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2. Les instruments des politiques agro-environnementales

2.3. Économie industrielle d’une agriculture durable

Un autre argument pour privilégier l’intervention par le biais de mécanis-mes incitatifs, est que de manière générale, il convient de stimuler le dyna-misme entrepreneurial du secteur agricole, pour qu’il soit à même de saisir au mieux les opportunités de valorisation de ses produits ou services, en trouvant les modes de production et d’organisation avec l’aval les plus ap-propriés.

4. Mécanismes de marché et préservation de la biodiversité(*)

Un article récent de Weber (2004) considère le mécanisme suivant, dans une région donnée, le législateur déciderait d’affecter 12 % de la surface à la préser-vation des espèces. Il émettra alors des permis pour utiliser des surfaces, à hauteur de 88 % de la surface totale de la région. Toute personne acquérant un terrain comportant une maison, un commerce, etc., ou désirant construire, culti-ver ou déboiser un terrain existant, devra acquérir les permis correspondant à la surface du terrain. Toute personne voulant vendre un permis doit d’abord res-taurer le terrain dans son état naturel. Ce marché permet donc à la fois de consacrer les terrains les moins utiles économiquement à la préservation, et de répartir de façon efficace les efforts de remise en état, en les déléguant au secteur privé. Si par exemple le gouvernement décide d’augmenter la surface préservée, il acquerra un certain nombre de permis, faisant ainsi monter le prix ; cela incitera les individus pour lesquels les coûts de remise en état sont les plus faible à convertir leurs terrains et à céder leurs permis au gouvernement.

Ces mécanismes doivent cependant être complétés s’il existe des externalités dans la formation de réserves (par exemple si les réserves contiguës ont plus d’intérêt pour la biodiversité que les réserves espacées), le marché envisagé ne prenant pas en compte ces effets qui requièrent donc un instrument supplé-mentaire. Il se peut également que le marché de permis conduise à une alloca-tion trop fragmentée de l’espace à la préservaalloca-tion (c’est-à-dire des réserves éparpillées en un grand nombre d’unités de très petite taille) ; mais ce problème peut être résolu en fixant une taille unitaire suffisamment grande pour chaque permis.

Il apparaît que l’approche par les marchés de permis est d’autant plus vala-ble que :

• la valeur écologique de l’espace est uniforme ; • sa valeur économique ne l’est pas.

L’auteur compare ensuite la performance des marchés de permis avec celle de la couverture maximale dans le cas de la forêt boréale canadienne, en utilisant des données sur le nombre d’espèces observées sur chaque municipalité, ce qui permet de mesurer la valeur de chaque site pour la biodiversité. Elle estime également la valeur d’usage de chaque site pour l’exploitation forestière et l’extraction de gaz et de pétrole, à partir de données sur les prix du bois et le niveau des stocks, et les résultats d’enchères pour les concessions pétrolières et gazières.

La couverture maximale apparaît une stratégie uniformément plus coûteuse que les marchés de permis : le fait de choisir les emplacements les meilleurs pour la biodiversité ne compense pas les coûts supplémentaires dus au fait que la valeur économique de ces emplacements n’est pas prise en compte.

À cet égard, le volet économique (Mollard, Chatellier et al., 2003) de l’expertise collective de l’INRA « Agriculture, territoire, environnement dans les politiques européennes » soulignait incidemment cette dimension indus-trielle d’une agriculture durable, qui doit différencier ses procédés et ses produits, et développer les instruments de reconnaissance de leur qualité.

L’étude observait, par exemple, que dans un secteur comme celui du fruit, l’innovation à but sanitaire ou environnemental tend à devenir une con-dition de la concurrence et de l’accès au marché, ce qui oblige les produc-teurs à progresser plus rapidement que d’autres dans la réduction des im-pacts environnementaux négatifs.

Plus généralement, il observe que la demande des ménages connaît une évolution structurelle longue pour les produits alimentaires et pour tous les services accessibles sur les espaces ruraux, et accorde un poids croissant aux questions de qualité, de sécurité, ainsi qu’aux modes de production des produits. Le fait de ne pas l’avoir anticipé nous a conduit à être fortement importateur net sur le « bio », par exemple.

De même, on observe, qu’au cours des années récentes, la grande distri-bution a introduit de nouvelles segmentations pour répondre à cette évolu-tion de la demande (Bazoche et Giraud-Héraud, 2005).

Bien évidemment, les marchés des secteurs des grandes cultures et bo-vins, demeurent moins directement affectés, dans la mesure où leurs pro-duits sont plus homogènes, et qu’ils ne sont qu’un produit intermédiaire des industries agricoles et alimentaires. Cependant ceux-ci sont particulièrement concernés par les contraintes environnementales liées à l’utilisation de leurs intrants. De plus, les modalités passées de soutien dans le cadre de la PAC avaient ajouté un biais à l’homogénéité du produit, qui tend à disparaître. Enfin, la question de valoriser leurs services territoriaux peut aussi se poser, si bien que le renforcement des références et des capacités techniques est une tendance qui vaut pour l’ensemble de notre agriculture. La question des politiques de signes de qualité se trouve ainsi posée de manière très générale. Certes, les possibilités de valorisation de l’attribut environnemental par un consentement à payer plus fort des consommateurs rencontrent des limi-tes. Mais ceci n’est pas un argument pour les ignorer, et ce d’autant moins que des techniques et des pratiques plus favorables à l’environnement sont susceptibles d’émerger, ne générant pas de surcoûts importants par rapport aux solutions conventionnelles actuelles.

Une autre dimension industrielle apparaît à propos du développement des débouchés non alimentaires des biomasses. Comme le notent Colonna et al. (2004), saisir cette opportunité demande cependant de changer là radicalement d’échelle et d’approche pour faire de ces débouchés des ob-jectifs à part entière de la production agricole et non plus des « variantes d’ajustement » des filières alimentaires.

Conclusion

L’environnement constitue un élément structurant à prendre en compte pour définir la régulation future du secteur agricole, à la fois parce que les ressources naturelles et énergétiques ont un prix, et parce qu’il convient de tirer pleinement profit des opportunités de valorisation des nouveaux pro-duits et services que peut offrir notre agriculture. Lorsque les bénéfices correspondants ne sont pas appropriables, il faut mettre en place les rému-nérations des externalités positives appropriées.

Comme toujours, l’intervention publique doit être fondée économique-ment, c’est-à-dire corriger des imperfections de marché dûment identifiées. Les instruments de marché doivent être privilégiés pour cela, sachant que le premier souci à avoir est d’établir un cadre général de régulation favorisant la création de « valeur sociale », par la meilleure valorisation des produits et procédés agricoles.

Outre une analyse financière de ces perspectives, qui devrait intégrer la possibilité de développer les systèmes de quotas échangeables, trois gran-des étugran-des ou expertises collectives de synthèse pourraient être lancées en prolongement (cf. encadré 5), et soumises à débat :

• l’agriculture face aux fluctuations des marchés et aux risques environnementaux ;

• l’impact du changement climatique pour l’agriculture ; • le bilan coûts-avantages de la déprise.

5. Recommandations

– Examiner, globalement, les conditions de couverture des risques agricoles. – Établir une stratégie vis-à-vis du changement climatique pour l’agricul-ture française.

– Fonder, en termes coûts-bénéfices, les politiques de non-déprise agricole. – Consolider la compatibilité du soutien et des réglementations agri-environnementales et sanitaires avec les règles de l’OMC et du Marché unique. – Faciliter « l’appropriabilité » des modes de production plus vertueux et des services agro-territoriaux et environnement (normes et labels).

– Recourir aux marchés de permis et certificats verts pour établir un signal-prix incitatif vis-à-vis des pressions sur l’environnement, mais aussi, pour ré-munérer les services territoriaux et environnement (par des systèmes de droits d’aménagement négociables ou de certificats de protection).

– Créer (lorsque ceux-ci ne peuvent émerger du marché) de véritables ache-teurs publics de ces services, notamment pour la biodiversité, en séparant cette

fonction d’acheteur, de celle d’opérateur (PNR vs parcs nationaux –

conserva-toire du littoral).

La régulation des relations entre agriculture et environnement sera un enjeu majeur tant pour l’avenir des politiques agricoles que pour celui des politiques d’environnement (politique de l’eau, biodiversité,…). Devant le constat d’un déficit d’analyse à long terme sur la question, les ministères en charge de l’agriculture et de l’environnement et le CNASEA ont lancé en-semble une démarche d’analyse prospective spécifique à ce thème, mobili-sant un groupe de travail ad hoc, intitulé « groupe de la Bussière » (2006), présidé par Philippe Lacombe (INRA). Cette démarche n’avait pas de vi-sée prescriptive ou opérationnelle ; son objectif était de produire des images à long terme, tenant compte des dynamiques, des inerties et des tendances en cours, mais aussi des ruptures possibles. Ces images de l’avenir consti-tuent des repères nécessaires pour remettre en perspective à plus long terme les débats actuels sur les instruments des politiques publiques concernées (mesures agri-environnementales, réforme de la PAC, éco-conditionnalité…). Une idée centrale de l’analyse est de considérer que l’état de l’environ-nement produit par l’agriculture dans une génération – soit 2025 – ne sera pas seulement issu des seules politiques dites environnementales, mais de la manière dont elles réussissent à s’articuler avec le développement de l’agri-culture dans son ensemble, qui est largement déterminé également par d’autres facteurs propres au secteur agricole. L’expression d’une prise en charge, même ambitieuse, des préoccupations environnementales, ne peut pas conduire seule à la résolution des problèmes, si les déterminants technico-économiques vont dans un sens opposé.