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5. Les troubles du langage dans la MA

5.3. Évolution des troubles du langage dans la MA

Les troubles du langage sont, après les déficits mnésiques, les plus importants du fait de leur fréquence et de leur retentissement. Dans la littérature, le pourcentage de sujets manifestant ces troubles précocement est hétérogène, de 10% (COLETTE et al. 2007; BARKAT-DEFRADAS et al. 2008) à 50% des sujets (TOUCHON et PORTET, 2002).

Les désordres langagiers se manifestent tant dans la production que la compréhension du matériel verbal. A ceux-ci s'ajoutent des troubles discursifs et pragmatiques dès la phase débutante.

5.3.1. Les troubles du langage oral

L'atteinte des différents niveaux du langage (phonologie, lexique, syntaxe, discours et pragmatique) n'est pas uniforme selon le stade évolutif de la maladie.

A la phase prodromale, le discours spontané est encore fluent mais marqué

par un manque du mot et l'apparition de légères incohérences dans le discours. Le phénomène anomique atteint préférentiellement les noms propres, les dates, les mots de basse fréquence dans la langue puis les mots familiers : les noms et surtout les adjectifs.

On décrit souvent une dissociation entre les objets animés et inanimés avec une atteinte plus marquée pour ceux animés. SILVER et al. (2003) notifient une autre dissociation entre dénomination d'objets où les patients sont déficitaires et celle d'actions où ils sont relativement performants.

Le manque du mot n'est pas forcément détectable dans la conversation spontanée mais il est mis en évidence par des épreuves spécifiques comme la dénomination orale. Le trouble d'accès au lexique phonologique s'aggrave avec une atteinte progressive des traitements sémantiques. AMIEVA H. et al. (2007) et JOUBERT S. et al. (2008) recensent des troubles sémantiques dès le stade pré- démentiel de la MA. Malgré une intensité variable aux premiers stades de la maladie, ils sont souvent éclipsés par les déficits de la mémoire épisodique.

On note souvent une altération des fluences verbales (sémantiques, littérales ou phonologiques) car le patient éprouve des difficultés à fournir en un temps limité un nombre conséquent de mots. Les performances à cette épreuve dépendent également de l'atteinte des fonctions exécutives.

La compréhension simple est bien préservée mais la compréhension de formes syntaxiques complexes apparaît déficitaire en particulier pour les comparatifs, les relations de causalité ainsi que les inférences. La compréhension des mots abstraits peut d’ores et déjà être affectée.

Les aspects phonologiques et syntaxiques ainsi que la répétition sont préservés à ce stade de la MA. Ce sont les aspects lexico-sémantiques et pragmatiques qui sont les premiers atteints dans la MA.

La survenue de difficultés dans des activités de manipulation et maîtrise du langage dans des activités verbales telles que le scrabble ou les mots croisés peuvent évoquer des troubles phasiques si ces activités étaient maîtrisées auparavant.

A la phase démentielle, l'aggravation et la complexification des troubles du

langage (majoration du trouble de la compréhension) évoquent le tableau de l'aphasie transcorticale sensorielle puis évoluent vers une forme de l'aphasie de Wernicke lorsque la répétition vient à être altérée. Un jargon apparaît progressivement. Les périphrases se multiplient ainsi que les paraphasies phonémiques, sémantiques et formelles. De plus en plus mots non identifiables (productions lexicales incompréhensibles, logatomes ou néologismes dans la terminologie traditionnelle) et de persévérations sont produits avec une tendance écholalique et palilalique.

Le manque du mot devient manifeste et invalidant au quotidien. Il peut être partiellement compensé par des dénominations vides, des circonlocutions, des modalisations et des gestes mais des erreurs apparaissent progressivement (erreurs de gestes, circonlocutions vagues ou inadaptées) en lien avec l'avancée de l'atteinte sémantique (MOREAUD, 2001).

Certains aspects morpho-syntaxiques sont atteints comme l’emploi des pronoms, des anaphores ou des prépositions. La richesse des formes syntaxiques employées s'appauvrit, les références anaphoriques tendent à disparaître et les capacités narratives sont altérées.

Le discours s'appauvrit, il devient peu informatif, partiellement incohérent et dyssyntaxique. Il y a une perte des intentions de communication et un non respect des règles implicites d'interaction sociales

Selon BAYLES et al. (1982), la persévération est un trouble majeur à ce stade de la MA avec la répétition idéationnelle (phrases et de thèmes récurrents dans le discours). Il en est de même pour les digressions.

Les troubles de la compréhension orale s'accentuent. Le handicap communicationnel devient majeur.

A la phase avancée, l'aphasie est globale, le langage oral et écrit sont

totalement affectés. Toutes les composantes du langage sont fortement perturbées. On retrouve une diminution très marquée de la communication verbale. A ce stade la parole est souvent réduite à l'écholalie ou la palilalie, aux discours stéréotypés, aux cris et parfois même au mutisme. JOANETTE et al. (2006) décrivent l'apparition de suite de syllabes sans signification. Certains automatismes verbaux peuvent subsister mais sont souvent utilisés à mauvais escient. En revanche, si la compréhension verbale est déficitaire, les interactions peuvent être possibles grâce au recours à la communication non verbale (gestes, mimiques, regards ou encore la prosodie).

5.3.2. Les troubles du langage écrit

Selon CROISILE (2005), le langage écrit est souvent plus précocement touché que le langage oral. Cependant, le langage écrit peut rester fonctionnel dans les premières phases de la maladie en dépit d'une dysorthographie et d'une dysgraphie évolutives.

A la phase prodromale, LAMBERT et al. (2010) décrivent des atteintes à la

fois centrales et périphériques de l'écriture dans la MA.

L'expression écrite est marquée par une dysorthographie présentant les caractères d’une dyslexie de surface (affecte d'abord les mots irréguliers qui sont régularisés tandis que l'orthographe des mots simples et fréquents est plus respectée) puis un début de dysgraphie (peut se traduire par l'emploi préférentiel de lettres capitales, des troubles d'agencement des lettres, il y a des erreurs de jambage, des ratures, une mauvaise répartition spatiale des lettres...).

A ce stade la lecture reste bien conservée. De la même façon que pour le versant oral, les aspects phonologiques et syntaxiques du langage sont préservés.

A la phase démentielle, l'aggravation de la dysorthographie et de la

dysgraphie est de plus en plus marquée. L'écriture devient difficilement lisible. L'atteinte centrale (dysorthographie) devient alors mixte (dysorthographie et dysgraphie).

La lecture à voix haute, longtemps préservée, devient progressivement déficitaire et la compréhension écrite devient lacunaire. Ces deux tâches peuvent être dissociées : la transposition est préservée, le patient lit à voix haute mais sa compréhension est altérée à divers degrés.

A la phase avancée, l'écriture est illisible avec une association de troubles

phasiques, praxiques et visuo-spatiaux.

Le tableau suivant reprend les manifestations des troubles du langage aux différents stades de la MA :

Stade Tableau aphasiologique Description des troubles du langage

Léger

Troubles de la production lexicale et

du discours

- Troubles de la production lexicale (manque du mot, circonlocutions, présence de paraphasies sémantiques)

- Fluence sémantique réduite

- Troubles discursifs et pragmatiques débutants - Trouble de l'écriture débutant

- Conscience du trouble (variable)

Préservation du/de(s) :

- La compréhension orale et écrite

- Modes de transpositions (LVH et répétition) - Composants segmentaux (phonétiques et phonémique), prosodiques et syntaxiques du langage

- Débit élocutoire

Handicap communicationnel discret

Modéré

Troubles de la production et de la compréhension en relation avec des troubles sémantiques

et avec préservation des modes de

transposition -

- Aggravation des troubles de la production lexicale

- A - Apparition de troubles de la compréhension lexicale puis syntaxique à l'oral et à l'écrit - E - Eléments persévératifs et écholaliques

- - Répétition et LVH possibles

Handicap communicationnel modéré

Sévère

Atteinte sévère de tous les composants du

langage

A

- Atteinte globale du langage:

- Troubles expressifs (paraphasies, jargon, persévérations, palilalies, écholalies, réduction pouvant aller jusqu'au mutisme)

- Troubles de la compréhension majeurs

- Préservations de certains automatismes langagiers et des aspects non verbaux de la communication

Handicap communicationnel sévère