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Les équidés, présents jusque dans les rêves des personnages

B. Le cheval et le rêve, de l’animisme à la remise en cause de l’auteur

1. Les équidés, présents jusque dans les rêves des personnages

Le rêve de John Grady lors de la capture du capitaine mexicain évoquée à la fin de la seconde partie a permis de soulever la question du lien être cheval et spiritualité :

In his sleep he could hear the horses stepping among the rocks and he could hear them drink from the shallow pools in the dark where the rocks lay smooth and rectilinear as the stones of ancient ruins and the water from their muzzles dripped and rang like water dripping in a well and in his sleep

280 Hage, Op. Cit., p. 75. 281 Voir annexe I.1, Op. Cit.

he dreamt of horses and the horses in his dream moved gravely among the tilted stones like horses come upon an antique site where some ordering of the world had failed and if anything had been written on the stones the weathers had taken it away again and the horses were wary and moved with great circumspection carrying in their blood as they did the recollection of this and other places where horses once had been and would be again. Finally what he saw in his dream was that the order in the horse's heart was more durable for it was written in a place where no rain could erase it.282

Ce long extrait composé de seulement deux phrases est typique de la prose lyrique de McCarthy. Par ailleurs, la phrase « Finally what he saw in his dream was that the order in the horse's heart was more durable for it was written in a place where no rain could erase it » permet de relier la question du rêve à la spiritualité indienne évoquée ci- avant.283 Dans les croyances amérindiennes, on retrouve souvent l’idée que l’animal communique avec l’homme de façon onirique, et lui donne un accès spirituel :

Le rêveur établit une relation personnelle avec un être lointain spatialement ou ontologiquement. Ces êtres, que le rêveur connait toujours, peuvent entrer dans un dialogue avec lui ou délivrer un message. Le sens des rêves est similaire à leur contenu explicite.284

L’idée d’être « lointain », autrement dit étranger de l’homme, peut dans le cas présent s‘appliquer au cheval, animal que les personnages de la Trilogy, « connai[ssent] toujours ». Dans ce rêve de John Grady, les termes « some ordering of the world had failed and if anything had been written on the stones the weathers had taken it away again » peuvent être lus en contraste avec l’image des chevaux marchant avec

« circumspection » et portant dans leur sang « the recollection of this ». L’idée d’une nature puissante et éternelle semble révélée par le mouvement des chevaux dans le rêve. Une première interprétation du rêve dans The Border Trilogy peut donc être spirituelle, idée que l’on retrouve par ailleurs dans l’épilogue de Cities of the Plain, où un étranger raconte à Billy un rêve, dans lequel a lieu un autre rêve. Le long dialogue entre Billy et « the traveller » se conclut par les mots :

I hope your friend await you. And I.

Every man’s death is standing in for every other. And since death comes to all there is no way to abate the fear of it except to love that man who stands for us. We are not waiting for his history to be written. He passed here long ago.285

282 McCarthy, [All the Pretty Horses], Op. Cit., p. 284. 283 Ibid.

284 Barbara Tedlock, « Rêves et visions chez les Amérindiens, produire un ours », Anthropologie et Sociétés, Vol. 18., Num. 2, 1994, p. 18.

Les deux hommes évoquent ici la mort de John Grady, et la possibilité d’une communication entre les morts et les vivants à travers le rêve. L’idée de dieu révélé par le rêve se retrouve aussi dans The Crossing :

Who can dream of God? This man did. In his dreams God was much occupied. Spoken to He did not answer. Called to did not hear. The man could see Him bent at his work. As if through a glass. Seated solely in the light of his own presence. Weaving the world. In his hands it flowed out of nothing and in his hands it vanished into nothing once again. Endlessly. Endlessly.286

Ici, l’idée d’un dieu qui ne répond pas, et la présence de la notion de « nothingness » déjà mentionnée rappelle la complexité de la spiritualité dans The Border Trilogy et encourage à s’interroger sur d’autres interprétations des rêves de chevaux.

Pour ce faire, il est nécessaire de distinguer les différents types de rêves d’équidés dans la Trilogy. La vision des Comanches de John Grady correspond à l’idée d’un rêve éveillé, et pose donc la question d’un éventuel mirage ou d’une illusion. Le passage analysé ci-dessus correspond à un véritable rêve lors du sommeil du jeune homme. Enfin, la notion de « evil dream » évoquée plus tôt correspond cette fois à une réalité comparée à un rêve.287 Ces trois types d’onirisme suggèrent un possible paradoxe, entre illusion et réalité, que l’on retrouve souvent chez les chercheurs, parfois dans le même ouvrage. Steven Frye affirme : « John Grady can be stoic and resilient thanks to dreams and surreality », laissant entendre que les visions des Comanches sont le fruit de l’imagination du cowboy.288 Pour autant, il évoque « the

ever-present reality of dreams » et affirme : « John Grady establishes an intimacy based upon the mystical apprehension of unity, order, and value embodied in the horse, and his understanding of reality becomes clearest in his dreams ». La répétition du terme « reality » suggère cette fois que le rêve va au-delà de la seule imagination du personnage. Ces deux approches sont en réalité présentes dans les trois volumes et semblent fonctionner ensemble.

Dans All the Pretty Horses, John Grady parvient à s’échapper momentanément de la prison en rêvant de chevaux.

That night he dreamt of horses in a field on a high plain where the spring rains had brought up the grass and the wild-flowers out of the ground and the flowers ran all blue and yellow far as the eye could see and in the dream he was among the horses running and in the dream he himself could run with the horses and they coursed the young mares and fillies over the plain where their rich bay and their rich chestnut colors shone in the sun and the

286 McCarthy, [The Crossing], Op. Cit., p. 457.

287 Voir III/A. section « 3. Le cheval ou la vision transcendante dans The Border Trilogy » 288 Frye, Op. Cit., p. 105-107.

young colts ran with their dams and trampled down the flowers in a haze of pollen that hung in the sun like powdered gold and they ran he and the horses out along the high mesas where the ground resounded under their running hooves and they flowed and changed and ran and their manes and tails blew off of them like spume and there was nothing else at all in that high world and they moved all of them in a resonance that was like a music among them and they were none of them afraid horse nor colt nor mare and they ran in that resonance which is the world itself and which cannot be spoken but only praised.289

Dans ce passage, l’image de John Grady courant au milieu des chevaux qui galopent dans la prairie ensoleillée correspond à l’idée que, au milieu de la violence de la prison, John Grady trouve une échappatoire pour demeurer « stoic an resilient ».290 La présence des poulains et pouliches et la description des fleurs pourraient correspondre à un certain bucolisme pourtant éloigné du paysage de The Border Trilogy.291 L’accumulation des couleurs, « blue », « yellow », « rich bay », « rich chesnut colors », « gold » et l’évocation de la beauté du printemps semblent en effet correspondre à un paysage illusoire créé par l’imagination de John Grady. Pourtant, les termes « the ground resounded under their running hooves » évoque le caractère physique et réel de la scène, ainsi que l’occurrence « music » et la répétition du mot « resonance ». Le personnage semble par ailleurs sur un pied d’égalité avec les chevaux, ce qui correspond une fois de plus à l’idée d’Optical Democracy. Enfin, une impression d’irruption animale dans le rêve de John Grady peut être ressentie par le lecteur au vu des nombreuses répétition de « they » et du verbe « run ».