Romina SURUGIU
Introduction
Dans un article sur les problèmes de la pollution de la planète, on mentionne « les choses simples que l’on peut faire à partir d’aujourd’hui pour combattre la pollution ». Selon la journaliste d’un magazine féminin de type « grand généraliste », publié en Roumanie, il s’agit d’un défi important pour la société (« la pollution de l’environnement est un problème qui nous concerne tous – malheureusement, nous choisissons souvent de la mettre en dernier »), mais qui se solutionne simplement par des actions individuelles applicables immédiatement, comme éviter le gaspillage de l’eau quand on se brosse les dents, utiliser le transports en commun ou avoir une attitude « eco‐friendly » concernant la nourriture, comme suggère une organisation dédiée à la protection de l’environnement (Prangate, 2020). L’article n’est pas une exception pour la presse féminine, comme nous allons le montrer plus bas, il suggère au contraire une tentation de simplifier la problématique générale de la protection de l’environnement.
La protection de l’environnement est quand même une problématique complexe qui touche les intérêts des lectrices de la presse féminine et les intérêts des marques de l’industrie de la mode ou d’autres industries polluantes. Ce chapitre se propose donc d’analyser l’image générale de la protection de l’environnement et des défis liés au changement climatique qui se dégage des magazines féminins publiés en
Roumanie, actuellement, pour confirmer ou infirmer l’hypothèse d’une possible simplification du message écologique.
« Toucher » une controverse
Comme d’autres thèmes scientifiques, les changements climatiques sont le sujet des controverses au sein de la communauté scientifique, mais aussi dans l’espace public. Historiquement, les sciences du climat ont bénéficié d’une attitude favorable de la part des journalistes, comme le montre le journaliste de science Sylvestre Huet : « en France, depuis vingt ans la réalité du réchauffement n’est pas contestée par les élites politiques et économiques, ce qui a accompagné une production journalistique assez consensuelle… » (Huet, 2014, p. 27). Mais, les enjeux économiques et les intérêts politiques ont fait émerger les climatosceptiques, avec leurs doutes, leurs modélisations climatiques différentes et leurs prévisions plutôt optimistes. Au niveau global, les discours politiques qui réfutent le changement climatique (comme celles du président américain Donald Trump) se mélangent avec des discours scientifiques des climatologues qui contestent ou acceptent la problématique en question. Le changement climatique devient une controverse sociotechnique, qui « mêle arguments scientifiques et techniques, et considérations politiques et idéologiques » (Aykut, 2014, p. 32), ayant comme résultat une perception générale qu’il s’agit d’un problème complexe, avec peu de solutions immédiates.
La presse féminine contemporaine
Les magazines féminins ont toujours été intéressés par l’idée d’avoir un côté social dans leur contenu journalistique (Charon, 2008 ; Conboy, 2009 ; Gough‐Yates, 2003 ; Kelsey, 2003 ; Soulier, 2008). Cette dimension sociale et sa force d’influence dans la société ont été sous‐estimées et négligées par les élites et par la recherche sur les médias, souligne Soulier (2008, p. 24). L’engagement social des magazines est une réponse au phénomène social d’« annihilation symbolique de la femme » (dans le sens de Gaye Tuchman, citée par Rovența‐Frumușani, 2009, p. 7), annihilation qui n’a pas été totalement résolue, en dépit des transformations sociales et de la mobilisation collective.
Spécialiste de la presse féminine et ancien éditeur de presse, Vincent Soulier a parlé d’une véritable « puissance frivole » qui décrit cette influence sociale forte, qui se « cache » dans la superficialité et la futilité, dans l’obsession de promouvoir le « glamour », de la mode et l’idée de carpe diem (Soulier, 2008, p. 24‐25).
Les magazines féminins s’attaquent également aux problèmes importants de la société, comme les droits des femmes, la pauvreté des femmes, l’inégalité ou la discrimination. Il s’agit d’un « récit d’émancipation » en place de 1968 à nos jours (Geers, 2016, citée par Pavard, 2018, p. 119). Du combat pour la légalisation de la pilule contraceptive aux droits des minorités et à la pénalisation des violences familiales, les magazines féminins ont contribué au changement des mentalités dans la société (Kelsey, 2003 ; Soulier, 2008). Aujourd’hui, aux thèmes « classiques » de la presse féminine on ajoute un intérêt croissant pour le développement durable, pour la protection de l’environnement, pour l’écologie et la nature.
Au cours du temps, les magazines féminins sont devenus des produits médiatiques très sophistiqués et raffinés, de point de vue rédactionnel et visuel, ainsi que de point de vue de la stratégie marketing.
Pour augmenter le nombre de lecteurs et des contrats publicitaires, les magazines ont développé des concepts éditoriaux forts qui les ont aidés à s’individualiser sur un marché médiatique compétitif et surpeuplé.
(Holmes, 2007 ; Charon, 2008) Les éditions internationales (comme Elle, Vogue, ou Glamour) sont présentes sur de nombreux marchés et imposent une identité de marque bien construite, qui attire les lecteurs — c’est le cas du marché des médias de Roumanie, où les titres internationaux avaient une forte diffusion au début (Roșca, 2012 ; Surugiu, 2012).
Les magazines féminins combinent texte et images dans un design conçu pour attirer et séduire les lecteurs. Le journalisme de presse magazine a toujours été associé à la créativité, explique Charon (2008, p.
81), en ajoutant que « l’information et le contenu doivent être originaux, attirants, intéressants, mais ils doivent aussi séduire, faire plaisir… ».
Les articles positifs et faciles sont préférés aux genres rédactionnels« sérieux » (les « hard news ») – la réalité est embellie ou édulcorée. Le lecteur est au centre de toute décision éditoriale : les sujets traités, la mise en page, la carte graphique – tout est choisi en fonction du profil du public. « Le mantra de l’éditeur de magazines est d’être toujours
attentif aux besoins, désirs, espoirs, peurs et aspirations du lecteur » (Holmes, 2007, p. 514).
Les dernières années ont apporté un changement attendu, mais inquiétant : les jeunes femmes préfèrent l’Internet (les blogs, les vlogs, les réseaux sociaux) comme principale source d’information sur la mode. Un sondage récent fait en Roumanie montre que 56% des étudiantes découvrent la mode sur Internet et seulement 17% utilisent des magazines féminins pour s’informer sur les tendances dans l’industrie « fashion » (Marinescu, 2020, p. 12).
En termes de discours, les titres féminins véhiculent une pluralité de messages sur les transformations sociales et politiques, dans une « volonté de coller à l’air du temps » (Pavard, 2018, p. 120). La presse féminine s’engage dans des discours militants et adopte des stratégies éditoriales dans le but de s’ouvrir à un nouveau lectorat (Pavard, 2018, p. 121). Les stéréotypes de genre sont toujours véhiculés, malgré l’adaptation de la ligne éditoriale au discours féministe.
Comme institutions, les magazines féminins sont caractérisés par la massification progressive, la segmentation forte, l’intégration dans des grands groupes de communication et les liens « forts » avec les marques et la publicité (Pavard, 2018, p. 122).
La tension créée par le consumérisme
Le luxe et la consommation en excès commencent à devenir problématiques dans la société contemporaine (Petcu, 2015 ; Marinescu et Podaru, 2017), mais ils sont les conditions d’un véritable épanouissement de l’industrie de la presse féminine.
Parmi les conditions sine qua non de développement de la presse magazine, Tim Holmes, éditeur et professeur de journalisme, compte huit conditions sociales générales : « réformes éducatives augmentant l’alphabétisation, augmentation de la classe professionnelle et moyenne (des cadres), augmentation des loisirs/consommation ostentatoire, production de masse de produits de base, concentration de la population dans les villes, distribution nationale efficace, développement du marketing et de la publicité et améliorations technologiques » (Holmes et Nice, 2012, p. 110). Pour créer une distinction entre des marques et des produits quasi‐
similaires et pour stimuler le désir des consommateurs pour ces produits et marques, les entreprises ont intérêt à encourager la consommation de masse et ont besoin de plateformes médiatiques pour atteindre ce but, explique Holmes dans le travail cité.
Les magazines féminins sont dans une relation de symbiose avec l’industrie de la mode, l’industrie de la beauté et l’industrie du tourisme qui sont des entreprises globales polluantes. La publicité apportée par ces industries permet aux magazines d’en tirer profit et de rester compétitifs (Pavard, 2018 ; Apostol, 2020). Par conséquent, les magazines encouragent le consumérisme des lectrices, en les conseillant d’acheter de plus en plus.
Les pages des modes sont pleines des photographies de dizaines de produits.
De notre point de vue, l’expression anglaise « must‐have » (le besoin d’avoir / fortement désirable / indispensable / essentiel) utilisée à l’excès dans les pages de mode en Roumanie est devenue l’épitomé de la consommation promue par les titres féminins parce quʹelle encapsule l’idéologie du consumérisme. Les éditeurs sont conscients de l’influence douteuse de cette idéologie et essayent d’éduquer ou d’avertir le public (Munteanu, 2018 ; Cristescu, 2020), mais en fin de journée ce sont les grandes compagnies de mode ou beauté qui contribuent significativement au budget des groupes de presse et qui paient les salaires des journalistes.
La recherche
Pour analyser l’image générale de la protection de l’environnement et du défi du changement climatique qui se dégage des magazines féminins publiés en Roumanie, en ce moment nous avons utilisé l’analyse thématique, définie par Clarke et Braun (2017, p. 297) comme une méthode d’identification, d’analyse et d’interprétation qui a pour but l’identification des schémas/modèles de signification (« les thèmes ») dans les données qualitatives collectées. L’analyse thématique est valorisée positivement parce qu’elle offre une « approche » organique et flexible sur le codage et sur le processus de développement de thèmes, met en valeur le rôle actif du chercheur dans ces processus (Clarke et Braun, 2017, p. 297 ; Nowell et al, 2017, p. 2).
Le corpus analysé inclut 104 articles : (a) 60 articles publiés par les éditions électroniques des cinq titres féminins : quatre généralistes (Avantaje, Elle Roumanie, Glamour Edition Roumanie, et Unica) et un magazine « people » qui vise les femmes (Viva) dans la période janvier 2018 — août 2020 et (b) 48 articles des éditions imprimées extraits des mêmes magazines : Avantaje (août 2020, avril 2018), Elle Roumanie (août 2020, mai 2019, avril 2018), Glamour Édition Roumanie (été 2020, automne 2019), Unica (août 2020, juillet 2019, avril 2018) et Viva (août 2020, juin 2019, septembre 2018).
Les articles des éditions électroniques ont été sélectionnés à l’aide de moteurs de recherche des sites des magazines (en utilisant des mots clés comme : « écologie », « environnement », « changements climatiques »).
Aussi, pour chaque magazine ont été choisis deux ou trois numéros publiés entre 2018‐2020. Les articles imprimés ont été analysés dans le contexte éditorial et publicitaire de chaque numéro en entier. En réunissant un corpus qui comprend les éditions électroniques et imprimées, nous avons essayé de respecter le caractère hybride de la presse féminine contemporaine de Roumanie : les grands titres gardent leur édition imprimée dans le même temps avec leur édition électronique. Les articles publiés dans les éditions imprimées sont dans plusieurs cas différents d’articles publiés sur Internet. Les magazines utilisent cette technique pour garder leur public fidèle près de leur édition imprimée, mais aussi pour attirer le public jeune qui préfère surfer sur Internet plutôt que d’acheter les magazines au kiosque de journaux.
Thèmes proposés par les magazines féminins – protéger la nature…
un côté optimiste
Au niveau déclaratif, on peut observer une véritable obsession pour la protection de la nature. Les exemples sont nombreux, car la nature est évoquée dans des contextes éditoriaux très divers : les pages de mode où on observe une attention portée aux matériaux écologiques (« Il est important de savoir que les technologies avancées permettent désormais de créer des substituts la peau naturelle qui lui ressemblent fortement », Glamour, automne 2019, p. 115), les pages de décoration intérieure où sont préférées les motifs végétaux, organiques, naturels, les pages de beauté qui
valorisent les produits éco/bio ou les entretiens avec des nutritionnistes, des activistes, des stars etc.
« L’une des principales tendances qui s’est consolidée ces dernières années est la proximité avec la nature », explique Ana‐Maria Călin dans un article sur les décorations intérieures, publié par Avantaje (2020, p. 94).
« Pourquoi as‐tu décidé d’être végane ? » est interpellée une nutritionniste dans le magazine Avantaje, et sa réponse met en avant la protection de la planète et le côté éthique (Mușat, 2018, p. 50). Dans Unica, l’océanographe et géophysicienne Adela Dumitrașcu, déclare qu’elle essaie de réduire la consommation de viande et de poisson pour protéger le climat (Mușat, 2020, p. 39).
Les magazines suggèrent à leur lectorat qu’en ce qui concerne la nature, il existe des solutions simples qui peuvent être mises en œuvre immédiatement par toutes et tous. Le ton positif est une caractéristique de la presse féminine, comme nous lʹavons déjà souligné. L’optimisme caractérise beaucoup de récits et d’ articles dans les titres féminins, comme par exemple, dans le magazine Viva qui raconte l’histoire d’un fleuriste roumain qui a gagné un prix au niveau mondial : « son travail (d’un fleuriste roumain) ‘Let’s get back to nature ! To honor and love it’ a été créé comme une projection de la situation actuelle de réchauffement globale, mais aussi comme une représentation optimiste du futur » (Viva, septembre 2018, p. 86).
L’idée de solutions simples, accessibles à tous est amplifiée par le fait que les nouvelles ou publi‐reportages sont présents dans une quantité importante (vers 30%) dans les magazines et ces genres annoncent l’information sans l’analyser ou l’interpréter.
Les stars s’impliquent
Une place très importante dans la médiatisation des défis associés au changement climatique et au réchauffement de la planète est occupée par les stars nationaux et internationaux. L’édition électronique d’Unica présente les efforts pour la protection de l’environnement faits par Armin Van Buuren, Leonardo di Caprio, Ellie White et Jane Fonda. Le magazine Viva donne l’exemple des stars autochtones (Mirela Vaida ou Simona
Gherghe). Le féminin Elle présente la cérémonie des prix Oscar 2020, lors de laquelle l’acteur Joaquin Phoenix a critiqué dans son discours l’égocentrisme et les choix humains impitoyables qui affectent négativement l’environnement. La figure de Greta Thunberg est aussi présente, dans Elle et Viva. La célèbre jeune activiste suédoise est admirée pour sa force et son courage, et doucement admonestée pour son extrémisme (Brăslașu, 2019).
Les marques s’impliquent aussi
En lisant les titres féminins, on remarque que les entreprises et les marques sont présentées comme étant très impliquées dans la protection de l’environnement. Prises dans « forts liens » avec la publicité et le marketing, les magazines publient les communiqués de presse et les publi‐reportages fournis par leurs clients. Prenons pour exemple une marque de beauté qui dans le communiqué de presse « souligne l’importance de protéger nos océans et fait un don d’une partie de profit au The Perfect World Foundation, pour le projet Save the Oceans », comme annoncent à l’unisson Avantaje (août 2020 p. 18), Viva (août 2020, p. 93), Elle (août 2020, p. 119), et Unica (août 2020, p. 57).
Un autre exemple est celui d’un distributeur de produits cosmétiques coréen qui est mis en valeur par son engagement en faveur de l’écologie.
« Des emballages recyclables aux ingrédients biologiques, l’industrie de la beauté doit suivre le rythme du changement majeur du réchauffement climatique et contribuer à atténuer les effets du consumérisme au cours des dernières décennies. Alors que la pollution et la menace du réchauffement climatique deviennent une réalité de plus en plus pressante, les marques coréennes soutiennent le concept de beauté propre, minimisant les produits chimiques et investissant dans des produits naturels », souligne un publi‐reportage publié dans l’édition électronique d’Avantaje (avantaje.ro, 25 mai 2020).
D’autres marques s’impliquent aussi dans des actions de protection de l’environnement et leurs actions sont annoncées dans des publi‐
reportages : Romprest (entreprise roumain d’assainissement), Plant Base (beauté), Nanushka (mode), L’Oréal (beauté), H&M (mode), Coca‐Cola, P&G etc.