• Aucun résultat trouvé

Évaluation des réalisations combinatoires en usage

PARTIE I. SÉMANTIQUE LEXICALE

CHAPITRE 2. SÉMIOTISATION, INTERSUBJECTIVITÉ ET PERFORMATIVITÉ DES AFFECTS

2.3. Étude des noms psychologiquesdéverbaux en –tion et –ant

2.3.3. Évaluation des réalisations combinatoires en usage

Plusieurs auteurs soulignent le statut spécifique des noms psychologiques, en tant que noms d’état transitoires compatibles avec les expressions de durée (ex. : deux jours d’exaltation ; cf. Van de Velde 1995 ; Huyghe 2014, inter alii). L’application des tests habituellement utilisés pour l’analyse des prédicats nominaux permet de confirmer que plusieurs noms psychologiques sont attestés dans des constructions événementielles.

Prédicat événementiel, avoir lieu est attesté avec affolement, désenchantement, soulagement, panique, horreur et, une seule fois, avec découragement :

(6)

a) oui une team de RPG France avait commencé une tradu mais j’ai l'impression qu’un découragement a eu lieu. (occurrence unique; http://forum.reseau-js.com/topic/88660-qui-a-essay%C3%A9-expeditions-conquistador/) b) Eliade sait que ce désenchantement a eu lieu, mais il n'arrive pas à en faire son

deuil, alors que, chez lui, Dieu a disparu comme Dieu personnel ou provident… (C. Tarot, 2008, Eliade, l'archaïque et l'antidurkheimisme - Cairn.info)

c) Et effectivement au bout de 4 semaines (ce sont ces semaines qui sont longues et terribles) le soulagement a eu lieu 46 chromosomes XX (MagicMaman, Amniocentèse à la Timone)

d) Veţi crede că ofensa a avut loc ieri, luna trecută sau anul trecut, dar, surprinzător, jignirea a avut loc acum 20 de ani (www.timponline.ro )

Vous allez croire que l’offense a eu lieu hier, le mois dernier ou l’année passée mais, de manière surprenante, l’offense a eu lieu il y a 20 ans.

e) Daca umilirea a avut loc in prezenta altor copii cunoscuti, este foarte probabil ca cel umilit in public sa aiba probleme (www.suntparinte.ro/iti-disciplinezi-copilul-in-public)

Si l’humiliation a eu lieu en présence d’autres enfants connus, il est fort probable que celui qui a été humilié en public ait des problèmes.

Le prédicat non intentionnel se produire est également compatible avec certains noms psychologiques comme affolement, désenchantement, mécontentement, mais aussi panique :

(7)

a) La Panique du 18 septembre 1873 est un évènement financier causé par la fermeture des ... La panique s'est produite alors que les investisseurs étaient déjà stressés par le manque de liquidités financières en Europe (Wikipédia, Panique du 18 septembre 1873)

66 On ne peut pas parler d’étude sur corpus ; le rôle des sondages est de vérifier l’effectivité de certains usages, en tant que potentialité réalisée d’une unité langagière.

b) Le premier affolement s’est produit au Japon, lorsque dans un hôpital, les médecins se sont trouvés dans l’impossibilité de vaincre le staphylocoque doré avec la vancomycine. Le traitement n’a rien donné et le patient est mort. C’est là que le monde médical a commencé à s’affoler, parce que la vancomycine est un antibiotique puissant. (http://alchymed.com/2008/12/09/les-huiles-essentielles-actions-anti-infectieux/)

Il apparaît ainsi que plusieurs de ces noms acceptent une combinatoire leur accordant un statut événementiel.

Les verbes aspectuels67 commencer, s’interrompre, continuer, durer, terminer, se passer, survenir, se produire (Gross et Kiefer 1995) fonctionnent bien avec certains des noms psychologiques en –tion et –ment, mais aussi avec d’autres noms d’affect, tels que panique, colère, bonheur, tristesse, déshonneur, comme le confirment les sondages sur Frantext.

(8)

a) Elle me raconte, deux ans plus tard, qu’à la suite de cette supervision son énervement a cessé, que, lors du rendez-vous suivant, la patiente a dit qu’elle se… (F. Roustang, 2006, Savoir attendre)

b) La voilà si près que, sans autre provocation, la panique commence, les clameurs s’élèvent. (Frantext, RENARD Jules, Poil de carotte, 1894, p. 271)

Les critères temporels utilisés pour définir les noms d’action (Huyghe 2014) sont remplis par au moins quelques noms psychologiques, déverbaux ou pas :

ancrage (localisation) – il y a un Npsy à X heures ; la date / le moment / l’instant de Npsy

(9)

Tu vois qu’au moment du découragement le plus funeste, lorsqu’on n’espère plus rien, une ressource inattendue peut s’offrir. (Frantext, MIRABEAU COMTE Honoré de, Lettres

originales écrites du donjon de Vincennes pendant les années 1777, 1778, 1779, 1780, 1780, p.

238)

extension (durée) – Npsy a duré X heures/minutes; un Npsy de X minutes; X heures de Npsy.

(10)

La joie délirante de *New-york, qui est la plus grande ville italienne du monde, a duré toute l’après-midi d’hier. (Frantext, GREEN Julien, Journal : t. 4 : 1943-1946, 1946, p. 74)

repérage (localisateur) – après / avant / au cours / depuis / durant / lors de / pendant + Npsy

Humiliation, horreur, panique, colère, supărare (ro.), umilire (ro.) sont les noms les plus représentatifs de ces emplois :

(11)

a) Le projectile avait pénétré de haut en bas. On l’avait tiré depuis le sommet d’une tour. Les policiers étaient arrivés après la panique. (Frantext, VAUTRIN.J ,

BILLY-ZE-KICK, 1974, p. 46)

b) Maintenant que ma bouche avait goûté sa vie et bu son sang salé, il me montait aux dents une saveur âcre pendant la colère. (Frantext, LEMONNIER Camille, L’Homme

en amour, 1897, p. 183)

67 Ce n’est pas le cas des verbes effectuer, procéder à (Anscombre 1986), qui ne fonctionnent pas avec tous les noms d’événements ou noms d’actions.

c) Noile studii si cercetari au demonstrat ca in timpul supararii, in corp se produc diferite toxine (www.diabet-tratament-naturist.ro/intrebari.../22-cum-sa-mancam.h)

Les nouvelles études et recherches ont démontré que pendant l’énervement (la

colère) se produisent dans le corps diverses toxines.

d) și există cineva care, după umilire, își înalță capul.

et il existe quelqu’un qui, après l’humiliation, lève la tête

Les noms humiliation, stupéfaction, emportement, contentement, découragement, désenchantement, mécontentement acceptent d’être employés avec les adjectifs lent / rapide, qui sont identifiés par L. Barque et al. (2012) comme des marqueurs d’aspectualité :

(12)

a) Je l’ai entendu poser son fusil... dit Lizzie, avec une lente stupéfaction qui lui coupa le souffle (L. Perry, 2014, La saga des Reavley)

b) Manon partage avec Arthur le don de l’emportement rapide, brèves colères qui s’éparpillent rapidement en petits bouts de rires. (Mythologies quotidiennes, https://books.google.fr/books?isbn=2304218539)

c) Une humiliation rapide du XV de France se traduirait par une déperdition du public mais elle serait sans conséquence financière pour la Une, les spots étant déjà

vendus.

(http://tvmag.lefigaro.fr/programme- tv/article/television/65255/mondial-de-rugby-28-millions-d-euros-pour-tf1.html)

La construction en par, considérée discriminante dans la littérature pour identifier l’agentivité (cf. Ruwet 1995), accepte régulièrement le déverbal découragement :

(13)

[…] dans maints cas la présence bienveillante et attentive d’un adulte incitait l’adolescent à se reprendre en mains et à résister au découragement par un effort. (persee, 1958)

Si l’ « agent » qu’introduit par n’a pas toujours un statut défendable d’un point de vue sémantique, comme dans les deux premières séries plus bas, la troisième série ci-dessous intègre bien une référence à un agent humain sous-jacent, voire désigné (les autres) :

Contextes de découragement

Découragement par excès de travail, de responsabilités

Découragement par le doute de soi, par manque de confiance en soi et par dévalorisation Découragement par l’insensibilité, la moquerie des autres ou le blâme

Le cas d’humiliation mérite que l’on s’y attarde. Le comportement spécifique du verbe humilier a été remarqué par N. Ruwet (1995 : 38), qui le considère comme un verbe agentif, « le regard de l’autre contrôle l’objet ďhumilier. Ce serait cette notion élargie du contrôle, et non l’agentivité physique, qui rendrait compte des contraintes sur les nominalisations. ». Plus récemment, R. Huyghe et A. Jugnet (2010) et R. Huyghe (2014) soulignent également la double lecture statique et dynamique du nom humiliation, qui accepte de se combiner avec i) un argument en par (humiliation de X par Y, Ruwet 1995) ; ii) le verbe dynamique avoir lieu ; iii) l’adverbial en cours.

Le nom humiliation est compatible avec l’ensemble des contextes testés dans la section précédente. Les données contrastives viennent apporter un éclairage intéressant à cette spécificité du nom humiliation. Le roumain compte un couple de noms là où le français n’en compte qu’un ; il s’agit de umilire, qui renvoie au processus et comporte donc le trait dynamique, et umilinţa, qui renvoie au résultat du processus et comporte le trait statif. Les

deux noms sont cependant compatibles avec les localisateurs temporels du type avant, pendant, après (cf. ex. 11 ci-dessus). Le trait événementiel reste donc disponible dans le cas des noms possédant un trait statif. Cela n’est pas surprenant lorsque l’on pense aux emplois du type après le fromage, avant le dessert, ou même les emplois événementiels des noms de lieux habités observés dans le chapitre précédent.

Comme je viens de le rappeler ci-dessus, d’autres noms psychologiques acceptent au moins deux de ces contextes. On note cependant une contrainte combinatoire spécifique, qui consiste à ne pas imposer le choix du déterminant : en effet, les déterminants possessifs et démonstratifs sont les plus réticents dans les contextes évalués.

2.3.4. DISCUSSION

Les cas examinés montrent l’ambivalence des marques formelles de morphologie constructionnelle (cf. Namer et Villoing 2008), qui n’assurent pas une homogénéité sémantique si le terrain de départ n’est pas homogène. En revanche, certaines relations formelles semblent receler des spécificités sémantiques telle, par exemple, la possibilité d’un verbe psychologique de prendre la forme pronominale : les noms issus de ces verbes semblent davantage sensibles à des emplois événementiels, voire agentifs.

D’une part, on trouve une corrélation intéressante entre les contraintes sémantiques qui prennent appui sur des réseaux de familles de mots. En effet, ce sont notamment les noms psychologiques qui répondent aux trois critères de pronominalisation, Sujet-Stimulus et transitivité qui sont compatibles avec un emploi événementiel, d’après les résultats des sondages sur corpus. Le verbe d’émotion pronominal est exempt de toute réflexivité proprement dite qui ferait du pronom réfléchi le COD du verbe et le patient de l’action. Mais il semble avoir une dimension intentionnelle que ne partagent pas les verbes non pronominaux. Ces verbes n’impliquant pas une réflexivité classique à l’instar de se dénoncer, l’emploi du pronom réfléchi influe sur le statut du sujet grammatical, susceptible d’articuler Siège et Bénéficiaire de l’action, comme c’est le cas dans la voix moyenne (voir Forest 1999). C’est chez M. Herslund (2007) que l’on trouve une explication du fonctionnement de ces pronominaux. Selon cet auteur, on a affaire à un antipassif réfléchi complexe, qui a pour effet la mise en relief ou la « promotion d’un agent ou d’un expérient » (Herslund 2007 : 175). Le réfléchi signalerait donc une implication intentionnelle (on dirait presque, sans jeu de mots, réfléchie) du Sujet-siège dans le procès, une sorte d’engagement subjectif qui permet de transmettre au nom déverbal des traits dynamiques, événementiels ou agentifs.

D’autre part cependant, on a pu constater que des noms psychologiques qui ne sont pas des déverbaux acceptent des emplois événementiels ; c’est là un phénomène assez courant en discours, où l’on produit des événements « de circonstance ». Le format morphologique, pas plus que l’appartenance au même champ lexical, ne sont que partiellement en cause dans les différents fonctionnements sémantiques des unités de langue. Plusieurs paramètres comme les champs lexicaux, les domaines de référence, les disponibilités à l’intérieur d’une famille de mots contribuent à définir le profil sémantique et fonctionnel des unités lexicales.