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Quand nous aborderons plus loin la question des conflits entre différents systèmes culturels et religieux, nous nous réfèrerons à nouveau à Sylvie Fortin dont les écrits sur les

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n'importe comment. Mais entre le minimum souhaitable et pratique et le maximum possible et obligé, il y a tout un ensemble de possibilités qui ne sont peut-être pas toujours bien exploitées (Paillé et Mucchielli, 2003 p. 47).

Le danger, ajoutent-ils, est de faire d’une recension une sorte d’outil prévisionnel. Idéalement on devrait plutôt trouver là une problématique de départ, capable d’aiguiser la sensibilité théorique du chercheur, élément indispensable de la méthodologie propre à la Théorisation ancrée empiriquement et non, comme trop souvent, la limiter, l’engorger ou l’endormir (ibid., p. 46-47).

On recourra à la littérature en cours de route et en fin de parcours. Ce qui n’est pas dire que la chercheure doit oublier sa propre formation professionnelle, sa propre ex- périence. L’australienne Debra Griffiths, qui est, à la fois, infirmière et avocate, et qui étudie selon ces deux perspectives le refus des patients aux décisions concernant leurs soins, explique fort bien ce qu’apporte, pour elle, cette double sensibilité théorique. Elle est arrivée à la recherche forte de ses connaissances, accumulées au cours des ans, dans ses deux champs d’expertise. Elle ajoute: Sensitivity is developed over time, from

reading the literature and can include the experience of the researcher ... Theoretical sensitivity guides the researcher to ensure that the data are examined from all per- spectives (Griffiths, 2008 p. 53). Norman Denzin et Yvonna Lincoln (2005 p. 12) par-

leront, en ce sens, de Capturing the individual’s point of view. Pour sa part, l’auteure de la présente recherche peut, quant à elle, miser sur ses propres expériences d’infirmière et de gestionnaire de soins infirmiers, jumelées à ses études en adminis- tration, en sciences de l’éducation et en bioéthique.

Historiquement, la position de Barney Glaser, co-fondateur de la Théorisation ancrée empiriquement, sur la connaissance préalable est quelque peu ambiguë: lui-même va même jusqu’à interdire toute recension des écrits préalable à la recherche elle-même pour éviter, dit-il, toute forme de contamination afin de véritablement faire émerger la théorie à partir des données seules (Charmaz, 2006 p.165); mais pour Strauss et Corbin qui bien à propos, citent Ian Dey (1993 p. 63) sur la différence entre un esprit ou-

Michèle Kérisit précisent: De fait, la recension des écrits en recherche qualitative ne vert et une tête vide, la question est de savoir comment utiliser les connaissances déjà acquises: In short, there is a difference between an open mind and an empty head. To

analyse data, we need to use accumulated knowledge, not dispense with it. The issue is not whether to use existing knowledge, but how (Strauss et Corbin, 1998 p. 47).

Pour Strauss et Corbin, un survol de ce qui a été écrit aura en outre l’avantage de pouvoir fournir des exemples de phénomènes semblables à ceux que le chercheur étudie (Strauss et Corbin, 1998 p. 45).

Cette façon de traiter des publications de nos prédécesseurs peut sembler étrange aux chercheurs plus positivistes et partisans de recherches quantitatives. Comment conci- lier avec une volonté de faire une œuvre scientifique la réticence plus ou moins pro- noncée mais somme toute patente de l’ensemble des théoriciens de la Théorisation ancrée empiriquement face, par exemple, à une exploration exhaustive préalable de la littérature?

Tout s’analyse, tout se code. Et la théorie émergera à mesure que l’analyse se poursuit et elle émergera de la seule étude des données recueillies. François Guillemette explique: pas question de "forcer " des théories "sur" les données empiriques pour les interpréter (2006 p. 33) pas question, même comme hypothèse de travail, de vérifier, dans le contexte étudié, les possibilités d’application des éléments tirés de la littérature, voire de notre cadre conceptuel, de tel ou tel modèle de soins infirmiers, voire de l’interactionnisme symbolique comme grille possible de lecture. Ce serait aller contre ce qu’il faut comprendre de l’esprit de la Théorisation ancrée empiriquement.

Il ne s’agit donc pas de partir d’hypothèses échafaudées à partir d’une exploration exhaustive de la littérature, un cadre théorique bricolé tant bien que mal, diront Paillé et Mucchielli (2003). On recourra à la littérature en cours de route et en fin de par- cours. Ce qui n’est pas dire que la chercheure doit oublier sa propre formation profes- sionnelle, sa propre expérience, ses propres lectures.

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vise pas tant l’opérationnalisation des concepts permettant un démarrage de la re- cherche que la délimitation progressive de l’objet (Deslauriers et Kérisit, 1997 p.

92). Puis, concluant sur le sujet, les auteurs poursuivent:

La recension des écrits, loin de contribuer à éliminer les biais, peut au con- traire les renforcer: un chercheur trop dépendant de la littérature devient dé- pendant des autres chercheurs et peut aboutir aux mêmes impasses ... s'il est important de connaître, il n'est pas nécessaire de tout connaître. Comme le re- commande (Becker, 2007) un vétéran de la recherche qualitative: ‘Utilisez la recension des écrits mais n'en devenez pas dépendants’. (ibid., p. 93).

Strauss et Corbin (2008 p. 49), après avoir pesé le pour et le contre d’une lecture ini- tiale de la littérature pertinente, concluent: Familiarity with relevant literature can

enhance sensitivity to subtle nuances in data, just as it can block creativity.

1.10.- En conclusion de ce chapitre. Au terme de cette recension des écrits, et mal- gré les limites que nous nous sommes imposées dans cet effort d’intégrer les acquis de nos prédécesseurs à notre projet d’une problématique de départ, une brève synthèse nous semble s’imposer.

De ce bien court survol, il appert, au départ, établi que l’infirmière ne sait pas toujours reconnaître pleinement la dimension éthique des problèmes soulevés dans sa pratique quotidienne (Chambliss, 1996, Storch, 2004b); d’où un malaise souvent constaté (De Bouvet et Sauvaige, 2005, Nisker, 2004). Le besoin s’est fait sentir d’une éthique in- firmière, distinguée, malgré la controverse, d’une éthique médicale.

Le consentement, situation paradigmatique de la bioéthique, a été abondamment traité. Mais il ne s’agit, le plus souvent, que sous l’aspect plus strictement légal (Lemonidou, Merkouris, Leino-Kilpi et collab., 2003, Laudy, 1998, 2003) De plus, on n’en parle, presque toujours, moins comme un dialogue entre personnes impliquées dans un plan thérapeutique, qu’en tant que transmission d’information paternaliste, d’un contenu à

tage du consentement comme processus entre partenaires, neither an arbitrary legal

imposition on clinical care nor a ritual disclosure that the patient cannot understand.

(Lidz, Appelbaum et Meisel, 1988 p. 1386).

Dans ce processus l’infirmière, qui joue un rôle d’intervenante-pivot, peut collaborer avec le patient ou ses représentants, dont on reconnaît l’expertise, et avec l’équipe de soins. On voit germer l’idée que le patient ou, le cas échéant, le parent ou le représen- tant de l’autorité parentale, peut ainsi devenir membre de l’équipe de soins, donnant à tout le processus de consentement aux soins, une fois désenclavé de son contexte par trop légal, une dimension thérapeutique.

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