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La présente thèse se propose de répondre à un problème d’aide à la décision appliqué à la transition énergétique. Un certain nombre de travaux tant académiques qu’opérationnels (les deux mondes se recouvrant même parfois) cherchant à répondre à cette problématique ont été identifiés. Cette section passe en revue les approches existantes pour l’aide à la décision territoriale, afin d’identifier les principaux manques et établir un positionnement de la méthode à développer. L’objectif ici est de situer l’outil que l’on souhaite développer dans le paysage des outils d’aide à la décision territoriale. Les états de l’art techniques en lien avec les modèles scientifiques développés pour construire l’outil seront eux présentés au sein du manuscrit, notamment en introduction des chapitres respectifs.

1.2.1 L’aide à la décision par une approche exploratoire

La grande dimension du problème de planification énergétique à une échelle territoriale rend l’identification d’une solution idoine compliquée. Par exemple, comme expliqué dans le travail de Nutkiewicz et al. [15] pour le cas de la rénovation du bâtiment, il peut exister pour chaque bâtiment des centaines de plans de rénovation qui sont la combinaison de dizaines de possibilités de rénovation par type de paroi (mur, toit, sol) ainsi que de nombreuses alternatives de changement de systèmes de chauffage et de froid. Le nombre de combinaisons de rénovation à l’échelle d’un territoire croît alors de manière exponentielle avec le nombre de bâtiments, et l’identification d’un plan d’action adapté s’avère dès lors complexe.

Les méthodes d’exploration, aussi appelées scenario-based, sont alors particulièrement prisées. Leur principe est relativement simple : un certain nombre de scénarios, ou plans

1.2. État de l’art et positionnement

d’action, sont définis par l’utilisateur et simulés individuellement, avant d’être comparés les uns aux autres. La génération des plans d’action se fait en amont, soit par un groupe d’experts définissant lui-même les mesures à activer [16], ou en fixant un curseur caractéri- sant le niveau d’application des différents leviers (par exemple remplacer 30% des fenêtres simple vitrage par du double vitrage)[17, 18]. Les scénarios sont simulés à l’aide soit de modèles s’appuyant sur une représentation physique du problème tel que l’outil MEU de l’EPFL [19], LEAP [20], EnergyPlus [21] ou EnergyPLAN [22], ou sur des modèles simplifiés macros si la résolution est grossière. L’utilisation de tels outils de simulation est possible du fait du nombre limité de scénarios à évaluer. Suite aux simulations, un certain nombre de scénarios peuvent être écartés de l’ensemble des solutions, car ils ne respectent pas une ou plusieurs contraintes définies par le décideur, comme la réduction des émissions de GES par exemple. Les scénarios restants sont en général évalués et comparés les uns aux autres, en se basant sur l’Analyse de Décision Multicritère (MCDA), souvent utilisée du fait de sa simplicité mathématique[17, 18]. Cette approche tient compte des préférences spécifiées par le décideur pour attribuer des poids aux différentes composantes du problème et ensuite une note à chaque scénario. Le scénario le mieux noté est présenté comme le plan d’action idéal pour le territoire.

Ces méthodes reposent sur la définition des scénarios à simuler, lesquels représentent un point critique de la méthode. Des scénarios mal définis empêchent d’atteindre une solution réellement efficace pour le contexte étudié et entraînent alors l’adoption d’une solution in- adaptée.

Si les précédents travaux émanent du monde académique, on peut constater que les outils opérationnels, c’est-à-dire utilisés par des territoires, utilisent des approches similaires pour accompagner les territoires dans leur transition énergétique.

Nous avons identifié six outils opérationnels comme proposant une aide à la modélisation énergétique territoriale.

ForCity5, de la société Lyonnaise éponyme, propose divers outils pour les collectivités sur les thématiques économiques, de gestion de l’eau et des déchets, mais aussi énergétiques. Le volet énergétique permet une modélisation de la consommation énergétique du bâtiment d’un territoire à partir des données accessibles en Open Data pour planifier ou piloter les réseaux de chaleur. Cet outil de modélisation ne propose pas d’aide à la décision concernant la transition énergétique. Qui plus est, il est voué à disparaître étant donné que l’entreprise a annoncé sa cessation d’activité en aout 2019.

Le projet Equitée, mené par le BURGEAP6possède des points communs avec l’approche que nous souhaitons adopter. Un diagnostic énergétique est fourni à partir de données statistiques agrégées disponibles à la maille géographique dite IRIS (plus de détail dans le Chapitre 2). L’outil de prospective et aide à la décision se concentre sur la simulation de

5. https ://www.forcity.com/ 6. http ://www.equitee.fr/

scénarios d’aménagement proposés par le territoire et ne lui fait pas de propositions. MEU7, développé par l’EPFL [19] est un outil d’aide à la décision pour l’aménagement urbain, qui permet de réaliser un état des lieux énergétique des territoires. Encore une fois, la dimension d’aide à la décision se limite à la construction de scénarios énergétiques par l’utilisateur suivie de simulations précises pour permettre de les évaluer.

Prosper8 est un outil de prospective énergétique qui permet à l’utilisateur de créer des scénarios énergétiques et de tester leur impact à différents horizons temporels à une maille assez fine (EPCI voire commune).

EDF, propose l’outil en ligne MonSTER9 qui propose de visualiser les effets de scénarios de transition énergétique (volontariste, tendanciel, 3x20. . . ) sur des indicateurs (consomma- tion, production, émissions. . . ) à l’échelle régionale. L’étude se réalise à l’échelle macro, sans détails sur les bâtiments, et les plans d’action sont encore une fois à l’initiative des terri- toires. Cet outil s’avère instructif pour dessiner une tendance à l’échelle globale et régionale, mais demeure insuffisant lorsqu’il s’agit de définir des politiques énergétiques précises, en termes d’actions concrètes.

Enfin, La société Artelys10 a développé une suite logicielle Artelys Crystal, composée de nombreux modules ayant attrait à la modélisation énergétique. Le volet City est un outil d’aide à la planification territoriale et propose là aussi de simuler des scénarios proposés par les territoires, en intégrant les thématiques de consommation, de production ou économiques. Si l’on se réfère à la classification des méthodes des modèles énergétiques établie par van Beeck [23], ensuite reprise par la revue de littérature de Prasad et al. [24] ou encore la thèse de Neves [25], tous ces outils opérationnels d’aide à la décision reposent sur des outils de simulation. Leur utilisation pour l’identification d’une solution optimale dans le domaine de la planification énergétique repose sur une approche exploratoire, où les gouvernances locales simulent des effets de plans d’actions qu’elles ont auparavant élaborées, afin d’en évaluer leur pertinence.

L’aide à la décision de l’ensemble des méthodes présentées dans cette section se limite donc finalement à la simulation de scénarios énergétiques fournis par l’utilisateur. Ce fonc- tionnement comporte deux principales limites :

1. La construction de scénarios est demandée aux territoires, ce qui requiert une forte implication et expertise. Si la participation des acteurs locaux est raisonnable pour la définition d’objectifs, l’observation faite dans la Section 1.1.1.2 sur la difficulté des territoires à appréhender toutes les composantes du problème de planification énergétique laisse penser que leur participation dans la définition des actions concrètes à mener peut se révéler bloquante.

7. https ://www.crem.ch/MEU

8. http ://www.energies-demain.com/planification/ 9. https ://www.edfmonster.com/

1.2. État de l’art et positionnement

2. Les scénarios construits “manuellement” n’ont aucune garantie d’être optimaux, ou même efficaces. En effet, on peut vérifier qu’un plan d’action permet d’atteindre les objectifs du territoire, mais rien ne garantit qu’il n’existe pas une autre solution plus en adéquation avec les caractéristiques du territoire, ses ressources naturelles et son parc immobilier par exemple. En cela, les outils existants ne sont pas à proprement parler des outils d’aide à la décision, car ils ne permettent pas “à un acteur (personne, collectivité) de prendre la meilleure décision possible face à un problème.” (cf. définition plus haut).

Au vu de ces conclusions, il semble que l’approche exploratoire ne soit pas adaptée à la planification d’actions concrètes à l’échelle du bâtiment du fait de la taille de l’espace de décision à couvrir et donc de la difficulté pour les territoires d’établir des plans d’actions efficaces à évaluer. Une approche utilisant des modèles d’optimisation semble plus adéquate, notamment afin que l’outil soit capable de générer un (des) plan(s) d’action pertinent(s), car optimal(aux).

1.2.2 L’aide à la décision par l’optimisation

Pour pallier les manques de ces approches exploratoires utilisant les modèles de simula- tion, celles dites par optimisation ont été développées. L’étude de la littérature académique permet de réaliser trois observations principales, lesquelles permettront d’orienter notre tra- vail.

Capacité de résolution ou précision des modèles ?

Dans le cadre de la rénovation thermique du bâtiment, de nombreuses études utilisent des modélisations complexes. Certains travaux optimisent ainsi la rénovation thermique d’un bâtiment en utilisant des modèles statistiques complexes de la demande (quadra- tiques,. . .)[26, 27] alors que de nombreux autres travaux utilisent directement des modèles dynamiques [28–31].

Ces modèles présentent une grande précision et permettent une bonne représentativité des phénomènes physiques en jeu, mais aussi des particularités propres à chaque bâtiment. En revanche, ils sont difficilement compréhensibles (par les acteurs territoriaux notamment) et l’identification des facteurs déterminants n’est pas facilitée. Enfin, leur utilisation au sein d’un processus d’optimisation est complexe et nécessite l’utilisation d’algorithmes dits heu- ristiques, comme les algorithmes génétiques (Genetic Algorithm), de colonies de fourmis (Ant Colony) ou les essaims particulaires (Particle Swarm). Si de tels algorithmes peuvent être adaptés pour des problèmes d’optimisation de petite taille comme l’optimisation à l’échelle d’un bâtiment, ils deviennent inadaptés lorsqu’on considère un territoire complet.

Pour pallier ce problème, notamment lorsque l’on cherche à travailler sur des problèmes de plus grande dimension, des modèles statiques très simples sont utilisés [32, 33]. Cette

approche permet une résolution plus aisée à l’échelle d’un territoire, mais fait forcément l’impasse sur une certaine précision des modèles en se basant sur des effets moyens. La compréhension des différents facteurs d’influence est en revanche facilitée.

À la suite de ces observations faites sur une branche précise de l’aide à la décision territo- riale, il est possible de conclure que le fait de travailler à une maille géographique conséquente comme celle d’un territoire impose certaines contraintes sur les modèles à employer. Si des modèles élaborés sont inadaptés, une sur simplification des modèles entraînerait des erreurs importantes dans les recommandations apportées aux territoires. Un équilibre doit donc être trouvé entre la finesse des modèles et leur utilisation dans une optique d’aide à la décision territoriale.

Quelle optimisation pour l’aide à la décision ?

L’approche d’optimisation classique qui cherche à fournir une solution unique à un problème tel que celui de la rénovation énergétique doit être considérée avec précaution. En effet, une étude approfondie de la littérature académique portant sur les problèmes de planification énergétique nous amène en effet à deux observations :

• Un problème de planification n’est pas cartésien, simple et donc sa solution n’est pas facilement identifiable. En effet, lorsque l’on s’intéresse à un problème impliquant de nombreux acteurs, notamment publics, la modélisation est complexe et toutes les variables ne peuvent pas être incluses dans un modèle mathématique [34, 35].

• La considération d’un optimum unique dans les modèles de prospective est souvent remise en question [36–38]. Ces travaux appuient l’argument que la recherche d’une solution idéale, représentée par un optimum économique unique, ne permet pas de répondre à un problème de planification. En particulier, Trutnevyte [36] souligne l’im- portance de ces approches pour décrire l’évolution d’un système énergétique dans un marché parfait, pour décrire “ce qui devrait se passer” (c’est ce qu’on appelle la pros- pective énergétique), mais qu’ils n’ont pas vocation à définir une politique énergétique. Ce même travail introduit la notion de “near-optimal”. Ce nouveau paradigme propose désormais de travailler dans des espaces proches de l’optimum économique, mais en autorisant une certaine liberté autour de celui-ci.

Ces deux observations doivent être prises en compte dans le développement de l’outil, et en particulier dans la formulation du problème d’optimisation à implémenter. Ainsi, il semble que l’outil doit être en mesure de proposer non pas un optimum unique, mais un panel d’alternatives, toutes crédibles et efficaces, car near-optimales.

Une temporalité pour l’aide à la décision ?