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Plus de 90% des éjections étudiées ont la forme décrite figure 10.9. Une molécule d’ADN courte ayant une fluorescence intense apparaît. Après une durée extrêmement variable, de quelques secondes à plusieurs heures selon les phages, la longueur de l’ADN double10 et l’in- tensité de fluorescence par unité de longueur diminue. Mais l’intensité de fluorescence intégrée reste constante (figure10.9). Cette observation s’explique bien si l’on suppose que la molécule d’ADN sort en boucle.

Au début de la translocation, l’extrémité de l’ADN reste attachée sur le phage. Au fur et 9. Une simulation numérique récente a montré que la mobilité de l’ADN dans la capside est très fortement réduite pour des fractions volumiques supérieures à 0.35 [99]. Les auteurs interprètent leur résultat en terme de transition vitreuse. Cette fraction volumique frontière s’accorde bien avec nos résultats expérimentaux.

10.5 Une éjection en boucle 109 100 80 60 40 20 0

Quantité d'ADN éjectée (%)

-80 -60 -40 -20 0 20

temps (s)

Figure 10.7 – Cinétiques de translocation avec pauses. Les pauses se situent préférentiellement au- tour de 10% d’ADN éjecté. Quelques pauses autour de 5% d’ADN éjecté sont aussi décelables. La pause la plus longue observée est représentée sur le schéma. Toutes les éjections sont synchronisées de manière à ce qu’à t=0, 50% de l’ADN soit éjecté.

à mesure que le phage expulse son ADN, une boucle se forme et s’allonge rapidement. Une fois la translocation terminée, l’autre extrémité du génome reste accrochée au phage, ce qui nous permet d’observer une boucle de longueur bien définie. Il arrive parfois qu’une des deux extrémités de l’ADN se détache, la molécule d’ADN s’allonge alors entièrement dans le flux du buffer.

L’éjection en boucle est confirmée par la visualisation directe de la boucle d’ADN dans les films à 30 images par secondes au grossissement maximum (objectif 100x). Certaines fluctuations la font alors apparaître distinctement (figure10.9).

Notons que cette éjection en boucle est aussi observée dans une étude récente sur le phage

λ [132]. Les auteurs de l’étude proposent que l’éjection en boucle ait un rôle physiologique qui est d’aider à la cyclisation du génome lors de l’infection.11 En effet l’ADN du phage lambda présente deux courts fragments d’ADN simple brin complémentaires aux extrémités de son génome. Dans la capside, l’ADN est linéaire, mais grâce à ces bouts complémentaires, il se cyclise en quelques minutes in vivo, lors de l’infection.

Plusieurs travaux ont cherché à comprendre cette cinétique de cyclisation. Notamment, il a été montré que sous sa forme globulaire, l’ADN de lambda se cyclise beaucoup plus lentement qu’in vivo. Si l’ADN est condensé par la spermine, la réaction de cyclisation s’accélère drastiquement et devient compatible avec les valeurs in vivo[56, 57]. Les éjections en boucle qui ont été observées suggèrent que la réaction de cyclisation puisse aussi être accélérée par 11. L’hypothèse d’un artefact lié à la surface de la cellule de flux a été évoquée, mais les données combinées sur T5 et lambda rendent cette hypothèse moins probable : l’éjection en boucle est observée sur 3 chimies de surface différentes, dont une qui lie spécifiquement le phage λ. Toutes les éjections de T5 et environ 50% des

110 Cinétique de translocation du génome 120 100 80 60 40 20 0 Vitesse d'éjection (kbp/s) 120 100 80 60 40 20 0 Vitesse d'éjection (kbp/s) 100 80 60 40 20 0

Quantité d'ADN éjectée (%)

10 8 6 4 2 0 -2 temps(s) 100 80 60 40 20 0

Quantité d'ADN éjectée (%)

10 8 6 4 2 0 -2 temps(s) 140 120 100 80 60 40 20 0

Vitesse d'éjection de l'ADN (kbp/s)

100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

Quantité d'ADN éjectée (%)

Figure 10.8 – Cinétiques d’éjection en présence de Sybr Green I 10x. Haut : 2 courbes typiques d’éjec- tion avec des pauses et calcul de la vitesse d’éjection associée. Bas : Moyenne, sur tous les évènements étudiés, de la vitesse d’éjection en fonction de la quantité d’ADN éjecté : en haute concentration en intercalant (N=62, courbe rouge), et en basse concentration (N=70, courbe noire, identique à la figure10.4).

10.6 Conclusion 111

la proximité des extrémités du génome.

Nous ne pouvons évoquer un tel rôle physiologique pour T5, puisque son génome ne se cyclise pas lors de l’infection. Néanmoins l’éjection en boucle est peut-être un mécanisme de protection de l’extrémité du génome, le temps de l’infection.

10.6 Conclusion

Nous avons détaillé dans ce chapitre la dynamique de l’éjection de l’ADN in vitro pour T5. Elle révèle que l’ADN est faiblement mobile aux fortes concentrations volumiques d’ADN dans la capside, c’est-à-dire pour ρ > 0.35. Ce comportement est général puisqu’il est observé à la fois en présence de contre-ions monovalents, divalents, ainsi que pour un autre phage, le phage lambda [45,132].

Nous proposons que la dynamique de l’éjection de l’ADN soit essentiellement un processus hors équilibre. Différentes hypothèses sont proposées pour expliquer la baisse de mobilité aux fortes concentrations en ADN (reptation, transitions de phase, dynamique des nanodomaines d’ADN). L’observation de courtes pauses dans le processus d’éjection vient en appui de cette hypothèse.

112 Cinétique de translocation du génome 100 80 60 40 20 0

intensité de fluorescence normalisée (%)

14 12 10 8 6 4 2 0 temps (s) 40 30 20 10 0

longueur apparente d'ADN (µm)

100 80 60 40 20 0 300 250 200 150 100 50 0

Figure 10.9 – Translocation du génome de T5 en boucle. Haut : kymographe montrant une translo- cation typique. A t=0 l’ADN commence à sortir du phage. L’intensité de fluorescence intégrée augmente alors rapidement (courbe rouge), pour atteindre un plateau à t=4s. La longueur apparente d’ADN (courbe verte) passe de 14µm à 36µm à t=12s, bien que l’intensité intégrée reste constante. Milieu : kymographe pris à 30 images par seconde montrant la boucle d’ADN et son allongement progressif dans le flux. Zoom : photo d’un instant où la boucle d’ADN peut être distinguée. Bas : modèle d’éjection en boucle ; l’extrémité de la molécule d’ADN s’accroche sur la surface pendant que l’ADN continue de sortir de la capside. Après détachement d’une des extrémités d’ADN la molécule s’étend totalement.

Chapitre 11

L’ ”infection“ à travers une

membrane lipidique : vers un système

in vitro

plus réaliste

Dans les chapitres 8 et 10 nous avons étudié le processus d’éjection de l’ADN in vitro provoqué par l’interaction du phage avec son récepteur membranaire purifié sous forme soluble. L’interaction entre le phage et son récepteur se produit donc dans un environnement différent de celui rencontré in vivo où la protéine est insérée dans la membrane externe d’E. Coli. Sans aller jusqu’à recréer un environnement aussi complexe que celui rencontré in vivo par T5, nous allons complexifier notre système in vitro en suivant le passage de l’ADN à travers une bicouche lipidique1 dans laquelle FhuA a été introduite. De précédentes études ont montré la faisabilité de cette approche puisqu’il est possible de voir, par cryo EM, que T5 transfère spontanément son génome dans des protéoliposomes2contenant FhuA [100,67,66,11]. Dans un registre différent, deux études d’électrophysiologie réalisées sur des membranes lipidiques planaires ont permis de montrer que, mis séparément, ni FhuA ni T5 ne créent de pores à travers la bicouche. Or, si des phages T5 sont ajoutés sur une membrane lipidique contenant FhuA, des pores de haute conductance (0.1nS à 1nS dans une solution à 100mM KCl) se forment, prouvant l’action combinée de T5 sur FhuA [12,127].

11.1 Objectifs

Nous souhaitons détailler le mécanisme évoqué plus haut. Les études de cryo EM montrent que l’ADN est transféré dans les protéoliposomes contenant FhuA. Les études d’électrophysi- ologie confirment la formation d’un pore à travers la membrane ; il est raisonnable de penser que l’ADN de T5 traverse la membrane via ce pore. Des questions restent posées sur ce mé- canisme : à quel moment ce pore est-il formé ? Lors de la fixation du phage sur FhuA ? Lors de l’éjection de l’ADN, après l’étape d’activation ? Ou bien entre ces deux évènements ? Imagi- 1. Pour la description de la structure des lipides et d’une bicouche lipidique, se référer à la partie13.1dans la partie protocole.

114

L’ ”infection“ à travers une membrane lipidique : vers un système in vitro plus réaliste time (s) V

?

Courant (nA) Formation du pore Transfert de l'ADN Génome expulsé FhuA

Figure 11.1 – Un scénario possible pour le processus d’éjection à travers la membrane lipidique. T5 forme un pore dans la membrane (augmentation du courant) qui se bouche sous l’effet de l’éjection de l’ADN (diminution du courant et visualisation de l’ADN par fluorescence). Lorsque tout l’ADN est éjecté, la conductance du pore augmente à nouveau.

nons qu’un tel pore s’ouvre dans la bicouche lipidique et que l’ADN passe à travers ce pore. A cause de la présence de l’ADN, on s’attend à ce que le pore se bouche transitoirement, donc à une réduction du courant électrique. Comment expliquer que les études précédentes ne fassent pas état de telles fermetures transitoires ?

Pour répondre à ce paradoxe apparent, nous avons réalisé un montage permettant la mesure du courant électrique à travers une membrane et la visualisation simultanée de l’ADN éjecté par microscopie de fluorescence. L’analyse de ces deux signaux devrait permettre de mieux comprendre le processus. Un scénario probable est montré figure 11.1.

En outre, ce montage doit permettre de répondre à d’autres questions : la cinétique d’éjec- tion est-elle la même en solution et à travers une membrane ? Peut-on reconstituer l’éjection caractéristique in vivo en 2 étapes (voir partie 7.5.2) ? Peut-on mimer la membrane externe en co-reconstituant la protéine avec des lipides et du lipopolysaccharide (LPS) et observer un effet sur la cinétique de fixation de T5 ?3 Enfin nous pouvons, en théorie, étudier l’influence de certaines conditions asymétriques rencontrées par le phage lors de l’infection (potentiel membranaire, concentrations salines et agents condensants).

Ce projet a été effectué essentiellement pendant les 6 derniers mois de la thèse. Nous présentons dans cette partie les résultats expérimentaux qui concernent la mise au point du système d’éjection en membrane et du montage expérimental.

3. Le LPS est un lipide spécial lié de manière covalente à des sucres. Il est présent en grande quantité sur le feuillet externe de la membrane externe des bactéries gram- comme E. Coli. Des travaux (dont [51]) ont montré

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