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L'ÉNIGME DE CHILLON

Dans le document FRIBOURG mmmJà SOIXANTE-HUITIEME ANNEE (Page 197-200)

Oue dit le mur ?

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Que dit le livre ? ^

« Belle prison ! Laides amour es jamais ne furent... 1616 ».

Exemple typique, assurément, de manque d'observation ! Il eût été plus conforme à l'intention de l'auteur de cette boutade, donc plus exact, de lui restituer le caractère de réminiscence poétique qu'elle devait avoir :

Laides prisons, belles amours, Furent toujours...

1 A L B E R T N A E F , Chillon.

que de la transcrire en l'agrémentant d'un point d'excla-mation, complément superflu, et d'une faute d'ortho-graphe, complément détestable.

Une telle insuffisance de sens critique peut avoir les con-séquences les plus graves, si elle s'applique à des édifices ou bâtiments dont la restauration en cours devrait s'être inspirée absolument de l'idée maîtresse qui présida à leur naissance et à leur ère de splendeur.

Or, cette idée maîtresse, —• que ne peuvent livrer des livres de comptes i, — il faut la chercher, il faut l'épier, il faut la saisir, il faut la lire enfin, précise et claire, dans chaque détail de la demeure, obstinément interrogée, et, de ses fragments dispersés, souvent disparates, parfois op-posés en apparence, la rétablir, par l'imagination, dans sa form-e et dans sa beauté.

Tel est le principe dont procède l'exposé qui va suivre.

Qu'on ne se méprenne point, cependant : cette étude est bien moins une contribution à l'histoire et à la genèse des transformations successives de Chillon, qu'un essai de re-constitution hypothétique du monument, toute subjec-tive mais rationnelle, par un fantaisiste, profane des archi-ves, des dates et des styles, qui, curieux de s'écarter des dogmes consacrés et de suppléer par ; l'observation à la science, lui découvre un visage nouveau, par l'interpréta-tion de Chillon même, manuscrit de pierre que chacun pourra épeler après lui et confronter avec la version qu'il en donne.

Et d'abord, voyons quelle devait être, avant les âges, avant tout au moins qu'il fût couronné d'un bloc de tours, la forme de ce bloc de rocher.

Ile aujourd'hui, c'était alors une presqu'île aux bords escarpés, s'élevant de la rive à son extrémité, ayant l'as-pect — peu importe — ou d'un récif aride, ou d'un promon-toire ombragé.

Des historiens ont prétendu qu'une partie des Helvètes, arrêtés près de Genève par Jules César, tentèrent de con-tourner le lac, —• comme l'avait fait peut-être, deux cents

1 Les études les plus savantes, publiées à ce jour sur Chillon sont étayées sur les livres de comptes de la Maison de Savoie.

Vue de Chillon, de J. Rahn.

ans plus tôt, une partie des armées d'Annibal. Il est permis de penser que les uns et les autres, en raison des difficultés spéciales qu'ils y rencontrèrent, subirent un ralentissement ou même firent une halte en cet endroit, où la montagne rocheuse descendait, abrupte et formant arête sur l'isthme de la presqu'île.

Aux premiers siècles de notre ère, la route créée par les Romains devait, là, s'insinuer, précaire et malaisée, entre la pierre et l'eau. Ils fortifièrent ce passage, qui était et devait rester pendant tout le moyen âge, la clé de la voie d'Italie par la vallée du Rhône et les cols des Alpes. Jus-qu'à Ronaparte, qui l'aménagea pour l'acheminement de troupes, de convois et de matériel de guerre destinés à la campagne d'Italie, la chaussée était encore si étroite en ce lieu que deux cavaliers n'y pouvaient circuler de front.

Depuis lors, l'aspect du versant de la montagne en face de Chillon a complètement changé. L'ancien profil en est à

tel point modifié que les rôles sont aujourd'hui renversés : la route, d'assez loin, domine le château; au début du XIX™e siècle encore, le château commandait la route, toute proche.

La voie étant coupée au Nord par un pont mobile et fermée par une porte fortifiée, les Romains durent élever sur la presqu'île voisine un poste militaire, ouvrage dont les vestiges subsistent à ce jour et se retrouvent dans les substructions édifiées au moyen âge sur son emplacement.

Décadence et chute d'empire, ruée des Barbares, semence du christianisme, germination de la féodalité : siècles nébu-leux sur l'écran de l'Histoire !

Il me plaît de reconstituer approximativement comme suit le premier château fort du XI^ ou XII^ siècle, tel que le possédaient à fief les sires d'Alinge, feudataires de l'évê-que de Sion, et tel qu'il passa en mains des comtes de Savoie.

Tel il existe encore tout entier dans le Chillon contem-porain. Pas un trait de ce plan qui ne fasse partie intégrante du plan actuel; pas une de ces murailles qui ne soit encore debout !

Il s'élevait, trapézoïdal et massif, sur le plateau supérieur du promontoire, protégé par le lac à l'Ouest et au Nord, par une falaise surmontée d'une escarpe à l'Est, par un rempart et un fossé au Sud, côté de l'entrée. Sur trois angles de la cOur s'érigeaient trois édifices : le beffroi ou donjon à l'Orient, la tour du corps de garde au Septentrion, une maison d'habitation à l'Occident. Des dépendances ne me paraissent pas avoir existé à l'intérieur de ce quadrilatère dominant, sorte de citadelle. Tant que les Ouvrages de dé-fense de la cluse de Chillon résistaient, la place ne courait aucun danger et disposait de tout l'hinterland de la plaine du Rhône. La cluse forcée, par contre, toute voie de terre était coupée pour le château, et des chevaux y eussent été bien inutiles. En cas de siège et de reddition, une retraite n'était possible que par le lac. A cette époque-là déjà, un port et des embarcations y auraient eu leur raison d'être, mais non des écuries.

Le fossé, qui entaillait le rocher, de l'angle extérieur du corps de logis à l'angle extérieur du donjon, est encore

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