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Chapitre 4 : Une revue de la littérature des études d’impact de l’APE sur les pays ACP

4.3. Des études d’impact de l’APE sur quelques régions ACP

Depuis le lancement en 2002 des négociations pour la conclusion de l’APE entre l’UE et les ACP, plusieurs études ont été menées pour évaluer les potentiels effets socio-économiques et même politiques de cet accord sur chacune des six entités régionales que compose le groupe ACP.

4.3.1. La région Afrique Central (CEMAC) plus Sao Tomé et principe

Pour la région Afrique Central (CEMAC) plus Sao Tomé et principe, Douya et al (2006) ont évalués l’impact des APE sur le secteur agricole dans l’hypothèse d’une ouverture complète du marché de la région. Pour se faire, ils ont adopté trois approches. Dans un premier temps ils ont opté pour un MEGC appliqué à l’agriculture du Cameroun, et dans un second temps une évaluation des pertes au niveau fiscal pour les pays de la région, puis en fin une analyse qualitative pour chaque filière du secteur.

À travers trois scenarios simulés d’une annulation intégrale des droits de douane sur les importations des produits agricoles du Cameroun, ils sont arrivés à la conclusion selon laquelle quel que soit la formule retenue pour une compensation de pertes des recettes fiscales les résultats ne seront guère satisfaisant et les effets de la libéralisation se traduiront à plusieurs niveaux par :

· Un accroissement de la production agricole destinée à l’exportation au détriment du marché domestique ce qui pénalise le consommateur local ;

138 · Une diminution de la production au niveau des industries alimentaires, empêchant une

concurrence avec les produits alimentaires importés ;

· Une dégradation générale de l’indice des prix occasionnée par la baisse du prix des produits alimentaires ;

· Une diminution de la consommation des ménages d’une manière générale, dû au fait que la baisse des revenues est plus elevée que celle des prix aux consommateurs ; · Une aggravation majeure non seulement du niveau de la pauvreté en zone rurale, mais

surtout une forte inégalité de la population.

Au vu de ce qui précède, les auteurs suggèrent un appui financier adéquat et conséquent pour accompagner l’APE, ce qui permettra d’atténuer les effets néfastes de la libéralisation. Si rien n’est fait, la libéralisation des échanges avec l’UE dans le secteur agricole entraînerait une perte globale des recettes douanières d’environ 47 millions d’euros pour les pays de la CEMAC plus Sao Tomé et Principe. Ce qui peut se chiffrer par filière comme nous le montre le tableau ci- dessous. Pour cette région d’autres études d’impact de l’APE ont également été réalisé dont il faut noter la pertinence de certaines plus que d’autres, SOL (2017) notamment.

Tableau 4 .1 Pertes recettes douanières par filière de la CEMAC

Filière agricole Pertes en Million d’euros

Blé 4,6 Farine de blé 9,3 Huile de soja 6,3 Lait et crème 8,3 Malte 2,4 Sucre 2,7 Tomate en conserve 5,6 Volaille 7,6

139 L’étude SOL (2017) s'est concentrée sur l’évaluation des pertes de recettes douanières de la CEMAC dans une perspective de finalisation et de mise en œuvre de l'APE régional. Ces pertes seraient considérables et tel qu’évalué par l’auteur, elles passeraient de 41,5 millions d’euro en 2016 à 586 millions d’euro en 2022. L’auteur va plus loin dans ses analyses en estimant que ces lourdes pertes de recettes douanières passeront de1,027 milliards d’euro en 2029 à 1,689 milliard d’euro en 2050. Ainsi les pertes cumulées s’établiraient à 2,227 milliards d’euro en 2022, 8,120 milliards d’euro en 2029 et 36,404 milliards d’euro en 2050. Dans le contexte de conjoncture actuelle des prix des matières premières comme le pétrole, qui constituent l'essentiel des recettes aussi bien d’exportation que budgétaires de la plupart des États de la zone CEMAC. Pour l’auteur, il serait grand temps de penser à l'industrialisation, qui serait impossible sans une intégration régionale renforcée. L’auteur avance plus loin dans son analyse en affinant ceci : « La mise en œuvre de l'APE par le seul Cameroun constitue une lourde

menace pour les autres États de la région qui, du fait du laxisme des règles d'origine au sein de la CEMAC, vont être envahis par des produits de l'UE que le Cameroun aura importés à droits nuls. Mais l'APE restreindrait aussi beaucoup les marges de manœuvre politique pour l'intégration régionale et un développement durable à long terme ». Pour terminer, il fait

remarquer que Les analyses critiques portées sur l’APE entre la région Afrique de l'Ouest et l’UE sont aussi largement valables pour l'Afrique centrale c’est-à-dire la zone CEMAC.

4.3.2. La région de l’Afrique orientale et australe (COMESA)

Pour les pays de la COMESA Karingi et al (2005) par l’approche en équilibre partiel avec le modèle WITS- SMART qui regroupe plusieurs bases de données aussi bien sur les flux d’échanges de produits que sur le commerce bilatéral, les auteurs ont évalué les potentiels effets de l’application des APE. La conclusion de leurs analyses est sans équivoque et montre les résultats suivants :

· Les APE favoriseront une création de commerce pour tous les pays de la région, mais en faveur de l’UE qui profitera d’un gain substantiel d’environ 909,87 millions de dollars.

· En revanche il y aura un détournement de commerce inter-régional à hauteur de 242 millions de dollars ce qui représente près du quart de création du commerce au profit de l’UE.

Les auteurs estiment qu’il y aura 5,8% de détournement de commerce inter-régional pour la COMESA au profit de l’UE, comparativement à 10% pour la zone CEDEAO, 2% pour la

140 SADEC et 1% pour la CEMAC. En tout état de cause, cette situation pourrait mettre à mal le processus d’intégration régional tant prôné par les pays ACP. Pour les auteurs, une libéralisation totale du commerce dans les pays de la COMESA avec l’APE engendrerait une perte des recettes tarifaires s’élevant à 473 millions de dollar réparti par pays dans le tableau ci-dessous.

Tableau 4.2 Estimations des pertes de recettes en millions $ pour les pays de la COMESA

Pays Pertes Pays Pertes

Burundi 7,664 Ile Maurice 71,117

RDC 24,691 Rwanda 5,622 Éthiopie 55,126 Seychelles 24,897 Érythrée 7,385 Zimbabwe 18,430 Djibouti 37,523 Soudan 73,197 Kenya 107,281 Ouganda 9,458 Madagascar 7,711 Zambie 15,844 Malawi 7,090

Sources : Auteur à partir des données de Karingi et al (2005)

Pour terminer, les auteurs estiment qu’avec l’application des APE, le démantèlement des régimes tarifaire dans les différents pays d’Afrique, des Caraïbes et du pacifique doit être non seulement progressive mais également parallèle à un accès illimité au vaste marché de l’UE en ce qui concerne particulièrement les exportations des pays d’Afrique. En outre ils jugent que les APE devraient envisager un délai optimal, supérieur à 12 ans permettant entre autres la mise en œuvre de la réciprocité, l’amélioration et la consolidation des capacités en matière de l’offre, de la diversification des exportations, et le renforcement de l’intégration africaine.

4.3.3. La région de la Southern African Development Community

(SADEC)

Pour la SADEC, deux principaux auteurs en l’occurrence Keck et Piermartini ont évalué en 2005 les éventuelles conséquences d’un APE entre l’UE et les pays de la SADEC. Ils ont également passé à la loup le rôle de l’intégration inter-régionale. Pour se faire, les auteurs ont utilisé comme le souligne également Doukoure (2013), « le modèle GTAP avec une fermeture

141 standard, dans lequel la production régionale, les revenus et les prix des facteurs s’ajustent aux chocs externes. Par rapport à Karingi et Perez, Keck et Piermartini utilisent un ensemble élargi de données et déterminent l’érosion des préférences accordées aux pays bénéficiaires ». Les auteurs finissent par conclure que l’impact de l’APE sur le bien-être des populations serait évidemment positif dans la grande majorité des cas s’il est mesuré dans un contexte favorable permettant un meilleur partage des revenus ainsi qu’une évolution des termes de l’échange. Tout fois, l’augmentation la plus significative du bien-être se réaliserait dans le contexte d’une large libéralisation des échanges commerciaux au plan multilatéral. Dans cette dernière hypothèse, les estimations des auteurs mettent en relief un effet absolument positif sur le bien- être pouvant atteindre 39 milliards de dollars. Le scénario qui peut occuper la deuxième place est le choix d’un APE accompagné d’une intégration intra régionale (1,3 milliards de dollars), puis pour terminer, reste l’option d’APE seul (1,1 milliards de dollars). En définitive, les auteurs par leurs études peuvent conclure que l’option d’un scénario de libéralisation multilatérale dans certains pays engendrerait d’importants coûts d’ajustement que dans l’option APE. Dans la plupart des économies en développement notamment ceux des pays du Sud, le taux de salaire des travailleurs sans qualification est fixe et l’offre de travail peut changer en fonction des conditions du marché consécutif à la libéralisation, mais le chômage est susceptible d’apparaitre. Comme le souligne par ailleurs Phillip (2012), « sous de telles conditions, les effets potentiels des APE sur le bien-être peuvent apparaitre plus importants qu’avec une fermeture standard ». En se contentant de suggérer que la manière de fermer soit un des aspects importants pouvant avoir un impact significatif sur les résultats. Cependant l’étude ne montre pas le niveau de variation des résultats par rapport à la fermeture classique.

Keck et al (2007) ont fait des estimations à partir de la base des données GTAP pour évaluer l’impact des APE sur les pays membres de cette zone. Ils font le constat d’une augmentation de 1,5 milliard de dollars du bien-être des populations de la région après la mise en œuvre de l’APE. En effet cette situation s’explique grâce à l’amélioration dans une certaine mesure de leur terme d’échange. Par ailleurs, les auteurs estiment que certains pays de la SADEC doivent impérativement renforcer leur intégration régionale pour mieux tirer profit des APE.

Toutefois, les auteurs dans la conclusion de leur analyse font remarquer que d’autres processus de libéralisation comme par exemple les négociations multilatérales ou la signature d’autres Accords de libre-échange (ALE) par l’UE avec des régions comme le Mercosur pourront faire baisser les gains, c’est le cas de la libéralisation du secteur agricole ne prenait aussi en compte que les produits manufacturés. Allant dans le même sens, De la Roche (2003) fait remarquer

142 qu’aussi bien l’accords de Cotonou que les APE représente des opportunités pour les pays de la SADC dans la mesure où cette dernière en l’occurrence les APE leur donnent la possibilité d’une complète relecture de leurs relations commerciales avec l’UE à leur avantage.

Dans le cadre des études d’impact de l’APE sur les régions du groupe ACP, il faut noter que plusieurs organisations de la société civile ont également posées leur diagnostic.

Pour ce qui est du Cariforum (le Forum des états ACP des Caraïbes), Oxfam France / Agir ici / AITEC / CCFD – Terre Solidaire (2009), estiment dans leur article146 que La finance étant un

secteur économique à la fois florissante et très stratégique pour l'UE, celle-ci milite de manière active pour la libéralisation des services financiers, pour donner également satisfaction aux nombreux industries financières comme les fonds de pensions, banques d'affaires et les assurances. Ainsi les APE renforceront potentiellement l’insécurité financière dans des régions et pays déjà très vulnérables, tout en leur arrachant les moyens de prévention ou de résolution d’une crise financière régionale ou locale aurait l’impact le plus important sur la croissance du PIB réel, mais toute fois ils ne justifient pas les écarts importants entre le premier scénario et les autres.

146 L’article est intitulé APE : Quelles conséquences pour les populations du Sud ? Oxfam France / Agir ici /

143

Encadré : 4.1 : Le secteur financier de la région des Caraïbes face à l’APE

Source : Oxfam France /Agir ici / AITEC / CCFD – Terre Solidaire (2009)

La question des couts d’ajustement est entre autres l’une des problématiques majeurs posée par l’APE. Sur ce point, pour mieux refléter les exigences du marché du travail existant, les auteurs par leur étude ont présenté une structure du modèle différant du schéma néoclassique de Walras. Enfin, Mevel et al (2014) estiment que dans le cadre des APE entre l’UE et les ACP, une libéralisation progressive des échanges serait fondamentale pour renforcer le processus d’intégration régionale déjà engagé et promouvoir ainsi un développement durable des États africains.

La période transitoire des APE devrait permettre une libéralisation progressive des échanges entre l’UE et les groupements régionaux, ce qui favorisera la mise en place d’une zone de libre- échange continentale africaine, et empêchera un détournement des échanges entre les pays africains. Par ailleurs, une réduction des barrières tarifaires entre les communautés économiques africaines est un préalable indispensable avant l’ouverture des marchés dans les pays du nord, cela permettra aux producteurs dans les pays africains de faire des économies d’échelles pour être plus compétitifs au niveau mondial.

Les auteurs préconisent la mise en place de mécanismes par les différents gouvernements pour faciliter les échanges dans le but d’une vraie intégration du marché régional, conforme au plan d’action pour stimuler le commerce intra- africain.

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4.4. Les études d’impact de l’APE sur la région Afrique

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