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CHAPITRE 2 CONCEPTS THEORIQUES

2.3 Théorie classique de la nucléation et mouillage

2.3.1 Énergie et tension de surface

Les notions de tension de surface (pour les liquides) ou d’énergie de surface (pour les phases condensées) sont complexes, souvent inter changées ou mélangées par abus de langage, celles-ci sont nécessaires à l’interprétation de nombreux phénomènes et pourtant restent encore sujets à débats sur leur interprétation(100). Nous commencerons par introduire la tension de surface, plus facilement conceptualisable, afin de pouvoir faire une analogie avec l’énergie de surface appliquée aux solides.

2.3.1.1 La tension de surface pour les liquides

Considérons une molécule au sein d’un matériau massif : celle-ci ressent les interactions de ses plus proches voisins de façon isotrope. À la surface, les molécules sont moins bien liées, ne bénéficiant que d’une partie des interactions de cohésion possibles. Cet état de manque se caractérise par un niveau énergétique plus élevé, tendant à déstabiliser la phase condensée. De fait, les liquides adoptent généralement une forme sphérique afin de minimiser leur surface/interface. La tension de surface exprime ainsi le ‘manque énergétique de cohésion’ due aux molécules de surface (101).

Bien que l’explication des origines physiques de la tension de surface soit à l’échelle moléculaire, son expression (ainsi que sa mesure) se manifeste à l’échelle macroscopique : suivant le contexte choisi, l’énergie de surface est une énergie par mètre carré ou une force par mètre. La première couche de molécules, sur une surface convexe, se retrouve attirée vers le massif créant une pression interne au sein du liquide plus grande que celle exercée par le gaz sur la goutte (𝑃𝑖𝑛𝑡 > 𝑃𝑒𝑥𝑡). Avec l’augmentation de

pression, le potentiel chimique de la phase liquide augmente d’où la déstabilisation de l’entité liquide autrement dit l’augmentation de l’énergie libre de Gibbs par rapport au massif. Ainsi, c’est l’existence d’une surface qui s’oppose, à cause de l’excès énergétique requis, à la condensation.

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Pour donner un ordre d’idée, l’eau, interagissant par liaisons hydrogènes, exprime sa cohésion avec une tension de surface(102) de 73mN/m (=73mJ/m2) à température ambiante. En augmentant la température, sa tension de surface diminue drastiquement jusque 59 mN/m à 373 K (103), alors qu’elle atteint environ 79 mN/m à l’état surfondu (104) (à 250 K).

2.3.1.1.1 Loi de Laplace, pression au sein d’une goutte

L’élévation de potentiel chimique au sein de la goutte liquide (résultant physiquement par l’élévation de pression) est donc à l’origine de l’évaporation des petites bulles au profit des grandes. La loi de Laplace permet d’exprimer cette différence de pression grâce à la tension de surface puisqu’elle représente l’énergie qu’il faut apporter afin d’augmenter la taille de la surface. L’énergie mécanique à apporter pour agrandir la goutte est : 𝛿𝑊 = −𝑃𝑖𝑛𝑡𝑑𝑉𝑖𝑛𝑡 − 𝑃𝑒𝑥𝑡𝑑𝑉𝑒𝑥𝑡+ 𝛾𝑖𝑛𝑡−𝑒𝑥𝑡𝑑𝐴, avec 𝑑𝑉𝑖𝑛𝑡 = −𝑑𝑉𝑒𝑥𝑡 = 4𝜋𝑟2 𝑑𝑟, l’augmentation en volume de liquide et 𝑑𝐴 = 8𝜋𝑟 𝑑𝑟, l’augmentation de surface étant donné que la goutte est une sphère (avec les indices int et ext étant les abrégés pour ‘intérieur’ et ‘extérieure’, et r, représentant le rayon de la goutte). À l’équilibre mécanique (i.e. 𝜕𝑊 = 0) : 𝑃𝑖𝑛𝑡 − 𝑃𝑒𝑥𝑡 = ∆𝑃 =

2𝛾𝑖𝑛𝑡−𝑒𝑥𝑡

𝑟 (101), appelée pression de Laplace. Typiquement, pour une goutte d’eau à température

ambiante de 1µm de rayon, ∆𝑃 est de l’ordre de la pression atmosphérique.

Cette équation exprime ainsi les conséquences de la morphologie sur la naissance d’une nouvelle phase. Plus le rayon de la goutte est petit (aux premières étapes de nucléation), plus la pression interne déstabilise l’ensemble et le potentiel chimique augmente. Autrement dit, plus le rayon est grand, moins l’interface a d’impact sur le volume, et le potentiel se rapproche de la valeur à rayon infini (i.e. du potentiel du massif).

2.3.1.1.2 Loi de Kelvin, effet de la courbure sur la pression d’équilibre Comme il a été précisé, la courbure (1

𝑟 , dans le cas d’une goutte) détermine l’élévation de potentiel au

sein de la phase liquide. Afin de pouvoir maintenir les conditions d’équilibre, la pression extérieure doit soutenir le besoin énergétique demandé par la goutte: l’apport moléculaire doit compenser sa

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sublimation. Kelvin répond à la question de la valeur de la pression de vapeur saturante en fonction de la taille de la goutte.

Il existe deux termes de pression : la pression de vapeur saturante 𝑃0, où la phase liquide (et solide) est en équilibre avec sa vapeur pour un rayon infini et la pression partielle (ici représentée par 𝑃𝑒𝑥𝑡),

représentant la pression de vapeur saturante associée au germe du matériau qui condense. Le ratio de ces deux pressions, 𝑃𝑒𝑥𝑡

𝑃0 , est la sursaturation (notée SS) : il détermine, dépendamment de sa valeur, le sens de réaction (i.e. condensation ou sublimation). Ainsi, lors d’un changement (de rayon) isotherme du système, il est possible d’écrire : 𝑑𝑃𝑙𝑖𝑞− 𝑑𝑃𝑣𝑎𝑝 = 𝑑(

2𝛾𝑙𝑖𝑞/𝑣𝑎𝑝

𝑟 ). Puisqu’à température constante,

Gibbs-Duhem établit que : − 𝑉𝑙𝑖𝑞 𝑑𝑃𝑙𝑖𝑞+ 𝑑𝜇𝑙𝑖𝑞 = 0 (avec 𝑉𝑙𝑖𝑞, le volume molaire du liquide) et qu’à l’équilibre : 𝑑𝜇𝑙𝑖𝑞 = 𝑑𝜇𝑣𝑎𝑝. Ainsi, 𝑑𝑃𝑙𝑖𝑞 =

𝑉𝑣𝑎𝑝

𝑉𝑙𝑖𝑞 𝑑𝑃𝑣𝑎𝑝, d’où en négligeant 𝑉𝑙𝑖𝑞 devant 𝑉𝑣𝑎𝑝 et en exprimant 𝑉𝑣𝑎𝑝 grâce à la loi des gaz parfaits, on obtient 𝑑 (

2𝛾𝑙𝑖𝑞 𝑣𝑎𝑝⁄ 𝑟 ) ~ ( 𝑉𝑣𝑎𝑝 𝑉𝑙𝑖𝑞) 𝑑𝑃𝑣𝑎𝑝 = 𝑅𝑇 𝑉𝑙𝑖𝑞 𝑑𝑃𝑣𝑎𝑝 𝑃𝑣𝑎𝑝 . En intégrant entre l’infini (surface plane) et un rayon fini r, on obtient la loi de Kelvin (équation 2.4):

𝑙𝑛(𝑃𝑣𝑎𝑝 𝑃0 ) = 2𝛾𝑙𝑖𝑞 𝑣𝑎𝑝⁄ 𝑟 𝑉𝑙𝑖𝑞 𝑅𝑇 [2.4]

La pression à maintenir pour qu’une goutte (de rayon r) survive, excède la pression d’équilibre par la quantité donnée par l’équation de Kelvin, et stipule que les petites gouttes auront une pression de vapeur plus grande que les grosses gouttes. Enfin, s’il est impossible de maintenir une forte pression, l’abaissement de température est favorable à la stabilisation des petites gouttes. La pression de vapeur saturante étant plus faible, la sursaturation devient assez forte pour stabiliser la goutte.

2.3.1.2 L’énergie de surface des solides

Un raisonnement analogue s’applique aux solides. Évidemment, la géométrie arborée n’est pas une sphère puisque l’énergie de surface est trop faible pour déformer celui-ci et qu’un solide est essentiellement indéformable. À l’inverse des liquides qui arborent une tension de surface équivalente sur tout leur ensemble, l’énergie totale de surface des cristaux dépend de leur morphologie (i.e. des faces exposées). Chaque plan cristallin a sa propre énergie de surface à cause de l’orientation des

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molécules et de leur densité surfacique. Le cristal ayant l’enthalpie libre la plus faible (la forme d’équilibre) sera celui dont la morphologie expose les faces (de superficie 𝐴𝑖) dont la somme des

énergies de surface est minimale (∑ 𝛾𝑖 𝑖𝐴𝑖). Dans le cas de la glace, la plaque hexagonale est

généralement la forme la plus stable, exhibant majoritairement la surface basale, la plus faible en énergie de surface.

Il est plus commun néanmoins, de voir les effets de la tension de surface lors du dépôt d’un liquide sur un substrat solide par exemple. De ce concept émerge le phénomène de mouillage, autrement dit de l’étalement du liquide sur une surface.