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La rue, y vivre ou en sortir : exister et à quel prix ? Accompagnement psychomoteur de personnes en situation de grande précarité

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Academic year: 2021

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HAL Id: dumas-01360188

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01360188

Submitted on 5 Sep 2016

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La rue, y vivre ou en sortir : exister et à quel prix ?

Accompagnement psychomoteur de personnes en

situation de grande précarité

Béranger Poirier

To cite this version:

Béranger Poirier. La rue, y vivre ou en sortir : exister et à quel prix ? Accompagnement psychomoteur de personnes en situation de grande précarité. Médecine humaine et pathologie. 2016. �dumas-01360188�

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Faculté de médecine Pierre et Marie Curie Site Pitié-Salpêtrière

Institut de Formation en Psychomotricité 91, Bd de l'hôpital

75364 Paris Cedex 14

La rue, y vivre ou en sortir.

Exister et à quel prix ?

Accompagnement psychomoteur de personnes en situation

de grande précarité

Mémoire présenté par Béranger POIRIER

En vue de l'obtention du Diplôme d'État de Psychomotricité

Référents de mémoire :

Session Juin 2016

Alexandre CONSTANT

Pascale PAVY

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REMERCIEMENTS

Avant tout, je souhaite remercier l'ensemble des patients qui m'ont accordé leur confiance tout au long de ce stage.

Je remercie les équipes qui m'ont accueilli et dont leur intérêt pour ce projet a permis de lui donner vie.

Un grand merci à Stéphane, Alexandre et Michael sans qui rien de tout cela n'aurait pu être réalisé.

Merci Pascale pour ton soutien et tes conseils avant même la création de ce stage.

Je remercie Alexandre pour nos discussions si enrichissantes concernant mon expérience en stage et la rédaction de ce mémoire.

Merci Michèle pour tout ce que j'ai appris à tes côtés pendant mon stage de deuxième année.

Enfin, merci à Harold, Julie et mes parents pour leur disponibilité et la qualité de leur relecture.

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SOMMAIRE

Introduction ... 8

Chapitre 1 : La psychomotricité dans le milieu de la précarité Partie 1 : Le contexte 1. La précarité en France, à Paris ... 10

1.1. Qu'est ce que la précarité ? ... 10

1.2. Bref historique de l'évolution des représentation et des interventions ... privées et publiques envers les personnes sans domicile... 13

2. Premiers pas et construction du projet ... 17

3. Lieux de stage et population accueillie... 20

3.1. Le centre d'accueil de jour ... 20

3.2. L'association Altu ... 21

4. Modalités d'intervention ... 23

4.1. Au centre d'accueil de jour - ESI ... 23

4.2. Au sein de l'association Altu ... 24

5. La place de la psychomotricité - Ma place de stagiaire ... 25

5.1. La psychomotricité ... 25

5.2. Premiers pas et premières pratiques ... 27

Partie 2 : Observations cliniques 1. Monsieur D ... 29

1.1. Anamnèse ... 29

1.2. Contexte de vie ... 29

1.3. Entretien et évaluation psychomoteurs - Mercredi 21/11/15 (Groupe) ... 29

1.4. Projet d'accompagnement individuel ... 31

1.5. Évolution... 31 1.5.1. Mercredi 02/12/15 (Groupe) ... 31 1.5.2. Mercredi 16/12/15 (Groupe) ... 32 1.5.3. Mercredi 03/02/16 (Groupe) ... 33 2. Monsieur C ... 36 2.1. Anamnèse ... 36

(6)

2.2. Contexte de vie ... 36

2.3. Évaluation psychomotrice - 21/01/16 ( Groupe ) ... 37

2.4. Projet d'accompagnement individuel ... 38

2.5. Évolution... 38 2.5.1. Vendredi 29/01/16 (Groupe) ... 39 2.5.2. Vendredi 5/02/16 (Groupe) ... 41 3. Monsieur M ... 42 3.1. Anamnèse ... 43 3.2. Contexte de vie ... 43

3.3. Entretien et évaluation psychomoteurs - 05/02/16 (Groupe) ... 43

3.4. Projet d'accompagnement individuel ... 44

3.5. Évolution... 45

3.5.1. Vendredi 12 février 2016 (Groupe) ... 45

3.5.2. Jeudi 18 février 2016 (Individuel) ... 46

3.5.3. Vendredi 19 février 2016 (Groupe) ... 47

3.5.4. Mardi 23 février 2016 (Individuel) ... 47

3.5.5. Lundi 21 mars 2016 (Individuel) ... 48

3.5.6. Jeudi 14 avril 2016 (Individuel) ... 49

Chapitre 2 : Une intégrité psychocorporelle déstructutrée Partie 1 : Dynamique psychocorporelle d'une existence précaire 1. Le corps comme dernière possession, comme ultime capital ... 53

2. La disparition du lieu d'habitation ... 54

3. Le corps assiégé ... 57

3.1. De la sensorialité à la douleur ... 58

3.2. Jusqu'à l'abandon de son corps ?... 59

3.3. Des enveloppes sensorielles réelles ... 60

4. La peau, cette enveloppe menacée ... 61

4.1. Peau physique ... 61

4.2. Peau psychique ... 62

4.3. Des histoires d'intrusions ... 63

4.4. Un défaut de contenance ? ... 65

(7)

5.1. Le tonus ... 66

5.2. Une histoire tonique ... 68

5.3. Une seconde peau musculaire ... 69

5.4. Explorons les chaînes musculaires ... 70

6. Un rapport au temps chamboulé ... 71

6.1. Le temps... 71

6.2. La temporalité de la rue ... 72

6.3. Le temps qui noie... 73

6.4. Le temps qui s'échappe ... 74

7. Un corps fatigué ... 74

7.1. Par la faim ... 75

7.2. Par un mouvement perpétuel ... 76

Partie 2 : Une problématique du lien ? Un conflit entre psycho et corporel 1. Un parallèle avec l'adolescence... 78

1.1. Identité et conscience de soi ... 79

1.2. Un corps pris dans l'agir ? ... 82

2. Le corps instrumentalisé ... 83

2.1. L'alcoolisation ... 84

2.2. Les autres produits et la poly-toxicomanie ... 86

3. Un corps à distance ... 88

3.1. Une perception en péril ... 88

3.2. Le concept de souffrance-fond ... 90

3.3. Le schéma corporel impacté ... 91

3.4. L'image du corps chamboulée ... 92

Partie 3 : Les limites et perspectives de la clinique 1. La population ... 96

1.1. La question de la demande ... 97

1.2. L'installation d'un processus de soin ... 99

1.3. Le concept de réaction thérapeutique négative ... 100

2. L'institution ... 101

2.1. Un objectif de vivre mieux ? ... 101

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2.3. Prendre en compte le déterminant corporel ... 105

3. Ma position en tant que stagiaire psychomotricien ... 106

3.1. Une richesse source de transdisciplinarité ... 106

3.2. Penser le bilan et l'entretien psychomoteur spécifiquement ... 107

3.3. Être à l'écoute de soi ... 108

Conclusion ... 110

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Introduction

C'est lors de ma deuxième année de psychomotricité, pendant un stage passionnant et révélateur en pédopsychiatrie, que l'envie de réaliser un stage expérimental a émergé chez moi. J'ai dès lors eu l’envie d’approcher des domaines encore peu explorés par la psychomotricité, dont je suis persuadé de sa légitimité. Mon souhait était de sortir du cadre classique de la psychomotricité et c'est alors que l’on m'a proposé de côtoyer les limites de la société elle-même, afin de développer un projet d'accompagnement psychomoteur dans le milieu de la précarité.

Ce mémoire propose d'explorer une réflexion concernant les dynamiques psychomotrices de personnes vivant dans la rue et d'autres aujourd'hui relogées. L'objectif est d'essayer de questionner les enjeux et problématiques à l'œuvre, au-delà d'un contexte socio-économique défavorable. Il sera ainsi question de comprendre pourquoi la restitution d'un logement ne suffit pas à restaurer un mieux être et, qui plus est, peut possiblement bouleverser des repères déjà fragiles.

Ma réflexion repose sur la considération de l'existence précaire, de la précarité absolue, comme une situation symptomatique pouvant nous permettre de déchiffrer des problématiques psychocorporelles singulières. Vivre dans la rue positionne la personne dans des conditions extrêmes et dans un rapport conflictuel au corps. Ce dernier porte les stigmates d'une histoire rude et acide, il représente la dernière défense de la personne. Pourtant, c'est comme si le sentiment d'unité psychocorporelle ne tenait qu'à un fil.

Pour commencer et afin de retranscrire une réflexion contemporaine, je vais étudier le contexte social de la précarité en France puis exposer la mise en route du projet d'accompagnement en psychomotricité, les particularités de ce dernier puis les rencontres singulières avec Monsieur D, Monsieur C et Monsieur M, qui vivent dans la rue ou essayent d'en sortir. Ensuite, en me basant sur mes observations cliniques, j'aborderai une exploration des dynamiques psychocorporelles d'une existence précaire. Puis je mettrai en lumière une problématique du lien pour terminer par questionner les limites et perspectives de cette expérience clinique.

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Chapitre 1

La psychomotricité dans le milieu de la précarité

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Partie 1 : Le contexte

1. La précarité en France, à Paris

Commençons par nous poser une question :

1.1. Qu'est ce que la précarité ?

Les mots « précaire » et « précarité » représentent aujourd'hui des expressions remarquablement courantes tout en désignant des catégories faisant écho à des phénomènes sociaux et politiques contemporains.

Selon Patrick CINGALI, il vaudrait mieux parler des précarités plutôt que de la précarité. « En effet, précarité et précaire, bien que rendus visibles dans la seconde moitié du XXe siècle, et bien que très proches, renvoient à des acceptions différentes, [...] qui se distribuent comme tels : 1 / le travail ou, plus exactement, [...] l'emploi précaire ; 2 / les précaires, que l'on associe à une expérience plus ou moins élective, néanmoins persistante, d'une certaine précarité ; 3 / la précarité, entendue comme synonyme d'une manifestation spécifique de la pauvreté. »1

Ainsi, ces trois évocations peuvent nous permettre de relater brièvement une évolution de la représentation commune des précarités. La précarité est premièrement relative au travail, à l'emploi. Si le terme n'est pas fréquemment employé avant 1990, la notion de précarité s'installe dans les réflexions de conditions du travail avec l'émergence des emplois temporaires et intérimaires. Avant les années 1980, les conditions précaires correspondent seulement au marché du travail. Les chercheurs et analystes sont alors amenés à l'étude des spécificités et autres caractéristiques de ces formes particulières d'emploi. Et tandis que le chômage croît, avec 1 million de chômeurs en 1975, tout un mouvement intellectuel et militant de prise de conscience du caractère à la fois juridiquement original et sociologiquement menaçant du phénomène émerge. Sont alors

1

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11 explorés les aspects socio-politiques puis socio-économiques jusqu'à une prise de conscience des différences statutaires et même des discriminations socio-économiques parmi les travailleurs.

Dès lors, le point de vue ne se limite plus essentiellement au monde du travail mais s'élargit à la société. Pour le « néo-prolétariat post-industriel des statut et des sans-classe qui occupent des emplois précaires d'auxiliaire, de vacataire, d'ouvrier d'occasion, d'intérimaire, d'employé à temps partiel [...], le travail cesse d'être une activité ou même une occupation principale pour devenir un temps mort en marge de la vie, où l'on se désoccupe à gagner quelque argent. »2

Par ce changement d'échelle (s'élargissant de l'entreprise à la société) et successivement à un nouvel intérêt envers la subjectivité du travailleur précaire, le mot précaire devient substantif et change de sens en résultant plus concrètement de réflexions sociologiques. « Le mot précaire renvoie alors à une dimension identitaire, supposant [...] des comportements nouveaux dans le quotidien de la condition salariée, mais aussi dans les conflits sociaux. »3 L'analyse en termes d'emploi laisse place à une sociologie de la culture et des modes de socialisation.

La dernière acception mise en avant par CINGOLANI naît avec l'augmentation du nombre de chômeurs et des morts de froid des années 1980. Précarité et pauvreté sont réunis. La précarité est alors définie par Joseph WRESINSKI comme étant « l'absence d'une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l'emploi, permettant aux personnes et familles d'assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté, quand elle affecte plusieurs domaines d'existence, qu'elle devient persistante,

2

GORZ A., (1980), p. 96-97

3

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12 qu'elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible. »4

C'est avec cette troisième évolution que nous arrivons à la précarité d'aujourd'hui. Ou plutôt à sa première approche majoritairement investie par les sciences humaines contemporaines qui l'appréhende comme un prolongement, une nouvelle pièce venant se surajouter à la pauvreté. La réflexion de CINGOLANI s'inscrit dans cette approche et associe la précarité à l'emploi et à ces expériences qui en résultent. De plus, le terme de précarité est utilisé de manière équivalente au terme de pauvreté. La précarité y apparaît comme une de ses composantes et elle sous-tend la précarité de l'emploi.

La deuxième approche associe la précarité « au délitement des liens sociaux, mais également des cadres intégrateurs et, plus largement aux mutations de la société ».5 Cette approche met en avant les notions de vulnérabilité, d'incertitude et d'insécurité sociales au sein d'une société à risque nourrissant une nouvelle réalité sociale. En ce sens, la précarité est un phénomène plus large que la pauvreté. Elle apporte un paradigme pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Selon le chercheur en sociologie Régis PIERRET, « l'ère de la précarité laisse voir trois catégories de personnes : les "protégés", les "précarisables" et les "précarisés" ».6

Les premiers se considèrent hors d'atteinte, ils disposent d'une bonne situation professionnelle et/ou dispose d'une condition sociale confortable leur permettant de jouir d'un sentiment de stabilité pérenne.

Les deux derniers groupes sont parfois regroupés en tant que "précaires" cependant l'auteur réalise une différenciation nécessaire. Majoritaires, les « précarisables » sont conscient du caractère éphémère et fragile de leur statut. Ce sont les travailleurs pauvres,

4 WRESINSKI J., (1987), p. 25 5 PIERRET R., (2013), p. 5 6 Ibid, p. 6

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13 potentiellement précaires, se sentant menacés par l'exclusion. Ils sont dans l'insécurité permanente du devenir « précarisés ».

Les derniers sont les sujets de ce mémoire. Ils font partie de ce que PIERRET nomme la « haute et moyenne précarité ».7 La haute, ou précarité absolue, est incarnée par les personnes à la rue. C'est le cas de Monsieur D, sans-abri. Son quotidien est rude, brutal, fait de combat et d'alcoolisation massive. Je le retrouve souvent abîmé, le corps fatigué et le visage blessé mais toujours étonnamment souriant lors de nos rencontres. La moyenne précarité concerne des personnes sans domicile fixe ou mal logées mais à l'abri. Après avoir vécu dehors, elles possèdent un toit mais la sortie de la rue absolue semble dériver vers une dépendance sociale. La personne devient désœuvrée, tributaire de la société, des aides sociales, pauvre et assistée… C'est le cas de Monsieur C et de Monsieur M, ayant vécu dans la rue de nombreuses années et marqués par cette dernière dans leur corps et leur identité, ces deux hommes sont aujourd'hui logés mais luttent pour s'inscrire dans une société qui les rejette et semblent baigner dans une insécurité permanente.

1.2. Bref historique de l'évolution des représentation et des interventions privées et publiques envers les personnes sans domicile

« La présence de sans-abri dans les rues, les politiques de prise en charge, répressives ou assistancielles, ne sont pas inédites. L’errance, la marginalité, la pauvreté, la mendicité traversent les siècles. Du Moyen-âge à l’époque du RMI, en passant par la Révolution française, les phénomènes attachés à l’errance et à la grande pauvreté ont toujours concerné ceux qui ont à décider les politiques publiques (et pas seulement les politiques dites « sociales ») et ceux qui ont à les appliquer. Tout un arsenal juridique, plus ou moins raffiné en fonction des époques, a été éprouvé pour venir à bout du vagabondage et de la mendicité. On a tour à tour, ou tout à la fois, enfermé, nourri, banni, renvoyé dans

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14 les paroisses, torturé, soigné, assisté, mis au travail les pauvres, sans jamais parvenir à résoudre les problèmes posés localement et nationalement. »8

Au début du Moyen-âge, les vagabonds mendiants sont intégrés dans la communauté. Le souci des pauvres n'est pas simplement de l'altruisme, il est marqué par des motifs théologiques. « Pour l’homme ordinaire du Moyen Âge, le pauvre est perçu en quelque sorte comme une théophanie : c’est le Christ de retour sur terre. À défaut il est un intercesseur avec Dieu. »9

Au XVe siècle, avec l'accroissement de la pauvreté errante, déterminé par les crises économiques et les épidémies, les représentations évoluent et le vagabondage est de moins en moins toléré pour la charge économique qu'il suppose, et le sentiment d'insécurité qu'il véhicule.

L'État monarchique européen met en place des lois et pose les premières pierres de l'incrimination afin de contrôler la population errante, mettant de côté les communautés et solidarités locales qui sont la pierre angulaire traditionnelle de l'équilibre et de la coordination du système de secours aux indigents et/ou de coercition des vagabonds. Les communes sont confrontées à choisir entre accueillir ou exclure. Mais toute commune a ses limites et que faire si les voisines se servent alors de ses bonnes actions pour en profiter ? La population errante devient alors un fardeau.

La considération de la pauvreté oscille par la suite entre « la potence et la pitié »10 , entre pauvreté méritée et pauvreté méritante. De plus, l'assimilation des vagabonds et autres mendiants valides aux mauvais pauvres annoncent le temps de la répression. « Au cœur de ce système à la fois répressif et assistanciel, deux dispositifs marqueront les XVIIe et XVIIIe siècles : l'Hôpital général créé en 1656, et les dépôts de mendicité créés en 1764. Poursuivant un même objectif de rééducation par le travail, ces deux tentatives de

8 DAMON J., (2001), p. 61 9 GUESLIN A., (2013), p. 22 10

Expression rendue célèbre par GEREMEK Bronislaw et désignant le tri entre "bons" et "vrais" pauvres d'un côté, "mauvais" et "faux" pauvres de l'autre.

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15 normalisation du monde de l’errance, comme bien d’autres (déportation vers les colonies, peine des galères), se solderont par un échec. »11

Faisant suite à la Révolution, l'instauration du Code Pénal de 1810 fait du vagabondage et de la mendicité deux délits. S'ensuit alors une politique et une littérature prêchant, ce qui était appelé à l'époque, l'hygiène sociale. Les vagabonds et mendiants sont alors considérés comme des parasites qu'il faut absolument soigner ou évacuer au risque d'une contagion morale ou infectieuse. Alors que les premières grandes lois d'assistance naissent, les plus précarisés ne peuvent en bénéficier.

A la fin du XIXe siècle, des initiatives privées se mettent en place et les premiers lieux d'accueil et d'hospitalité ouvre à Marseille puis à Paris. Le gouvernement ne soutient que peu ces mouvements. En 1887 sont fondées deux des principales institutions parisiennes de prise en charge des SDF qui existent toujours aujourd'hui. La première est l'œuvre associative de la Mie de Pain ; initiative privée qui se situe dans une politique d'assistance plutôt que de répression. Gérée par la préfecture de Police, la Maison de Nanterre est originellement destinée à mettre en pratique la logique pénale de l'État. S'apparentant à « une prison pour pauvre s»12, y étaient incarcérés ceux jugés coupables du délit de vagabondage et de mendicité qui devaient y purger une peine de quarante cinq jour de travaux forcés. Aujourd'hui, le Centre d'Accueil et de Soins Hospitaliers (CASH) remplace la Maison de Nanterre.

Après la première et Seconde Guerre mondiale, la figure du « clochard » s'installe dans les représentations communes. À l'instar du vagabond qui effraie, le clochard est plutôt sympathique. Les fléaux sociaux deviennent des problèmes sociaux créés par la société elle-même. Si l'intérêt pour la question du logement est mis en avant par l'Abbé Pierre, « les autres dimensions de la question sans-abri, comme la mendicité ou l’errance visible de

11

ROINSARD N., (2013), p. 2

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16 personnes aux comportements déviants, n’étaient pas repérées comme un problème social d’importance. »13

A partir de 1974, des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS) d'initiative privée s'ouvrent progressivement. On ne parle pas encore de réinsertion mais de réadaptation. Les personnes prises en charge sont ainsi considérées comme souffrant d'inadaptation. L'idée est donc de réadapter le marginal par rapport à un modèle établi et dicté par la société.

Deux changements majeurs émergent dans les années 90. Le premier est la suppression des délits de vagabondage et de mendicité dans le nouveau code pénal promulgué en 1994 et le second est le changement de l'orientation de l'assistance, porté symboliquement par la dénomination des CHRS, en substituant le terme de « réadaptation » par celui de « réinsertion » promulgué par la loi n°98-657 du 29 juillet 1998.

Depuis et jusqu'à aujourd'hui, le monde associatif n'a cessé d'être l'acteur principal de l'assistance à la population précarisée de France. Les actions publiques se limitent finalement à un partenariat associatif consistant à déléguer aux grandes associations de solidarité la prise en charge des sans-domicile.

Les représentations du précarisé ont ainsi évolué en passant par la pitié chrétienne et la crainte jusqu'à être portées, aujourd'hui, par un relatif désintérêt. Parfois surnommés les invisibles.

Comme nous avons pu le voir, la nouvelle perspective d'assistance des personnes en situation de précarité est encore jeune, une vingtaine d'années. Depuis 1996, avec la suppression des délits de vagabondage et de mendicité, le mouvement d'aide et d'accompagnement de la population précaire s'est orienté vers l'insertion et une considération plus humaine des précarisés. La relative prise de conscience concernant le rôle de la société dans ces situations de vie dramatique semble avoir responsabilisé un milieu

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17 associatif très actif, financé par le gouvernement mais géré par des hommes et femmes, travailleurs sociaux et bénévoles.

2. Premiers pas et construction du projet

Septembre 2015, j’entre en contact avec le milieu associatif et plus précisément l’association Victa. Ses fondateurs m’écoutent quand je leur fais part de mon envie de création d’un projet de stage expérimental afin de porter la psychomotricité hors des sentiers battus et ils sont intéressés.

Victa est une association ayant pour credo le mouvement et l’activité physique adaptée et santé (APAS) afin de maintenir l’autonomie ou encore pour créer du lien social. Essentiellement composée de professeurs d’APAS venant de la filière STAPS, l’association promeut ainsi le sport adapté et le mouvement auprès de différents types de population : enfant, adolescent, personne handicapée, personne âgée et personne en situation de grande précarité. Elle a aussi l’ambition d’élargir son champ d’action à d’autres thérapies corporelles afin de proposer des interventions variées et une offre de soin la plus complète et légitime possible. J'entre alors en jeu dans la perspective de créer une prise en charge en psychomotricité pour les bénéficiaires de l'association. Notre objectif est alors de développer et de proposer une thérapie psychomotrice, une prise en charge ou plutôt un accompagnement psychomoteur pour des personnes précarisées. Victa n'est pas une structure fixe en soi, elle va me permettre d'entrer en contact avec des établissements et d'autres associations afin de pouvoir leur proposer mon projet d'accompagnement.

Ce dernier commence tout d’abord par une réflexion. Au-delà d’une perspective de soin, il me semble important de penser mes représentations et mon expérience personnelle de la précarité, de ceux qu'on ne voit pas, des mal logés, des démunis, des travailleurs à la rue, des sans-abri, des sans domicile et des personnes que je croise chaque jour, faisant partie de mon quotidien, de mon monde, sans pour autant y avoir une place. Mon regard évolue. Ou plutôt il change de couleur. Il y a très souvent un sentiment de gêne lorsque je croise l’un de ces regards meurtris ou lorsque je refuse par un « Bonjour, désolé… » la manche d’un orateur du métro. L’empathie n’est pas aisée devant ces hommes et femmes marqués ; par un quotidien brutal et froid assurément, mais aussi et sûrement par une

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18 histoire âpre, sans doute brutale, impossible de deviner si ce n’est cliché d’imaginer. Oui car les avis préconçus ont la vie facile. Au-delà de l’évidente question de l’origine de la chute, on en entend de belles. Faciles et parfois blessantes, les représentations semblent souvent bercées par une angoisse du différent, l’embarras du marginal face à un miroir en porte-à-faux semblant nous montrer la vulnérabilité de chacun dont nous semblons nous leurrer maladroitement.

Ce projet émerge en de biens étranges circonstances pendant ce mois de septembre 2015. Alors que des milliers de réfugiés fuient la guerre et la misère, nombreux sont les opposants à l’accueil de ces personnes et utilisant la précarité française des sans-abri afin d’essayer de détourner le problème ou plutôt de lui tourner le dos. Je ne vais pas établir une analyse politique, socio-économique ou encore sociologique de cette situation car cela dépasse le sujet de cette rédaction et qui plus est le champ de mes compétences. Cependant, il semble intéressant de la peser si ce n’est de la prendre en compte dans notre réflexion dans la mesure de nos capacités afin de délivrer un projet contemporain.

C’est alors que je commence un travail d’information et de lecture afin d’élargir mes idées et d'approcher la problématique de la précarité française de par des points de vue différents. Sur les conseils d’un proche, je commence à lire Patrick DECLERCK mais aussi Alexandre VEXLIARD tout en rebondissant d’article en article plus ou moins récents traitant une fois de la problématique psychiatrique des sans domicile fixe, une autre fois du refus d’assistance, mais aussi de la stigmatisation ou encore de la perspective sociologique de la précarité en France. De plus, je commence à nourrir mon expérience personnelle en assistant aux interventions de l’association et de ses différents intervenants. Cela me permet un premier contact en tant que futur professionnel et dans un cadre défini avec des personnes en situation de précarité. Je rencontre alors des adultes logés en foyer de vie et atteints de maladies psychiatriques chroniques, des sans-abri en accueils de jour et aussi des enfants et adolescents migrants. J'apprécie l'adaptabilité des dispositifs afin que les objectifs diffèrent en fonction des besoins de chaque individu, les séances se déroulent en groupe ou en individuel mais à chaque fois la convivialité et la bienveillance sont de mise. L’entente, le respect et l’écoute sont les ingrédients prépondérants de ces moments.

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19 Aussi, au-delà de ces rencontres, ces premiers aperçus me permettent de comprendre les enjeux de Victa avec les activités physiques adaptées et santé auprès de cette population afin de positionner mon projet en tant que stagiaire psychomotricien en adéquation avec les valeurs et objectifs de l’association. Cette première expérience clinique associée à mes lectures en cours me font entrevoir l’immense hétérogénéité des problématiques des abri et de la précarité. En effet, aujourd’hui il est impossible d’établir le profil type du sans-abri. En plus d’être périlleux cela fausserait mon approche et mes objectifs. Car de nos jours, la haute précarité de PIERRET ne pèse plus seulement sur les épaules de quelques vieux hommes, clochards dans l’âme et dans le corps, errant depuis des années bouteilles à la main et philosophie au bec. Aujourd’hui, l’extrême précarité ; qui étouffe et pousse adolescents, familles, réfugiés, couples ou encore jeunes travailleurs à éviter de vivre leur vie dans la rue absolue par différents moyens tels que les hôtels, les squats, une voiture, un canapé chez un ami ou par toute autre forme de solution d’urgence ; est courante. Ces hommes et femmes, vieux ou jeunes, sont réels et sont, en France, nombreux. Il est d’ailleurs difficile de proposer de réels chiffres car les études passées sont souvent bien en dessous de la réalité oubliant tous ces mal-logés qui ne sont pas considérés par ses statistiques semblant seulement s’intéresser à la partie facilement visible de l’iceberg. Cependant en février 2015, la Fondation Abbé Pierre évoque un chiffre : « 3,8 millions de mal logés au sens strict »14 , c’est à dire sans domicile, en camping, en hôtel, dans des logements insalubres ou dans des conditions de logement très difficiles ; et parmi ceux là 894 500 personnes privées de logement personnel.

En connaissance de cause, je dois maintenant orienter mon projet et c’est vers la grande précarité que je me tourne. Mon projet d’accompagnement appartiendra aux personnes qui sont dans la rue, qui l’étaient et qui y gravitent.

Pendant cette même période d’observation, mon premier objectif est la création d’un projet très ouvert et malléable pour les raisons que nous avons évoquées précédemment. Il est aussi question de rédiger quelque chose de clair et accessible à tous afin de ne pas parler qu’aux professionnels de la psychomotricité ou à ceux qui s’y intéressent. Ce projet a pour

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20 but d’être présenté aux associations et structures afin de décrire l’intérêt et les objectifs de mon intervention en tant que psychomotricien auprès d’une telle population et son articulation avec l'APAS. Au même moment, j'accompagne Victa lors de rendez-vous professionnels auprès de responsables et autres coordinateurs de différentes structures. Il est alors question de se renseigner sur le fonctionnement et le rôle de chaque établissement, qu'il soit lits halte soins santé (LHSS), centre d'accueil de jour, centre d'accueil associatif, ou encore centre d'hébergement d'urgence et réinsertion. Après avoir reçu un mince aperçu de ceux là par leur responsable, nous évoquons à notre tour une présentation de l'association et des projets qu'elles portent. Premièrement, la perspective APAS d'activité physique adaptée et enfin celle de la psychomotricité.

Après de nombreux rendez-vous et autres entretiens, les choses se mettent enfin en place nous allons pouvoir commencer notre pratique dans différents lieux.

3. Lieux de stage et population accueillie

3.1. Le centre d'accueil de jour

Labellisé Espace Solidarité Insertion (ESI), l'établissement est l'un des rares à avoir été conçus spécifiquement pour l'accueil de jour de personne sans-abri. Jusqu'à trois cents cinquante personnes sont accueillies quotidiennement. Il ne propose ni hébergement ni restauration mais les personnes peuvent s'y doucher, laver leur linge, stocker des affaires aux vestiaires, accéder à une cafétéria, bénéficier d'une domiciliation et rencontrer un travailleur social et un psychologue. De plus, des activités sont proposées tout au long de la semaine comme des cours de français, des ateliers art plastiques et jeux de société, un club d'échec, des débats thématiques et des accès à la salle de musique.

L'équipe transdisciplinaire est composée du directeur, d'une équipe d'agents d'accueil et d'une équipe socio-éducative comprenant une psychologue, une éducatrice spécialisée et une conseillère en économie sociale et familiale. Des bénévoles viennent s'ajouter aux salariés en proposant par exemple un kiosque d'information et des visites du centre afin de présenter les lieux et l'équipe aux nouveaux arrivants. De plus, des équipes mobiles

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21 spécialisées psychiatrie-précarité interviennent régulièrement au sein du centre d'accueil de jour.

L'ESI est ouvert à tous et est souvent le lieu d'un premier contact, d'un premier accueil, des personnes venant d'arriver en France ou pour des personnes étant dans l'errance depuis plus longtemps. Beaucoup l'utilisent comme repère vers lequel ils reviennent plusieurs fois dans la journée. Je le perçois comme un sanctuaire, un lieu privilégié dans lequel ces hommes et femmes peuvent se sentir en sécurité et compris. Certains donnent l'impression d'être comme chez eux. L'expression peut paraître caricaturale mais elle évoque pourtant une vérité que je perçois dans quelques processus d'appropriation du lieu.

Le centre accueille essentiellement des personnes en situation de haute précarité, venant et vivant dans la rue mais aussi d'autres sans domicile fixe ou mal logées. Le public est majoritairement masculin mais quelques femmes sont généralement présentes ; elles bénéficient d'un espace qui leur est réservé avec notamment des douches et une salle de détente. L''ESI reçoit des gens de toutes les générations, de tous les continents avec des situations sociales très diverses. Le public ainsi accueilli reflète l'hétérogénéité de la population des précarisés. Il est aussi à noter que certaines personnes présentent des troubles psychiatriques qui ne sont plus traités depuis plusieurs années.

Monsieur D fréquente cet établissement régulièrement. Je le rencontre lors de la première séance en groupe du mercredi après-midi.

3.2. L'association Altu

Altu accompagne des personnes vivant dans la rue ou l'ayant été grâce à un dispositif original et unique d'inclusion sociale et professionnelle. Le dispositif repose sur la construction d'un premier projet professionnel mêlant la culture et le tourisme par l'initiation à l'activité de guide. « La mission n’’est pas de former au métier de guide, mais d’’utiliser les balades urbaines comme support pédagogique et de remobilisation pour des personnes

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22 éloignées de l’’emploi. »15

L'objectif est alors d'inscrire les personnes dans une dynamique globale, aussi bien sociale que personnelle. Les bénéficiaires de l'association sont officiellement considérés comme salariés et reçoivent une rémunération mensuelle.

L'accompagnement spécifique de cette association se structure en trois axes ; le premier est la formation de guide comprenant l'élaboration de la balade et leur mise en place. Le deuxième est porté par des ateliers collectifs hebdomadaires se déroulant dans les locaux de l'association. Jusqu'à aujourd'hui, les ateliers pouvaient être de l'expression corporelle, du théâtre et du yoga. Le troisième axe correspond à l'accompagnement individuel. Il est ici question de définir le parcours et les objectifs personnels au-delà de l'activité de guide au sein de l'association mais aussi d'aider la gestion des démarches administratives inhérentes à la stabilisation du quotidien (logement, aides sociale,...). De plus, un effort particulier est consacré à la communication de l'association avec les autres encadrant des personnes comme notamment les centres médico-psychologiques.

L'équipe de l'association est composée d'une chargée de développement, d'une coordinatrice insertion et accessibilité ainsi que d'un volontaire en service civique. Des intervenants extérieurs (professeur de yoga, comédien) viennent ensuite s'ajouter afin de proposer et mener les ateliers collectifs.

Les bénéficiaires de l'association sont actuellement sept. Ce sont des personnes qui gravitent autour de la rue. Si certains en sont sortis, d'autres bataillent pour la quitter. Malgré cela, l'accession au logement ne résout pas tout. Sans emploi et sans cercle social, le quotidien extrême de la rue est remplacé par un sentiment de vide récurent chez ces anciens sans-abri aujourd'hui relogés. L'association et toutes les personnes qui la composent semblent représenter, pour la plupart, des bénéficiaires, une sorte de nouvelle famille. Les liens entre les personnes sont forts et comme Monsieur A aime le dire, « à Altu on ne sent

pas de dominé, dominant. On a l'impression d'être tous égaux, il n'y a pas de question de hiérarchie, on est écouté et on s'accepte tous comme on est avec nos lots de difficultés. C'est une famille ou plutôt un reflet de ce que devrait être la société ».

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23 Monsieur C et Monsieur M sont tous deux accompagnés par l'association. Le premier y est depuis plus d'un an et propose plusieurs balades par semaine. Malgré cela, ses projets professionnels sont limités et sa situation évolue peu, si ce n'est en se dégradant. Monsieur M, quant à lui, est arrivé récemment. Après un premier essai soldé par un échec et un retour à la rue et ses dérives, il se saisit actuellement d'un second souffle et d'une nouvelle chance.

4. Modalités d'intervention

Deux versants sont à considérer dans ce projet d'accompagnement ; le premier est la co-thérapie APA-Psychomotricité et le deuxième la psychomotricité en tant qu'accompagnement singulier. Lors des séances en co-thérapie, je suis accompagné de Maëva, une jeune professionnelle (mais encore stagiaire) en APA de 21 ans. Nous construisons et réfléchissons ensemble à nos séances, tant au niveau des objectifs que de nos propositions.

4.1. Au centre d'accueil de jour - ESI

C'est avec Maëva que nous intervenons à l'ESI en proposant un atelier de groupe nommé par le centre « Remise en forme ». Il dure entre 1h30 et 2 heures et a lieu tous les mercredis après-midi. La salle dans laquelle nous pouvons proposer ce groupe est mitoyenne à l'espace de la cafétéria où des canapés et fauteuils sont éparpillés. Elle sert aussi de salle de musique et d'art plastique à différents moments.

Le cadre ce cette séance est très flexible, nous la définissons souvent comme un groupe ouvert ; nous ne connaissons pas à l'avance nos participants et cette participation se base sur le volontariat. J'arrive avant l'ouverture du centre, et la première étape est d'aller à la rencontre des personnes afin de me présenter ainsi que l'atelier. Ce premier contact me semble extrêmement important. Je reste parfois discuter plusieurs minutes avec une personne qui ne souhaite pas venir et d'autres fois, je suis repoussé. Ensuite, généralement, nous ne fermons pas la porte de la salle, cela laisse l'opportunité de joindre notre groupe à tout moment. Il arrive fréquemment qu'après avoir observé un temps le déroulement de la séance, une ou plusieurs personnes s'approchent et osent finalement se joindre au groupe.

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24 Le contenu de cet atelier est varié et riche. L'apport de nos deux professions permet de proposer différents types de médiations et de dispositifs. Et la dénomination « Remise en forme » n'est finalement pas représentative de notre intention. Nos propositions varient en fonction des besoins et aussi des envies des personnes. Monsieur L par exemple souhaite des activités dynamiques et est très friand de renforcement musculaire mais Monsieur R quant à lui nous demande des exercices de conscience corporelle inspirés du yoga. Parfois, nous proposons aussi à des participants de préparer un exercice pour la semaine prochaine ou de proposer spontanément une pratique au groupe.

4.2. Au sein de l'association Altu

La première partie de l'accompagnement des bénéficiaires de l'association commence par la création et la mise en place de séances en groupe. Elles se déroulent chaque vendredi matin et durent entre 1h30 et 2h. Maëva les co-anime à mes côtés mais est moins présente au niveau des préparations et de son engagement en séance. J'ai bien plus de liberté et d'espace d'expression avec ce groupe, ces séances correspondent véritablement à ce que je souhaite invoquer en tant que futur psychomotricien. Le cadre de ce groupe est aussi plus confortable pour moi et ma position de thérapeute malgré le fait que nous laissons la possibilité aux personnes de quitter la salle quand ils en ont vraiment besoin.

L'autre partie de la prise en charge correspond au suivi personnel en psychomotricité. Les séances individuelles durent 1h et j'essaye d'en proposer toutes les semaines. Les rendez-vous sont arrangés et programmés avec les personnes chaque semaine. Certains me demandent de les appeler la veille pour leur faire un rappel. Je n'accompagne pas encore toutes les personnes de l'association ; Monsieur C par exemple me demande d'attendre avant d'entamer ses séances individuelles. Monsieur M est le premier à en avoir bénéficié et en voudrait plus.

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5. La place de la psychomotricité - Ma place de stagiaire

5.1. La psychomotricité

A mon arrivée dans ce milieu associatif et institutionnel de « gestion » des populations précarisées, la psychomotricité n'a pas de place et de légitimité. Si les fondateurs de Victa connaissent et collaborent avec des psychomotriciens auprès de plusieurs populations, les personnes en situation de grande précarité n'en font pas partie. Il en est de même avec les associations que l'on pourrait qualifier de terrain, telle celle gérant le centre d'accueil de jour ESI ou l'association Altu. Ces structures n'ont pas exprimé une demande de psychomotricité. Tout est à faire et ce tout commence par la présentation de la psychomotricité et de ses apports potentiels au sein d'un système d'assistance déjà en place.

Il me semble important de comprendre ce qui est actuellement en jeu dans l'accompagnement des personnes précarisées et notamment concernant la gestion institutionnelle du corps précaire. Car mon projet vient lui-même s'insérer dans des mécanismes rodés dont la destination idéalisée est la réinsertion. La question du corps dans ce milieu est pris en charge par trois pôles professionnels bien distincts : médical, social ou de contrôle. Aussi, deux perspectives élaborent tous les accompagnements alors en place ; la première est l'insertion sociale et compte trois processus : l'insertion par le logement, l'insertion par la santé et l'insertion par l'autonomie. L'insertion professionnelle est la deuxième et correspond au rétablissement d'une dynamique vers l'emploi par l'élaboration de projet. Elle fait écho au corps efficient et opérant et à la valorisation de la personne par sa productivité. C'est l'objectif final et ce que doit permettre l'insertion sociale.

Cette dynamique globale d'insertion résonne pour moi comme une course vers la norme sociale. Comme nous l'avons vu, le terme réadaptation a été remplacé par réinsertion mais il me semble pourtant que le fond de l'accompagnement des personnes les plus démunies n'a que peu évolué. Qu'en est-il lorsque le corps précaire n'est pas suffisamment fonctionnel pour se réinscrire dans une norme sociale ? Que faire face au sentiment d'inutilité professionnelle et sociale impactant la personne dans son intégrité corporopsychique ? C'est ainsi toute la difficulté de situer la psychomotricité dans ce projet global. Mais ce sont aussi des pistes qui me guident depuis mes toutes premières réflexions.

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26 Dans ma démarche, c'est la question du corps que je mets en avant et avec elle la trajectoire corporelle des personnes. Ma représentation de l'approche psychomotrice auprès d'une telle population se situe bien moins sur un versant rééducatif que thérapeutique.

La psychomotricité vient au contact de la personne en elle-même. En lui proposant une thérapie corporelle ou des médiations corporelles nous créons un lien, une triade entre la personne, le professionnel et la médiation. Du point de vue des personnes, nous ne venons pas vers elles pour les soigner de quelque chose ou résoudre un problème comme c'est le cas de tout ce qui leur est proposé jusqu'ici. Nos séances représentent une parenthèse pendant lesquelles, par le contact et l'investissement du corps de la personne, une expérience est amorcée, et est proposé un moment de vie dans lequel la personne a sa place et s'inscrit. Pour autant, la perspective de soin n'est jamais loin. Qu'ils soient de l'ordre thérapeutique ou rééducationnel, nos objectifs sont toujours de faire bénéficier un état de santé global. Considérer alors la psychomotricité comme mécanisme de réinsertion me paraît très nébuleux si ce n'est paradoxal. Cependant, je pense qu'il est nécessaire de considérer cette insertion non pas comme objectif thérapeutique en psychomotricité mais comme une donnée environnementale ; une nécessité si ce n'est une exigence de certaines institutions voire de la société. « L'insertion professionnelle reste un objectif essentiel ; mais il ne peut intervenir que dans un second temps, lorsque ces blessures de la vie ont été pansées ».16

La psychomotricité intrigue certains professionnels, ils sont parfois curieux ou très intéressés. Ils sont aussi quelques uns à être heureux de la venue de cette nouvelle pratique au sein de leur établissement ; comme si il y avait un manque au niveau de la prise en compte du déterminant corporel.

Dans l'ESI, j'échange régulièrement avec la psychologue et les travailleurs sociaux. Certains participent même aux séances lorsque cela est possible. De plus, un énorme travail d'information est effectué par l'ensemble des équipes qui invitent les personnes à se diriger vers moi et Maëva lors de notre atelier.

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27 Au sein de l'association Altu, la psychomotricité prend dorénavant une place importante avec la séance en groupe et les suivis individuels. Je dispose d'une responsabilité dans la gestion des rendez-vous et la mise en place des projets individuels en psychomotricité. Cette dernière semble représenter, pour les gérants de l'association et pour ses bénéficiaires, une sorte de « bouffée d'air ».

5.2. Premiers pas et premières pratiques

Les premiers groupes commencent et notamment celui de l'ESI. Ce sont des groupes ouverts, nous ne savons pas qui nous allons recevoir et accompagner, difficile alors de préparer une séance type à l'avance. Avant de débuter, nous choisissons de partager des idées de propositions et de discuter sur la façon de les proposer et sur leurs intérêts thérapeutiques et pédagogiques. Nous évoquons plusieurs possibilités de structure quant au déroulement de l'atelier. Les premiers temps permettent d'entrer en contact avec les personnes. Il s'agit alors de se présenter, de discuter un moment et de présenter succinctement ce que nous voulons mettre à l'œuvre. Nous insistons sur la convivialité, l'échange, le respect et l'écoute de chacun ainsi que sur des notions de mise en mouvement du corps et de l'esprit par des jeux, des propositions de conscience corporelle, des exercices de renforcement musculaire, des activités plus dynamiques.

Mes premières difficultés émergent rapidement. Elles se situent principalement dans l'identification des objectifs concrets de mes propositions. L'hétérogénéité de cette population est indéniable. Si je m'y suis préparé avec un bagage littéraire, la théorie ne peut pas suffire afin de construire une perspective clinique. J'approche les premières séances avec une certaine appréhension. Toutefois, j'essaye de gérer cette dernière et de m'en servir afin de trouver un équilibre dans mon positionnement en tant que futur thérapeute. Je me sens fébrile dans mon approche et cela résonne sans nul doute dans ma présence. En effet, mes idées d'exercices et d'expérimentations ressemblent avant tout à du contenu impersonnel dont je doute de la crédibilité et de la légitimité auprès des personnes que nous accompagnons. De plus, les toutes premières séances ne sont pas fluides, notamment concernant les transitions entre les propositions et les interventions avec Maëva. Je ne suis pas satisfait, ma présence et ma position en tant que stagiaire psychomotricien sont fébriles et la contenance que je souhaite insuffler est partielle. Cette dynamique m'est inconfortable.

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28 Pourtant les retours des personnes sont positifs et intéressants. Ils ne se limitent pas aux habituels « C'était bien » ou « Oui, ça va » mais nous expriment bien plus ; des expériences, du vécu et des doutes qui me sont extrêmement utiles. Ces premiers pas sont riches en vécu et en information sur moi-même, sur nos séances et sur les personnes que nous prenons en charge. Après cette courte période de fébrilité, mon assurance grandit. Je rebondis et me concentre sur l'écoute des patients. Ils me renvoient beaucoup de choses qui orientent ma pratique. Tant au niveau de leurs envies que de leurs besoins ou difficultés, l'écoute et la considération des histoires du corps et des dynamiques psychocorporelles me guident véritablement.

Je prends aussi du temps avant et après les séances pour proposer un échange avec certaines personnes. Elles sont nombreuses à raconter un passé plus ou moins proche. J'oriente généralement nos échanges vers la façon dont ils vivent ces situations et ces évènements. Ces moments d'échanges mettent en lumière des problématiques de vie et toute la rudesse d'un quotidien de rue. Les personnes me racontent alors des problèmes de sommeil, de violence, d'alcoolisation massive, de marche interminable, du froid, d'urgence, de corps blessé et de faim. Cela fait petit à petit écho aux dynamiques psychocorporelles que j'observe en séance et approfondit ma réflexion.

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Partie 2 : Observations cliniques

1. Monsieur D

Monsieur D, de taille moyenne, apparaît comme un homme robuste ; Les jambes arquées, le buste rond et carré, une tête chauve et massive portée par un large cou. L'allure de ce monsieur me fait penser à un cowboy, ancré dans le sol et près à faire face à toute entourloupe.

1.1. Anamnèse

Je ne connais pas l'âge de Monsieur D et il est d'ailleurs difficile de lui en donner un. D'origine russe, ce monsieur ne parle que quelques mots de français. Il comprend mieux notre langue qu'il ne la parle.

1.2. Contexte de vie

Monsieur D vit dans la rue, je le rencontre pour la première fois alors qu'il attend le début du tout premier groupe à l'ESI. Je ne le vois pas souvent mais il vient régulièrement au début puis beaucoup moins à partir de janvier. Monsieur D est un homme imposant et au sein du centre d'accueil les personnes, notamment les travailleuse sociales, semblent le craindre et l'éviter. En effet, ce monsieur semble refléter une dangerosité.

1.3. Entretien et évaluation psychomoteurs - Mercredi 21/11/15 (Groupe)

La participation de Monsieur D au premier groupe du centre d'accueil me permet d'établir une ébauche d'analyse psychomotrice sans pour autant pouvoir lui proposer la passation de bilan standardisé. La première chose que me renvoie ce monsieur est sa posture et son attitude. Monsieur D me semble crispé, tendu, comme doté d'une carapace. La posture de ce monsieur me fait penser à une forme globale d'antenne parabolique déployée sur les côtés ; le menton vers le thorax, le dos courbé, les épaules basses et arrondies, le bassin enroulé en rétroversion, la face interne des membres ouvertes vers l'avant, le tout illustrant une affinité postérieure et en expansion frontale ainsi qu'un état de forte tension

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30 des chaînes antéro-médiane et postéro-latérale. Le poids de cet homme semble être porté par ses talons et dans une position générale d'enroulement.

Monsieur D est très attentif, discret, souriant et semble faire des efforts afin de comprendre nos explications. Je remarque aussi que ses déplacements sont très lourds et directs, se déclenchant comme par des décharges toniques. Aussi, le corps de cet homme semble en mouvement perpétuel. De plus, je remarque qu'il me regarde beaucoup comme pour essayer de suivre mes mouvements par imitation. Nous nous retrouvons plusieurs fois dans une situation ou il imite ma posture ou mon déplacement en dehors de tout exercice, ce qui fait rire tout le monde ainsi que Monsieur D et moi-même. Lors de cette séance, je suis accompagné de Maëva et de Sarah, travailleur social stagiaire. Monsieur D semble alors animé par la présence des jeunes femmes qu'il observe intensément mais encore une fois avec beaucoup de discrétion et une certaine timidité adolescente dans le regard et sa gestuelle maladroite. Pendant cette première séance, Monsieur D présente des réactions de prestance et autres petits mouvements localisés et répétés. Cet homme me paraît alors être dans une dynamique d'exploration, impatient de découvrir nos propositions. Il écoute et essaye tout ce que je lui propose sans jamais exprimer d'hésitation ou de doute à l'inverse des autres participants.

A la suite de la toute première séance au centre d'accueil de jour, je prends un temps pour discuter en tête à tête avec Monsieur D autour d'une table de la cafétéria. Ce premier entretien est rendu difficile par la barrière de la langue cependant nous arrivons à nous comprendre. J'ai alors l'impression d'avoir en face de moi une autre personne. Monsieur D arbore alors un visage plus grave et apparaît bien moins animé que pendant le groupe. L'esprit de convivialité et de fantaisie du groupe à comme laissé place à la sériosité de son histoire. Monsieur D m'évoque premièrement une grande passion pour le sport et un grand besoin de se dépenser physiquement pour se maintenir en forme. Il relate une longue pratique du football en Russie qui lui manque. Aujourd'hui, il me dit marcher énormément. Des jours entiers. Autrefois avec un ami, lui aussi SDF, et maintenant seul, ce même ami étant blessé et incapable de le suivre. « Je marche pour me chauffer, pour aller de centre en

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31 Monsieur D me décrit un passé d'une grande violence. « Lorsque j'étais videur de

boîte de nuit, en Russie et aussi dans d'autres pays de l'Est, c'était très dur. Et aussi dans la rue, seul contre 15 gars. » Monsieur D explique s'en être sorti à chaque fois mais non sans

séquelles, le corps usé et fatigué, qu'il me montre en grimaçant.

Enfin, Monsieur D me demande si je vais pouvoir l'aider pour sa bedaine qu'il tapote de ses deux mains. Il veut travailler sur la perte de ventre qui semble le gêner, il le trouve trop gros, trop gênant. Monsieur D n'est pas le seul à me faire cette remarque. Plusieurs autres personnes me font cette demande.

1.4. Projet d'accompagnement individuel

Le corps de Monsieur D est dégradé, c'est son intégrité physique qui me semble en jeu et avec elle un sentiment de sécurité interne. L'axe principal de l'accompagnement de Monsieur D en psychomotricité sera d'alimenter son rapport au corps et sa dynamique psychomotrice (expressivité du corps, conscience corporelle, relaxation dynamique) afin de lui proposer un registre différent d'investissement corporel, s'étayant sur ses capacités (relation à soi, à l'autre et à l'environnement) et autrement que sur des modalités polaires (violence, hypertonie). Et par cela rechercher à nourrir et renforcer un sentiment de contenance.

1.5. Évolution

Cette évolution retrace toutes les séances de Monsieur D, exceptée la toute première décrite en amont. Je ne l'ai pas revu depuis le 3 février 2016.

1.5.1. Mercredi 02/12/15 (Groupe)

Je retrouve aujourd'hui quelques uns des participants de la semaine dernière. Monsieur D est là aussi. Je le retrouve devant la salle. Alors que nous discutons, je vois des blessures sur son visage. Sa lèvre inférieure semble avoir été ouverte et des hématomes marquent son front. Il me raconte s'être battu et avoir perdu… Je ne comprends pas tout mais il me raconte une histoire de vol et des nuits difficiles en compagnie de son ami

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32 slovaque. Il semble inquiet pour son camarade qui est son meilleur ami. Il m'évoque ensuite avoir bu, beaucoup, avant de s'être battu.

Aujourd'hui, il m'apparaît véritablement différent de la dernière fois. Son attitude en témoigne, il est chancelant et faible. Je me demande alors si il est actuellement alcoolisé ou s'il est juste très fatigué.

Pendant la séance, Monsieur D est jovial, les yeux et le regard flottant. Il me parle beaucoup, assez fort, et accapare ainsi toute mon attention et coupe le déroulé de la séance à plusieurs moments. Il semble gêner les autres participants. Aujourd'hui, Monsieur D est comme l'élément perturbateur du groupe alors qu'il est habituellement discret. Son état du jour semble osciller entre l'excitation et une grande fatigue.

Il me semble lutter pour se mouvoir et être présent. Comme si le poids de son corps était un fardeau. Son équilibre est précaire et il m'a l'air affaissé. Lorsque je m'adresse directement à lui, il semble surpris et ne rien comprendre du tout. De plus, j'ai l'impression qu'il me perçoit comme autoritaire, comme une figure parentale. Il s'excuse très fréquemment. Il n'est pas beaucoup en relation avec les autres participants mais reste à mes côtés ou en retrait tout du long de la séance.

1.5.2. Mercredi 16/12/15 (Groupe)

Monsieur D est arrivé en retard aujourd'hui. Il a intégré le groupe en cours de relaxation dynamique (marche de pleine conscience). Il semble alcoolisé et sent l'alcool. Mais ce n'est pas très apparent. Il arbore son coté timide avec quelques pointes d'impulsivité jaillissant par moment, sous forme d'échanges verbaux envahissant et inopportuns et des décharges motrices.

Lors du yoga et du fait de sa compréhension limitée du français, Monsieur D doit suivre l'enchaînement de mouvements et de positions par mimétisme. Cet exercice semble être très difficile pour lui. Ses reproductions sont perfectibles, déconstruites, mal agencées et mal latéralisées.

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33 Lors du jeu du Ninja17, Monsieur D a du mal a contrôler ses attaques qui se trouvent être trop brutales et violentes. Il s'en rend compte et s'excuse. Il dit ne pas contrôler sa force et son corps. « Je me bagarre beaucoup, c'est comme des réflexes. ». Sa régulation tonique semble très partielle. Son fond tonique est extrêmement élevé. Monsieur D semble avoir des difficultés dans les notions de lents, de mouvements soutenus. Il semble contrôler son corps suivant une loi du tout ou rien.

1.5.3. Mercredi 03/02/16 (Groupe)

Monsieur D arrive en cours de séance, pendant que le groupe termine la séquence de yoga. Il frappe à la porte. Je viens lui ouvrir. Il a un grand sourire et semble vraiment heureux de pouvoir être présent. Je l'accueille chaleureusement, cela fait quelques semaines que nous nous n’étions pas vus. Il s'excuse en parlant quelques mots de français et en faisant des gestes et une mimique voulant apparemment signifier une mauvaise santé... Il souhaite revenir et participer à chaque séance dorénavant.

Je lui demande pour le moment d'attendre quelques secondes afin que le groupe termine le yoga entamé. Il observe en souriant. Nous passons ensuite à une proposition s'inspirant de la Capoeira et demandant à deux personnes de s'ajuster afin d'effectuer des déplacements en miroir inversé. Il s'agit alors d'anticiper les mouvements de son partenaire et d'esquiver ses attaques. Monsieur D est spectateur lorsque les deux premiers binômes évoluent. Il observe sur le côté, bras croisés, d'un air jovial en exprimant quelques « ohoh » de surprise. Lorsque le deuxième groupe termine, j'invite Monsieur D a venir expérimenter la proposition avec Monsieur R. Ce dernier est très à l'aise avec ce genre de propositions ; très fluide et aussi énormément dynamique et plein d'assurance dans la relation duel. Les premiers instants sont timides mais petit à petit les deux protagonistes s'investissent.

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Jeu de groupe découvert lors d'un atelier d'échange de pratique à Lille lors de ma première année. Le groupe commence rassemblé puis chacun s'éloigne d'un pas ou deux en prenant une posture et en la gardant comme une statue. Le but du jeu est de toucher les mains de ses adversaires. Lorsqu'une main est touchée, elle est placée dans le dos et deviens inutilisable, lorsque les deux ont été touchées, le joueur a perdu et s'écarte. Les mains sont les vies et les dites armes du joueur. Les joueurs peuvent uniquement bouger lorsque leur tour est venu d'attaquer ou pour esquiver une attaque. Le détail important réside dans le fait que chaque joueur doit se figer au bout de son mouvement et ainsi garder la posture.

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34 Monsieur R commence à être incisif, vers l'attaque, il avance mais ne recule pas. Monsieur D lui recule tout en émettant des attaques discrètes qui ne génèrent que peu d'esquive chez son partenaire, qui lui réplique avec plus d'amplitude et en avançant. Monsieur D se retrouve coincé contre le mur de la salle, comme inondé par la présence de son partenaire. Il exprime alors des réactions de surprise, il semble en difficulté et quelque peu impuissant, jusqu'à ce que son binôme le touche et que tous les deux mettent fin à l'exercice. Monsieur D termine en sueur et essoufflé. Tout le monde est invité à boire un verre d'eau et à se reposer un instant. J'en profite pour aller demander à Monsieur D comment il se sent. « Ah

ça va, ça va, oui... C'était difficile avec lui. Mais marrant. On pourra réessayer une prochaine fois peut-être. »

Le groupe souhaite ensuite jouer au jeu du ninja afin que Monsieur T le découvre. Monsieur D gagne les deux premières parties. Il semble énormément concentré, ses mouvements sont des explosions toniques, rapides mais aussi incontrôlées. Il frappe fort et peut faire mal. Lorsqu'il est dans l'immobilité, il est tout en tension, ses bras et ses mains sont crispés tout comme ses jambes et son visage. A plusieurs reprises, Monsieur L et Monsieur D sont en confrontation ; les deux se retrouvent prêt l'un de l'autre et l'entente semble s'envenimer lorsque Monsieur L prend pour cible Monsieur D et s'évertue à vouloir le toucher. Après une discordance concernant un point mal compté et le non respect de l'ordre de passage, j'ai l'impression qu'une certaine agressivité naît chez Monsieur D. Il me regarde comme pour avoir mon autorisation de jouer et d'attaquer mais aussi comme s’il voulait que j'intervienne. Il ne rigole plus, et son regard change, devenant plus sombre, plus grave lorsque Monsieur L l'assaille d'attaques tout près de lui, plusieurs fois à tel point qu'ils se retrouvent très proche l'un de l'autre. Monsieur D termine part regagner la manche et son sourire mais cela m'a semblé éprouvant pour lui encore une fois.

La séance se poursuit avec une phase de renforcement musculaire proposée par Maëva. Monsieur D dit apprécier cela même s’il bronche un peu tout du long. J'exposerai ici uniquement un exercice. Ce dernier se fait à deux et consiste à serrer ou écarter les mains de son partenaire en donnant une force progressive et accordée afin que les le binôme s'écoute et observe de la résistance sans déplacer les mains. J'effectue cet exercice avec Monsieur D. La première chose que je perçois est sa peau, dure et rêche. Elle me fait penser à du papier

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35 de verre et me fait frissonner de l'intérieur à son premier contact. Lors de l'exercice Monsieur D impulse une force instantanée et non progressive. Il me donne rien ou tout d'un coup. Il ne semble pas réussir à s'accorder avec moi. Il est sur un mode pulsatile. J'essaye d'étayer sa perception en allant très progressivement toucher ses mains puis créer une force mais ses réaction sont brutales et ont pour but de nous faire faire des mouvements d'allers et retours comme si nous brassions de l'air. Il me fixe très fortement du regard. Son regard me donne l'impression qu'il essaye de capter quelque chose en moi, de s'accrocher à moi. Il sourit aussi tout en grimaçant face à la difficulté alors en jeu.

La séance se termine par un moment de calme pendant lequel le groupe est assis sur les tapis installés en rond. Je les invite à se déposer sur le sol et à entamer une relaxation dynamique qui consiste à accorder un mouvement d'enroulement à la respiration. Monsieur D semble capable de relâcher ses épaules, ses bras, ses mains qui sont déposés sur ses jambes. Il ferme les yeux et les ouvre par courts moments. Il effectue le mouvement comme je l'indique en m'observant quelques fois, je commence par les accompagner puis me redresse afin d'observer le groupe tout en le guidant de ma voix. Monsieur D continue tout de même sa relaxation. Je les invite alors à écouter leur état du moment pendant quelques minutes. Monsieur D semble se laisser aller, abaisser son niveau de tension global. A la reprise, il a les yeux endormis et le visage fatigué.

Pendant le temps de parole, Monsieur D exprime quelques mots. « Très bien, je vais

revenir. Je suis bien fatigué par contre... » Et mime le fait de ramer. Il me serre enfin la main

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2. Monsieur C

Derrière les nombreuses couches de vêtement de Monsieur C, j'aperçois un homme moyennement grand et fin. Affublé d'une casquette et de petites lunettes rondes, il est difficile de capter le regard de cet homme qui arbore une posture voûtée et qui ne tient pas en place. En effet, il est assez rare d'avoir ce monsieur en face de soi bien longtemps. Je le rencontre pour la première fois lors d'un groupe de présentation de l'association Altu, c'est Monsieur C qui m'accueille en m'ouvrant la porte.

2.1. Anamnèse

Avant même de rencontrer Monsieur C, j'ai déjà entendu beaucoup de chose à son propos. On parle de lui comme un homme ayant vécu plusieurs vies. Il y a comme un mystère qui semble couvrir son histoire et qui semble attiser la curiosité dans l'association. De plus, on me parle de ce monsieur comme le « loup blanc du milieu, il est connu de tous

et il connaît tout le monde. »18

Âgé de 38 ans, Monsieur C a longtemps vécu dans la rue. Il est traité pour une hypertension artérielle. Aujourd'hui il bénéficie d'une allocation adulte handicapé (AAH) concernant des troubles neurologiques. Ces derniers étant apparemment les conséquences d'une addiction à l'héroïne et d'une phase de coma.

2.2. Contexte de vie

Monsieur C est actuellement logé dans un appartement à Paris. Il ne travaille pas en dehors de son activité avec l'association, ce qui permet d'apporter une ressource supplémentaire à ses aides initiales très minces. Monsieur C est un des plus anciens bénéficiaires de l'association Altu encore accompagné, cela fait plus de 2 ans qu'il fait partie de l'association. Cependant, ses perspectives d'évolution professionnelles sont encore floues.

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