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L’écologie, le changement climatique   et la vie « bio » dans la presse féminine

Dans le document ET DÉVELOPPEMENT DURABLE  (Page 193-200)

Romina SURUGIU 

Introduction 

Dans un article sur les problèmes de la pollution de la planète, on  mentionne « les choses simples que l’on peut faire à partir d’aujourd’hui  pour combattre la pollution ». Selon la journaliste d’un magazine féminin  de  type  « grand généraliste »,  publié  en  Roumanie,  il  s’agit  d’un  défi  important  pour  la  société  (« la  pollution  de  l’environnement  est  un  problème qui nous concerne tous – malheureusement, nous choisissons  souvent de la mettre en dernier »), mais qui se solutionne simplement par  des  actions  individuelles  applicables  immédiatement,  comme  éviter  le  gaspillage de l’eau quand on se brosse les dents, utiliser le transports en  commun ou avoir une attitude « eco‐friendly » concernant la nourriture,  comme suggère une organisation dédiée à la protection de l’environnement  (Prangate, 2020). L’article n’est pas une exception pour la presse féminine,  comme  nous  allons  le  montrer  plus  bas,  il  suggère  au  contraire  une  tentation  de  simplifier  la  problématique  générale  de  la  protection  de  l’environnement. 

La  protection  de  l’environnement  est  quand  même  une  problématique complexe qui touche les intérêts des lectrices de la presse  féminine et les intérêts des marques de l’industrie de la mode ou d’autres  industries  polluantes.  Ce  chapitre  se  propose  donc  d’analyser  l’image  générale  de  la  protection  de  l’environnement  et  des  défis  liés  au  changement climatique qui se dégage des magazines féminins publiés en 

Roumanie, actuellement, pour confirmer ou infirmer l’hypothèse d’une  possible simplification du message écologique.  

 

« Toucher » une controverse 

Comme d’autres thèmes scientifiques, les changements climatiques  sont le sujet des controverses au sein de la communauté scientifique, mais  aussi  dans  l’espace public.  Historiquement, les sciences  du climat  ont  bénéficié d’une attitude favorable de la part des journalistes, comme le  montre le journaliste de science Sylvestre Huet : « en France, depuis vingt  ans la réalité du réchauffement n’est pas contestée par les élites politiques  et économiques, ce qui a accompagné une production journalistique assez  consensuelle… » (Huet, 2014, p. 27). Mais, les enjeux économiques et les  intérêts politiques ont fait émerger les climatosceptiques, avec leurs doutes,  leurs  modélisations  climatiques  différentes  et  leurs  prévisions  plutôt  optimistes.  Au  niveau  global,  les  discours  politiques  qui  réfutent  le  changement  climatique  (comme  celles  du  président  américain  Donald  Trump) se mélangent avec des discours scientifiques des climatologues qui  contestent ou  acceptent  la  problématique  en  question.  Le  changement  climatique devient une controverse sociotechnique, qui « mêle arguments  scientifiques et techniques, et considérations politiques et idéologiques »  (Aykut, 2014, p. 32), ayant comme résultat une perception générale qu’il  s’agit d’un problème complexe, avec peu de solutions immédiates.  

 

La presse féminine contemporaine 

Les magazines féminins ont toujours été intéressés par l’idée d’avoir  un côté social dans leur contenu journalistique (Charon, 2008 ; Conboy,  2009 ; Gough‐Yates, 2003 ; Kelsey, 2003 ; Soulier, 2008). Cette dimension  sociale et sa force d’influence dans  la société ont été  sous‐estimées  et  négligées par les élites et par la recherche sur les médias, souligne Soulier  (2008,  p. 24).  L’engagement social  des  magazines  est  une  réponse  au  phénomène social d’« annihilation symbolique de la femme » (dans le sens  de Gaye Tuchman, citée par Rovența‐Frumușani, 2009, p. 7), annihilation  qui n’a pas été totalement résolue, en dépit des transformations sociales et  de la mobilisation collective. 

Spécialiste de la presse féminine et ancien éditeur de presse, Vincent  Soulier  a  parlé  d’une  véritable  « puissance  frivole »  qui  décrit  cette  influence sociale forte, qui se « cache » dans la superficialité et la futilité,  dans l’obsession de promouvoir le « glamour », de la mode et l’idée de  carpe diem (Soulier, 2008, p. 24‐25). 

Les  magazines  féminins  s’attaquent  également  aux  problèmes  importants de la société, comme les droits des femmes, la pauvreté des  femmes,  l’inégalité  ou  la  discrimination.  Il  s’agit  d’un  « récit  d’émancipation » en place de 1968 à nos jours (Geers, 2016, citée par Pavard,  2018, p. 119). Du combat pour la légalisation de la pilule contraceptive aux  droits  des  minorités  et  à  la  pénalisation  des  violences  familiales,  les  magazines féminins ont contribué au changement des mentalités dans la  société (Kelsey, 2003 ; Soulier, 2008). Aujourd’hui, aux thèmes « classiques »  de la presse féminine on ajoute un intérêt croissant pour le développement  durable, pour la protection de l’environnement, pour l’écologie et la nature. 

Au  cours  du  temps,  les  magazines  féminins  sont  devenus  des  produits  médiatiques  très  sophistiqués  et  raffinés,  de  point  de  vue  rédactionnel et visuel, ainsi que de point de vue de la stratégie marketing. 

Pour augmenter le nombre de lecteurs et des contrats publicitaires, les  magazines ont développé des concepts éditoriaux forts qui les ont aidés à  s’individualiser  sur  un  marché  médiatique  compétitif  et  surpeuplé. 

(Holmes, 2007 ; Charon, 2008) Les éditions internationales (comme Elle,  Vogue, ou Glamour) sont présentes sur de nombreux marchés et imposent  une identité de marque bien construite, qui attire les lecteurs — c’est le cas  du marché des médias de Roumanie, où les titres internationaux avaient  une forte diffusion au début (Roșca, 2012 ; Surugiu, 2012). 

Les magazines féminins combinent texte et images dans un design  conçu  pour  attirer  et  séduire  les  lecteurs.  Le  journalisme  de  presse  magazine a toujours été associé à la créativité, explique Charon (2008, p. 

81), en ajoutant que « l’information et le contenu doivent être originaux,  attirants, intéressants, mais ils doivent aussi séduire, faire plaisir… ». 

Les  articles  positifs  et  faciles  sont  préférés  aux  genres  rédactionnels« sérieux » (les « hard news ») – la réalité est embellie ou  édulcorée. Le lecteur est au centre de toute décision éditoriale : les sujets  traités, la mise en page, la carte graphique – tout est choisi en fonction du  profil du public. « Le mantra de l’éditeur de magazines est d’être toujours 

attentif  aux  besoins,  désirs,  espoirs,  peurs  et  aspirations  du  lecteur »  (Holmes, 2007, p. 514). 

Les  dernières  années  ont  apporté  un  changement  attendu,  mais  inquiétant : les jeunes femmes préfèrent l’Internet (les blogs, les vlogs, les  réseaux sociaux) comme principale source d’information sur la mode. Un  sondage  récent  fait  en  Roumanie  montre  que  56%  des  étudiantes  découvrent la mode sur Internet et seulement 17% utilisent des magazines  féminins pour s’informer sur les tendances dans l’industrie « fashion »  (Marinescu, 2020, p. 12). 

En termes de discours, les titres féminins véhiculent une pluralité de  messages sur les transformations sociales et politiques, dans une « volonté  de coller à l’air du temps » (Pavard, 2018, p. 120). La presse féminine  s’engage dans des discours militants et adopte des stratégies éditoriales  dans le but de s’ouvrir à un nouveau lectorat (Pavard, 2018, p. 121). Les  stéréotypes de genre sont toujours véhiculés, malgré l’adaptation de la  ligne éditoriale au discours féministe. 

Comme institutions, les magazines féminins sont caractérisés par la  massification  progressive,  la segmentation  forte,  l’intégration dans  des  grands groupes de communication et les liens « forts » avec les marques et  la publicité (Pavard, 2018, p. 122). 

 

La tension créée par le consumérisme 

Le  luxe  et  la  consommation  en  excès  commencent  à  devenir  problématiques dans la société contemporaine (Petcu, 2015 ; Marinescu et  Podaru, 2017), mais ils sont les conditions d’un véritable épanouissement  de l’industrie de la presse féminine.  

Parmi les conditions sine qua non de développement de la presse  magazine, Tim Holmes, éditeur et professeur de journalisme, compte huit  conditions  sociales  générales :  « réformes  éducatives  augmentant  l’alphabétisation, augmentation de la classe professionnelle et moyenne  (des  cadres),  augmentation  des  loisirs/consommation  ostentatoire,  production de masse de produits de base, concentration de la population  dans les villes, distribution nationale efficace, développement du marketing  et de la publicité et améliorations technologiques » (Holmes et Nice, 2012,  p. 110). Pour créer une distinction entre des marques et des produits quasi‐

similaires et pour stimuler le désir des consommateurs pour ces produits et  marques, les entreprises  ont intérêt à  encourager la consommation de  masse et ont besoin de plateformes médiatiques pour atteindre ce but,  explique Holmes dans le travail cité. 

Les magazines féminins sont dans une relation de symbiose avec  l’industrie de la mode, l’industrie de la beauté et l’industrie du tourisme  qui sont des entreprises globales polluantes. La publicité apportée par ces  industries permet aux magazines d’en tirer profit et de rester compétitifs  (Pavard, 2018 ; Apostol, 2020). Par conséquent, les magazines encouragent  le consumérisme des lectrices, en les conseillant d’acheter de plus en plus. 

Les  pages  des  modes  sont  pleines  des  photographies  de  dizaines  de  produits.  

De notre point de vue, l’expression anglaise « must‐have » (le besoin  d’avoir / fortement désirable / indispensable / essentiel) utilisée à l’excès  dans  les  pages  de  mode  en  Roumanie  est  devenue  l’épitomé  de  la  consommation  promue  par  les  titres  féminins  parce  quʹelle  encapsule  l’idéologie du consumérisme. Les éditeurs sont conscients de l’influence  douteuse de cette idéologie et essayent d’éduquer ou d’avertir le public  (Munteanu, 2018 ;  Cristescu, 2020), mais en  fin  de journée  ce sont les  grandes compagnies de mode ou beauté qui contribuent significativement  au budget des groupes de presse et qui paient les salaires des journalistes.  

La recherche 

Pour analyser l’image générale de la protection de l’environnement et  du défi du changement climatique qui se dégage des magazines féminins  publiés en Roumanie, en ce moment nous avons utilisé l’analyse thématique,  définie  par  Clarke  et  Braun  (2017,  p.  297)  comme  une  méthode  d’identification, d’analyse et d’interprétation qui a pour but l’identification  des schémas/modèles de signification (« les thèmes ») dans les données  qualitatives  collectées.  L’analyse  thématique  est  valorisée  positivement  parce qu’elle offre une « approche » organique et flexible sur le codage et  sur le processus de développement de thèmes, met en valeur le rôle actif du  chercheur dans ces processus (Clarke et Braun, 2017, p. 297 ; Nowell et al,  2017, p. 2). 

Le corpus analysé inclut 104 articles : (a) 60 articles publiés par les  éditions  électroniques  des  cinq  titres  féminins :  quatre  généralistes  (Avantaje, Elle Roumanie, Glamour Edition Roumanie, et Unica) et un  magazine « people » qui vise les femmes (Viva) dans la période janvier  2018 — août 2020 et (b) 48 articles des éditions imprimées extraits des  mêmes magazines : Avantaje (août 2020, avril 2018), Elle Roumanie (août  2020, mai 2019, avril 2018), Glamour Édition Roumanie (été 2020, automne  2019), Unica (août 2020, juillet 2019, avril 2018) et Viva (août 2020, juin  2019, septembre 2018). 

Les articles des éditions électroniques ont été sélectionnés à l’aide de  moteurs de recherche des sites des magazines (en utilisant des mots clés  comme :  « écologie »,  « environnement »,  « changements  climatiques »). 

Aussi, pour chaque magazine ont été choisis deux ou trois numéros publiés  entre 2018‐2020. Les articles imprimés ont été analysés dans le contexte  éditorial et publicitaire de chaque numéro en entier. En réunissant un  corpus qui comprend les éditions électroniques et imprimées, nous avons  essayé  de  respecter  le  caractère  hybride  de  la  presse  féminine  contemporaine  de  Roumanie :  les  grands  titres  gardent  leur  édition  imprimée dans le même temps avec leur édition électronique. Les articles  publiés dans les  éditions imprimées sont dans plusieurs cas différents  d’articles publiés sur Internet. Les magazines utilisent cette technique pour  garder leur public fidèle près de leur édition imprimée, mais aussi pour  attirer le public jeune qui préfère surfer sur Internet plutôt que d’acheter les  magazines au kiosque de journaux. 

Thèmes proposés par les magazines féminins – protéger la nature… 

un côté optimiste 

Au niveau déclaratif, on peut observer une véritable obsession pour  la protection de la nature. Les exemples sont nombreux, car la nature est  évoquée dans des contextes éditoriaux très divers : les pages de mode où  on  observe  une  attention  portée  aux  matériaux  écologiques  (« Il  est  important de savoir que les technologies avancées permettent désormais de  créer  des  substituts  la  peau  naturelle qui  lui ressemblent  fortement »,  Glamour, automne 2019, p. 115), les pages de décoration intérieure où sont  préférées les motifs végétaux, organiques, naturels, les pages de beauté qui 

valorisent les produits éco/bio ou les entretiens avec des nutritionnistes,  des activistes, des stars etc.  

« L’une des principales tendances qui s’est consolidée ces dernières  années est la proximité avec la nature », explique Ana‐Maria Călin dans un  article sur les décorations intérieures, publié par Avantaje (2020, p. 94). 

« Pourquoi as‐tu décidé d’être végane ? » est interpellée une nutritionniste  dans le magazine Avantaje, et sa réponse met en avant la protection de la  planète et le côté éthique (Mușat, 2018, p. 50). Dans Unica, l’océanographe  et géophysicienne Adela Dumitrașcu, déclare qu’elle essaie de réduire la  consommation de viande et de poisson pour protéger le climat (Mușat,  2020, p. 39).  

Les magazines suggèrent à leur lectorat qu’en ce qui concerne la  nature, il existe des solutions simples qui peuvent être mises en œuvre  immédiatement par toutes et tous. Le ton positif est une caractéristique de  la  presse  féminine,  comme  nous  lʹavons  déjà  souligné.  L’optimisme  caractérise beaucoup de récits et d’ articles dans les titres féminins, comme  par exemple, dans le magazine Viva qui raconte l’histoire d’un fleuriste  roumain qui a  gagné un prix au niveau mondial : « son travail (d’un  fleuriste roumain) ‘Let’s get back to nature ! To honor and love it’ a été créé  comme une projection de la situation actuelle de réchauffement globale,  mais  aussi  comme  une  représentation  optimiste  du  futur »  (Viva,  septembre 2018, p. 86). 

L’idée de solutions simples, accessibles à tous est amplifiée par le fait  que les nouvelles ou publi‐reportages sont présents dans une quantité  importante  (vers  30%)  dans  les  magazines  et  ces  genres  annoncent  l’information sans l’analyser ou l’interpréter. 

Les stars s’impliquent 

Une place très importante dans la médiatisation des défis associés au  changement climatique et au réchauffement de la planète est occupée par  les  stars  nationaux  et  internationaux.  L’édition  électronique  d’Unica  présente les efforts pour la protection de l’environnement faits par Armin  Van Buuren, Leonardo di Caprio, Ellie White et Jane Fonda. Le magazine  Viva  donne l’exemple des  stars autochtones  (Mirela Vaida  ou Simona 

Gherghe). Le féminin Elle présente la cérémonie des prix Oscar 2020, lors  de  laquelle  l’acteur  Joaquin  Phoenix  a  critiqué  dans  son  discours  l’égocentrisme et les choix humains impitoyables qui affectent négativement  l’environnement. La figure de Greta Thunberg est aussi présente, dans Elle et  Viva. La célèbre jeune activiste suédoise est admirée pour sa force et son  courage, et doucement admonestée pour son extrémisme (Brăslașu, 2019).  

 

Les marques s’impliquent aussi 

En lisant les titres féminins, on remarque que les entreprises et les  marques sont présentées comme étant très impliquées dans la protection de  l’environnement. Prises dans « forts liens » avec la publicité et le marketing,  les magazines publient les communiqués de presse et les publi‐reportages  fournis par leurs clients. Prenons pour exemple une marque de beauté qui  dans le communiqué de presse « souligne l’importance de protéger nos  océans  et  fait  un  don  d’une  partie  de  profit  au  The  Perfect  World  Foundation, pour le projet Save the Oceans », comme annoncent à l’unisson  Avantaje (août 2020 p. 18), Viva (août 2020, p. 93), Elle (août 2020, p. 119), et  Unica (août 2020, p. 57).  

Un autre exemple est celui d’un distributeur de produits cosmétiques  coréen qui est mis en valeur par son engagement en faveur de l’écologie. 

« Des emballages recyclables aux ingrédients biologiques, l’industrie de la  beauté doit suivre le rythme du changement majeur du réchauffement  climatique et contribuer à atténuer les effets du consumérisme au cours  des  dernières  décennies.  Alors  que  la  pollution  et  la  menace  du  réchauffement climatique deviennent une réalité de plus en plus pressante,  les marques coréennes soutiennent le concept de beauté propre, minimisant  les  produits  chimiques  et  investissant  dans  des  produits  naturels »,  souligne un publi‐reportage publié dans l’édition électronique d’Avantaje  (avantaje.ro, 25 mai 2020). 

D’autres marques s’impliquent aussi dans des actions de protection  de  l’environnement  et  leurs  actions  sont  annoncées  dans  des  publi‐

reportages : Romprest (entreprise roumain d’assainissement), Plant Base  (beauté), Nanushka (mode), L’Oréal (beauté), H&M (mode), Coca‐Cola,  P&G etc.  

 

Dans le document ET DÉVELOPPEMENT DURABLE  (Page 193-200)