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«S'il n'y avait plus la coutume, il n'y aurait plus les Kanak» : un rapport complexe entre conservation et développement du territoire (Commune de Yaté, Nouvelle-Calédonie)

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Texte intégral

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« S'il n'y avait plus la coutume, il n'y aurait plus les

Kanak »

Un rapport complexe entre conservation et développement du

territoire (Commune de Yaté, Nouvelle-Calédonie)

Mémoire

Jordan Nonnon

Maîtrise en Anthropologie

Maître ès Arts (M.A.)

Québec, Canada

© Jordan Nonnon, 2018

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« S'il n'y avait plus la coutume, il n'y aurait plus les

Kanak »

Un rapport complexe entre conservation et développement du

territoire (Commune de Yaté, Nouvelle-Calédonie)

Mémoire

Jordan Nonnon

Sous la direction de :

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RESUME

Ce mémoire est construit autour de la notion de territoire et de ce que celui-ci représente chez les Kanak de Nouvelle-Calédonie. Peuple autochtone de l'archipel, les Kanak sont intimement liés à la terre qu'ils occupent et celle-ci devient le support premier de l'identité du groupe et de son histoire. L'organisation sociale, le rythme de vie ainsi que les représentations autochtones sont issues pour la plupart de la relation entretenue avec le territoire. Face à une telle configuration, on ne peut dissocier l'être humain de son espace d'origine.

Suite à la colonisation et à l'évolution historique de l'archipel, la société kanak va connaître de nombreux bouleversements, tant sur les plans socioculturel et politique que religieux. Or, force est de constater que bon de nombres de traits caractéristiques de la tradition ont su être préservés, valorisés et même réactualisés au fil du temps et ce, à travers la coutume. Face au contexte développementaliste actuel, les Kanak s’approprient les outils de la modernité et tâchent de faire entendre leur voix aux niveaux local et national, tout en affirmant leur identité, leur culture et leur volonté de composer avec les acteurs du développement.

Le mémoire analyse les relations et les interactions entre autochtones et allochtones autour de la gestion du territoire et de ses ressources dans la commune de Yaté, au Sud de la Nouvelle-Calédonie. Il met l’accent sur les pratiques et les attentes du peuple kanak en lien avec les enjeux suscités à la fois par la présence des autres groupes d’acteurs et d’intérêts dans la région et par la difficulté de concilier la conservation et le développement du territoire.

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ABSTRACT

This master thesis is constructed around the notion of territory and what the latter represents for the Kanak of New-Caledonia. As the Indigenous people of the archipelago, the Kanak are intimately linked to the land they occupy which thus becomes the primary underpinning of the group’s identity and history. The social organization, the rhythm of life as well as the indigenous representations are mostly derived from the manifold relationship they maintained with the territory. In such configuration, one cannot dissociate a human being from his mound.

As a result of colonization and the historical evolution of the archipelago, Kanak society has undergone major transformations at the social, cultural, political and religious levels. However, one has to admit that many of the specific features of their tradition and custom have been preserved, valued and even revised in the course of time. Faced with the current developmental context, the Kanak appropriate for themselves the tools of modernity and try to make their voices heard at the local and national levels, while asserting their identity, their culture and their willingness to deal with the actors of development.

The thesis analyzes the relationships and interactions between Indigenous and non-Indigenous people around the management of territory and its resources in the commune of Yaté in southern New-Caledonia. It focuses on the practices and expectations of the Kanak people in relation with the issues raised by the presence of the other groups of actors and interests in the region and by the difficulty to conciliate the conservation and the development of the territory.

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TABLE DES MATIERES

RESUME ...III ABSTRACT...IV TABLE DES MATIERES...V LISTE DES ANNEXES...VII LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES...VIII REMERCIEMENTS...XI

INTRODUCTION GENERALE...1

CHAPITRE 1. CADRE CONCEPTUEL...7

1.1. La reconnaissance des peuples autochtones : perceptions et stratégies...9

1.2. Sociétés humaines et environnement naturel : appartenance ou propriété ?...15

1.3. La gestion des territoires et des ressources naturelles : enjeux et défis...20

Conclusion...27

CHAPITRE 2. LA NOUVELLE-CALEDONIE : UN PAYS ET LA RENCONTRE ENTRE DEUX MONDES...28

2.1. Retour sur l’histoire de la Nouvelle-Calédonie...30

2.1.1. La période des premiers contacts : de l’accueil à l’incompréhension...30

2.1.2. Une colonie en développement et une déstructuration de la culture kanak...35

2.1.3. Élan de valorisation et reconnaissance de l’identité autochtone kanak...39

2.2. Retour sur les événements récents et actuels de la Nouvelle-Calédonie...44

2.2.1. Le foncier en Nouvelle-Calédonie : terres coutumières et terres domaniales...44

2.2.2. Industrie minière et politique du rééquilibrage : aspects socio-économiques.. 49

2.2.3. La légitimation de la coutume : fer de lance de l’identité kanak...52

Conclusion...55

CHAPITRE 3. METHODOLOGIE ET DEMARCHES DE LA RECHERCHE...56

3.1. Des hypothèses de départ vers notre terrain d’étude : la commune de Yaté...57

3.2. L’IRD et le projet NERVAL...60

3.3. Questions de recherche...63

3.4. Enquête et matériels ethnographiques...65

Conclusion...72 V

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CHAPITRE 4. LA COMMUNE DE YATE : UN PEUPLE ET SA « COUTUME » FACE A

L'HISTOIRE...73

4.1. Retour sur l’histoire de la commune de Yaté : les premiers contacts et la réorganisation socio-spatiale des Kanak...75

4.2. Organisation socio-territoriale du monde kanak : la coutume, le clan et la transmission des savoirs...79

4.3. Une appartenance fondée sur le territoire : un mythe associant l'humain et la terre...86

4.4. Regards actuels sur les habitants des tribus du sud-est de la commune de Yaté...91

Conclusion...98

CHAPITRE 5. ENVIRONNEMENT ET TERRITORIALITE : VERS UNE AUTONOMIE ECONOMIQUE...100

5.1. La régulation du foncier sur les terres coutumières : un rapport complexe entre développement et conservation...103

5.2. Une démarche écologique et compensatoire face à l'exploitation minière :...109

5.3. Préserver l'environnement et développer l'écotourisme...116

Conclusion...124

CONCLUSION GENERALE...126

BIBLIOGRAPHIE...130

ANNEXE 1 : Situation et localisation de la commune de Yaté...137

ANNEXE 2 : Carte politique des provinces et des communes de Nouvelle-Calédonie....138

ANNEXE 3 : Carte de la répartition des régimes fonciers en Nouvelle-Calédonie et dans la commune de Yaté...139

ANNEXE 4 : Récapitulatif des participants aux entretiens...141

ANNEXE 5 : Grille d'entretien semi-dirigé utilisé auprès de la population kanak...143

ANNEXE 6 : Récapitulatif des thématiques abordées lors des entretiens...144

ANNEXE 7 : Carte du périmètre RAMSAR dans le Sud calédonien...145

ANNEXE 8 : Carte des aires coutumières et des communes de Nouvelle-Calédonie...146

ANNEXE 9 : Organisation de la Grande Chefferie...147

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LISTE DES ANNEXES

ANNEXE 1 : Situation et localisation de la commune de Yaté. ANNEXE 2 : Carte politique des provinces de Nouvelle-Calédonie.

ANNEXE 3 : Carte de la répartition des régimes fonciers en Nouvelle-Calédonie. ANNEXE 4 : Tableau récapitulatif des participants aux entretiens.

ANNEXE 5 : Grille d'entretien semi-dirigé utilisée auprès de la population kanak. ANNEXE 6 : Thématiques retenues et abordées lors des entretiens.

ANNEXE 7 : Le périmètre RAMSAR dans le Sud calédonien.

ANNEXE 8 : Carte des aires coutumières et des communes de Nouvelle-Calédonie. ANNEXE 9 : Organisation de la Grande Chefferie.

ANNEXE 10 : Mariages ou chemins coutumiers entre clans.

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LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES

ADEVY : Agence de Développement de Yaté

ADRAF : Agence de Développement Rural et d'Aménagement du Foncier AICLF : Association des Indigènes Calédoniens et Loyaltiens Français BMCP : Bulletin Médical Calédonien et Polynésien

CCCE : Comité Consultatif Coutumier pour l'Environnement CFP : Communauté Financière du Pacifique

FLNKS : Front de Libération Kanak Socialiste GDPL : Groupement de Droit Particulier Local

GRED : Gouvernance, Risque, Environnement, Développement GRNC : Grande Randonnée de Nouvelle-Calédonie

IRD : Institut de Recherche et Développement

ISEE : Institut de la Statistique et des Études Économiques IUCN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature KNS : Koniambo Nickel SAS

LMS : London Missionnary Society

NERVAL : Négocier, Évaluer et Reconnaître la Valeur des Lieux

OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Économiques OIT : Organisation Internationale du Travail

PALIKA : Parti de Libération Kanak SAS : Société à Actions Simplifiées SLN : Société Le Nickel

SMSP : Société Minière du Pacifique Sud UC : Union Calédonienne

UNESCO : Organisation des Nations-Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture UICALO: Union des Indigènes Calédoniens Amis de la Liberté dans l'Ordre

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Les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de l’auteur et ne sauraient en aucun cas engager l’Université Laval, ni le directeur de mémoire.

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A ma famille. A mes parents,

A mon frère et ma belle- sœur, A Liam, la nouvelle recrue de choc

Et enfin, à Émilie qui est toujours à mes côtés et ce, pour mon plus grand bonheur.

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REMERCIEMENTS

Ce travail n'aurait jamais pu aboutir sans le suivi et le soutien de ma directrice de recherche Sylvie Poirier que je tiens à remercier ici tout particulièrement. Je n'ai pas été l'étudiant le plus communiquant durant ce long travail et malgré cela, j'ai toujours trouvé réponse à mes questions, de précieux conseils et la motivation qui pouvait parfois me manquer pour aller au bout de cette expérience. La patience, la confiance et l'érudition de ma directrice m'ont sans nul doute permis de réaliser ce travail. Merci encore.

Je tiens également à remercier la famille Ouetcho de la tribu de Touaourou, qui m'ont ouvert leur porte pour le travail de terrain. La gentillesse, l'accueil, l'intérêt porté au projet et la somme conséquente de connaissances qu'ils ont partagées avec moi m'ont permis de découvrir bien des choses et de me passionner par le travail effectué. Le terrain en anthropologie peut être une étape complexe et parfois délicate pour un étudiant mais grâce à leur implication et à leur aide, j'ai pris beaucoup de plaisir à partager tout cela avec eux.

Je remercie aussi toutes les personnes de la commune de Yaté qui ont participé aux entretiens. Merci pour votre investissement et pour les moments partagés. Merci à tous ceux qui ont participé directement ou indirectement à ce travail, c'était une expérience formidable.

Enfin, je remercie Pierre-Yves Le Meur pour m'avoir permis de réaliser un stage au sein de l'IRD de Nouméa. Un grand merci pour l'accueil, le suivi et pour toutes les choses apprises au sein de l'équipe. Ce stage fût plus qu'enrichissant tant au niveau personnel que professionnel et a été une des pièces maîtresse de ce travail. J'en profite pour remercier Marlène Degremont, doctorante à l'IRD, qui a été une « voisine de bureau » hors pair avec qui j'ai tout autant appris que ris. Ça a été un soutien certain durant cette étape.

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INTRODUCTION GENERALE

« La maison c'est là, mais c'est tout ce qu'il y a autour aussi ». Durant le terrain réalisé pour cette étude, un de mes interlocuteurs kanak me faisait remarquer que ce qu'il considérait comme sa maison était son habitation mais également tout ce qui l'entourait. Cette phrase a été très influente pour la réflexion qui aura guidé ce mémoire. La maison, qui pour bon nombre d'entre nous renvoie à une bâtisse composée de quatre murs et un toit, si l'on prend le terme posé au premier degré, peut semble-t-il englober une réalité toute autre et bien plus large. Au même titre que la faune, la flore ou le paysage qu'il partage et expérimente, l'humain peut entretenir une relation étroite avec tout ce qui l’entoure et le « chez lui » devient le monde environnant. Chaque composante y détient une histoire, un rôle, un statut ou encore une identité (Deroche 2008, Bouquet-Elkaïm 2012).

Étudier et tâcher de comprendre l'autochtonie permet d'entrer d'une certaine manière dans cette réalité. « Autochtone » peut se traduire par « issu de la terre » et la notion donne déjà une idée de ce que cela peut représenter pour les groupes humains se revendiquant comme tel (Morin 2007). Être autochtone, c'est faire partie d'un groupe partageant à la fois un territoire et une expérience du monde, une expérience qui sera indissociable de l'occupation d'une terre ancestrale et dont les conceptions, les savoirs et les pratiques qui en résultent sont au fondement de la société (Deroche 2008). Le territoire est ici porteur de l'histoire et de la mémoire du groupe et dans cette intime relation qui est nouée, l'humain appartient à la terre, il n'en est donc pas le propriétaire (Leblic 2008, 2009).

Tenant compte de ceci, une des distinctions majeures entre une conception occidentale et une conception autochtone de la terre peut être précisée, avec la propriété d'un côté et l'appartenance de l'autre. C’est dire aussi que les distinctions entre les conceptions autochtones et non-autochtones du monde et du territoire ont alimenté les questions et les réflexions de ce mémoire. Rendre compte de ces différences culturelles et de ce que cela implique a fait l'objet d'un travail à la fois passionnant et très enrichissant.

Cette étude s'oriente dans cette perspective en s'appuyant sur des concepts tels que l'autochtonie, le territoire et l'environnement naturel, tout en tâchant de souligner les

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Entre la cohabitation de ces divers univers sociétaux, les problématiques impliquant le développement et ses multiples dimensions et les enjeux et défis autour de la question environnementale, ce mémoire s'intéresse au cas de la communauté kanak de Nouvelle-Calédonie et des stratégies mises en place pour l'obtention de droits et d'une participation croissante dans le débat autour de la gestion du territoire et de l'avenir du pays.

Comme mentionné ci-haut, la terre tient une place primordiale dans la société kanak, elle est au fondement de l'identité de la personne et du groupe. Organisée autour des principes et des valeurs attenantes à la tribu et au clan, la communauté kanak s'identifie au site hérité des ancêtres fondateurs et ce territoire en devient le principal repère. Appartenir à une terre revient à appartenir à un clan. Cette organisation socio-culturelle est également soutenue par la coutume, qui édicte d'une certaine manière les règles de conduite à la fois entre les humains eux-mêmes, qu'ils soient d'un même clan ou d'un clan extérieur, entre les humains et les êtres non-humains, visibles et invisibles, et entre les humains et la terre. Dans ce contexte, le territoire prend une signification tout à fait particulière et l'on ne peut quasiment pas parler de la culture kanak sans aborder les conceptions relatives à l’entité territoriale et les relations entretenues avec celle-ci. Outre les pratiques et les usages liés à la subsistance, le territoire est vital pour les Kanak, pour diverses raisons que nous allons exposer dans ce mémoire.

Suite aux aspects mentionnés dans cette brève présentation, il n'est nullement difficile de concevoir le fait que lors des premiers contacts avec les Occidentaux, à partir de 1774, la société et la territorialité kanak furent profondément bouleversées et parfois même totalement déstructurées. Lors de la colonisation, des déplacements massifs de population ont été orchestrés par l'administration coloniale et la prise de possession des territoires a ainsi mené à l'affaiblissement de la culture kanak. La perte d'un territoire peut être ici synonyme de la perte d'une identité et c’est pourquoi dans la lutte actuelle pour leur réaffirmation et leur reconnaissance, les Kanak valorisent leur rapport à la terre et à l'environnement naturel. Cet argumentaire a dans un premier temps été centré autour des traits socio-culturels autochtone, la tradition, la coutume et les conceptions kanaks étant en première ligne. Récupérer les terres spoliées durant la colonisation au nom du lien et des

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Dans le contexte actuel et devant l'avancée du développement, les revendications autochtones s'appliquent à concilier des enjeux culturels, politiques, économiques, sociaux et environnementaux et sans se détacher des fondements de la culture kanak. À titre d'exemple, respecter la nature revient à respecter les Ancêtres et dans ce cas, patrimoine naturel et patrimoine culturel sont reliés. De tels arguments sont mis de l'avant et l'intégration des Kanak aux logiques du développement moderne et aux préoccupations environnementales actuelles se fait par des stratégies mêlant la tradition à la modernité. Ce mémoire se penche sur le cas de la communauté kanak du Sud calédonien. La région à l'étude, la commune de Yaté, est un territoire où l'on note la présence de tribus kanak, de régimes fonciers différenciés et répartis entre les divers acteurs impliqués dans ce territoire, d'une entreprise extractive de minerai, la société VALE Nouvelle-Calédonie, exploitante des gisements de nickel dans la région et d'une biodiversité exceptionnellement riche. Cette biodiversité a d’ailleurs été reconnue par la mise en place d’un périmètre RAMSAR en 2014 et la reconnaissance du Grand lagon sud calédonien au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2008. La coprésence de ces différents groupes d’intérêt dans la région suppose la nécessité de trouver des terrains d'ententes entre les divers partis et selon les attentes et les « projets » de chacun. Le social, le développement et l'environnement y tiennent ainsi une place centrale.

Dans le chapitre 1, nous exposons le cadre conceptuel et théorique mobilisé durant la recherche. Cette partie s'érige autour des concepts de l'autochtonie, des rapports entretenus avec le milieu naturel par les sociétés humaines et des travaux menés en anthropologie des mines, dans le contexte de l'exploitation de territoires autochtones. Afin de mieux comprendre la situation kanak sur le plan local, il est intéressant de revenir sur la catégorie « autochtone », sur son évolution à travers le temps et sur les revendications qui ont mené à un statut qui est désormais reconnu et politiquement intégré. Nous verrons en première partie que la dénonciation d'injustice et d'une marginalisation prononcée à l'égard des peuples premiers a été fédératrice pour l'ensemble de ceux-ci, partageant et défendant une cause commune. L'affirmation et la reconnaissance de l'autochtonie ont en parallèle mis en

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La troisième partie présente les rapports qui peuvent être négociés entre les communautés autochtones et les acteurs du développement dans le cadre de la mise en exploitation d'un territoire qui serait occupé, que ce soit physiquement ou spirituellement. La valeur attribuée à la terre et ses ressources peut prendre des formes diverses, pouvant être culturelle, marchande ou encore affective, les négociations entre les différents acteurs impliqués vont faire émerger des discours mettant en avant les préoccupations, les attentes et les priorités de chacun. Nous verrons ainsi que des passerelles se créent entre le culturel, le social, le politique, l'économie et l'écologie dans ce débat autour de la gestion et de l'exploitation des ressources naturelles.

Le chapitre 2 revient sur le contexte historique de la Nouvelle-Calédonie, des premiers contacts à nos jours. Nous reviendrons sur l'arrivée des Occidentaux au sein de l'archipel et leur rencontre avec le peuple kanak. Afin de mieux comprendre les événements qui se sont déroulés, nous exposerons certains traits de la culture kanak et de son rapport au territoire dans le but de souligner en quoi la question foncière a pu être centrale durant la colonisation. La prise de possession du territoire, les spoliations foncières, les déplacements de populations, l'impact de l'immigration, l'exploitation économique des terres jusqu'aux revendications autochtones pour leur identité et leurs droits impliquent les problématiques liées au domaine foncier. La mise en contexte historique est nécessaire dans l'analyse des rapports établis entre allochtones et autochtones en Nouvelle-Calédonie et permet de saisir au mieux les difficultés et les enjeux sociaux, économiques, politiques et environnementaux qui s'observent actuellement au sein du pays.

Le chapitre 3 présente l'approche méthodologique mobilisée pour ce mémoire. Nous y présenterons la démarche ethnographique et les différentes étapes qui ont mené à la constitution des résultats exposés, des hypothèses de départ au choix de la zone à l'étude en passant par le déroulement des entretiens et l'observation. La recherche qualitative a pour but de traduire une réalité propre à une société et cette entreprise n'est pas toujours aisée. Les questions de recherches, les objectifs retenus, les grilles d'entretiens ou encore l’échantillonnage permettent de partir sur le terrain avec une idée préalable de la tâche à réaliser. Or, il faut admettre que lorsque confronté à la réalité du terrain, le chercheur doit être prêt à se soumettre à un questionnement constant et à revoir, pour certains points, son

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En ce sens, la méthodologie en anthropologie est essentielle mais ne doit pas être figée. Travailler avec l'humain demande un perpétuel effort d'adaptation, que ce soit selon la personne questionnée, le sujet abordé ou l'événement observé, le chercheur est amené à faire face à des émotions diverses, des refus ou des informations biaisées et bons nombres d'autres facteurs pouvant interférer dans le travail d'observation et d’analyse. C'est en cela qu'il peut être nécessaire de redéfinir ses objectifs et ses questions ; les individus approchés pouvant, par exemple, orienter les entretiens selon l'importance qu'ils accordent à tel ou tel élément, on peut par moments se sentir déstabilisé par la tournure des événements. Mais finalement, l’éventail d'outils et de méthodes que l'on peut mobiliser dans la recherche en anthropologie permet, dans bien des cas, de faire de ces imprévus des éléments complémentaires et enrichissants pour la suite du travail à effectuer. L'intérêt porté pour le projet, les méthodes d'analyse et les outils de l'enquête qualitative peuvent à certains moments être associés aux compétences créatives du chercheur, qui pourra déjouer les pièges du terrain et ainsi mener à bien son travail de recherche.

Le chapitre 4 s’intéresse à l’histoire de la commune de Yaté et à la culture kanak. Nous y détaillerons l'organisation sociale mélanésienne en présentant notamment les structures traditionnelles de la communauté autochtone avec entre autres la chefferie, le clan et les relations tissées au sein de la société. Pour ce faire, nous reviendrons dans un premier temps sur l'histoire de la commune de Yaté avec la période des premiers contacts. L'histoire de ces terres explique d'une certaine manière la configuration actuelle de la commune, en termes d'occupation notamment mais aussi en ce qui a trait aux changements qui ont pu s'opérer au sein de la société autochtone. Durant la colonisation, les populations kanaks ont été déplacées et regroupées sur les littoraux et de ce fait, de nombreux clans ont été arrachés de leur espace d'origine. Malgré cela, la survivance de la chefferie et de son organisation va permettre la pérennité de la société mélanésienne et de certaines de ses traditions. Nous détaillerons ceci dans ce chapitre, en nous appuyant sur l'organisation sociale et spatiale des Kanak du sud-est calédonien. Nous verrons comment se traduit le rapport entre la personne humaine, le clan, le mythe et son territoire et nous finirons par un regard plus contemporain sur la communauté.

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Dans cette région cohabitent l'usine de traitement de nickel, VALE Nouvelle-Calédonie, les tribus kanak du sud calédonien, un périmètre RAMSAR et un site patrimonial de l’Unesco. La proximité de la zone industrielle avec les zones habitées et celles à protéger a fait l'objet de nombreuses contestations par le passé et continue encore aujourd'hui de faire écho. Dans ce débat pour la préservation du milieu naturel, les Kanak, les autorités publiques, les environnementalistes et l'entreprise minière sont au centre d'une discussion mêlant des enjeux politiques, économiques, environnementaux ou encore sociaux où chacun fait part de ses aspirations et de ses intérêts. Les communautés autochtones se positionnent comme autorité négociante devant les acteurs du développement et de la conservation dans la région et les stratégies qu’elles mettent en place empruntent des assises traditionnelles mais aussi modernes. Nous verrons dans ce contexte que la valeur attribuée à la terre chez les Kanaks peut se mouvoir dans le temps, mais ceci s'établit toujours dans le but de préserver un patrimoine culturel qui n'est jamais très éloigné du patrimoine naturel.

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CHAPITRE 1. CADRE CONCEPTUEL

Depuis les années 1980, le rapprochement entre diversité biologique et diversité culturelle représente une avenue particulièrement pertinente quant aux problématiques soulevées par les revendications autochtones et en ce qui a trait à la problématique écologique (Locher et Quenet 2009). Effectivement, autochtonie, terre, territoire et environnement sont aujourd'hui des notions régulièrement mentionnées dans ce débat, la reconnaissance de l'identité autochtone passant bien souvent par la reconnaissance d'une identité territoriale. L'espace occupé et ses composantes autant physiques que naturelles font l'objet d'une appropriation par des collectifs, et dans certains cas d'une réappropriation, qui s’établit sur des modalités historiques, politiques et symboliques. L'identité territoriale devient une des prédispositions de l'identité collective, les valeurs et les croyances véhiculées à travers un lieu donné participent dans ce cas à la construction d'un sentiment d'appartenance commun, vecteur de l'unité au sein du groupe (Escobar 2008).

Les mobilisations autochtones pour l'acquisition de droits s'insèrent dans cette configuration. Le territoire et ses ressources font partie d'un héritage revendiqué par les peuples autochtones ; son occupation, ses usages, son accès ainsi que les bénéfices tirés de son exploitation sont considérés comme devant être soumis à leur consentement. Face à la tendance développementaliste actuelle, les peuples autochtones s'adaptent malgré tout au cadre systémique en cours, un processus complexe qui nécessite toutefois certains réaménagements relatifs aux politiques de gouvernance et autres appareils juridiques en place tant au niveau local que national (Connel et Howitt 1991, Clark et Cook Clark 1999, Bouquet-Elkaïm 2012, Le Meur 2014). Un des objectifs de ces mobilisations repose notamment sur la volonté de pouvoir infléchir sur les décisions et réglementations et ainsi concourir à la spécification des droits et devoirs dans la sphère publique.

Les années 80 ont donc marqué le début d'un intérêt, disons plus justement, d'une considération accrue à l'égard de la participation des autochtones dans la gestion des territoires, impliquant à la fois la conservation et la préservation des zones concernées mais aussi l'exploitation des ressources naturelles (Hache 2012). Les mobilisations et les revendications des autochtones ont donc permis, à des degrés divers selon les contextes et

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Dans la première partie de ce chapitre, nous revenons sur le cheminement historique et politique qui a mené à l'émergence de l'autochtonie, depuis la période des conquêtes coloniales jusqu'à nos jours. En Nouvelle-Calédonie comme ailleurs dans le monde, et en dépit de leur dépossession et de leur marginalisation par la société dominante, les peuples autochtones n’ont eu de cesse, par diverses stratégies et selon les époques historiques et les politiques étatiques à leur égard, de revendiquer leurs droits et leurs différences. De nos jours, l'identité autochtone est devenue un enjeu majeur pour les communautés que ce soit dans la lutte pour l'acquisition de droits spécifiques ou pour leur reconnaissance et leur participation dans les domaines politiques et publics. Dans un contexte où prédominent les dictats du modernisme, nous allons voir que la tradition, ou la « coutume » dans le cas des Kanak, peut être un outil décisif dans le sens où sa réactualisation et sa valorisation participent de manière notable à la reconnaissance des peuples et sociétés autochtones. Dans un second temps, nous partons de l'idée que devant cette plus grande reconnaissance des peuples autochtones, les différences entre les ontologies et les cosmologies autochtones et allochtones sont mises en avant ou exprimées autrement, leur incompatibilité semble plus apparente. Reprenant le postulat selon lequel « il n’y a pas plus de cultures - différentes ou universelles – qu’il n’ y a de nature universelle » (Latour 1997 : 140), la seconde partie de ce chapitre aborde les différentes façons de concevoir les relations entre la nature et la culture, soulignant diverses formes de rationalité et là où se situe une des distinctions majeures entre les autochtones et les allochtones, notamment lorsqu’il s'agit de la terre et de ses usages.

La troisième partie revient sur les enjeux et défis rencontrés par les peuples autochtones dans un contexte où le territoire et ses ressources naturelles deviennent le théâtre d'une exploitation intensive et économique mise en place par des acteurs exogènes. Dans ce cas, nous allons voir que la volonté de préservation des milieux naturels et d’un territoire donné, lorsqu’alliée à une participation croissante des communautés autochtones, est susceptible d’entraîner une revalorisation de savoirs et de pratiques culturels locaux et l'émergence de certaines alternatives, notamment entre économie et écologie.

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1.1. La reconnaissance des peuples autochtones : perceptions et stratégies.

L'ethnocentrisme est présent au sein de chaque collectivité et peut être considéré comme une des attitudes les plus répandues dans le monde. En effet, la notion renvoie à une « attitude collective consistant à répudier les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celle propre à une société donnée. (…) ce refus de la diversité culturelle et ce refus hors de la culture, dans la nature, de celui qui n'est pas conforme aux normes de la société qui les emploie » (Renard-Cassevitz in Bonte et Izard 1991 : 57). La société occidentale, imbue de son propre ethnocentrisme et dans des situations de rapports de pouvoir inégaux, a ainsi longtemps œuvré dans cette optique en voulant propager et imposer un système de valeurs qui lui était propre, tout en ignorant les aspects culturels, religieux, sociaux et politiques des autres sociétés. Ceci s'est notamment traduit par la colonisation, l'évangélisation, l’idéologie du progrès et du développement, en bref, la modernisation des sociétés non-occidentales.

La discipline anthropologique a longtemps été au cœur d'une relation entre savoir et pouvoir, dont le point culminant sera sans nul doute la période coloniale. Les explorations et la nature des relations coloniales déboucheront sur l'inventaire des divers aspects culturels, linguistiques, sociaux et autres particularités des sociétés rencontrées, mais également sur des recensements de populations et la récolte de données sur leur répartition géographique. Selon les territoires, il sera établie une catégorisation des groupes humains sur la base des appartenances ethniques, une entreprise menée dans l'objectif de mieux contrôler et/ou gérer les peuplades « découvertes ». En mettant en place ces formes de classements sociaux, les sciences sociales ont participé à la construction des appartenances et des groupes distincts.

Le 19ième siècle sera donc marqué par une théorisation de la race (Amselle 2010) et une certaine homologation de cette logique d'identification (Costey 2006), légitimant le rapport de domination exercé et observable dans les colonies à cette époque. Sous l'influence de l'idéologie raciale, les théories évolutionnistes cherchaient à démontrer qu'il existait une certaine hiérarchie entre les groupes humains, des ethnies différenciées et hiérarchisées par rapport à des stades et/ou des degrés de civilisation.

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Au sein des sciences sociales, l'influence des théories raciales et évolutionnistes quant à la compréhension de la diversité des sociétés et des cultures restera présente dans la seconde moitié du 19ième siècle et le début du 20ième siècle. L'émergence de la notion d'ethnicité va également hériter de cette conceptualisation et amener à la dichotomie entre ethnie et société dès le début du 20ième siècle.

La première notion renvoie à des tribus isolées, homogènes, sans Histoire et solidaires tandis que la deuxième se rattache aux sociétés évoluées, modernes et industrialisées, ayant une Histoire et caractérisées par l'individualisme. Jean-Loup Amselle et Elikia M'bokolo n'hésitent pas à qualifier l'ethnicité comme une « marque d'identification » fondée sur des « balisages grossiers » qui sont établis comme « un argument d'autorité » et ajoutent à ce propos que « l'ethnie n'est jamais, en fait, un simple cadre formel dont la commodité opératoire compenserait l'arbitraire » (Amselle et M'bokolo 1985 : 91). Le cadre de référence établi par les autorités occidentales et son impact sur la diversité culturelle ont notoirement été illustrés par des chercheurs tels que Robert E. Park et la théorie de l'assimilation (Guth 2008). Selon Park, les ethnies sont amenées à disparaître sous l'impact de la société moderne à travers les bouleversements occasionnés par des processus tels que l'industrialisation ou encore l'urbanisation. Il établit donc quatre phases graduelles de développement amenant vers cette idée d’homogénéisation culturelle : la phase de contact, la phase de conflit, la phase d'accommodation et pour finir, la phase d'assimilation (Guth 2008). On retrouve ainsi la dichotomie entre ethnie et société et l'on avance l'idée d'une disparition graduelle des différentes ethnies suite à leur contact prolongé avec la modernité occidentale.

Les travaux de Fredrik Barth apporteront un regard nouveau sur le concept d’ethnie, sur les relations et les frontières entre celles-ci et les dynamiques de contact et de transformation. Abordant les groupes ethniques, F. Barth (1999) en donne les caractéristiques suivantes, qui sont elles-mêmes, précise-t-il, issues de la littérature anthropologique classique :

1) se perpétue biologiquement dans une large mesure; 2) a en commun des valeurs culturelles fondamentales, réalisées dans des formes culturelles ayant une unité manifeste; 3) constitue un espace de communication et d’interaction; 4) est composée d’un ensemble de membres qui s’identifient et sont identifiés par les autres comme constituant une catégorie que l’on

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Contre l'idée générale qui avait eu cours jusque-là, l'anthropologue démontre, d'une part, les limites d'une telle définition et, d'autre part, que les groupes ethniques subsistent et résistent aux contacts ; ils renouvellent leur différence mais ne disparaissent pas. Le postulat de l'isolement géographique comme contribuant à conserver les diversités est contesté et l'argument de l'interaction entre les diverses collectivités comme moyen de survivance est mis de l'avant. Barth démontre également que « les groupes ethniques sont des catégories d’attribution et d’identification opérées par les acteurs eux-mêmes et ont donc la caractéristique d’organiser les interactions entre les individus » (Barth 1999 : 205). Les processus de genèse et de conservation des groupes ethniques sont abordés ici dans l'idée que les interactions permettent finalement d'établir des différenciations perçues comme signe d'affirmation identitaire. Ainsi, les traits culturels qui sont propres à chaque groupe engendrent :

une auto-attribution, une attribution par les acteurs eux-mêmes qui choisissent d’endosser telle ou telle identité. Le caractère attributif et exclusif des groupes ethniques permet de surmonter la difficulté conceptuelle liée à la continuité des entités ethniques : leur maintien dépend de la préservation de la frontière. Dès lors que subsiste par l’interaction une dichotomie entre membre et non membre, le groupe ethnique peut se perpétuer (Costey 2006 : 5).

Dès le milieu du 20ième siècle, ces nouvelles perspectives changeront notre compréhension des relations entre les groupes humains et des processus d’identification, de différenciation et de reproduction. Natacha Gagné et Stéphane Vibert (2009) soulignent cet élément dans leurs recherches et s'interrogent plus largement sur la concordance entre universalisme et relativisme. Selon eux, le concept de culture a « permis une prise en considération des modes d’appartenance collective propres aux « minorités » (…) La reconnaissance croissante par les sciences sociales des catégories et revendications issues directement des acteurs sociaux eux-mêmes pose alors la question de leur compatibilité avec les autres univers sociétaux » (Gagné et Vibert 2009 : 3). Les études conduites par la suite déboucheront sur des constats attenants aux effets de la cohabitation et proposeront des théories selon lesquelles les divers groupes survivent grâce aux contacts. Dans cette conceptualisation, « c'est au contraire l'intensification des interactions propres au monde moderne et à l'univers urbain qui fait saillir les identités ethniques » (Poutignat et Streiff-Fénard 1999 : 135).

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C’est dire qu’à partir des années 1960, les sciences sociales, incluant l’anthropologie, s'engagent dans une « révolution conceptuelle » qui « appréhende les groupes ethniques en termes dynamiques et relationnels » (Morin 2007 : 55). Des théoriciens commencent alors à concevoir les communautés ethniques comme « une forme de vie sociale capable de se transformer » et comme « une nouvelle catégorie sociale aussi significative que pour la compréhension de notre monde contemporain que celle de classe sociale » (Morin 2007 : 55). On assistera en parallèle à un « réveil ethnique » (Morin 2007) lié au nouvel ordre mondial émergeant après la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) et à la période de décolonisation qui a suivi cette configuration. On notera alors de profondes mutations au sein même des sociétés modernes et des États et une reconsidération des peuples autochtones. Pour ceux-ci, la décolonisation marque le début de nombreuses revendications pour l'autodétermination, d'une réaffirmation identitaire et d'une volonté d'émancipation. S’appuyant sur une histoire commune héritée de la colonisation et stimulé par l'accélération de la mondialisation, le « réveil ethnique », incluant le réveil autochtone, se propagera dans le monde grâce aux échanges et aux interrelations progressifs et accessibles.

La reconnaissance de l'autochtonie va ainsi être soutenue par les Nations-Unies à partir des années 1980. Suite à une volonté d'extension des droits fondamentaux de l'Homme à tous les peuples, la Déclaration sur les Droits des Peuples Autochtones a été votée à l'Assemblée générale de l'ONU en septembre 2007 et fait figure de proue pour l’affirmation et la valorisation de ces peuples. L'objectif d’une telle reconnaissance est de rendre applicable à tous les lois internationales et les droits universels tout en reconnaissant les spécificités culturelles des peuples autochtones et leurs droits à la terre de leurs ancêtres. Les communautés autochtones, autrefois réduites au silence, ont dorénavant accès à une certaine prise de parole, même s’il reste encore un long chemin à parcourir, dans la majorité des pays, pour que ces communautés soient pleinement insérées dans les processus décisionnels les concernant. La Déclaration vise ainsi à accentuer l'intégration des droits sociaux, politiques, culturels et économiques des peuples autochtones. On cherche à garantir le respect de la diversité culturelle et des droits autochtones dans une optique de préservation et de bien-être des communautés.

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Avec la fin des politiques officielles d'assimilation, la présence des communautés autochtones sur la scène politique est désormais internationale. Ces peuples, longtemps considérés comme marginalisés, ont su tirer profit du développement instauré par les sociétés occidentales, en se réappropriant des usages et des pratiques du système dominant et en les utilisant pour leur objectif de reconnaissance. Cette reconsidération fût singulièrement permise par le fait que l'autochtonie se soit érigée comme une catégorie politique à part entière ayant à disposition des moyens désormais reconnus pour soumettre des revendications au sein des États-Nations (Bellier 2004). Dénonçant les exactions dont ils ont été victimes et réclamant une justice pour tous, cet élan de reconnaissance fût fédérateur et confondu dans une dimension plurielle et commune aux divers peuples autochtones (Bellier 2004).

Ainsi dans la lutte pour la défense de leurs droits, les autochtones utilisent les instruments juridiques à leur disposition et, dans la mesure du possible, s'intègrent dans l'économie capitaliste afin d'obtenir les moyens nécessaires à leur émancipation. En définitive, les communautés autochtones s'adaptent au cadre systémique en présence et démontrent leur capacité à s'insérer dans ces nouvelles dynamiques dans l'objectif de maintenir des ordres culturels et sociaux qui leurs sont propres (Poirier 2000). La résistance orchestrée et les stratégies opérées témoignent d'un processus de construction sociale d'une identité politique. La réappropriation des pratiques et des usages de la société dominante et la politisation de l'autochtonie, impliquant un soutien international et l'acquisition de certaines compétences pour leur cause, permettent de tendre vers une volonté de reconnaissance et une prise de conscience globale concernant la diversité et ses multiples dimensions. La cohabitation des divers univers sociaux devrait dorénavant passer par un respect et une reconnaissance mutuels. Devant une telle reconfiguration, la conservation des savoirs et des savoir-faire devient un outil crucial de la préservation et de la valorisation de la diversité sociale et culturelle.

Les termes « autochtones », « indigènes » et aborigènes » évoquent une caractéristique commune qui réside dans l'antériorité relative à l'occupation d'une terre, légitimant de ce fait un sentiment d'appartenance et/ou de propriété (Deroche 2008). L'émancipation des

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Sur les questions relatives aux territoires, ceci permet des interactions et des négociations plus soutenues entre autochtones et allochtones et l'établissement de conciliations et d’ententes qui visent une relative équité. C’est dire que dans le contexte actuel et grâce à une reconnaissance politique accrue, la prise de décision n'est plus exclusivement entre les mains d'un seul groupe, soit-il majoritaire ou non.

Cette première section avait pour objectif d'exposer, dans ses grandes lignes, l'évolution de l'autochtonie. Une histoire qui aura débuté sur fond de colonialisme et d'impérialisme pour nous mener ensuite vers une période où l'on assistera au réveil des peuples autochtones, longtemps marginalisés, et à une reconnaissance statufiée de leur identité et de leurs droits. Le cas de la Nouvelle-Calédonie et des Kanak s’inscrit dans une telle trajectoire historique. La recherche conduite dans le cadre du présent mémoire porte sur le territoire calédonien, un archipel situé dans le Pacifique Sud, et devenu un territoire français en 1853. La rencontre avec le peuple autochtone, les Kanak, n'a pas échappé au contexte de l'époque coloniale et la prise de possession entraînera une forte dépréciation et marginalisation de ceux-ci. Qualifiés d'indigènes, l'établissement de la colonie conduira à une profonde déstructuration de la société kanak, notamment à travers des déplacements de populations, de la spoliation de nombreuses terres, de l'évangélisation et d'un statut les rendant à cette époque inapte à prononcer leurs revendications ou doléances (voir Chapitre 2).

Le peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie, dans un premier temps ignoré, a su au fil du temps se réaffirmer et s'intégrer face au système exogène, notamment par des stratégies mêlant tradition et modernité. Ces réajustements s'imbriquent dans l'objectif d'obtenir une pleine reconnaissance de leur identité et d'aspirer à une forme de souveraineté. Dans la foulée de cet objectif, les traits caractéristiques de la culture kanak sont valorisés et régulièrement mis de l’avant ; c’est ainsi que les communautés autochtones cherchent à conserver et à préserver certaines de leurs spécificités. Au sein de cet héritage, la coutume, le territoire et le lien à la terre figurent au premier rang des revendications, des supports socio-culturels qui deviennent une armature politique dans bien des cas.

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1.2. Sociétés humaines et environnement naturel : appartenance ou propriété ?

Les systèmes de pensée et de valeurs, les modes de vie ou encore les savoirs et les pratiques d'une société donnée sont perçus par les membres qui la composent comme faisant l’objet d’une norme, même si celle-ci est dynamique, sujette à changement voire même à contestation. Toutes les sociétés ont élaboré une vision du monde, un système de représentations partagées au sujet de la « nature » et de la nature des relations entre les humains et les non-humains et avec le territoire. L'anthropologie de la nature se penche sur ces intersections entre la culture et la nature.

Le postulat selon lequel « la manière dont l’Occident moderne se représente la nature est la chose du monde la moins bien partagée » (Descola 2005 : 56) et les travaux menés sur la relation de l’humain à son environnement ont alimenté récemment des débats et une littérature considérables sur le sujet.

Des enquêtes récentes en anthropologie ont mis en évidence une différence notable entre les conceptions dites occidentales de la nature et les conceptions autochtones. Le paradigme entourant le milieu naturel détermine donc l’usage que l’homme en fait. Les modes de production, de gestion ou encore de conservation de l’environnement restent pluriels et attachés à des contextes culturels, sociaux, politiques et économiques particuliers. De plus, en fonction de la valeur attribuée par l’homme à la nature, celui-ci peut échanger, partager, ponctuer, prélever ou encore exploiter son milieu. La terre et ses ressources peuvent ainsi être source de vie et de subsistance mais également source de profit et de développement. Il existe donc plusieurs réalités et c'est ici que l'approche anthropologique peut contribuer à enrichir et à apporter une meilleure compréhension de cette large problématique :

L'anthropologie, on le voit, n'a cessé de se confronter au problème des rapports de continuité et de discontinuité entre la nature et la culture (...) En postulant une distribution universelle des humains et des non-humains dans deux domaines ontologiques séparés, nous sommes d'abord bien mal armés pour analyser tous ces systèmes d'objectivation du monde où une distinction formelle entre la nature et la culture est absente. La nature n'existe pas comme une sphère de réalités autonomes pour tous les peuples, et ce doit être la tâche de l'anthropologie que de comprendre pourquoi et comment tant de gens rangent dans l'humanité bien des êtres que nous appelons naturels, mais aussi pourquoi

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Brandie de façon péremptoire comme une propriété positive des choses, une telle distinction paraît en outre aller à l'encontre de ce que les sciences de l'évolution et de la vie nous ont appris de la continuité phylétique des organismes, faisant ainsi bon marché des mécanismes biologiques de toutes sortes que nous partageons avec les autres êtres organisés. Notre singularité par rapport au reste des existants est relative, tout comme est relative aussi la conscience que les hommes s'en font (Descola 2002 : 14).

D'une certaine manière, la diversité culturelle peut être influée par la diversité naturelle. Sans entrer dans le déterminisme (Taglioni 2000), établissant d’emblée une distinction entre Nature et Culture (Descola 2008, Charbonnier 2015), on peut admettre que la particularité des sociétés et de leurs conceptions du monde est intimement liée à un univers précis. Dans les mondes autochtones, cet univers est entendu au sens d’un environnement expérimenté et partagé, où la réciprocité et les interactions entre les éléments humains et non humains, visibles et non visibles, sont omniprésentes et créatrices de normes sociales. Ces relations se dessinent sous forme d’échanges directs ou indirects et sont à la base de la majorité des conceptions et des perceptions dites autochtones du monde (Brunois 2007, Deroche 2008). On fait également référence à un certain savoir qui peut être à la fois théorique et pratique. Le savoir est entendu, entre autres, au sens de la mémoire, une mémoire issue d’un bagage historique et paradigmatique localisé. Les croyances, les pratiques, les usages, les valeurs qui en sont corollaires et qui s’articulent autour de cette même dimension, démontrent la particularité et la diversité des conceptions du cosmos et de l’être au monde. Il s'agit des représentations qu'un groupe donné peut avoir à l'égard de son environnement, une manière de concevoir le milieu au sein duquel il évolue mais aussi de se concevoir lui-même. Les humains interprètent leur environnement avec des schèmes, des savoirs et des savoir-faire singuliers et se pencher sur ces diverses interactions est une entrée particulièrement intéressante dans la quête de compréhension et d'analyse d'une société.

Les travaux ethnographiques conduits auprès de différentes cultures ont démontré que dans de nombreuses communautés la relation entre l'homme et l'environnement ne fait nullement l'objet d'une rupture ontologique. L'humain et le non-humain font partie intégrante du même monde, comme dit précédemment, ils sont en interrelations et cohabitent au sein de leur milieu (Descola 2008). Cet aménagement fait l'objet d'un usage de la terre et de ses ressources dans un souci d'équilibre entre les êtres qui l’habitent.

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Ceci peut sensiblement rappeler le concept de « Terre-Mère », un exemple que nous citons ici pour appuyer le raisonnement, mais qui reste tout de même emprunté à un contexte précis et particulier. De nombreux peuples autochtones assimilent la terre à un être vivant, la « Terre-mère », celle qui a enfanté l'humain et le non-humain et assure leur subsistance et leur reproduction dynamique. La terre devient alors l’être de fertilité et de création, une entité maternelle à l’origine de la vie, qui peut également être le refuge et le domaine des ancêtres et des esprits. Pour certains groupes humains, elle devient l’expression et l’expérience d’un monde à la fois visible et invisible : « ce que nous appelons la nature n'est pas ici un objet à socialiser, mais le sujet d'un rapport social ; prolongeant le monde de la maisonnée, elle est véritablement domestique jusque dans ses réduits les plus inaccessibles » (Descola 1999). Le rapport à la terre peut ainsi avoir un caractère sacré associé à la fécondité et à la fertilité qui amène à se considérer comme faisant partie du milieu naturel au même titre que la faune, la flore ou les esprits qui le composent.

Dans notre recherche auprès des Kanak, le rapport entretenu avec la terre et la valeur des lieux se sont avérés d’une importance centrale et capitale. Une valeur incommensurable peut ainsi être attribuée par un peuple aux lieux où il vit et toutes les composantes de cet environnement sont au centre d’une intime réciprocité entre l’être et le monde, entre la société et la nature. Ce rapport entre humain et milieu naturel se déploie sur fond d’une vision holistique et moniste du cosmos, concevant la relation de l’humain avec son environnement sur le ton de l’équité, du partage et de la réciprocité. La notion de conquête est ici absente, de nombreux peuples autochtones se sentant issus de la terre même, ils lui appartiennent et ne peuvent la posséder, ni même s’approprier la nature. Ces sociétés font d'une certaine manière partie de celle-ci. La notion de fusion est retenue par Philippe Deroche (2008) au sujet de la relation entre l’humain et la nature chez de nombreuses sociétés autochtones. Il n'est alors nullement question de hiérarchie entre les deux, mais davantage d'une interrelation fondamentale et vitale.

La terre est ainsi sacralisée dans de nombreuses sociétés autochtones et c'est un argument majeur de leurs revendications. L’imposition de la propriété ou encore la dépossession orchestrée par les Européens suite aux premiers contacts a eu pour conséquence une

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C’est encore le cas aujourd’hui avec le néocolonialisme et où l’on peut encore écarter et négliger les peuples premiers et leurs spécificités quand il s’agit d’exploiter une terre et ses ressources. Il s’établit dès lors un rapport conflictuel entre autochtones et allochtones, entre d’une part une vision davantage fondée sur le caractère sacré de la terre et la préservation d’un héritage culturel et naturel et d’autre part une vision davantage fondée sur le matérialisme et la marchandisation/exploitation de la terre et de ses ressources.

Les peuples occupants des territoires aux richesses naturelles importantes sont souvent jugés inaptes ou alors n’ayant pas les moyens et techniques nécessaires à la mise en valeur marchande de leur territoire. La valeur marchande et matérielle de la terre prend alors le dessus sur la valeur culturelle et immatérielle. Des visions du monde distinctes se rencontrent et la problématique liée au foncier et à la gestion des ressources naturelles est souvent complexe. Les conceptions, les perceptions, les usages et les pratiques s’opposent dans le sens où le territoire n’a pas la même signification pour les groupes en présence, soit on appartient à la terre, soit la terre nous appartient. Nous pouvons y voir deux formes de rationalité, les représentations du monde, les expériences et les usages qui en sont issus restent attachés à ce qui peut être perçu comme rationnel pour un groupe donné, cette notion étant très subjective.

Le processus de rationalisation qui émerge à l’époque moderne sera caractérisé entre autres par la dévalorisation de la croyance en la magie et au surnaturel. Selon les théories wébériennes, dans les sociétés occidentales, le monde se démystifie sous l’impulsion de l’invention des lois physiques, la science moderne expliquant dès lors l’univers par l’élucidation de ses mécaniques. Selon cette vision du monde, les phénomènes naturels répondent à des principes d’ordre physique lesquels sont observables et démontrables, impliquant une dépréciation et un désintérêt pour les visions du monde non-modernes ou traditionnelles (Deroche 2008). Celles-ci seront dès lors jugées irrationnelles et dépréciées de leur valeur au profit d’une logique cartésienne. Certains auteurs définissent ce processus comme le désenchantement du monde (Descola 2005, Deroche 2008), phénomène qui aurait été précurseur de la modernité actuelle. La science et la technique, la production et l’économie capitaliste ont en définitive éloigné l’humain de la nature.

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On rejoint ainsi la dialectique du « grand partage » entre la nature et la culture mais aussi entre les modernes et les autres, postulant que la modernité s'aménage sur la différenciation entre l'inhumanité de la science d'un côté et l'humanité du social de l'autre (Latour 1997). Devant ces considérations, on peut constater que la coupure nature/culture procède non pas de la réalité du monde observé, mais davantage de l'histoire de la pensée occidentale. En abordant cette thématique, un constat similaire a été établi par Donna Winslow (1995) sur les formes de rationalité. L'anthropologue nous propose un parallèle intéressant entre la vision occidentale et la vision de nombreuses sociétés autochtones à ce sujet :

la rationalité formelle fait appel à la notion de moyens, c’est-à-dire de moyens de plus en plus efficaces pour accomplir les choses. La rationalité formelle peut être différenciée d’un choix de buts rationnels que Weber appelle rationalité substantive et qui peut varier selon les valeurs impliquées (...) « La rationalité formelle implique essentiellement la calculabilité des moyens et des procédures alors que la rationalité substantive s’appuie sur la valeur (d’un point de vue explicitement défini) des fins ou résultats » (Winslow 1995 : 1).

La relation des Kanak à l'environnement est associée à une série de conceptions et de savoirs qui orientent le comportement et les pratiques des individus à l'égard de leur milieu naturel tout en répondant à une rationalité substantive. Ainsi, chez les Kanak, le clan, l'identité de ses membres et le territoire sont indissociables et cette relation témoigne de la continuité du groupe dans l’espace et le temps. L'expression de la mémoire, notamment la mémoire généalogique, est ici transmise par l'usage de patronymes et de toponymes relatifs à un Ancêtre fondateur et à certains totems propres à chaque clan. Le cas des Kanak et du rapport entretenu à la terre et aux lieux ne sont mentionnés ici qu’à titre d’exemple et nous y reviendrons plus en détails dans les chapitres ultérieurs. Cet aspect mnémonique et généalogique est ainsi fondamental dans les rapports que les autochtones entretiennent avec la nature et leur territoire et il peut expliquer, du moins en partie, pourquoi les sociétés autochtones sont considérées comme répondant à une gestion durable et mieux contrôlée des ressources naturelles.

Les pratiques et les usages qui sont fait du milieu naturel sont en grande partie corollaires des conceptions qu’une société donnée s’en fait. Les cosmologies et croyances autochtones relatives à l’environnement et leur bagage en termes de savoirs et de savoir-faire ont été au

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Les conceptions et les agissements sur le monde sont pluriels et, somme toute, équivalents dans le sens où ils s'appliquent « à des contextes sociaux, environnementaux, économiques et symboliques précis, dans lesquels ils prennent effets et prennent ainsi tout leur sens » (Lévesque 1996 : 12). Actuellement, c'est ici que se situe l'une des revendications premières des peuples autochtones qui font face à la mise en exploitation de leurs territoires ; ils aspirent à ce que les politiques environnementales tiennent compte des rapports ontologiques existants.

1.3. La gestion des territoires et des ressources naturelles : enjeux et défis.

Lorsqu’il s’agit de l’exploitation d’un territoire pour ses ressources naturelles, plusieurs dynamiques entrent alors en compte. En effet, l’exploitation des ressources naturelles nécessite de nombreux moyens logistiques et techniques et une restructuration importante, voire une transformation radicale de l’espace. La mise en œuvre d’un programme de développement minier, puisqu’il s’agit là d’une réalité très présente en Nouvelle-Calédonie, doit tenir compte des divers impacts qu’une telle exploitation peut avoir autant sur les communautés locales que sur l’environnement. De plus, lors de la découverte d’un gisement exploitable, la question de l’accès et du contrôle des ressources devient un point fondamental dans le débat opposant l’occupation et la propriété d’un territoire.

Les gisements miniers dans la région du Pacifique Sud, incluant la Nouvelle-Calédonie, sont très nombreux et divers. On y trouve, entre autres, de l’or, du cuivre, du nickel, du chrome et des hydrocarbures. Ces richesses font l’objet d’une forte convoitise de la part des gouvernements préconisant le développement économique et des industriels voulant mettre en œuvre des projets d’exploitation des ressources naturelles. De plus, le secteur minier est perçu comme étant le principal moteur de la croissance économique dans le Pacifique Sud. Le fait est que les archipels océaniens ont parfois des superficies restreintes et leurs ressources naturelles se limitent à quelques hectares de surfaces agricoles ou forestières ne faisant pas l’objet d’un important développement économique (Connel et Howitt 1991 : 4). Les ressources minières et le développement de leur exploitation représentent donc pour ces régions un élément clé de la croissance économique.

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Néanmoins, ces entreprises peuvent entraîner des conflits d’usages et d’intérêts entre ceux qui se revendiquent comme les « propriétaires traditionnels » des espaces concernés et les entreprises minières, sans négliger non plus les intérêts de l’État concerné. Ainsi, l’anthropologie des mines s’intéresse, entre autres, aux impacts que l’exploitation minière peut avoir sur les populations autochtones et sur les terres d’où proviennent les ressources (Connel et Howitt 1991, Clark et Cook Clark 1999, Horowitz 2003, Hyndman 2005, Escobar 2008, O’Faircheallaigh et Ali 2008, Bouquet-Elkaïm 2012). Dans de telles situations, les peuples autochtones vont alors revendiquer ce lien fondamental qu’ils nouent avec leur territoire, en soulignant leur attachement et leur appartenance à celui-ci. Cet attachement peut être à la fois spirituel, identitaire, social, politique ou encore économique, selon le contexte.

L’histoire de la Nouvelle-Calédonie est ainsi intimement liée au développement minier de l’archipel pour l’exploitation du nickel. « Découverte » en 1774, le potentiel économique de l’île sera très vite mis en avant et le secteur industriel connaîtra un développement très rapide dès 1870. Ainsi, perçue par une partie de la population comme une exploitation intensive et mal contrôlée de l’environnement naturel, le secteur minier en Nouvelle-Calédonie est au cœur d’un débat autour des préoccupations d’ordre écologique concernant les impacts sur l’environnement mais aussi d’ordre socioculturel avec les impacts occasionnés sur les Kanak. Avec l’émergence de la notion d’autochtonie et la reconnaissance des peuples autochtones, ces derniers bénéficient désormais d’un statut qui leur est propre et d’outils leur permettant de se faire davantage entendre concernant leurs droits et leurs implications dans la protection et la conservation de leur territoire (Voir chapitres 2 et 5).

En Nouvelle-Calédonie comme ailleurs dans le monde, le débat autour de l’exploitation des ressources naturelles, la reconnaissance de la présence, des savoirs et des droits autochtones et la conservation des territoires et de la biodiversité s’est donc élargi à une pluralité d’acteurs durant les dernières décennies et nous assistons de plus en plus à une collaboration entre gouvernants, industriels et populations locales. On ne parle plus de « patrimoine commun de l’humanité », mais plutôt d'une « préoccupation commune à

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Il s’agit désormais d’amener les peuples autochtones, les organisations scientifiques et les groupes écologistes à travailler ensemble à la mise en œuvre d’une stratégie portant sur l’utilisation des connaissances traditionnelles, la participation des populations locales à la réalisation de stratégies de conservation et de développement, et l’application de nouveaux modèles de conservation axés sur les populations.

Les revendications autochtones s’appuient sur le rapport historique et culturel qui les unit à la terre, mais à cela s’ajoute qu’ils s’approprient les outils de la modernité pour mettre en place un développement qui leur serait propre. Pour certains groupes autochtones, l’exploitation minière est considérée comme une complémentarité au secteur d’activité d’autosubsistance. Le fait d’accueillir des secteurs de production moderne permet de tendre vers de nouveaux débouchés en termes de croissance, d’emploi et par conséquent de développement (De Deckker 2002).

En dénonçant les principes du colonialisme et du néo-colonialisme qui entraînaient et entraînent encore actuellement une mise à l’écart des autochtones, ces derniers ont obtenu gain de cause, du moins dans certains cas, et cherchent, autant que faire se peut, à participer au développement économique de leurs pays. Les États concernés se doivent de négocier avec les populations locales, ce qu’ils ne font pas toujours, en établissant des ententes concernant le bon comportement de la firme sur le plan environnemental et social dans l’objectif de garantir les intérêts des populations autochtones. De telles initiatives permettent ou permettraient une collaboration entre les compagnies et les populations autochtones afin de minimiser les conflits d’usages et d’intérêts et de faire preuve d’accommodements en fonction des réalités en présence. Le débat est donc élargi aux divers acteurs et impliquent les gouvernements national et local, les communautés locales, les compagnies minières et leur politique de gestion, les organisations industrielles et les organisations non-gouvernementales (Connel et Howitt 1991, Clark et Cook Clark 1999, Escobar 2008, O’Faircheallaigh et Ali 2008).

La préoccupation pour la conservation du patrimoine culturel s’est accentuée avec les revendications autochtones concernant les liens entretenus avec la terre. L’histoire, la mémoire et l’appartenance sont intrinsèquement liées au territoire occupé et sont le fer de lance des populations autochtones pour la revalorisation et la préservation culturelle.

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À cela s’ajoutent les préoccupations pour les questions relatives au patrimoine naturel et donc l’importance d’une gestion durable des ressources exploitées. Les droits et les conceptions autochtones autour du milieu naturel sont désormais, sinon pleinement reconnus, du moins entendus, et nécessitent une reconsidération de la problématique concernant les bouleversements occasionnés par les industries extractives notamment dans un souci de développement durable et de minimisation des impacts qui lui sont liés. Devant le primat donné aux facteurs économiques et à l'avancement du développement, les populations autochtones s'insèrent graduellement dans cette configuration. Des recherches menées sur l'intégration de ces-derniers dans la conjoncture actuelle démontrent l'utilité de considérer que diverses formes d'économies peuvent émerger, se côtoyer et/ou se confronter dans de tels contextes. Au cœur de ces recherches, on assiste à une discussion entre les concepts d'économie morale et économie immorale, et plus tard, entre écologie morale et écologie immorale(Hache 2012).

L’économie morale est un concept dû à l’historien britannique et marxiste E.P. Thompson (1924-1993). Il désigne un ensemble de pratiques et de valeurs politiques, infra-politiques et culturelles communautaires qui visent à la défense des intérêts de la communauté même sur le plan économique (Fassin 2009). L’historien définit lui-même son concept en faisant référence à une « économie prise dans sa signification originelle (oeconomia) d’organisation de la maison, dans laquelle chaque part est reliée au tout et chaque membre reconnaît ses devoirs et ses obligations » (Fassin 2009 : 2). Le concept a notamment permis, depuis les années 70, un élan de réaffirmation des classes populaires qui y voient une manière de se doter de qualités et de logiques nouvelles. Celles-ci les orientent dans la quête de justice et d'une équité plus soutenue au sein de la société et sur lesquelles elles s’appuient pour se faire entendre, par la mobilisation et la protestation notamment. Le concept est d'ailleurs souvent mobilisé dans les études sur la mobilisation et la protestation et exprime finalement une conception populaire de la légitimité et de la justice en matière d'échanges économiques et de bons comportements. L’économie immorale est quant à elle représentée par la logique du capitalisme qui préconise une économie fondée sur le profit individuel et une exploitation massive autant humaine, matérielle qu’environnementale.

Références

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