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I.1 Radiopharmaceutiques

I.1.2. a Propriétés physicochimiques du technétium et du rhénium 29

Le technétium (Z = 43) a été prédit par Mendeleïev et isolé par Segré et Perrier en 1937 [Perrier 37, deJonge 96]. Son nom vient du grectechnetos qui signifie "artificiel" et a été choisi pour rappeler que c’est le premier élément artificiel à avoir été isolé [Perrier 47]. Il possède plus de 30 radioisotopes connus (du 90Tc au 110Tc). Parmi ces isotopes, les

94mTc,99mTc et99gTc sont les plus utilisés (Tab.I.4), mais le95mTc et le96Tc commencent à être étudiés. Le 94mTc est un émetteur majoritairement β+ (2,44 MeV), de période 52 min, produit dans un cyclotron par irradiation de 94Mo. Il est utilisable en imagerie TEP mais le développement de traceurs à base de 94mTc est à l’heure actuelle très limité en raison de la concurrence exercée par le 18F.

Tab. I.4 – Principaux isotopes du Tc et du Re utilisés pour les radiopharmaceutiques.

Nucléides Emission et énergie Période Production Application

99mTc γ, 140 keV 6,02 h 99Mo/99mTc médecine nucléaire, générateur recherche

99gTc β, 294 keV 2,13.105 ans réacteur recherche

94mTc β+, 2,44 MeV 52 min cyclotron recherche

186Re β, 1,1 MeV 90,6 h réacteur médecine nucléaire,

γ, 137 keV (9%) recherche

188Re β, 2,0 MeV 17,0 h 188W/188Re médecine nucléaire,

γ, 155 keV (15%) générateur recherche

185Re/185Re stable - naturel recherche

Le 99mTc est un émetteur γ de période 6,02 h et d’énergie 140 keV. Il est facilement produit à partir du générateur 99Mo/99mTc (Fig. I.9 et I.10). Ce générateur, mis au point dès 1958 par Tucker et Greene, est constitué de99MoO

4 adsorbé au sommet d’une colonne d’alumine échangeuse d’ions. Le 99Mo peut être produit soit par activation neutronique

Fig. I.9 – Filiation du 99Mo

du 98Mo en réacteur nucléaire, soit par fission de l’235U. Le 99Mo génère le 99mTc sous forme de pertechnétate 99mTcO

4, qui est ensuite élué par une solution saline (NaCl 9 mg/ml et nitrate de Na 0,05 mg/ml) sur une période de 7 à 10 jours. La solution obtenue est très diluée, de l’ordre de 10−7 à 10−8 M. La synthèse des radiopharmaceutiques doit par conséquent être réalisée à haute dilution, ce qui joue de manière importante sur les cinétiques de complexation. La caractérisation des complexes est alors difficile par des méthodes analytiques classiques. L’utilisation de l’isotope 99gTc permet de caractériser chimiquement les complexes de 99mTc et de réaliser éventuellement une structure par RMN ou diffraction de rayons X.

La première utilisation du 99mTc en médecine, en 1962, a permis un examen diagnos-tique de la thyroïde à l’aide de pertechnétate. En 1963 a eu lieu la première scintigraphie hépatique et en 1964 la première scintigraphie cérébrale. Depuis, les applications n’ont cessé de se multiplier [Liu 99, Jurisson 99].

Le 99gTc, g pour "ground" par opposition à m pour "metastable", se desintègre en émettant une radiation β forte (294 keV) et a une période de 213 000 ans (Fig.I.9). Il est obtenu par extraction des produits de fission de l’uranium 235 et représente environ 6% des produits de fission (un réacteur nucléaire de 100 MW en produit quotidiennement 2,5 g). La manipulation de cet élément est réalisée dans des conditions de radioprotec-tion assouplies qui permettent de l’utiliser en quantité pondérale (1 à 20 mg). Il nécessite toutefois, comme pour tout élément radioactif, la mise en place d’une prévention de la contamination et d’une filière d’évacuation des déchets. Il n’est pour l’instant utilisé que pour les études préliminaires en recherche afin de caractériser chimiquement et structu-rallement les complexes à base de technétium.

Fig. I.10 – Générateur 99Mo/99mTc (Elumatic-III, CisBio International) et schéma de principe. 0) robinet de sécurité ; 1) poche contenant une solution saline stérile ; 2) aiguille ; 3) colonne en verre ; 4) filtre ; 5) capsules métalliques ; 6) alumine ; 7)-8) aiguille ; 9) enceinte plombée ; 10) habillage ; 11) flacon de solution bactériostatique ; 12) conteneur du flacon.

Le rhénium (Z = 75) a été découvert en 1925 par Tacke, Noddack et Berg. Il appar-tient à la même colonne de la classification périodique que le technétium. Il a pendant longtemps été utilisé uniquement pour ses propriétés en catalyse [Herrmann 95]. Il pos-sède deux isotopes naturels, 185Re (37,4%) et 187Re (62,6%), et deux isotopes radioactifs émetteursβ,186Re et188Re (Tab. I.4). Ces derniers sont utilisables en radiothérapie mais peuvent également être imagés en temps réel grâce à leur émission γ. L’isotope 188 est produit dans un générateur portable188W/188Re alors que le rhénium 186 est obtenu dans un réacteur nucléaire à partir du 185Re. La distance moyenne parcourue par la particule

β dans les tissus est de 5 mm pour le 186Re et de 11 mm pour le 188Re. Le premier est donc plus adapté au traitement des petites tumeurs alors que le second sera utilisé pour des masses tumorales plus importantes. Leurs périodes sont compatibles avec des applications de radiothérapie (90,6 h pour 186Re et 17,0 h pour 188Re).

Les chimies du rhénium et du technétium sont très similaires, en particulier pour l’état d’oxydation +V [Dilworth 98, Schwochau 00]. En effet, le phénomène de contraction des orbitales f des lanthanides assure des propriétés voisines aux complexes de ces deux élé-ments (rayons ionique et atomique, etc.)(Tab. I.5). Toutefois, des différences importantes existent, en particulier sur les potentiels d’oxydo-réduction et les cinétiques d’échange des ligands. Ainsi, le technétium est plus facile à réduire que le rhénium et ce dernier présente

généralement des cinétiques de complexation plus lentes. Cette relative facilité d’oxyda-tion du rhénium entraine la formad’oxyda-tion in vivo de l’espèce ReO

4. La stabilité de cet ion perrhénate conduit à une élimination rénale du radiomarquage sous forme anionique.

Tab. I.5 –Caractéristiques du rhénium et du technétium.

propriétés Tc Re

numéro atomique 43 75

configuration élecronique [Kr]4d55s2 [Xe]4f145d56s2

rayon métallique (Å) 1,36 1,37 énergie de première ionisation (eV) 7,28 7,87

E0(V) MO

4/M + 0,48 + 0,37 E0(V) MO2/M + 0,28 + 0,26 E0(V) MO

4/MO2 + 0,74 + 0,55

Par ailleurs, la plus grande inertie cinétique à l’échange de ligands du rhénium par rapport au technétium peut conduire à la formation de produits différents sur le plan chi-mique ou stéréochichi-mique. En effet, un autre aspect important de la chimie de ces éléments est l’isomérisme géométrique lié au positionnement du cœur métallique et à l’arrangement spatial des atomes coordinants, notamment les azotes impliquant leur doublet libre dans la coordination [Liu 99]. Dans les complexes de géométrie pyramidale à base carrée ou octahédrique, on rencontre souvent des diastéréomères dus à l’orientationsyn etanti des substituants du cœur métallique (Fig. I.11).

Fig. I.11 –Diastéréomères syn et anti d’un cœur TcO+

3 ou ReO+

3 coordinné par le motif de complexation NS2+S.

La lipophilie des complexes de rhénium et de technétium peut également être différente et entrainer des variations de biodistribution pour les radiopharmaceutiques correspon-dants.

I.1.2.b Cœurs de technétium et de rhénium

Le technétium possède neuf degrés d’oxydation de -I à +VII. En solution aqueuse, le diagramme potentiel-pH du technétium montre que seuls les degrés d’oxydation +VII,

+IV voire +III sont stables en présence d’eau. Les autres degrés d’oxydation ne sont stabilisés que par des ligands hétéroatomiques différents de H2O [Comet 98]. A potentiel d’oxydoréduction élevé, la forme stable est l’ion pertechnétate TcO

4. Quand le poten-tiel diminue, c’est le degré +IV qui devient prépondérant. La zone de prépondérance de Tc(III), en milieu acide, est très limitée. Enfin, à faible potentiel, c’est le Tc métallique (0) qui est stable. Au pH physiologique (pH = 7,4), c’est la forme pertechnétate qui est la plus stable. Les complexes technétiés injectés in vivo doivent donc être stables, sans quoi c’est la biodistribution de TcO

4 qui est observée.

La chimie du technétium est dominée par la formation de complexes métal-donneurs. Les groupements donneurs les plus couramment rencontrés sont les amines, les amides, les hydrazines, les thiols, les phosphines, les oximes et les isonitriles. Le contrôle de l’état d’oxydation du technétium et de la stabilité du complexe formé peuvent être difficiles à cause de sa chimie d’oxydoréduction très riche. Mais cette richesse est aussi un atout, puisqu’elle offre la possibilité de modifier la structure et les propriétés des complexes par le choix du système chélatant et de l’état d’oxydation du cœur métallique (Fig. I.12). Les degrès +I, +III et +V sont les plus stables et les plus accessibles dans la forme complexée.

Fig. I.12 – Principaux cœurs de technétium

Le cœur métallique détermine en partie la structure du complexe et le choix des atomes donneurs. Nous avons choisi d’utiliser le degré d’oxydation +V. En effet, cet état d’oxydo-réduction est le plus utilisé aujourd’hui pour le marquage des radiopharmaceutiques : il est bien connu et a été largement décrit. A ce degré d’oxydation, les complexes comprennent

en général un ou deux atomes d’oxygène (ou d’azote) directement liés au technétium, formant le cœur, et quatre sites de coordination pour les autres ligands. Les principaux cœurs sont l’oxotechnétium (TcO3+), le dioxotechnétium (TcO2+) et le nitrurotechnétium (TcN2+). Les géométries observées sont de type pyramide ou bipyramide à base carrée.

La chimie du rhénium est elle aussi caractérisée par l’existence d’un grand nombre de degrés d’oxydation facilement accessibles. Le degré d’oxydation +VII est le plus stable en milieu aqueux sous forme d’un anion perrhénate. Les hauts degrés d’oxydation sont, comme pour le technétium, stabilisés par la coordination de ligandsπ-donneurs forts très électronégatifs. On retrouve les mêmes cœurs de degré +V que pour le technétium.

I.1.3 Motifs de complexation des cœurs de technétium (+V) et