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CHAPITRE 2. LA NOUVELLE-CALEDONIE : UN PAYS ET LA RENCONTRE ENTRE

2.1. Retour sur l’histoire de la Nouvelle-Calédonie

2.1.3. Élan de valorisation et reconnaissance de l’identité autochtone kanak

Quant à l'indépendance kanak : pour nous il y a ici un peuple indigène, c’est le peuple kanak. Nous voulons d’abord la reconnaissance de ce peuple et son droit à revendiquer l’indépendance de son pays. Ce n'est pas plus raciste que de parler de citoyenneté française. A l'intérieur de la notion d'indépendance on peut faire les aménagements que l'on veut. C'est un concept nationaliste mais pas exclusif. Ce n'est pas nous qui disons « les Blancs dehors ! », ce sont nos adversaires qui ont cette interprétation. Être nationaliste n'est pas du racisme. Mais l'indépendance dite « pluri-ethnique » présente l'inconvénient de ne pas faire référence au nationalisme (Tjibaou 1996 : 129)

L'histoire de la Nouvelle-Calédonie est ainsi marquée par des périodes de crises et de contestations de l'ordre colonial avec des révoltes kanak pour la reconnaissance de leur identité et de leurs droits. La fin du 19e siècle est dans ce contexte un tournant décisif. Devant l’abus et la déstructuration de la culture et des valeurs de son peuple, Ataï, Grand Chef kanak de Komale, sera le premier à s’opposer à la colonisation durant l'Insurrection de 1878 (Merle 1995, Angleviel 2006). Ce conflit sera violent, la contestation se faisant par les armes et les pouvoirs publics français seront une cible directe. On recense ainsi les attaques d'une gendarmerie ou de pénitenciers sur les côtes Est (Canala) et Ouest (La Foa). Les militaires et forces de l'ordre interviendront appuyés par une police indigène mise en place par l'administration française à la même époque et réprimeront les tentatives de révoltes.

Une fois l'Insurrection avortée, Ataï sera tenue pour responsable des événements et sera capturé, l'autorité française voyant dans cette victoire une démonstration de son pouvoir vis-à-vis du soulèvement des autochtones.

Le geste du Chef de l'Insurrection qui restera probablement le plus symbolique dans l'histoire de l'archipel est sa rencontre avec le gouverneur français Léopold de Pritzbuer en 1878. Devant ce dernier, il déversa un sac de terre en disant « Voilà ce que nous avions » puis un sac de pierre avec pour conclusion, « Voilà ce que tu nous laisses ». Il deviendra et est encore aujourd'hui une figure emblématique de la lutte kanak. L'Insurrection prendra fin en cette même année, la Nouvelle-Calédonie restera sous tutelle française et son développement s'accentuera. Les terres qui ne seront pas des réserves indigènes seront dès lors la propriété des Européens. Les décisions prises tenteront malgré tout d'atténuer les tensions, avec la reconnaissance des tribus ou des clans répartis sur les réserves attribuées. Le statut coutumier des terres ne sera toutefois pas encore véritablement reconnu à cette époque (Trépied 2012).

Durant la première moitié du 20e siècle, des conflits opposeront la population autochtone au gouvernement français et cette période de crise se terminera après la Seconde Guerre Mondiale (1939-1945) et la suppression du régime de l'indigénat (1946). A partir de ce moment, l'archipel acquiert le statut de Territoire d'Outre-mer, la nouvelle constitution proclamée par la France sous la IVe République met fin à la colonisation proprement dite (Faberon et Hage 2010), mais non pas aux relations coloniales. Les Kanak seront dotés de la citoyenneté et certains obtiendront le droit de vote. On assistera alors à l'émergence de partis politiques kanak soutenant la liberté ou encore les droits du peuple kanak face à l’État français. Seront créés l'UICALO (l'Union des Indigènes Calédoniens Amis de la Liberté dans l'Ordre) et l'AICLF (l'Association des Indigènes Calédoniens et Loyaltiens Français). Ces deux partis se regroupant en 1953 pour former l'UC (l'Union Calédonienne), un seul parti prônant en faveur d'un consensus avec pour devise « Deux couleurs, un seul peuple » (Faberon et Hage 2010).

Le vote se conclura par une majorité de oui en faveur du maintien, approchant les 98% (Faberon et Hage 2010). Parallèlement à cette décision politique, le développement de la Nouvelle-Calédonie s'accentuera avec le « boum du nickel » et une forte immigration liée à

cette période de prospérité. L'ensemble de la Nouvelle-Calédonie et ses activités seront impactés par cette nouvelle donne économique qui durera de 1969 à 1972. Les Kanak qui étaient encore majoritaires (environ 60% de la population totale) sur l'archipel jusque dans les années 1950 deviendront minoritaires (environ 40%, ce qui est encore le cas aujourd'hui avec 44%) et ne seront que très partiellement impliqués ni même bénéficiaires de cette récente conjoncture.

Ces derniers éléments figureront parmi les revendications premières du peuple kanak, dans le sens où devant ces constats on verra alors s'amorcer les mouvements indépendantistes. Ceux-ci se traduiront par la suite comme des « mouvements libératoire des peuples non autonomes » (Bertram 2010 : 122) où l'on soutiendra que l'existence et l'affirmation du peuple kanak doit passer par son émancipation face aux allochtones. Le mouvement nationaliste s’intensifiera à partir de 1975 avec le regroupement de deux partis indépendantistes et davantage radicaux, les Foulards Rouges et le Groupe 1878, qui formeront le PALIKA (Parti de Libération Kanak). Cette période de tensions (1974-1976) verra la multiplication des protestations contre la présence française et ne s’atténuera pas dans la décennie suivante. Les années 1980 marquent en effet un nouveau tournant concernant le statut et l'identité kanak.

Durant cette période, les populations autochtones vont contester l'ordre établi dans une série de révoltes communément appelée « les Événements ». Stimulés par une volonté de reconnaissance et de revalorisation de leur identité, on va notamment faire valoir l'antériorité sur le territoire et leurs droits comme premiers occupants. Créé depuis 1984, le FLNKS (Front de Libération Kanak Socialiste) va être porteur du mouvement et les revendications soulevées ont été résumées de manière exhaustive dans l'extrait suivant :

Deux vecteurs puissants, dans une société où les clans sont nombreux, où l'idée de nationalisme est encore balbutiante, s'avèrent constructifs dans la revendication des Mélanésiens. En effet, dans cette Nouvelle-Calédonie où vingt-huit langues vernaculaires sont répertoriées, où les variantes coutumières existent puisque l'on dénombre huit aires coutumières, l'unification de la revendication identitaire doit au préalable s'appuyer sur des valeurs communes, transversales, que sont le culturel et le foncier (étant bien observé en préalable que la dimension foncière de la société kanak constitue déjà un de ses fondements culturels). La reconnaissance culturelle de l'immatériel, aussi importante qu'elle puisse être, n'est pas suffisante en elle-même. Un autre vecteur qui revêt un aspect plus matériel, plus palpable et tout aussi important, nécessaire pour structurer la revendication des Kanak : le foncier. Cette question

(…) Il est vrai aussi que l'émergence du concept indépendantiste a également constitué une base économique et une base sociale. L'ethnie mélanésienne ne bénéficie pas des retombées économiques de l'exploitation du nickel et les promotions au sein de l'Administration ne sont pas à la hauteur de leurs espérances. Mais ces deux facteurs n'ont pas la même prégnance que ceux du foncier et du culturel (Bertram 2010 : 123-124).

Les affrontements vont dégénérer en insurrection quasi généralisée entre 1984 et 1988, année pendant laquelle aura lieu notamment la prise d'otages d'Ouvéa. En réaction au nouveau statut proposé par le ministre de l'Outre-Mer Bernard Pons et au maintien de la

Nouvelle-Calédonie dans la France, des indépendantistes kanak vont attaquer une

gendarmerie sur l'île d'Ouvéa. Trois gendarmes seront tués lors de l’assaut et vingt-sept autres seront pris en otage dans la grotte de Gossanah. L'intervention politique puis militaire se conclura par la force armée faisant des morts des deux côtés. Cet événement est le plus meurtrier de la contestation kanak. Par la suite, le gouvernement français décidera d'atténuer les tensions et de rendre une certaine dignité aux populations autrefois marginalisées.

Le premier ministre français, Michel Rocard, déclarera une "mission du dialogue" qui aboutira à la signature des Accords de Matignon le 26 juin 1988. Le texte est sans précédent dans l'histoire de la République française, entamant ainsi un cadre, ou plutôt un processus de décolonisation fondé sur le transfert progressif des compétences de l'État français à la Nouvelle-Calédonie. L'une des réformes de ces accords consiste en un découpage territorial combinant une subdivision administrative et une subdivision autour des aires coutumières traditionnelles. La Province Nord, la Province Sud et la Province des Îles Loyautés seront établies à partir de ce moment (voir annexe 2). La Province Nord et la Province des Îles, qui sont majoritairement peuplées par les Kanak, seront dans ce contexte sous leur autorité. Ces provinces vont bénéficier d'une décentralisation des structures bureaucratiques, d'un accès plus important aux formations et à l'acquisition de compétences et se verront accorder 75% des investissements publics locaux (Winslow 1995).

Cette nouvelle configuration géopolitique est aussi une manière d'illustrer une volonté de rééquilibrage sur le territoire et d'un accès à une participation accrue de la population locale dans les affaires du pays. Aussi, l'attachement prononcé des Kanak à certaines valeurs

autorités kanak, notamment par le biais du parti indépendantiste, le FLNKS, prônent une exploitation du patrimoine naturel de l'archipel pour le bien collectif. En 1995, Donna Winslow souligne un élément clé de la stratégie politique en place et remarque que :

depuis les vingt dernières années, on observe l’émergence d’une élite kanak qui adopte une valeur de la nature comme moyen de parvenir à leurs buts - s’affranchir de la France. L’utilisation de l’environnement est maintenant perçue comme une façon de concrétiser un objectif spécifique, par exemple s’approprier les titres de propriété des mines de nickel pour obtenir leur indépendance économique (Winslow 1995: 19).

L'investissement des Mélanésiens sur ces diverses questions et l'échéance prévu pour les Accords de Matignon va aboutir à la signature de l'Accord de Nouméa en 1998. Cette nouvelle législation, constituée comme un prolongement du premier accord, se voit dotée d'une reconnaissance et d'une considération plus ponctuées à l'égard de la culture et de l'identité kanak. La condition phare de l'Accord de Nouméa est qu'il projette un transfert progressif de souveraineté sur le territoire, sauf pour les compétences régaliennes. On parle d'une souveraineté partagée jusqu'au référendum pour l'autodétermination prévu pour 2018. Le texte revient sur la période coloniale et ses excès, sorte de mea-culpa de l'État français à l'attention de la population autochtone (Angleviel 2006, Demmer 2007). Son préambule met l'accent sur la reconnaissance de l'organisation sociale kanak en soulignant notamment le rapport à la terre et la relation entretenue avec celle-ci au sein du clan.

Cette réaffirmation identitaire passera également par une stratégie socio-politique qui tente de rétablir un équilibre entre dominants et dominés et de minimiser les tensions communautaires en envisageant une politique de « destin commun ». La loi organique de 1999 consacre cette décision sur le plan juridique et approuve la création d'un Congrès et d'un gouvernement local pour la législation du pays et donc un accès dorénavant reconnu dans le domaine des politiques formelles pour le peuple autochtone (Demmer 2007). Ainsi, au cœur du processus qui a mené à la reconnaissance de l'identité kanak, le rapport à la terre a été le fer de lance des revendications autochtones. La valorisation identitaire est passée et passe encore aujourd'hui par une valorisation des aspects inhérents au territoire :

Aussi la terre est-elle devenue le fondement de la revendication identitaire, qui se transforme dans les années 1970 en revendication pour l'indépendance kanak et socialiste. Néanmoins, malgré l'opposition qui s'est développée entre la conception occidentale de la terre et celle des Kanaks, quelque chose de la