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Partie 2 : Observations cliniques

1.5. Évolution

Cette évolution retrace toutes les séances de Monsieur D, exceptée la toute première décrite en amont. Je ne l'ai pas revu depuis le 3 février 2016.

1.5.1. Mercredi 02/12/15 (Groupe)

Je retrouve aujourd'hui quelques uns des participants de la semaine dernière. Monsieur D est là aussi. Je le retrouve devant la salle. Alors que nous discutons, je vois des blessures sur son visage. Sa lèvre inférieure semble avoir été ouverte et des hématomes marquent son front. Il me raconte s'être battu et avoir perdu… Je ne comprends pas tout mais il me raconte une histoire de vol et des nuits difficiles en compagnie de son ami

32 slovaque. Il semble inquiet pour son camarade qui est son meilleur ami. Il m'évoque ensuite avoir bu, beaucoup, avant de s'être battu.

Aujourd'hui, il m'apparaît véritablement différent de la dernière fois. Son attitude en témoigne, il est chancelant et faible. Je me demande alors si il est actuellement alcoolisé ou s'il est juste très fatigué.

Pendant la séance, Monsieur D est jovial, les yeux et le regard flottant. Il me parle beaucoup, assez fort, et accapare ainsi toute mon attention et coupe le déroulé de la séance à plusieurs moments. Il semble gêner les autres participants. Aujourd'hui, Monsieur D est comme l'élément perturbateur du groupe alors qu'il est habituellement discret. Son état du jour semble osciller entre l'excitation et une grande fatigue.

Il me semble lutter pour se mouvoir et être présent. Comme si le poids de son corps était un fardeau. Son équilibre est précaire et il m'a l'air affaissé. Lorsque je m'adresse directement à lui, il semble surpris et ne rien comprendre du tout. De plus, j'ai l'impression qu'il me perçoit comme autoritaire, comme une figure parentale. Il s'excuse très fréquemment. Il n'est pas beaucoup en relation avec les autres participants mais reste à mes côtés ou en retrait tout du long de la séance.

1.5.2. Mercredi 16/12/15 (Groupe)

Monsieur D est arrivé en retard aujourd'hui. Il a intégré le groupe en cours de relaxation dynamique (marche de pleine conscience). Il semble alcoolisé et sent l'alcool. Mais ce n'est pas très apparent. Il arbore son coté timide avec quelques pointes d'impulsivité jaillissant par moment, sous forme d'échanges verbaux envahissant et inopportuns et des décharges motrices.

Lors du yoga et du fait de sa compréhension limitée du français, Monsieur D doit suivre l'enchaînement de mouvements et de positions par mimétisme. Cet exercice semble être très difficile pour lui. Ses reproductions sont perfectibles, déconstruites, mal agencées et mal latéralisées.

33 Lors du jeu du Ninja17, Monsieur D a du mal a contrôler ses attaques qui se trouvent être trop brutales et violentes. Il s'en rend compte et s'excuse. Il dit ne pas contrôler sa force et son corps. « Je me bagarre beaucoup, c'est comme des réflexes. ». Sa régulation tonique semble très partielle. Son fond tonique est extrêmement élevé. Monsieur D semble avoir des difficultés dans les notions de lents, de mouvements soutenus. Il semble contrôler son corps suivant une loi du tout ou rien.

1.5.3. Mercredi 03/02/16 (Groupe)

Monsieur D arrive en cours de séance, pendant que le groupe termine la séquence de yoga. Il frappe à la porte. Je viens lui ouvrir. Il a un grand sourire et semble vraiment heureux de pouvoir être présent. Je l'accueille chaleureusement, cela fait quelques semaines que nous nous n’étions pas vus. Il s'excuse en parlant quelques mots de français et en faisant des gestes et une mimique voulant apparemment signifier une mauvaise santé... Il souhaite revenir et participer à chaque séance dorénavant.

Je lui demande pour le moment d'attendre quelques secondes afin que le groupe termine le yoga entamé. Il observe en souriant. Nous passons ensuite à une proposition s'inspirant de la Capoeira et demandant à deux personnes de s'ajuster afin d'effectuer des déplacements en miroir inversé. Il s'agit alors d'anticiper les mouvements de son partenaire et d'esquiver ses attaques. Monsieur D est spectateur lorsque les deux premiers binômes évoluent. Il observe sur le côté, bras croisés, d'un air jovial en exprimant quelques « ohoh » de surprise. Lorsque le deuxième groupe termine, j'invite Monsieur D a venir expérimenter la proposition avec Monsieur R. Ce dernier est très à l'aise avec ce genre de propositions ; très fluide et aussi énormément dynamique et plein d'assurance dans la relation duel. Les premiers instants sont timides mais petit à petit les deux protagonistes s'investissent.

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Jeu de groupe découvert lors d'un atelier d'échange de pratique à Lille lors de ma première année. Le groupe commence rassemblé puis chacun s'éloigne d'un pas ou deux en prenant une posture et en la gardant comme une statue. Le but du jeu est de toucher les mains de ses adversaires. Lorsqu'une main est touchée, elle est placée dans le dos et deviens inutilisable, lorsque les deux ont été touchées, le joueur a perdu et s'écarte. Les mains sont les vies et les dites armes du joueur. Les joueurs peuvent uniquement bouger lorsque leur tour est venu d'attaquer ou pour esquiver une attaque. Le détail important réside dans le fait que chaque joueur doit se figer au bout de son mouvement et ainsi garder la posture.

34 Monsieur R commence à être incisif, vers l'attaque, il avance mais ne recule pas. Monsieur D lui recule tout en émettant des attaques discrètes qui ne génèrent que peu d'esquive chez son partenaire, qui lui réplique avec plus d'amplitude et en avançant. Monsieur D se retrouve coincé contre le mur de la salle, comme inondé par la présence de son partenaire. Il exprime alors des réactions de surprise, il semble en difficulté et quelque peu impuissant, jusqu'à ce que son binôme le touche et que tous les deux mettent fin à l'exercice. Monsieur D termine en sueur et essoufflé. Tout le monde est invité à boire un verre d'eau et à se reposer un instant. J'en profite pour aller demander à Monsieur D comment il se sent. « Ah

ça va, ça va, oui... C'était difficile avec lui. Mais marrant. On pourra réessayer une prochaine fois peut-être. »

Le groupe souhaite ensuite jouer au jeu du ninja afin que Monsieur T le découvre. Monsieur D gagne les deux premières parties. Il semble énormément concentré, ses mouvements sont des explosions toniques, rapides mais aussi incontrôlées. Il frappe fort et peut faire mal. Lorsqu'il est dans l'immobilité, il est tout en tension, ses bras et ses mains sont crispés tout comme ses jambes et son visage. A plusieurs reprises, Monsieur L et Monsieur D sont en confrontation ; les deux se retrouvent prêt l'un de l'autre et l'entente semble s'envenimer lorsque Monsieur L prend pour cible Monsieur D et s'évertue à vouloir le toucher. Après une discordance concernant un point mal compté et le non respect de l'ordre de passage, j'ai l'impression qu'une certaine agressivité naît chez Monsieur D. Il me regarde comme pour avoir mon autorisation de jouer et d'attaquer mais aussi comme s’il voulait que j'intervienne. Il ne rigole plus, et son regard change, devenant plus sombre, plus grave lorsque Monsieur L l'assaille d'attaques tout près de lui, plusieurs fois à tel point qu'ils se retrouvent très proche l'un de l'autre. Monsieur D termine part regagner la manche et son sourire mais cela m'a semblé éprouvant pour lui encore une fois.

La séance se poursuit avec une phase de renforcement musculaire proposée par Maëva. Monsieur D dit apprécier cela même s’il bronche un peu tout du long. J'exposerai ici uniquement un exercice. Ce dernier se fait à deux et consiste à serrer ou écarter les mains de son partenaire en donnant une force progressive et accordée afin que les le binôme s'écoute et observe de la résistance sans déplacer les mains. J'effectue cet exercice avec Monsieur D. La première chose que je perçois est sa peau, dure et rêche. Elle me fait penser à du papier

35 de verre et me fait frissonner de l'intérieur à son premier contact. Lors de l'exercice Monsieur D impulse une force instantanée et non progressive. Il me donne rien ou tout d'un coup. Il ne semble pas réussir à s'accorder avec moi. Il est sur un mode pulsatile. J'essaye d'étayer sa perception en allant très progressivement toucher ses mains puis créer une force mais ses réaction sont brutales et ont pour but de nous faire faire des mouvements d'allers et retours comme si nous brassions de l'air. Il me fixe très fortement du regard. Son regard me donne l'impression qu'il essaye de capter quelque chose en moi, de s'accrocher à moi. Il sourit aussi tout en grimaçant face à la difficulté alors en jeu.

La séance se termine par un moment de calme pendant lequel le groupe est assis sur les tapis installés en rond. Je les invite à se déposer sur le sol et à entamer une relaxation dynamique qui consiste à accorder un mouvement d'enroulement à la respiration. Monsieur D semble capable de relâcher ses épaules, ses bras, ses mains qui sont déposés sur ses jambes. Il ferme les yeux et les ouvre par courts moments. Il effectue le mouvement comme je l'indique en m'observant quelques fois, je commence par les accompagner puis me redresse afin d'observer le groupe tout en le guidant de ma voix. Monsieur D continue tout de même sa relaxation. Je les invite alors à écouter leur état du moment pendant quelques minutes. Monsieur D semble se laisser aller, abaisser son niveau de tension global. A la reprise, il a les yeux endormis et le visage fatigué.

Pendant le temps de parole, Monsieur D exprime quelques mots. « Très bien, je vais

revenir. Je suis bien fatigué par contre... » Et mime le fait de ramer. Il me serre enfin la main

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2. Monsieur C

Derrière les nombreuses couches de vêtement de Monsieur C, j'aperçois un homme moyennement grand et fin. Affublé d'une casquette et de petites lunettes rondes, il est difficile de capter le regard de cet homme qui arbore une posture voûtée et qui ne tient pas en place. En effet, il est assez rare d'avoir ce monsieur en face de soi bien longtemps. Je le rencontre pour la première fois lors d'un groupe de présentation de l'association Altu, c'est Monsieur C qui m'accueille en m'ouvrant la porte.

2.1. Anamnèse

Avant même de rencontrer Monsieur C, j'ai déjà entendu beaucoup de chose à son propos. On parle de lui comme un homme ayant vécu plusieurs vies. Il y a comme un mystère qui semble couvrir son histoire et qui semble attiser la curiosité dans l'association. De plus, on me parle de ce monsieur comme le « loup blanc du milieu, il est connu de tous

et il connaît tout le monde. »18

Âgé de 38 ans, Monsieur C a longtemps vécu dans la rue. Il est traité pour une hypertension artérielle. Aujourd'hui il bénéficie d'une allocation adulte handicapé (AAH) concernant des troubles neurologiques. Ces derniers étant apparemment les conséquences d'une addiction à l'héroïne et d'une phase de coma.

2.2. Contexte de vie

Monsieur C est actuellement logé dans un appartement à Paris. Il ne travaille pas en dehors de son activité avec l'association, ce qui permet d'apporter une ressource supplémentaire à ses aides initiales très minces. Monsieur C est un des plus anciens bénéficiaires de l'association Altu encore accompagné, cela fait plus de 2 ans qu'il fait partie de l'association. Cependant, ses perspectives d'évolution professionnelles sont encore floues.

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37 Il passe beaucoup de temps dans les locaux de l'association et y vient presque tous les jours. Ce qui peut témoigner d'une grande solitude et d'un ennui au quotidien.