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Évaluation des effets des polluants chimiques sur la dynamique de population d’un poisson, la gambusie

(Gambusia holbrooki), en écosystème expérimental :

Élaboration d'un modèle basé sur les individus pour

aider à la prise de décision

R. Beaudouin1, V. Ginot2 et G. Monod1

1INRA SCRIBE, Station Commune de Recherche en Ichtyophysiologie, Biodiversité et Environnement, Campus de Beaulieu, 35042 Rennes Cedex

2INRA, Unité de Biométrie, Site Agroparc, 84914 Avignon Cedex 9

Introduction

Chez le poisson, l’évaluation expérimentale du danger des polluants chimiques a reposé jusqu’à présent principalement sur des études au niveau des performances individuelles. Or, l’extrapolation des effets sur les individus aux effets sur la population n’est pas simple. Il serait donc souhaitable de pouvoir expérimenter au niveau de la population. Mais, le nombre d’espèces de poissons pouvant être étudiées au niveau populationnel en condition expérimentale est très limité, en raison de la relative petite taille des écosystèmes expérimentaux (microcosmes) pouvant être mis en œuvre. La gambusie (Gambusia holbrooki) est un bon candidat pour ce type d’étude. Cependant, les expériences préliminaires menées dans notre laboratoire [1,2] ont montré qu’il existait une grande variabilité entre les populations témoins d’une même expérience. Or, les expériences en microcosme ne permettent la mise en œuvre que d'un nombre limité de réplicats. Ceci peut constituer une limite importante à l’interprétation des résultats du fait de la faible puissance, au sens statistique, des comparaisons entre un petit nombre fortement bruité de populations témoins et de populations exposées. Il est donc déterminant d’améliorer la puissance statistique des expériences.

Une piste possible pour répondre à cet enjeu pourrait être de compléter les données témoins réelles en simulant à l'aide d'un modèle probabiliste, l’ensemble des populations attendues en conditions témoins. Ceci devrait permettre de déterminer la probabilité que les populations exposées au polluant appartiennent à la distribution des populations témoins avec un faible risque de faux négatif.

L’objectif de cette étude a été de mettre au point un modèle probabiliste de la dynamique de population de la gambusie et de l’utiliser dans des études de cas pour évaluer la pertinence de la démarche. Une modélisation de type individu centré a été choisie car nous voulons simuler de façon réaliste la distribution de taille des individus des populations.

Matériels et Méthodes

Le modèle individu centré a été réalisé à l’aide de la plateforme de modélisation Mobidyc [3] mise au point à l'Unité de Biométrie (INRA, Avignon). Le modèle décrit la croissance, la survie et la reproduction des poissons en distinguant trois types d’agents : juvéniles, mâles et femelles. Les principales variables environnementales qui agissent sur le cycle vital de la gambusie et le cycle reproducteur, température de l’eau et photopériode, sont les mêmes pour les simulations réalisées par le modèle que pour les expériences réelles. Les sorties descriptives des populations fournies

Nombre de poisson par population N o m b re d e p o p u la ti o n s 0 400 800 1200 0 1 0 0 3 0 0 5 0 0 2 0 0 4 0 0

Figure 1 : Distribution simulée (histogramme) et points observés (point) du nombre de poisson par population pour une expérience réalisée en 2001

Nombre de poisson par population

N o m b re d e p o p u la ti o n s 0 400 800 1200 0 1 0 0 3 0 0 5 0 0 2 0 0 4 0 0

Figure 1 : Distribution simulée (histogramme) et points observés (point) du nombre de poisson par population pour une expérience réalisée en 2001

25 50 75 100 125 150 175 200 n o m b re d 'a le v in s 25 30 35 40 45 50 55 taille femelle (mm) 0

Figure 2: Relation taille de la femelle et nombre d’alevins 25 50 75 100 125 150 175 200 n o m b re d 'a le v in s 25 30 35 40 45 50 55 taille femelle (mm) 0 25 50 75 100 125 150 175 200 n o m b re d 'a le v in s 25 30 35 40 45 50 55 taille femelle (mm) 0

Figure 2: Relation taille de la femelle et nombre d’alevins

par le modèle sont identiques à celles disponibles sur les populations réelles : effectif des différentes classes d’individus, sex-ratio et distribution de taille des individus d’une population.

Par conséquent, nous devons comparer deux types de sorties entre les populations réelles et simulées : des sorties scalaires (effectifs et sex-ratio ; Fig. 1) et des sorties de type distribution (distribution de taille des individus d’une population). Pour ces deux types de sorties, nous avons développé des méthodes statistiques pour évaluer si les réalisations d’une variable des populations réelles sont des événements probables de la distribution de cette variable simulée par le modèle. Pour les sorties de type scalaire nous avons développé un test de vraisemblance des valeurs observées par rapport à celles simulées. Pour les

sorties de type distribution, un test basé sur la somme des écarts au carré calculée entre les classes de taille des populations simulées et celles des populations observées a été développé. La puissance statistique des deux tests a été explorée par simulation.

Pour paramétrer le modèle, des expériences visant à caractériser les traits d’histoire de vie de la gambusie à Rennes ont été nécessaires. En conditions de laboratoire, les expériences ont été réalisées sur la plateforme expérimentale de SCRIBE (INRA, Rennes) qui dispose de bassins de différentes tailles intégrés dans des circuits d’eau recyclée avec contrôle de la photopériode et de la température. Les expériences menées en conditions naturelles ont été réalisées sur la plateforme de microcosmes de l’Unité Expérimentale d’Ecologie et d’Ecotoxicologie Aquatique (INRA, Rennes).

Résultats - Discussions

La première étape de notre travail a consisté à définir le modèle conceptuel du cycle de vie de la gambusie. Cette étape nous a permis de déterminer les traits d’histoire de vie de la gambusie que nous devions renseigner pour programmer le modèle. Ceux-ci concernent la croissance, la reproduction et la survie.

Concernant la croissance des individus, le modèle de von Bertalanffy est celui qui s’ajuste généralement le mieux aux données observées. Ce modèle comporte deux paramètres : la croissance initiale des individus (pente) et la taille maximale (asymptote horizontale). Nos résultats montrent que, les femelles et les mâles ont une croissance similaire pendant les 5 premiers jours. Le paramètre de pente du modèle de von Bertalanffy (croissance initiale) est donc le même pour les deux sexes. Les expériences réalisées ont montré que trois facteurs influencent la croissance initiale : la température, la taille à la naissance et la densité. Par ailleurs, nos résultats montrent que la taille maximale est différente entre les mâles (moyenne = 32 mm) et les femelles (moyenne = 54 mm). Concernant la reproduction, des expériences ont été menées pour caractériser la maturité

sexuelle, l’effectif des portées et la taille à la naissance des alevins, l’intervalle inter parturition et la sex-ratio à la naissance. Lors de la première parturition la taille est influencée par la densité en individus de la population. Pour la maturité sexuelle l’intervalle inter-parturition correspond à un nombre constant de degré-jour. Il existe une relation croissante de type puissance entre la taille de la mère et le nombre d’alevins produits dans une portée (Fig. 2). La taille moyenne à la naissance des alevins est une fonction décroissante de l’effectif de la portée. La sex-ratio est équilibrée à la naissance. Chez

taille (mm) 0.0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1.0 5 8 11 15 19 23 27 31 35 39 43 47 51 55 0.0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 F ré q u en ce d ’i n d iv id u p ar c la ss e d e ta il le F ré q u en c e d ’o b se rv at io n d a n s le s p o p u la ti o n s

Figure 3: Distribution de la distribution de taille des individus de 1000 populations simulées (Surface grise) et distribution de taille d’une population observée (point et ligne blanche).

Exemple de lecture : Pour la population observée, les individus de la classe 15-16 mm représentent 14 % de tous ses individus. 10% (niveau de gris) des 1000 populations présentent 14 % d’individus entre 15-16 mm.

taille (mm) 0.0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1.0 5 8 11 15 19 23 27 31 35 39 43 47 51 55 0.0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 F ré q u en ce d ’i n d iv id u p ar c la ss e d e ta il le F ré q u en c e d ’o b se rv at io n d a n s le s p o p u la ti o n s

Figure 3: Distribution de la distribution de taille des individus de 1000 populations simulées (Surface grise) et distribution de taille d’une population observée (point et ligne blanche).

Exemple de lecture : Pour la population observée, les individus de la classe 15-16 mm représentent 14 % de tous ses individus. 10% (niveau de gris) des 1000 populations présentent 14 % d’individus entre 15-16 mm.

le mâle, il apparaît deux sous-groupes présentant des tailles différentes lors de la maturité sexuelle. Lors de leurs 10 premiers jours de vie, hors prédation, la survie des alevins est proche de 100 %. A partir du suivi de la survie de groupes de poissons en microcosmes (présence de prédateurs) nous proposons une fonction croissante possédant une asymptote horizontale (à taille maximale la mortalité est nulle) reliant la taille des poissons à la probabilité de survie journalière.

A partir de ces informations, le modèle a été programmé sur la plateforme Mobidyc et le paramétrage du modèle a été réalisé en trois étapes : analyse de sensibilité, calibration et validation. Une analyse de sensibilité de notre modèle a été réalisée selon la méthode décrite par Ginot et al. [4]. Cette méthode combine une analyse locale et globale, incluant trois étapes : l’exploration paramètre par paramètre (un paramètre à un temps donné), l’analyse de sensibilité locale et l’analyse de sensibilité globale via une ANOVA. Ceci a permis d’explorer le comportement du modèle et d’identifier les paramètres importants pour réaliser le calage. En s’appuyant sur les résultats de l’analyse de sensibilité, le modèle a été calé par ajustement manuel des valeurs des paramètres afin que les écarts entre sorties observées et simulées soient satisfaisants par rapport aux objectifs assignés à notre modèle. Un point important de ce travail a été la validation du modèle. Comme le modèle est probabiliste, sa validation nécessite que l’espérance et la variance de ses sorties soient en accord avec celles des sorties observées chez les populations réelles. La qualité du test statistique dépend fortement du bon ajustement de la variance du modèle. En effet, la variance des sorties du modèle doit être à la fois supérieure ou égale à celle observée pour assurer la robustesse du test (c'est-à-dire de ne pas conclure faussement qu’un polluant à un effet quand ce n’est pas le cas) et suffisamment basse pour permettre que le test soit puissant (c'est-à-dire que l’on ne conclue pas faussement qu’un polluant n’a pas d’effet quand c’est le cas). Pour s’assurer de cela, nous avons contrôlé que

le modèle, sans modification des valeurs de ses paramètres, simule correctement les données de plusieurs expériences avec des scénarios thermiques différents (27 populations obtenues en conditions témoins lors de 4 années différentes ont servi à la validation) (Fig. 3). De plus, nous avons contrôlé que la variance des sorties du modèle est plus élevée que la limite supérieure de l’intervalle de confiance des données réelles (intervalle de confiance obtenu par bootstrap des données réelles). L’aide à la décision apportée par le modèle à tout d’abord été évaluée sur deux cas de

populations réelles atypiques délibérément générées. Dans une première expérience, les poissons de la première cohorte ont été supprimés des populations lors de leur naissance. Dans une seconde expérience, des populations ont été initiées avec un nombre différent de géniteurs initiaux de ceux des populations simulées (3, 12, 24 au lieu de 6 femelles initiales). Par ailleurs, nous avons essayé de mettre en évidence les conséquences populationnelles de l’exposition à l’éthynilœstradiol d’individus de gambusies lors de leur puberté (futurs géniteurs initiaux des populations).

Conclusion

En conclusion, lors des expériences pour évaluer les effets de polluants sur des populations de poissons en microcosme, la puissance statistique des comparaisons entre populations témoins et exposées est problématique car très faible. La modélisation probabiliste des populations témoins pourrait être une approche

intéressante pour augmenter la puissance statistique de ce type d’expérience. Notre modèle est actuellement opérationnel et son apport comme outil d’aide à la décision est en cours d’évaluation. De plus, comme un modèle individu centré simule chaque individu, cela permet de comprendre comment les propriétés individuelles déterminent le niveau de la population. Donc, dans le futur nous pourrions envisager d’utiliser ce modèle pour prédire les effets d’un polluant au niveau de la population en se basant sur les effets individuels.

Références bibliographiques

[1] Drèze et al., 1998. Bull. Fr. Pêche Piscicult. 350-351, 465-477. [2] Drèze, 2001. Thèse de doctorat de l’Université de Metz. 145 p. [3] http://www.avignon.inra.fr/mobidyc.

Session 3 Effets sur les populations : approches dynamiques et génétiques

Plasticité phénologique et restauration des populations

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