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Étude comparative de Frédéric et Napoléon

Comparaison des systèmes napoléonien et frédéricien

B) Étude comparative de Frédéric et Napoléon

a) Comparaison d’objectifs

À l’encontre des incursions téméraires de Napoléon aux confins de l’Europe et au-delà de la Méditerranée, les nombreuses campagnes de Frédéric se limitèrent à des espaces relativement restreints en Europe centrale. D’autant plus qu’en comparaison avec la guerre totale pratiquée par Napoléon, celles de Frédéric II étaient limitées aussi bien en objectifs politiques qu’en victoires

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militaires. Pour finir la guerre, il n’était pas généralement nécessaire de poursuivre l’adversaire sur les champs de bataille67.

Pour Frédéric, une guerre devait nécessairement aboutir à la conquête de territoires, et la meilleure façon d’y parvenir n’était pas de détruire l’adversaire, mais plutôt de le convaincre que des négociations seraient préférables à la continuation de la lutte. Ceci n’aurait pu être possible qu’après avoir remporté une série de victoires. Lorsqu’on lui conseilla de poursuivre les Autrichiens après les avoir vaincu à Chotusitz en 1742, il déclara qu’il ne voulait pas leur infliger une défaite trop cuisante68.

Toutefois, force est de reconnaître certaines raisons fondamentales pour cette préférence de la stratégie d’usure sur celle de l’anéantissement. Le manque d’effectifs dans l’armée prussienne au XVIIIe siècle l’empêchait de se concentrer sur des tentatives de défaite de l’adversaire et la contraignait plutôt à se résoudre à une stratégie d’épuisement69. Également, pour une société préindustrielle comme celle de la Prusse au XVIIIe siècle, où le manque de ressources mobilisables se faisait souvent ressentir, le but de la guerre était de contrôler directement les territoires conquis, afin de mobiliser leurs ressources humaines et économiques70.

Par ailleurs, le style de commandement de Frédéric était très différent de celui de Napoléon. Les succès du roi de Prusse sur les champs de bataille étaient basés surtout sur une attention constante de la préparation et de la discipline des troupes. Même lorsqu’une pénurie de soldats se fit sentir durant la guerre de Sept Ans, il ne considéra jamais de levées en masse. À l’encontre de Napoléon, également, il ne développa point de corps d’armée et ne prétendit jamais posséder des dons charismatiques de leadership. Il ne fut jamais à la poursuite d’une mission idéologique comme celle de diffuser à travers tout un continent les idéaux d’une Révolution71.

67

Brian Bond, The pursuit of victory: from Napoleon to Saddam Hussein, Oxford, Oxford University Presss, 1996, p.18.

68

John Lynn, Tools of war, instruments, ideas and institutions of warfare, 1445-

1871, Urbana, University of Illinois Press, 1990, p. 182.

69

Bond, op. cit., p. 25.

70

Lynn, op. cit., p. 181.

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b) Comparaison de stratégies

Dans les campagnes de Bonaparte -- qui feront l’objet des deux prochains chapitres -- la stratégie napoléonienne aussi s’opposait nettement à celle de Frédéric. Napoléon révolutionna l’art militaire en privilégiant des stratégies d’anéantissement au détriment des stratégies géographiques ou d’usure mises en œuvre par le roi de Prusse et ses contemporains, tel le maréchal Daun, au cours du siècle précédent. Il se classait donc définitivement dans la catégorie des stratèges recherchant avant tout la bataille décisive afin de détruire les forces ennemis. Cette destruction stratégique de l’adversaire ne pouvait être que le résultat d’une succession de destructions tactiques. Toutefois, cette destruction s’accompagnait généralement de la démoralisation de l’adversaire: c’était le principe fondamental qui sous-tendait toute la stratégie opérationnelle napoléonienne. C’était l’action sur les forces morales bien plus que la destruction qui conditionnait la victoire.

Napoléon déclarait qu’à la guerre, les trois quarts des affaires étaient des affaires morales et que la balance des forces réelles n’était que pour un autre quart. L’Empereur cherchait à obtenir cette démoralisation en visant le « centre de gravité » considéré comme les points vulnérables de l’adversaire, tels que certains points de son armée ou ses lignes de communication72.

Certes, les objectifs de la guerre napoléonienne l’apparentaient à une guerre d’anéantissement dans la mesure où elle visait la défaite complète de l’adversaire par la destruction de son armée, et non son affaiblissement par la conquête d’avantages géographiques, comme dans les campagnes frédériciennes. Mais c’était souvent une guerre de mouvement qui privilégiait la manœuvre sur le choc et recherchait d’abord la dislocation de l’armée ennemie plutôt que sa destruction immédiate. Napoléon ne cherchait pas à attaquer directement les forces adverses mais à les contourner par des manœuvres enveloppantes pour atteindre les lignes de communication de l’adversaire, c’est - à - dire son centre de gravité. C’est en se saisissant de ces lignes par une manœuvre sur les arrières qu’il obtenait l’ascendant moral sur son adversaire. L’action sur les lignes de communication produisait également un effet matériel et donnait la possibilité à Napoléon de procéder rapidement à la destruction physique des forces ennemies73.

72

Béraud, op. cit, p. 234 - 235.

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c) Comparaison des formations tactiques

La génération militaire qui a précédé et instruit Bonaparte n’a pu lui inspirer que le désir de réaliser un idéal de guerre offensive et vigoureuse. La physionomie de la bataille que Guibert et ses contemporains idéalisaient, et à laquelle plusieurs des campagnes napoléoniennes ressemblaient était bien loin de la forme linéaire, rigide des affrontements de Frédéric II une cinquantaine d’années plus tôt. Dans l’armée prussienne de la première moitié du XVIIIe siècle, le système déployé sur trois rangs de profondeur, connu sous le nom de l’ordre

mince, fut adopté pour l’infanterie. De plus, la cavalerie se formait sur deux rangs,

et, dans l’ordre de bataille, elle était déployée, soit sur les ailes, soit dans la réserve74. Frédéric tirait de cette tactique linéaire tout ce qu’elle pouvait donner et faisait concourir à son attaque décisive, l’enveloppement par l’infanterie, la convergence des feux et la charge de la cavalerie. Il se constitua une forme d’attaque idéale dont il s’efforça toujours de se rapprocher: l’ordre oblique. Ayant déployé son armée, il portait en avant le bataillon de droite; chacun des autres se mettait alors en mouvement à son tour, de manière à se trouver en retrait de 50, 100 ou de 200 mètres, suivant l’ordre. Ils étaient ainsi échelonnés de la droite à la gauche et toute la grosse artillerie et les réserves étaient entassées à la droite pour écraser l’ennemi sous des feux convergents, puis l’attaquer avec le concours de la cavalerie. C’était celle-ci qui avait le dernier mot, même si le gros de la besogne avait déjà été fait par le fusil et par le canon. Telle était la forme de combat en ordre linéaire la plus populaire vers le milieu du XVIIIe siècle.

Tandis que Frédéric essaya de la perfectionner du mieux qu’il put, les militaires français cherchèrent le progrès dans un sens tout différent75. Une formation typique des armées de Napoléon avant la bataille était constituée par une armée déployée sur un front irrégulier de 10 à 16 lieues. Ce front contenait des petites colonnes de 2 000 à 4 000 hommes qui, après de longues heures de marche seraient déployées ici en lignes, là en colonnes de bataillons ( formant l’ordre mixte, l’ordre préféré de Napoléon ), là en essaim de tirailleurs à la lisière d’un village ou d’un bois, ou en avant des colonnes d’attaque. Plus loin, en arrière, de nombreuses réserves se massaient.

À l’encontre de la rigidité de l’infanterie de front des campagnes frédériciennes, celle des campagnes de Bonaparte était beaucoup plus flexible, se resserrant pour accumuler les forces sur un point, et ainsi faire irruption dans la ligne ennemie, ou s’étendant au contraire pour en envelopper ou déborder une

74

Antoine - Henri Jomini, Précis de l’art de la guerre, première partie, Paris, Perrin, 2001, p. 241.

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aile76. L’avantage du resserrement des rangs était évident en ce qui concernait l’économie des forces: au lieu d’attaquer l’ennemi sur toute la longueur de son front, il n’était nécessaire que de faire une brêche sur un point dans la ligne ennemie et d’exploiter l’ouverture par des attaques continues77. Cette nouvelle forme de bataille était complétée par une nombreuse cavalerie massée en partie avec les colonnes de l’attaque décisive pour affirmer la victoire par une charge à fond et par une artillerie mobile mais puissante, accumulée devant le saillant où se faisait la brêche, tandis que des batteries légères se lançaient au galop pour mitrailler l’ennemi à bout portant.

d) Comparaison de l’efficacité de la conduite des opérations

Sur la ligne d’opérations des armées napoléoniennes, les dépôts et les approvisionnements étaient établis dans des places fortes et jalonnaient la route des convois à des intervalles régulières. Ainsi, douées d’une aptitude manœuvrière et d’une force offensive, les armées pouvaient pousser la guerre avec une activité inconnue jusqu’alors. Se basant sur leur analyse des conflits antérieurs, les auteurs et théoriciens militaires du XVIIIe siècle voulaient que la guerre soit menée vigoureusement et que nulle considération politique ne vienne arrêter les progrès accomplis.

La guerre d’autrefois où le temps se gaspillait en sièges ou en démonstrations ne devait plus être qu’un souvenir: c’était la guerre en grand, la guerre en campagne qui devait être l’objet principal. Pour conduire les armées d’une manière plus décisive et obtenir de plus grands succès, il fallait quitter cette façon étroite et routinìère qui entravait et limitait les opérations; il fallait faire de grandes expéditions ainsi que des marches forcées. Il fallait également engager et gagner des batailles par manœuvres, être moins souvent sur la défensive et faire moins de cas de ce qu’on appelait des positions. La science du munitionnaire devait consister à traîner le moins possible d’attirails et il fallait tâcher de vivre des moyens du pays78.

76

Colin, L’éducation…, p. 104.

77

Jonathan White, The prussian army, 1640 - 1871, Anham ( Md ), University Press of America, 1996, p. 189.

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e) Comparaison de commandement

Sous Frédéric II, les commandants d’armée et leur état-major concentraient le pouvoir de commandement. Ils édictaient l’ensemble des instructions de marche et de combat. L’importance du rôle des services d’état-major dans le succès des armées apparut durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle avec les premières tentatives de création d’un corps d’officiers d’état-major permanent en 1766 par Bourcet ( lequel fut supprimé pour des raisons budgétaires dix ans plus tard ). Jusque-là, les états-majors étaient des organisations temporaires mises sur pied pour la durée d’une campagne.

Sous l’Ancien Régime, durant l’ère frédéricienne, chaque armée disposait d’un major général de l’infanterie et d’un major général de la cavalerie chargés de seconder le commandant d’armée en réglant les mouvements des troupes à pied et à cheval. Pourtant, les fonctions de ces officers étaient encore restreintes tant que les armées étaient de type « unitaire ». En résumé, on peut déclarer qu’un ordre unique était déclaré pour l’ensemble de l’armée dont les opérations se déroulaient sous les yeux du commandant en chef79.

L’avènement des armées modulaires imposa au contraire une

déconcentration du commandement. La création de corps d’armée dans les armées

napoléoniennes après 1805 s’accompagna donc de la création d’états-majors qui leur étaient attachés de façon à soulager la charge de travail de l’état - major général et accélérer la transmision et l’exécution des ordres80.

79

Béraud, op. cit., p. 218.

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