II.4. Élaboration et propriétés de nanomatériaux coopératifs à transition de spin II.4.3 Élaboration et propriétés de nanoparticules isolées Nous venons de voir que l'approche de synthèse polymérique permet l'obtention de matériaux à forte coopérativité dont les propriétés de transition de spin (large hystérèse, transitions proches de la température ambiante, fort contraste thermochromique) en font des matériaux de choix en termes d'applications potentielles. Il n'est donc pas surprenant que ces matériaux aient fait l'objet ces dernières années d'un effort important en vue d'une nanostructuration. En effet, la majorité des nanoparticules à TLIESST 61 K État HS métastable État BS État HS Figure II.22 À gauche : Structure moléculaire bidimensionnelle de Fe(btr)2(NCS)2.H2O. À droite : Évolution de la susceptibilité magnétique en fonction de la température. État HS métastable obtenu par trempe thermique à 10 K. T1/2↑ T1/2↓ Fe btr NCS Figure II.23 Réseau de coordination tridimensionnelle de Fe(pyrazine){Pt(CN)4}. [II.60] À gauche : Structure moléculaire. Code couleur : fer : noir ; platine : gris ; carbone : hachuré ; azote : blanc. À droite : Schéma d’élaboration de films minces à base de clathrates de Hofmann. Fe Pt C N de FeII -4R-1,2,4-triazole et les polymères de coordination tridimensionnelle de la famille des clathrates de Hofmann [Fe(pyrazine){M(CN)4}] (M = Ni, Pd ou Pt). Ce champ de recherche a beaucoup évolué depuis le début de ce travail de thèse et les publications citées sont majoritairement apparues très récemment. Nous dressons ci-dessous un panorama des nanomatériaux élaborés ainsi que des propriétés associées. L'élaboration de nanoparticules repose essentiellement sur un contrôle des étapes de nucléation et de croissance cristalline. L'utilisation d'un milieu homogène contraignant, matrice mésoporeuse ou solution micellaire, permet de limiter la croissance cristalline en créant un environnement de taille limité pour la réaction. Pour des systèmes simples comme p.ex. des matériaux inorganiques moléculaires, la synthèse en milieu micellaire produit des résultats plutôt fiables et reproductibles. Une estimation de la littérature présente en juillet 2011, utilisant www.scopus.com indique plus de 1.000 publications comportant les mots clés « nanoparticle », « microemulsion » ou « micelle » et « synthesis », ce qui montre la maturité et l’ampleur de ce champ de recherche. Ce type de synthèse est rapide et facile à mettre en œuvre, mais est soumis à des nombreux paramètres qui peuvent influencer les conditions de réaction et ainsi le résultat obtenu (cf. chapitre IV). La synthèse de nanoparticules organiques est beaucoup moins répandue. Les premiers résultats de ce champ de recherche sont publiés en 2000. Mann et collaborateurs ont été parmi les premiers à détailler la synthèse en environnement micellaire de polymères de coordination de la famille des analogues du bleu de Prusse [II.76,77]. Des nanocristaux homogènes en taille et monodisperses de quelques dizaines de nanomètres ont ainsi été reportés. Cette approche a été poursuivie par Catala et al. afin d'élaborer des particules de 3nm superparamagnétiques d'analogues du bleu de Prusse de type CrIII- NiII [II.78]. Ces travaux ont majoritairement inspiré l'utilisation des systèmes micellaires inverses pour l'élaboration de nanoparticules à transition de spin. Tous les composés présentés dans la suite de ce paragraphe sont élaborés par cette voie. Les résultats pionniers de la miniaturisation des complexes à transition de spin ont été décrits par le groupe de Jean-François Létard [II.64,79]. Les auteurs observent un maintien de la transition abrupte pour des particules de [Fe(NH2trz)3]Br2 d’une taille de 70nm, synthétisées en milieu micellaire inverse. L'étude systématique de ces nanoparticules indique une très légère dépendance de la température centrale du cycle d'hystérésis avec la taille des particules, alors que la largeur d'hystérèse diminue très fortement à partir de 70nm comme le montrent la figure II.25 et le tableau associé II.3 [II.80,81]; aucune hystérèse n'est détectée pour des particules inférieures à 50nm. T. Forestier relie les données magnétiques aux tailles de domaines cohérents déduites de la formule de Scherrer basée sur des mesures de diffraction des rayons X sur poudre [II.82]. Il observe que les grosses particules sont toujours constituées de plusieurs domaines structuralement cohérents et conclut que le régime de bistabilité implique au moins cinq domaines coopératifs en interaction. Dans le cas des nanoparticules d’une taille inférieure ou égale à 50 nm, le nombre de domaines cohérents est inférieur à cinq et l’effet mémoire est supprimé. Une étude menée par Arnaud et al. [II.83] sur des particules micrométriques de ce même composé [Fe(NH2trz)3]Br2 illustre la différence entre le comportement de transition de spin d'un ensemble de particules et celui d'une particule individuelle isolée (figure II.26). Les particules individuelles présentent des transitions BS→ HS très abruptes mais dont les températures de transition diffèrent d'une particule à l'autre. En revanche, la transition inverse HS →BS présente un caractère plus graduel. Par comparaison, les transitions graduelles observées pour une poudre microcristalline de ce composé présentent un caractère graduel dans les deux directions, ce qui peut s'interpréter comme une moyenne d'ensemble du comportement de particules individuelles de températures de transition légèrement différentes. Figure II.24 [II.58] À gauche : Courbes magnétiques de nanoparticules déshydratées de [Fe(NH2trz)3]Br2. La disparition de l’hystérèse est observée pour des particules ≤50nm. En haut à droite: Caractéristiques de la transition de spin pour des particules de [Fe(NH2trz)3]Br2 de taille différente. (Tableau II.3, adapté de [II.81]) En bas à droite : Évolution des températures de transition en fonction de la taille des particules. Taille des particules de [Fe(NH2trz)3]Br2 T1/2↓ T1/2↑ Hystérèse Résidus HS Matériau massif 305 320 15 ~15% 1.2 µm 305 320 15 ~12% 200 nm 305 317 13 13% 150 nm 304 314 10 13% 70 nm 304 312 8 13% 50 nm 310 312 2 20% 30 nm 313 315 2 20% Tableau II.3 Des nanoparticules extrêmement petites de taille minimum 3.6±0.8nm du composé [Fe(NH2trz)3](tosylate)2ont été élaborées par le groupe de A. Bousseksou. Des mesures de spectroscopie UV-visible ont été effectuées sur des solutions micellaires. La boucle d’hystérèse disparait complètement pour les particules de 3 à 4 nm, les auteurs concluent cependant que la transition est complète pour toute taille de particules [II.84-86]. Coronado et collaborateurs ont été les premiers à montrer que des nanoparticules de 15nm du complexe [Fe(Htrz)2(trz)](BF4) produisent exactement les mêmes propriétés de transition de spin que le matériau massif [II.87], le cycle change légèrement par rapport au matériau massif pour des particules de 6nm. La fraction de résidus HS à basse température augmente avec la diminution en taille, ce qui est attribué à une augmentation des sites insaturés ne présentant pas de transition de spin (résidus HS) en surface de particule. Le maintien des propriétés de transition du matériau massif pour des particules Figure II.26 Absorption à 540nm en fonction de la température. À gauche: Particules de 10nm de [Fe(NH2trz)3](tosylate)2. (Échauffement : cercles noirs, refroidissement : cercles remplis rouges) [II.84] Au milieu : Particules de 3-4nm de [Fe(NH2trz)3](tosylate)2. (Échauffement : courbe bleue, refroidissement : courbe rouge) [II.85] À droite : Particules de 4nm de [Fe(NH2trz)3](tosylate)2. (Échauffement : carrés rouges, refroidissement : cercles bleues) [II.86] Ab so rp tio n à 540n m Taille des particules de [Fe(NH2trz)3](tosylate)2 T1/2↓ T1/2↑ Hystérèse Résidus HS 10±6nm [II.84] 297K 306K 9K 0% 3.6±0.8nm [II.85] 296.5K 297K 0.5K <10% 4±1nm [II.86] 299K 299K 0K 0% Figure II.25 Comparaison des courbes de transition du complexe [Fe(NH2trz)3]Br2 [II.83]. À gauche : Mesure magnétique sur poudre (matériau massif). À droite : Transitions de spin pour deux particules micrométriques isolées, mesurées par d’une taille de 6 nm [II.88] est exceptionnel et jusqu’à présent l’unique exemple d’un tel comportement. Une dilution au zinc [II.88] menant au complexe [FexZn1-x(Htrz)2(trz)](BF4) montre la déformation importante de la boucle d’hystérèse sur des particules de 10±4nm (Figure II.28). Le composé [Fe(pyrazine){Pt(CN)4}] a fait l'objet de plusieurs études menées en parallèles par différents groupes [II.90,91]. L'effet de la réduction de taille des particules y est particulièrement flagrant. Le matériau massif présente un large domaine de bistabilité avec des transitions très abruptes (Figure II.29). Avec une réduction de la taille, des importantes fractions résiduelles, un rétrécissement de la boucle d’hystérèse et des transitions plus graduelles sont observés. Ces effets de réduction de taille sont décelables pour des particules de taille assez importante 230x230x55 nm. Ces effets sont fortement accentués pour des tailles encore plus réduites (Figure II.29). [Fe(Htrz)2(trz)](BF4) T1/2↓ T1/2↑ Hystérèse Matériau massif [II.89] 345 385 40K 11±5nm [II.87] 343K 384K 41K 6±3nm [II.88] 343 372 29K [Fe0.8Zn0.2(Htrz)2(trz)](BF4) ; 10±4nm [II.85] 336K 357K 21K Figure II.27 Courbes magnétiques de [Fe(Htrz)2(trz)](BF4). À gauche : Particules de 11nm [II.87] Au milieu : Particules de 6nm [II.88] À droite : Particules de 10 nm de [FexZn1-x(Htrz)2(trz)](BF4) [II.88] Figure II.28 Évolution de la transition thermique des particules de Fe(pyrazine){Pt(CN)4} déshydratées. À gauche : Effets de réduction en taille à une vitesse de mesure de 2K/min. [II.90] Taille des produits : (1) matériau massif (2) 230x230x55 nm (3) 61x61x21 nm À droite : Effets de réduction en taille à une vitesse de mesure de 1K/min. [II.91] Différents matériaux nanocomposites, constitués de nanoparticules à transition de spin encapsulées dans des matrices polymères (polystyrène, polyvinylpyrrolidone (PVP)), biopolymères (chitosan)ou silicatées (xerogel de silice) ont récemment été élaborés. Les matrices jouent ici le rôle de milieu plus ou moins rigide, confinant la croissance in-situ des particules. Le confinement permet de restreindre la croissance et ainsi la taille finale des particules. Cette approche est comparable à la synthèse en milieu micellaire, mais le caractère du milieu récepteur (p. ex. sa viscosité) influence la formation des particules [II.92-96]. Dans le document Relation structure - propriétés de commutation dans les matériaux à transition de spin : effet de nanostructuration et de dilution du cation métallique (Page 48-53)