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II LA CONSTRUCTION DE L’OBJET PATRIMONIAL

II. A.2.b Nations et patrimoines

Construction patrimoniale et construction nationale

« Les bâtiments, objets et sites, qui nous enracinent réellement ou

imaginairement dans une collectivité, voire une patrie, nous permettent de dire : c’est bien de là que je suis » (Dupavillon, 1992 : 15). Instrument de construction des

mémoires et des identités collectives, le patrimoine renvoie à la notion de frontière et, lorsqu’il est attaché à un espace géographique et symbolique, constitue également le support de constructions territoriales : l’objet patrimonial est sollicité pour établir des limites, marquer de nouveaux espaces, renforcer des territoires. Il y aurait ainsi une sorte de « parenté conceptuelle1 » entre patrimoine et territoire. Le processus de

patrimonialisation est de fait étroitement lié à la construction territoriale qui constitue, elle aussi, une opération volontariste et dynamique (IIA1b). La construction patrimoniale « opère souvent (délibérément ou pas) dans un but territorial

(territorialisation, re-territorialisation, déterritorialisation) et, inversement, la territorialisation s’appuie sur des démarches patrimonialisatrices : le territoire est avant tout la terre des ancêtres » (Gravari-Barbas, 2002 : 85).

La construction patrimoniale constituait ainsi, historiquement, l’apanage traditionnel de l’État-nation - la nation produisant le patrimoine et le patrimoine produisant la nation. Le projet national a en effet permis la constitution de patrimoines dans la plupart des États-nations au cours du XIXe siècle et, inversement, le patrimoine a été un outil essentiel dans la création des identités nationales. La constitution du patrimoine national résulte de la sélection des symboles et des emblèmes nationaux comme légitimation de la volonté de vivre ensemble dans une nation, perçue comme le résultat d’un territoire distinct, avec ses propres institutions et sa propre population. « Les éléments qui accèdent au statut

patrimonial sont conformes à l’iconographie nationale réelle ou voulue. En même temps, en sont exclus d’autres qui relèvent d’un passé qu’on pourrait qualifier d’hostile, d’inconfortable, de moins valorisant, ainsi que ceux qui peuvent porter préjudice à l’unité nationale » (Gravari-Barbas, op.cit. : 87).

À l’image d’un patrimoine « campé dans l’éternité », la nation et l'identité nationale semblent avoir toujours existé : l'appartenance à une nation induit généralement l'idée d'une filiation issue de « grands ancêtres » - le patrimoine participant à la construction d’une généalogie essentielle à la légitimité politique1. Or,

comme le patrimoine, la nation est une « invention » et son « efficacité » naît de son intériorisation : l’aspect construit des nations et des identités nationales est désormais bien connu, grâce à la mise en évidence de leur historicité (Thiesse, 1999). La notion moderne de patrimoine et celle de nation sont historiquement liées : l’idée de nation au sens moderne et politique du terme n’émerge en effet que dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Il s’agit alors de donner à cette révolution idéologique une incarnation concrète, c’est-à-dire définir un lien primordial qui lierait chacun à cette unité sociale abstraite – grâce, notamment, au patrimoine institué comme tel : des ancêtres fondateurs, une langue, une histoire continue, des héros, des monuments et un folklore (id.). En Europe, les identités nationales seront ainsi fondées en moins de deux siècles par des démarches volontaristes et grâce à de nombreuses falsifications (ibid.).

Peu à peu s'est donc mise en place l'idée que l'appartenance nationale devait être basée sur des critères culturels, et notamment linguistiques. « Les sociétés sont

désormais représentées comme des ensembles d'individus censés être libres et égaux (…) mais censés également avoir tous quelque chose en commun : une culture, censée être spécifique, éternelle et immuable. Cette culture, considérée comme l'Âme du Peuple (Volksgeist), c’est-à-dire comme une véritable entité spirituelle, est néanmoins susceptible de se donner à voir, de s'incarner, à la lettre, dans des choses : costumes, styles architecturaux, danses, chants populaires vont se mettre à fonctionner en tant que symboles d'appartenance ou d'identification à ces ensembles sociaux nouveaux, les nations, représentés comme communautés de culture » (Babadzan, 2001 : 5). L’émergence puis le renforcement des États

modernes fondés sur une forme de légitimation basée sur la souveraineté du peuple se sont donc accompagnés d’un processus continu de production de la mémoire collective, et de la démonstration de l’existence d’une nation culturelle déterminée par la possession matérielle de traits culturels objectifs (la langue, le costume, l’architecture) ou de pratiques (danses, chants, etc.) ». « L’État s’emploie tout

1 Voir notamment P. Legendre, 1985, L’inestimable objet de la transmission. Étude

d’abord à préserver (à faire entrer dans le « domaine public ») des palais ou des édifices religieux, les transmuant ainsi en « monuments » (au sens étymologique du terme, que rend assez bien l’expression française actuelle de « lieux de mémoire »), avant de faire rentrer dans le patrimoine des éléments issus des cultures populaires (et rurales tout d’abord) en tant que celles-ci commencent à devenir emblématiques de la culture nationale » (Babadzan, op.cit. : 3). L'État, ainsi identifié à la nation,

s'érige alors en héritier légitime de la chaîne des générations ayant formé cette dernière, en prenant possession des biens culturels jugés représentatifs et en les transformant en vecteurs de l'unité nationale (Lamy, 1996).

Dans un contexte évidemment très différent, celui de l’avènement des indépendances en Afrique, des tentatives pour ériger un patrimoine national viendront, selon une logique semblable, appuyer la construction des États-nations modernes et de leur unité, à l’intérieur des frontières héritées de la colonisation - donnant lieu comme ailleurs à des procédés d’instrumentalisation du passé et de manipulation de la mémoire. Le patrimoine constitue en effet un moyen privilégié de renforcer la légitimité de ces nouveaux pouvoirs qui s’exercent sur un territoire dont la population n’a souvent qu’une perception confuse de l’appartenance nationale – même lorsque l’indépendance a été acquise par la guerre comme au Mozambique. « L’émergence de l’État-nation, l’entrée dans la modernité sont ainsi sanctionnées

par l’émergence de lieux de mémoire à l’occidentale où le souci de la conservation, de la reconstruction à l’identique s’il y a lieu, se combine à celui de la commémoration » (Triaud, 1999 : 372). Les musées, où se trouve exposé le

patrimoine comme mise en scène de la nouvelle nation, occupent évidemment une place stratégique dans cette tentative pour éveiller la conscience nationale1. Dès

l’époque coloniale, dans les pays où l’indépendance semblait inéluctable, les musées furent d’ailleurs réorientés vers la mise en valeur de l’histoire et de la culture africaines, afin de préparer l’avènement de la nation – l’unité et la construction nationales constituant l’un des premiers objectifs de ces institutions muséales. À l’inverse dans les colonies de peuplement d’Afrique australe, les collections africaines furent exclues et le musée consacré exclusivement aux héros européens de la conquête lorsque la politique coloniale se radicalisa et que se mit en place la politique d’apartheid. Dans les musées du Mozambique et de l’Afrique portugaise en

1 Voir notamment les Cahiers d’études africaines (155-156), 1999, Prélever, exhiber :

général, la différence de traitement était alors très nette entre les objets européens, présentés comme des documents historiques, et les pièces africaines appelées à témoigner de la diversité culturelle des populations locales (Gaugue, 1999).

Les enjeux au Mozambique

Lorsqu’il prend les rênes du pays, après une lutte armée de dix années et la chute de la dictature salazariste, le défi du Frelimo est immense : l’intégration du territoire et des populations à l’intérieur des frontières de l’ancienne province du Mozambique et la construction de l’unité de la nouvelle nation indépendante. Il ne s’agit pas en effet d’une nation « induite », qui s’enracinerait dans une nation historiquement préexistante, mais d’un projet de nation « construite », porté en outre par une petite élite (Cahen, 1994) : « un seul peuple, une seule nation, du Rovuma

au Maputo ». Deux mille cinq cents kilomètres séparent les deux fleuves, qui

marquent respectivement la frontière avec la Tanzanie et l’Afrique du Sud. Aucune liaison ferroviaire ne relie le Nord au Sud, les chemins de fer ayant été construits selon l’axe est-ouest afin d’assurer un accès à la mer aux anciennes colonies britanniques (Malawi, Zambie, Zimbabwe, Afrique du Sud), favorisant ainsi les contacts avec les populations des pays voisins au détriment des échanges intérieurs. Il y a alors au Mozambique treize millions de personnes distribuées dans diverses sociétés opposées par leurs histoires passées, par les modalités distinctes de leurs organisations sociales et leurs langues - dont une douzaine de groupes transfrontaliers1 : le pays compte vingt-cinq langues principales et plus de deux cents

dialectes, seule une petite élite urbaine parlant portugais. Ces différentes populations ont été réunies au sein du même territoire de façon récente : alors que l’île de Mozambique et quelques zones du littoral ont été colonisées dès le début du XVIe siècle, et les prazos zambéziens au XVIIe, l’occupation effective de vastes territoires intérieurs n’a commencé qu’à la fin du XIXe siècle - le plateau Makonde ayant résisté à toute pénétration européenne jusque dans les années 1920.

1 On trouve par exemple des Makonde en Tanzanie, des Yao en Tanzanie et au

Malawi, des Ndau au Zimbabwe, des Shangane en Afrique du Sud, etc. Voir Cahen, 1994 : 248.

Selon l’historiographie du Frelimo, officiellement né de la fusion des mouvements anti-coloniaux du Nord et du Sud (IA5), le « peuple » mozambicain est précisément né de cette union dans la lutte commune contre le colonisateur « du Rovuma au Maputo ». Dans les États affranchis de la domination coloniale par les armes, c’est en effet une idée répandue, par les fronts et les mouvements de libération, que la guerre d’indépendance a constitué un creuset efficace dans lequel s’est élaborée et éprouvée la nouvelle nation (M’Bokolo, 1997 : 288). Or, les différentes populations présentes sur le territoire mozambicain ne se sont évidemment pas mobilisées de façon identique pour l’indépendance. Dans le Nord du pays, les Makonde ont, pour des raisons stratégiques, participé massivement à la Lutte armée de libération nationale (Israel, 2006). À l’inverse, les anciens noyaux islamo-créoles de la côte, au premier rang desquels l’île de Mozambique, en contact depuis cinq siècles avec les Européens et davantage avec les réseaux de l’océan Indien, sont restés les traditionnels « alliés » des Portugais, de même que les Chopes dans le Centre-Sud, depuis leur « collaboration » avec ces derniers pour mettre fin aux raids Ngunis1. Dans le Sud, les Rongas étaient collectivement

« proches » des Portugais, mais l’engagement des cadres urbains, bien que statistiquement minoritaires, dans le mouvement nationaliste, a été politiquement déterminant. À l’indépendance en effet, le cœur de la direction politique du Frelimo est issu des groupes du Sud, et d’une petite élite urbaine de créoles ou d’assimilados, pour la plupart fonctionnaires ou employés. Aux disparités géographiques et ethniques se superposent donc des clivages sociologiques dans la représentativité du Frelimo. « Dix années de lutte sur une fraction minoritaire du

territoire auraient-elles réussi le miracle de créer une nation, une nation intimement ressentie par la masse de la population et non point seulement par l’élite nationaliste ? (…) Um so povo, uma so Nação, do Rovuma ao Maputo ! Le projet de nation devint immédiatement la proclamation de la nation, et son imposition à des populations qui n’en ressentaient pas les caractéristiques » (Cahen, 1994 : 241).

La construction de la nouvelle nation passe donc par la création d’une mémoire et d’un imaginaire collectifs, dont l’union mythique des différents mouvements d’émancipation au sein du Frelimo et la lutte commune contre le colonialisme constituent le ressort essentiel. Instrument privilégié de représentation de la nouvelle nation, les musées sont alors un thème particulièrement médiatique,

dont la fonction didactico-patriotique est privilégiée1. Il s’agit de mettre en scène un

patrimoine fédérateur, notamment à travers la célébration des héros nationaux. Le Musée de la Révolution à Maputo donne ainsi à voir, « dans une perspective

historique et non statique, la construction, dans la longue durée, d’une « nation », à travers les pratiques englobantes des États antérieurs à la domination coloniale, mais aussi sous l’effet de la destruction et de la restructuration des édifices sociaux opérées par la colonisation et grâce, enfin, aux formes de la mobilisation opérée par le Frelimo pendant la guerre de libération » (M’Bokolo, 1997 : 289). L’histoire

nationale y est présentée de façon éclatée : disqualification des États « précoloniaux » et des anciens systèmes socio-économiques, valorisation d’une continuité postulée entre les « résistances primaires » de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, les mouvements « proto-nationalistes » à caractère tribal ou de classe et le combat libérateur du Frelimo, introduction d’une logique de « construction nationale » à l’intérieur de ce processus long d’émancipation. « Ainsi la lutte contre le

colonialisme portugais, le génie créateur d’Eduardo Mondlane, la politique du Frelimo et les actes symboliques posés par Samora Machel auraient accéléré le passage de la « conscience tribale » à la « conscience nationale » et la transformation des organisations politiques tribales, ethniques ou régionales ou un véritable parti politique national »(M’Bokolo, op.cit. : 290).

Pour le Frelimo, la construction d’un État-nation moderne passe en effet aussi par celle d’un « homme nouveau » qui soit affranchi de l’aliénation coloniale mais aussi du « féodalisme », du « tribalisme », de l’ « obscurantisme » et de la « superstition » (les pratiques magiques et religieuses), c’est-à-dire des structures sociales traditionnelles et des particularismes ethniques, culturels, régionaux, statutaires ou religieux. Il faut « tuer la tribu, pour construire la nation », selon les propres mots de Samora Machel. Le « féodalisme » désigne en effet, par convention officielle, les sociétés domestiques rurales dont les dignitaires sont dits « féodaux ». Plus généralement, ces termes désignent tout ce qui, dans la « culture », paraît exotique sans pour autant être jugé digne d’être valorisé au titre de la culture nationale. Dès 1977, le Frelimo qui adopte la doctrine marxiste et le « socialisme scientifique » tente donc d’éliminer les pratiques sociales et les croyances jugées obscurantistes, arriérées ou contraires aux normes modernistes du socialisme

1 A. Costa et M. de L. Torcato (1997) recensent plus de 70 articles consacrés aux

scientifique révolutionnaire – incluant les rites d’initiation, la médecine traditionnelle, les cérémonies aux ancêtres, etc. Le Frelimo estime en outre que les cultures précoloniales ont été entièrement corrompues par la colonisation.

Dans cette entreprise de construction nationale fondée sur la lutte commune contre colonialisme et les particularismes, la question de la place de l’héritage portugais, de la langue et des institutions, des villes et de leurs monuments, occupe également une place stratégique. « Avec la fin de la colonisation portugaise, toutes

les valeurs coloniales se voient rejetées, à l'exception de la langue. D'ailleurs, curieusement, celle-ci a été souvent utilisée comme le principal outil pour « balayer » les valeurs coloniales et laver la mémoire des taches laissées par ce passé douloureux, pour accéder à l'après deuil, à la vie nouvelle et souveraine, en tant que citoyen indépendant, libre et digne. Au lendemain de l'indépendance, c'était une chose banale d'entendre des discours, surtout dans des comices, du type : « Abaixo

os assimilados ! » (À bas les assimilés !) ; « Abaixo o xicote ! » (À bas le fouet !) ;

« Abaixo o trabalho forçado ! » (À bas le travail forcé !), « Abaixo o tribalismo ! » (À bas le tribalisme !) ; « Viva Frelimo ! » ; « Viva um so povo, uma so nação do

Rovuma ao Maputo ! » (Que vive un seul peuple, une seule nation du Rovuma à

Maputo !) ; « Viva a unidade Moçambicana ! » (Vive l'unité mozambicaine !) »

(Cumbe & Muchanga, 2001 : 601). Les associations civiques doivent donc également se dissoudre, « les unes, sous le prétexte « logique » d’être des résidus

de la présence coloniale - la « Maison du Minho », la « Maison des Beiras », etc. -, les autres parce qu’accusées d’« accentuer » les divisions ethniques, culturelles, ou pour faire preuve d’élitisme - l’ « Association africaine », la « Maison de Goa », l’ « Association des natifs », etc. » (Patraquím, 2004 : 195).

Les villes, directement héritées de la colonisation, sont alors chargées de valeurs particulièrement négatives, et apparaissent comme un obstacle sur le chemin du nouvel ordre politique et économique à instaurer (Lachartre, 2000). Dans la presse, des articles traitent régulièrement de la toponymie, plaidant pour effacer les vestiges du passé colonial et promouvoir l’exaltation patriotique de la lutte de libération nationale (Costa & Torcato, 1997). De nombreuses œuvres d’art considérées comme portugaises, c’est-à-dire créées pendant la période coloniale, disparaissent à cette époque : plusieurs peintures et sculptures sont délibérément détruites, tandis que la plupart des monuments historiques, symbolisant l’hégémonie coloniale, sont remplacés par d’autres, chargés de diffuser l’image de la nouvelle

nation indépendante (Cossa, 2002). Monuments par excellence, les statues des « héros » de la conquête coloniale qui hérissent les places du pays sont ainsi déboulonnées : Mousinho de Albuquerque devant la forteresse de Maputo, Neutel de Abreu à Nampula et, dans l’île de Mozambique, Vasco de Gama mais aussi le poète Luís de Camões qui apparaît alors comme un symbole de l’impérialisme portugais. La destruction de ces icônes culturellement signifiantes, dans l’euphorie de l’indépendance, n’est cependant pas organisée de façon systématique par le nouveau pouvoir. Dans la presse, le patrimoine bâti est à l’inverse présenté de façon positive comme le témoignage des influences culturelles extérieures qui ont contribué à la personnalité du Mozambique de l’ère moderne (Costa & Torcato, 1997).

L’État tente alors de mettre en place une politique patrimoniale à travers la création d’une législation, d’institutions et de programmes spécifiques. Dès 1979 est instaurée au niveau de chaque assemblée provinciale une Commission d’inventaire des lieux historiques1. Entre 1978 et 1982 est lancée la Campagne nationale de

préservation et de valorisation du patrimoine culturel (Campanha nacional de

preservação e valorisação do património cultural), un premier travail d’inventaire

exhaustif des monuments et des sites nationaux. La CNPVP dispose cependant de moyens matériels et humains très limités pour mener à bien sa mission (da Conceição, 1988). Pour accueillir notamment les documents produits lors de la CNPVC, l’Arquivo do património cultural (Arpac) sera créé en 1983, d’une coopération entre le ministère mozambicain de la Culture et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). L’Arpac deviendra ensuite une institution publique autonome, sous la tutelle du ministère de la Culture, de recherche, d’archivage, de conservation et de diffusion des connaissances sur la culture et le patrimoine mozambicains, dont l’activité est plus particulièrement orientée vers la formation et la recherche anthropologiques (l’étude des différents groupes sociolinguistiques). L’institution vise officiellement la connaissance de la diversité culturelle et, à travers elle, la consolidation de l’identité et de l’unité nationales. Ce qui peut apparaître comme une contradiction n’en est pas une pour le Frelimo : il existe en effet des traditions rétrogrades mais aussi de « bonnes traditions » - portées notamment par les groupes culturels dont il encourage la création à travers tout le pays, et représentées par le festival national de musique et

de danse dont la première édition est organisée en 19781.

Avec ses vestiges coloniaux qui, jusqu’à l’indépendance, constituent un instrument de légitimation de la présence portugaise (IIB2), et sa structure bipartite où les divisions et les injustices du système colonial sont inscrites dans l’espace (IIB1), l’île de Mozambique occupe évidemment une position ambiguë dans ce nouveau contexte. Elle apparaît alors comme une sorte de palimpseste où s’écrivent et se réécrivent des lectures différentes du patrimoine et de la mémoire, au fil des productions artistiques ou des œuvres de propagande qu’elle inspire, des mesures politiques, juridiques, institutionnelles ou des opérations concrètes dont elle fait l’objet (IIB3 et IIC). Avec la fin de la guerre civile et l’ouverture au multipartisme viendra en effet s’ajouter une autre dimension à la reconstruction et à l’unité nationales : celle de la pacification et de la réconciliation. L’ « unité dans la diversité » remplacera dans les slogans du Frelimo la lutte contre les particularismes régionaux ou tribaux2, l’île apparaissant alors, aussi, comme un exemple de la diversité

culturelle et pacifique au sein de la nouvelle « nation mosaïque » (IIIA).

1 La seconde édition aura lieu vingt-quatre ans plus tard, en 2002.

2 Le changement de politique du Frelimo a en réalité précédé de longue date l’Accord

général de paix (1992) : dès le début des années 1980, face à la propagation de la