a quelques années (Auvachez, 2007). Cet immobilisme intergouvernemental signifie-t-il pour autant que le processus de citoyennisation européen s’est arrêté en 2005?

L’article répond à cette question en montrant que le processus intergouvernemental s’est doublé d’un processus parallèle au sein des institutions européennes, mené plus particulièrement par la Commission, dont les résultats en termes de citoyennisation méritent d’être explorés. Face aux difficultés du processus intergouvernemental, les institutions de Bruxelles semblent avoir choisi la voie de la politique publique plutôt que celle de la révision des traités pour faire avancer le dossier de la construction de la citoyenneté européenne. Le processus de citoyennisation européen s’est ces dernières années développé à travers une politique centrée sur la notion de « citoyenneté européenne active ».

L’article présente tout d’abord une analyse de l’essor du concept de « citoyenneté européenne active » tel que développé récemment par la Commission européenne. Il sera ensuite démontré, à travers une approche institutionnaliste associée au modèle théorique proposé par John Kingdon, que l’émergence récente

du concept de citoyenneté européenne active dans l’univers du discours européen trouve son explication dans la confluence, à travers le cadre institutionnel spécifique de l’Union européenne et par le jeu de certains entrepreneurs politiques, d’une fenêtre d’opportunité créée par l’échec des référendum de 2005, d’un problème de relations entre les institutions européennes et les citoyens de l’Union (problem stream), diagnostiqué depuis déjà longtemps, d’une crise politique au sein de l’UE (political stream), et de solutions « disponibles » dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne et de sa version révisée (policy stream).