• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Cadre théorique

2.1 L’écriture en contexte scolaire

2.1.1 Écrire : une définition générale

Spontanément, on appréhende l’écriture au sens où Le Petit Robert la définit, soit une « représentation de la parole et de la pensée par des signes » (Rey-Debove & Rey,

2004, p. 832). Partant, tout message qui recourt à un système signé constitue de l’écriture. Ainsi, il faudrait mettre sur un pied d’égalité des écrits codifiés, comme un texte légal, une dissertation littéraire ou une œuvre romanesque, et des écrits télégraphiques, comme une note épinglée au babillard familial, une fiche de pointage sportif ou une carte professionnelle. En fait, la littérature et les nouvelles technologies soulignent bien l’existence d’une multiplicité d’écritures. D’un côté, l’écriture des automatistes se conforme au code linguistique, mais ne traduit pas nécessairement une pensée organisée et cohérente. À l’opposé, le clavardage diverge en plusieurs points de l’écriture normative. Il s’apparente davantage à une transcription de la langue orale et innove : il établit de nouvelles correspondances entre graphèmes et phonèmes (ex. : embarquer > *embarker), recourt aux sigles et aux logogrammes (ex. : tout le monde > tlm; À plus > A+) ou utilise les binettes (smileys) afin d’évoquer les expressions faciales (Tatossian, 2010). Or, demeure-t-il une forme scripturale du seul fait qu’il repose sur un système signé? Et, plus généralement, à quel moment un message reposant sur le code alphabétique ne relève-t-il plus de l’écriture?

Deschênes (1988) rappelle que l’écriture constitue une « activité cognitivo-motrice

relativement complexe dont le but est l’énoncé d’un message avec une intention précise, à l’aide d’une forme particulière du langage » (p. 77). Le chercheur souligne également les

vertus fonctionnelles de l’écriture, qui permet de « révéler à soi et aux autres sa perception

et sa compréhension des choses » (p. 77). De tels traits définitoires ne permettent pas de

distinguer écrit et oral. Cependant, ces deux modes de communication diffèrent à plusieurs égards. Comme le démontre Fayol (1996), l’écriture est une activité solitaire et asynchrone : le scripteur s’adresse à un destinataire qui, du fait de son absence, ne réagira au texte qu’après-coup. Ce n’est pas le cas de l’oral, qui se déroule le plus souvent en mode dialogal. De plus, l’écriture est associée à un rythme de production lent, qui peut entraver la transcription linéaire des idées : alors que l’adulte écrit jusqu’à six fois plus lentement qu’il ne parle, l’enfant, lui, peut écrire jusqu’à 12 fois plus lentement! Aussi, la production textuelle est caractérisée par la persistance d’une trace écrite, qui permet les retours en

arrière, chose moins commune à l’oral. Enfin, le scripteur doit respecter des critères normatifs beaucoup plus rigides que dans la langue parlée.

Comme Deschênes (1988) le souligne, ces définitions descriptives et fonctionnelles sont surtout limitées par leur prise en considération limitée de la cognition. L’écriture constitue une activité essentiellement cognitive; or, les définitions citées plus haut ne permettent pas de comprendre ni même d’entrevoir l’activité mentale qui a cours chez le scripteur en action.

Le Programme de formation de l’école québécoise a établi ses objectifs d’apprentissage à partir d’une définition plus précise et plus élaborée – du moins à première vue –.

Préoccupé de construire un texte de qualité, significatif et cohérent, l’élève développe un processus d’écriture qui l’amène à planifier, à rédiger, à réviser, à améliorer, à corriger son texte et à se prononcer sur l’efficacité de sa démarche. À l’instar des rédacteurs professionnels, il apprend à explorer et à choisir des idées, à utiliser un vocabulaire précis ou évocateur, à organiser son texte et à en marquer les articulations, de même qu’à assurer la continuité et la progression de l’information qu’il contient. Il s’efforce d’employer une orthographe, une ponctuation et une syntaxe correctes. Le retour réflexif sur ce qu’il a écrit l’amène à expliciter ses propos et à ajuster son texte à la suite de relectures ciblées ou de suggestions d’autrui. Il prend ainsi conscience de l’importance de la révision au cours et à la fin de la rédaction. Écrire, c’est aussi réécrire. En effet, la présence de notes, de ratures ou de renvois renseigne sur le processus suivi et les difficultés éprouvées. À cet égard, les manuscrits d’écrivains offrent un témoignage éloquent. (Ministère de l'Éducation, 2004, p. 108)

Une telle définition est certes intéressante, puisqu’elle met en évidence l’aspect procédural de l’écriture (« un processus d’écriture »), notamment l’utilisation non linéaire de compétences rédactionnelles (« révision au cours et à la fin de la rédaction »). Surtout, elle rappelle que l’écriture sollicite des compétences et des connaissances liées à la grammaire textuelle, dépassant par le fait même le simple cadre de la phrase – et donc de la grammaire phrastique. Malgré tout, cette définition est diffuse, à plusieurs égards. Elle énumère une série d’habiletés métacognitives (« retour réflexif », « se prononcer sur

l’efficacité de sa démarche »), de processus cognitifs (« planifier », « rédiger », « réviser »,

etc.) et de connaissances (« vocabulaire », « orthographe », « ponctuation », etc.) qui devraient être sollicités par les élèves, sans pourtant les hiérarchiser ou les organiser dans un modèle cohérent. De plus, elle présente distinctement plusieurs opérations dont on arrive mal à saisir la spécificité : comment différencier révision, amélioration et correction du

texte? Surtout, si la définition ministérielle reflète des concepts mis de l’avant par les

sciences de l’éducation, elle exprime surtout des attentes. Par exemple, le retour réflexif sur les écrits ne mène pas nécessairement à l’ajustement du texte, bien que ce soit souhaitable. Certaines de ces attentes laissent même perplexe : le simple fait de s’efforcer à employer une orthographe convenable ne suppose pas l’atteinte d’exigences minimales. Puisque cette définition aborde la dimension cognitive de façon parcellaire, elle est peu opératoire dans le cadre d’une approche scientifique.

Il convient donc de se référer aux recherches du domaine de la psychologie cognitive qui ont porté sur la notion d’écriture. Un postulat est admis d’emblée par les chercheurs de cette mouvance : l’écriture constitue, pour l’essentiel, une activité de production de textes (Deschênes, 1988; Fayol, 1996; Piolat & Roussey, 1992; Plane, 1996). Cette activité prend source dans « une tâche contextualisée qui active des connaissances

chez le scripteur » (Deschênes, 1988, p. 77). Les cognitivistes perçoivent donc l’écriture

comme la mobilisation de connaissances stockées dans la mémoire et la prise en compte des contraintes et des normes situationnelles (Legendre, 2005). Cette interaction sujet-tâche est centrale dans la compréhension de l’écriture.

La tâche d’écriture, en contexte scolaire, est constituée d’éléments fondamentaux. Garcia-Debanc (1995, p. 199) les rappelle : le « type de texte dominant », le « caractère

fictionnel ou non fictionnel des écrits », le « statut du destinataire virtuel », le « statut des critères d’évaluation pouvant guider la production ou la révision des écrits » et le « degré d’ouverture de la consigne », qui inclut des éléments tels le libre choix ou l’imposition

base afin de concevoir une situation d’écriture claire, que les élèves pourront aisément se représenter.

Les travaux des cognitivistes s’attachent surtout à comprendre l’activité mentale du scripteur. En fait, ils rapprochent fréquemment la production de texte à une démarche de résolution de problèmes. Cette démarche appelle l’activation d’une série d’opérations cognitives complexes et difficilement automatisables (Hayes & Flower, 1980; Piolat & Roussey, 1992). Par opérations cognitives, on entend une « séquence d'états internes

successivement transformés par le traitement de nouvelles informations. Actifs et organisés dans le temps, ces processus exploitent les connaissances puisées dans l'environnement ou dans la mémoire à long terme du rédacteur » (Piolat & Roussey, 1992, p. 107). En d’autres

mots, les opérations cognitives constituent des chaînes d’actions et de réactions : alors que se présentent de nouveaux problèmes, le scripteur doit traiter de nouvelles informations. Pour y arriver, il exécute des opérations mentales, qui provoquent d’autres questionnements, puis d’autres ajustements, etc. Ce traitement continu assure la progression de la tâche. Ces décisions, toutefois, ne sont pas prises au hasard : elles sont « hiérarchisées

entre elles, interdépendantes et récursives, et, somme toute, compréhensibles mais imprévisibles en raison de la complexité des paramètres qui les ont déterminées » (Plane,

1996, p. 41). À ce titre, elles sont particulièrement exigeantes pour le scripteur (Plane, 1996).

On retrouve plusieurs similitudes entre les modèles cognitivistes de l’écriture et les modèles de résolution de problèmes mathématiques. D’une part, dans les deux perspectives, les processus déployés par l’élève sont semblables : il existe une instance de « contrôle commande », qui permet à l’individu de planifier la séquence d’actions à poser. On retrouve aussi un « contrôle vérification », dont l’objet est la validation de l’efficacité de la démarche. D’autre part, les niveaux de connaissances impliquées dans les deux activités sont parents : d’abord, des connaissances pour comprendre la situation (le problème mathématique ou, encore, la situation d’écriture); ensuite, des connaissances conceptuelles (actions à mobiliser pour résoudre le problème ou idées, sous forme de propositions, à

intégrer au texte); enfin, des savoirs procéduraux qui permettent de déployer les opérations (mathématiques ou rédactionnelles) nécessaires dans un ordre opportun (Piolat & Roussey, 1992). Néanmoins, on ne peut fondre totalement l’écriture et la résolution de problèmes en une seule et même activité : alors que le but de la résolution de problème est clair (parvenir à une solution), celui de l’écriture l’est beaucoup moins. Certes, il s’agit de parvenir à rédiger un texte, mais les résultats possibles sont tellement nombreux qu’il serait vain de vouloir obtenir la bonne solution (Piolat & Roussey, 1992).

En somme, nous définirions l’écriture comme un processus de rédaction textuelle, au cours duquel le scripteur active des connaissances et déploie des opérations cognitives afin de communiquer sa pensée selon des exigences contextuelles fixées tant par la tâche que par les particularités du discours écrit.

Dans le système scolaire québécois, une définition semblable – quoiqu’imparfaite, nous l’avons vu– constitue l’assise des prescriptions ministérielles; conséquemment, elle a modelé les activités scolaires, leur conférant certains traits récurrents. Tout d’abord, en classe, une tâche d’écriture énonce les exigences préétablies. Aussi, l’enseignant évalue habituellement la production réalisée : la compétence scripturale devient donc capitale dans la sanction des études. Finalement, on prête une vertu d’importance à la maîtrise des genres scolaires : elle permettrait l’accession au statut de scripteur expert. L’expression genre

scolaire est cruciale : Schneuwly et Dolz (1997) rappellent que l’école enseigne

systématiquement des versions transformées des genres littéraires, puisqu’elle vise des apprentissages précis. Le genre n’est donc plus d’abord un outil communicationnel, mais un outil d’apprentissage : « le genre travaillé à l'école est toujours une variante du genre de

référence, construite dans une dynamique d'enseignement / apprentissage, pour fonctionner dans une institution dont le but premier est précisément ceci » (p.34). L’écriture scolaire est

donc le terreau du développement du scripteur. Il transférera ensuite les habiletés et les connaissances linguistiques, rhétoriques ou logiques acquises en classe à des situations extrascolaires –du moins l’espère-t-on.

Cette définition synthétique est toutefois bien incomplète, comme toutes les autres. Seules les modélisations du processus d’écriture permettent de mieux en saisir la nature, puisqu’elles articulent les variables impliquées de façon cohérente. La prochaine section présentera les principaux modèles issus des travaux de chercheurs cognitivistes. Nous y exposerons avec plus de précision les opérations cognitives impliquées dans l’écriture afin de préciser la définition générale que nous venons d’ébaucher.