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Électricité et développement

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 35-40)

1.2 L’électrification rurale décentralisée : un moyen de réduire la pauvreté en Afrique

1.2.1 Électricité et développement

De manière générale, l’énergie est indissociable du développement (Klugman, 2011). La consom-mation totale d’énergie primaire a ainsi plus que doublé en 40 ans, avant tout liée à l’industrialisation et donc au développement économique (Van der Hoeven, Maria, 2012). En effet, si nous avons pu voir, dans le TABLEAU1.4, que l’IDH était fortement corrélé à la consommation énergétique, primaire ou électrique, il est important de faire la distinction entre parangons sociaux et parangon économique sous-tendant l’indicateur. Si l’énergie primaire entretient la croissance économique, nous allons en effet voir que l’électricité semble avant tout jouer un rôle central dans l’évolution des critères d’édu-cation et de santé du développement humain, ainsi que dans l’amélioration du confort de vie indivi-duel. Bien que ce ne soit pas leur unique application, une part importante des énergies renouvelables concerne la production d’électricité et, même si cette thèse ouvrira des pistes de réflexion sur d’autres applications possibles, c’est la thématique de l’électrification qui nous intéressera de prime abord.

1.2.1.1 Place de l’électricité dans les sociétés modernes

De toutes les énergies, l’électricité est probablement celle qui représente le mieux l’état de déve-loppement d’un pays, et l’avènement de celle-ci à la fin du XIXièmesiècle a sans aucun doute profon-dément bouleversé la face du monde pour toujours (Huacuz et Gunaratne, 2003). Si la consommation individuelle d’énergie aura augmenté au cours des siècles avec la technologie développée dans le but de simplifier les activités quotidiennes de l’être humain, l’éclosion de l’ère moderne n’aura, en effet, été véritablement rendue possible qu’avec le développement de l’énergie électrique.

La découverte des phénomènes électriques, le développement du courant alternatif permettant de transporter l’électricité sur de longues distances et, ainsi, l’émergence d’une énergie « propre » sur son lieu de consommation et d’une grande souplesse d’utilisation, auront, en effet, grandement contribué à la vie moderne telle que nous la connaissons. Ces caractéristiques auront sans aucun doute assuré son succès, car, si la part de l’électricité dans l’énergie finale ne représentait que 2 % en 1940, elle s’élève aujourd’hui à 17 % et sa pénétration du secteur énergétique est en constante progression, son taux de croissance moyen étant supérieur à celui de la consommation d’énergie primaire (Ben Ahmed et al., 2011). Il est à noter que la production électrique reste toutefois très énergivore, consommant ainsi annuellement plus du tiers de l’énergie primaire mondiale.

Aujourd’hui, le confort de vie semble indissociable de l’électricité. L’éclairage, les systèmes de réfrigération ou de climatisation, les moyens de communication et d’information, les outils multi-médias, et de manière plus générale, tous les appareils modernes rendant la vie plus sûre et plus confortable ne peuvent exister sans électricité. Autant de services fondamentaux assurant le dévelop-pement et le bien-être des populations tels que l’éducation, l’extraction et le traitement de l’eau ou 18

1.2L’électrification rurale décentralisée : un moyen de réduire la pauvreté en Afrique subsaharienne encore les centres médicaux ne peuvent fonctionner convenablement ou se développer sans énergie électrique.

1.2.1.2 Accès à l’électricité

Si l’électricité a contribué à la modernisation de la vie dans les pays riches, toutes les populations du monde n’en bénéficient pas de la même façon et la disparité géographique des taux d’électrification est ainsi fortement dépendante du niveau de développement des régions considérées.

En 2009, le taux d’électrification des économies de transition et des pays de l’OCDE était ainsi de 99,8 % contre 74,7 % aux pays en développement (Birol, 2011) ; au total, ce sont 1,3 milliard de per-sonnes qui n’avaient pas accès à l’électricité. Cependant, afin d’appréhender de manière plus globale la problématique de l’approvisionnement énergétique dans les pays en développement, le seul taux d’électrification n’est pas suffisant. Il est en effet nécessaire de prendre en compte une autre donnée géographique, à savoir la répartition des populations entre zones urbaines et zones rurales. Ainsi, en 2011, le taux d’urbanisation des régions les plus développées était de 77,7 %, soit respectivement 72,9 % en Europe, 82,2 % en Amérique du Nord, 88,7 % pour la zone Australie/Nouvelle-Zélande et 91,3 % au Japon (United Nations, 2012c). À l’opposé, le taux d’urbanisation des régions les moins développées de la planète s’élevait, dans le même temps, à 46,5 %, parmi lesquelles les PMA et l’Afrique subsaharienne présentaient des taux de 28,5 % et 36,6 %, respectivement. Au total, ce sont plus de 3 milliards de personnes, soit quasiment la moitié des habitants de la planète (≈47,9 %), qui vivent encore en zone rurale aujourd’hui. Si l’on met ces chiffres en relation avec le taux d’électrifi-cation, on constate alors que 80 % des êtres humains n’ayant pas accès à l’électricité dans le monde vivent en milieu rural.

93%

31%

68%

94%

91%

465

121

446 48

150 32

26 4

21 2

Population rurale sans électricité (million) Population urbaine sans électricité (million) Taux d’électrification (%)

Population mondiale sans électricité

2009 : 1.3 milliard d’individus

FIGURE1.4 – Population vivant sans électricité dans le monde en 2009 (Birol, 2006, 2011).

Chapitre 1 :Énergies renouvelables et électrification décentralisée en Afrique subsaharienne

La FIGURE 1.4 résume ce contexte spécifique, avec, pour chaque zone, rurale ou urbaine, et pour chaque région du monde, excepté les régions les plus développées considérées comme totalement électrifiées, le nombre d’individus vivant sans électricité. On y observe clairement la prééminence des populations urbaines sur les populations rurales dans l’accès à l’électricité. Par ailleurs, on constate que l’Afrique subsaharienne demeure, avec un taux d’électrification de seulement 31 % et une capa-cité de production d’électricapa-cité par personne toujours semblable à celle des années 1980 (Klugman, 2011), la région la moins électrifiée dans le monde, réunissant ainsi presque la moitié de la popu-lation totale vivant sans accès à l’électricité. Enfin, avec 465 millions d’individus sans électricité, le taux d’électrification des populations rurales de la région est de loin le plus faible de la planète, avec 14,2 % contre 63,2 % dans les pays en développement dans leur ensemble et 68 % dans le monde.

1.2.1.3 L’électrification comme vecteur du développement humain

Le TABLEAU 1.4 donnait déjà un aperçu des conséquences engendrées par l’accès restreint à l’électricité et, de manière générale, à l’énergie sur le développement humain des populations. Si nous étudierons par la suite les disparités qui existent entre populations urbaines et rurales, il nous faut d’abord nous intéresser au maillon essentiel que représente l’électrification dans la longue chaîne du développement.

L’amélioration des conditions de vie dans un grand nombre de pays, c.-à-d. l’accroissement de l’IDH et donc du développement humain, nécessiterait, en effet, l’augmentation de leur consom-mation électrique par un facteur de 10 ou plus (Hegedus et Luque, 2003). À partir des valeurs de la consommation annuelle d’électricité par tête de chaque pays issues du TABLEAU 1.4, et d’après l’exemple de Hegedus et Luque (2003), la FIGURE1.5 représente graphiquement la forte corrélation qui existe entre l’IDH et la consommation individuelle en énergie électrique. On retrouve au sein de cette figure la fracture énergétique déjà décrite dans la section 1.1 et qui sépare les pays faiblement développés, en majorité issus d’Afrique subsaharienne, des pays les plus développés, essentiellement ceux qui sont membres de l’OCDE et de l’IEA.

Afin d’évaluer plus distinctement l’impact que peut avoir l’accès à l’électricité sur le développe-ment humain, en particulier dans les zones les plus faibledéveloppe-ment développées, on préférera s’intéresser au pendant structurel de celui-ci, à savoir la pauvreté multidimensionnelle (Klugman, 2010), et à son indicateur spécifique, l’indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM). En effet, là où l’IDH donne un aperçu global de l’état de développement d’un pays, l’IPM indique en plus la part de la population qui souffre de privations ainsi que l’intensité de ces privations (Klugman, 2010) dans les trois dimen-sions, déjà définies pour le développement humain, que sont l’éducation, la santé et le niveau de vie.

À l’heure actuelle, la mesure de pauvreté la plus fréquemment rencontrée est la pauvreté monétaire (Klugman, 2010), définie selon un seuil de revenu national, jugé adapté à un pays par ses autorités, ou une norme internationale (1,25 $ par jour). Cependant, la définition de l’IPM, comme celle de l’IDH, apparait moins subjective, car pas seulement dépendante de cette dimension économique, le nombre d’individus atteints de pauvreté multidimensionnelle étant d’ailleurs souvent supérieur à celui vivant sous le seuil de pauvreté monétaire et ce d’autant plus que l’IDH du pays considéré est faible.

Par ailleurs, de manière cohérente, l’IPM tend à augmenter lorsque l’IDH diminue, impliquant que l’éradication de la pauvreté multidimensionnelle constitue donc l’une des bases du développement humain, d’autant plus si elle touche une majorité d’individus, comme c’est le cas en Afrique subsa-harienne. En effet, si, aujourd’hui, ce sont quelques 1,75 milliard d’individus qui sont touchés par la pauvreté dans plusieurs dimensions dans le monde, on en recense 458 millions dans cette région, soit plus de 50 % de la population. Enfin, si on constate globalement que l’absence d’électricité est plus 20

1.2L’électrification rurale décentralisée : un moyen de réduire la pauvreté en Afrique subsaharienne

Consommation annuelle d’électricité par habitant (MWh)

Indice de Développement Humain

Ethiopie Cameroun

République Démocratique du Congo Egypte

FIGURE1.5 – Évolution de l’IDH avec la consommation d’électricité par tête (2009).

marquée au sein des populations pauvres dans plusieurs dimensions, l’Afrique subsaharienne est de loin la région la plus touchée avec plus de 60 % de la population atteinte de pauvreté multidimension-nelle qui n’est pas électrifiée (Klugman, 2010, 2011).

L’impact d’une électrification future se mesure à l’aune des difficultés actuelles engendrées par le manque d’accès à l’électricité, mesurées de manière plus ou moins directe par l’IDH et l’IPM, ainsi que par les expériences concrètes qui ont déjà été menées sur le terrain, dans différents pays en développement (Huacuz et Gunaratne, 2003 ; Klugman, 2011). En premier lieu, au niveau du cadre conceptuel défini par le PNUD, on peut observer que l’électricité intervient de manière directe ou indirecte sur la plupart des 10 indicateurs qui composent les trois champs de la pauvreté multidimen-sionnelle. La FIGURE1.6 décrit ces indicateurs, dont la taille des parallélogrammes les représentant indique leur pondération dans le calcul global de l’IPM et dont les seuils sont répartis de la manière suivante (Klugman, 2010) :

— 6 seuils représentant le niveau de vie du ménage considéré, et correspondant à la possession d’un nombre limité de biens, à une habitation avec des sols en terre, à l’absence d’électricité, au non-accès à de l’eau potable propre et à des moyens d’assainissement adéquats, et à l’utilisation de combustible de cuisine « sale » ;

— 2 seuils concernant l’instruction, et signifiant qu’au moins un enfant d’âge scolaire ne fréquente pas l’école et qu’aucun membre du ménage n’a achevé un cycle scolaire s’étendant sur 5 ans ;

— 2 seuils relatifs à la santé, et désignant le fait qu’au moins un membre du ménage souffre de malnutrition et qu’un ou plusieurs enfants sont décédés.

Si l’on observe attentivement chaque indicateur, on constate que l’électricité, de près ou de loin, peut jouer un rôle crucial. Au-delà même de son indicateur intrinsèque, elle peut en effet contribuer à l’emploi de cuisinières modernes plus propres, à l’accès à l’eau potable (pompage et filtrage), ou encore à l’utilisation de certains biens qui peuvent améliorer de manière significative le confort de vie, et dont l’acquisition est inutile si cette électricité n’est pas disponible. Sur le plan de l’instruc-tion, elle possède d’importants effets indirects, notamment par rapport aux précédentes constatations

Chapitre 1 :Énergies renouvelables et électrification décentralisée en Afrique subsaharienne

Enfants inscritsCombustible de cuisine

Lien direct, indirect ou partiel entre accès à l’électricité et indicateur considéré

Indice de pauvreté multidimensionnelle

FIGURE1.6 – Implication de l’électricité dans les indicateurs de l’IPM (Klugman, 2010).

touchant l’emploi de combustible de cuisine ou l’accès à l’eau ; le temps passé à récolter ces deux moyens de subsistance ralentit la progression de l’éducation et abaisse le taux de scolarisation, en particulier pour les filles, qui sont majoritairement impliquées dans ces tâches collectives. Comme exemple, on peut citer le cas du Malawi où, en zone rurale, celles-ci consacrent, en moyenne, plus de quatre heures hebdomadaires à récolter de l’eau et du bois, contre trois fois moins pour les gar-çons (Klugman, 2011). Dans un second temps, le déficit d’électricité entraine d’importantes carences dans l’éclairage individuel, et public, le contraste entre l’Afrique et l’Europe étant d’ailleurs flagrant sur des photographies satellitaires nocturnes des deux continents (Ahmed Aye, 2009). Ceci engendre alors, dans des pays où le soleil ne se couche pas après 18 ou 19 heures, une obscurité précoce qui réduit le temps disponible pour l’étude des plus jeunes. Enfin, dans le domaine sanitaire, même si le rôle de l’électricité y est probablement moins fondamental et plus difficile à quantifier, une mau-vaise nutrition peut aussi résulter de l’insuffisance de systèmes permettant de cuisiner dans de bonnes conditions, l’approvisionnement en combustible dans des environnements difficiles peut engendrer une dégradation de la santé physique, ou encore la mortalité infantile peut être une conséquence de l’insalubrité de l’eau, de privations dans l’alimentation ou encore du manque de moyens permettant de stocker convenablement certains vaccins. La FIGURE 1.6 résume par ailleurs cette implication multiple de l’électricité sur les indicateurs de la pauvreté multidimensionnelle.

On constate donc que l’incidence de l’absence d’électricité sur la pauvreté est très importante, les liens directs et indirects qui existent entre celle-ci et les privations subies par les populations considérées étant nombreux, bien que difficilement quantifiables, et démontre clairement que l’élec-trification devrait pouvoir contribuer à leur développement. Afin de définitivement s’en persuader, et aussi appréhender encore un peu plus la portée réellement multidimensionnelle de l’électricité, on peut s’intéresser aux nombreuses expériences de lutte contre la pauvreté qui ont été menées dans des pays en développement et qui, sans elle, n’auraient pas été réalisables. On peut évoquer, entre autres, les initiatives de Rodrigo Baggio et Fabio Rosa au Brésil, ou encore de Sanjit Bunker Roy en Inde. Le premier est à l’initiative de la démocratisation des moyens informatiques pour les jeunes des favelas de Rio de Janeiro, le second a créé, à Porto Alegre, une entreprise de location de panneaux solaires à destination des populations rurales (électrification de clôtures, irrigation, etc.) et, enfin, le dernier agit sur l’éducation des Indiens des milieux ruraux, notamment grâce à l’éclairage électrique provenant de systèmes photovoltaïques qui permet le fonctionnement des écoles à la tombée de la nuit (Darnil 22

1.2L’électrification rurale décentralisée : un moyen de réduire la pauvreté en Afrique subsaharienne et Le Roux, 2005).

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