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2.3. Les modalités de l’inscription des femmes dans Le Devoir

2.3.2. Écrire à l’extérieur de la page féminine

Notre étude empirique permet de remarquer un nombre grandissant de femmes journalistes qui publient en dehors la section féminine du Devoir lorsque celle-ci est toujours en vigueur. Cette recherche nous permet par ailleurs de nuancer la vision univoque de la page féminine quant à son association avec des thématiques associées aux sujets traditionnellement féminins. Nous pouvons poser ces mêmes questions en ce qui concerne la section générale du Devoir. Par quels sujets les femmes s’y inscrivent-elles et où paraissent leurs articles? Voilà les questions que nous voulons maintenant aborder.

2.3.2.1. Journalistes et thématiques traitées

Encore une fois, comme l’a révélé l’analyse de la page féminine, si plusieurs femmes signent dans Le Devoir, elles ne sont pas toutes employées par ce journal. Le

Devoir publie en effet ponctuellement des articles de femmes journalistes travaillant pour

d’autres quotidiens comme Danielle Evquem de l’Agence France-Presse74

. Dans la section féminine, il semble que ce soit davantage des collaboratrices occasionnelles que des journalistes d’autres journaux.

En ce qui concerne les femmes signant à plusieurs reprises dans la section générale du quotidien, elles sont peu nombreuses; nous retrouvons au cours de la période

74 Danielle Evquem, « Les dirigeants tchèques convoqués par le Kremlin », Le Devoir, 18 septembre 1968, p. 1.

Evelyn Gagnon (Evelyn Dumas-Gagnon)75

, Françoise Côté, Gisèle Tremblay puis Lise Bissonnette. Si Françoise Côté collabore à plusieurs reprises à titre de pigiste, puisque les articles mentionnent sous son nom « collaboration spéciale », les autres femmes sont employées régulières au Devoir. À la suite à l’abolition de la page féminine, Solange Chalvin et Renée Rowan signeront également de façon soutenue dans le journal comme il a été mentionné. Il s’agit ici de bien peu de femmes pour la période étudiée qui couvre onze années. Par ailleurs, il semble que celles-ci écrivent non pas concurremment, mais bien successivement (mis à part Renée Rowan et Solange Chalvin bien entendu).

Il est possible de noter la présence d’Evelyn Dumas-Gagnon dans notre échantillon du 20 janvier 1965 au 15 décembre 1967, période durant laquelle elle signe 71 articles. C’est avec des articles dédiés aux mouvements syndicaux, aux grèves et aux conditions de travail qu’elle fait sa marque dans les pages du journal. La journaliste Gisèle Tremblay, qui signe des articles du 20 mai 1969 au 18 janvier 1974, semble prendre la suite de l’affectation de Dumas-Gagnon puisqu’elle s’intéresse aussi aux grèves et aux mouvements syndicaux. Par contre, dès le 13 octobre 1972, elle rédige également des articles relatifs au domaine des arts et spectacles. En tout, l’échantillon comprend 60 articles de sa plume. Françoise Côté, quant à elle, signe seulement 15 articles dans notre échantillon, mais elle est présente de 1965 à 1975. Ses articles sont de nature politique. Finalement, il faut mentionner Lise Bissonnette, bien présente en 1974 et 1975 avec ses 54 articles. La majorité de ceux-ci portent sur l’éducation.

Renée Rowan, après l’abolition de la page féminine conserve la consommation parmi ses sujets de prédilection, mais signe aussi des articles portant sur des thématiques diverses, comme l’éducation, la famille et l’alimentation. Au total, elle publie 130 articles entre 1965 et 1975 si l’on exclut ceux qui paraissent dans la page féminine, dont vingt seulement alors que celle-ci existe toujours. En ce qui concerne Solange Chalvin, 101 articles de sa plume paraissent dans la section générale du quotidien. De ce nombre, 20 articles sont publiés sous sa signature à l’extérieur de la page féminine lorsque celle-ci

75 Nous remarquons qu’elle signe Évelyne Dumas-Gagnon dès le 11 août 1965 dans l’échantillon. Voir Evelyn Dumas-Gagnon, « Les fonctionnaires tenteront d’obtenir par la négociation ce que la loi leur a refusé», Le Devoir, 11 août 1965, p. 1.

existe toujours. Les questions sociales comme la santé, la famille et les services sociaux font l’objet de la majorité d’entre eux.

Toutes ces données démontrent que les thématiques traitées par les femmes qui sont journalistes au Devoir touchent principalement à des questions sociales. Cela rejoint les observations de Colette Beauchamp qui soutient en effet que les hommes se réservent la couverture de la politique, de l’économie et du sport et laissent aux femmes les sujets sociaux et culturels, argumentant que « la politique, l’économie et le sport leur sont plus « naturels » et que les sujets humains76

».

Tableau II. Thématiques principales dans les articles écrits par les femmes à l’extérieur de la page féminine selon notre échantillon avant son abolition (le 27 février 1971) et après son abolition en pourcentage (%)

Catégories Avant l’abolition de la

page féminin Après l’abolition de la page féminine

Politique 26,2 % 6,3% Mode + beauté + décoration 0,5% 1,9% Grèves + mouvements syndicaux 22,2% 11,1% Revendications féministes 11,6% 16,7% Éducation 5,6% 18,4% Art et spectacles 6,1% 7,9% Consommation 3% 8,2% Travail domestique (cuisine, travail ménager, etc…) 0% 0% Famille (maternité, enfants, famille, etc). 6% 9,4% Économie 1,5% 3,4%

Nous constatons par ce tableau que les sujets des articles rédigés par les femmes s’inscrivent effectivement dans la veine des questions sociales. On voit aussi des différences importantes entre les années. Toutefois, nous constatons également que les revendications féministes (avortement, Commission Bird, amélioration du statut des femmes, etc.) sont présentes même avant l’abolition de la page féminine. Il appert que les articles paraissant en dehors de la page féminine apportent rarement un point de vue féminin. On remarque effectivement que Renée Rowan est pratiquement la seule dont les articles reflètent les préoccupations féminines à l’extérieur de la page féminine.