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des territoires autour d’une ressource mondialisée

4.2.1 Éclairage méthodologique

En 2012 et 2015 le ministère de l’énergie et des mines (MINEM) présente une analyse assez détaillée des entreprises engagées dans la production aurifère sur deux périodes, 2002-2011 d’une part puis 2005-2014 d’autre part (MINEM, 2012 : 28, 2015 : 53). En l’absence de données précises établies par cette institution sur les acteurs engagés dans la production aurifère sur une période antérieure et disponibles en libre accès, nous nous sommes reportés aux Mémoires annuels publiés par la Banque centrale de réserve du Pérou (BCRP). Cependant, du fait des écarts de production mentionnés plus haut, et pour éviter de nous baser sur des données

0 200 400 600 800 1000 1200 1400 1600 1800

1900 1930 1960 1990

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partiellement inexactes, nous avons décidé de centrer cette analyse du secteur aurifère péruvien côté producteurs sur les données les plus récentes fournies par le ministère.

Ces données permettent d’identifier distinctement une partie des acteurs engagés dans la production d’or sur une période précise, 2002-2014, c’est-à-dire peu ou prou le début du XXIe siècle. Concernant l’analyse réalisée par le MINEM pour la période 2002-2011, nous ne considérons que les années 2002, 2003 et 2004. Ce choix a deux raisons principales. La première tient aux différentiels de production observés pour une même année à partir de 2005 entre les rapports réalisés en 2012 et en 2015. La seconde est liée à l’« invisibilisation » de certaines entreprises minières productrices d’or entre les deux rapports, c’est-à-dire au fait qu’une entreprise productrice d’or nommément identifiée par le ministère entre 2002 et 2011 (MINEM, 2012) n’apparaisse plus dans la liste des principaux producteurs d’or entre 2005 et 2014 (idem, 2015). Diviser l’analyse en deux moments pour la circonscrire dans un premier temps aux années 2002, 2003 et 2004 nous permet de compléter les informations disponibles pour la seconde période (2005-2014) sans prendre le risque de comptabiliser deux fois la production d’une même entreprise entre 2002 et 2014. Sans cette analyse en deux temps, le risque d’une double comptabilisation de la production d’une même entreprise aurait été réel puisque la production d’une entreprise clairement identifiée entre 2002 et 2011 aurait pu été déplacée dans la catégorie « autres », c’est-à-dire « autres entreprises », sur la seconde période.

Ce « glissement » des entreprises minières d’une catégorie à l’autre entre les deux rapports manifeste les évolutions des niveaux de production des acteurs et, de fait, l’inégale centralité des entreprises minières dans la production d’or sur la période considérée. Plus précisément, le fait qu’une entreprise minière figure parmi les principaux producteurs d’or entre 2002 et 2011 mais n’apparaisse plus dans la liste des principaux producteurs d’or entre 2005 et 2014 peut s’expliquer par trois hypothèses principales. La première est une baisse de la production de l’entreprise considérée entre 2005 et 2014 par rapport à la période antérieure. La deuxième est une hausse plus forte de la production d’autres entreprises entre 2005 et 2014, notamment du fait de l’ouverture de nouvelles mines à grande et moyenne échelles16. La troisième est la fin de l’activité de l’entreprise minière considérée au cours de la seconde période (fermeture de la

16 Par exemple, dans le département de La Libertad les mines de Lagunas Norte et La Arena, exploitées à grande échelle et à ciel ouvert, respectivement par Barrick Misquichilca S.A et Rio Alto Mining entrent en production en 2005 pour la première et en 2011 pour la seconde (cf. infra). De même, dans le département de Cajamarca les mines de Cerro Corona, La Zanja et Tantahuatay, exploitées à grande échelle et à ciel ouvert, respectivement par les entreprises Gold Fields La Cima S.A, Minera La Zanja S.R.L et Comppañía Minera Coimolache entrent en production en 2008 pour la première, 2010 pour la deuxième et 2011 pour la troisième (cf. infra).

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mine, faillite, vente des actifs, changement de nom, etc.). Dans ces trois cas, le classement des principaux producteurs d’or est modifié. Utiliser les données du MINEM sur la période 2005-2014 et les compléter par celles de 2002-2004 nous permet donc de nous focaliser sur les acteurs économiques contemporains les plus dynamiques du secteur minier aurifère légal au début du XXIe siècle au Pérou sans risque de chevauchement.

En 2012 le MINEM s’intéresse également à l’extraction aurifère alluvionnaire et par dragages.

L’or extrait selon ces techniques représenterait environ un dixième (9%) de la production péruvienne d’or entre 2005 et 2010 (MINEM, 2012 : 29)17. Néanmoins, en 2015 le ministère ne mentionne plus ce type d’extraction mais mentionne une nouvelle catégorie, les mineurs artisanaux en cours de formalisation (idem, 2015 : 54). Il se pourrait que ces derniers représentent donc la catégorie de l’exploitation minière aurifère alluvionnaire et par dragages répertoriée en 2012, cette production étant majoritairement effectuée à échelle artisanale18. Le cas échéant, ce type de production contribuerait en moyenne à un dixième de la production péruvienne d’or au début du XXIe siècle19. Nous faisons l’hypothèse que la catégorie de la production alluvionnaire et par dragages est en fait remplacée par le département de Madre de Dios. Effectivement, fait étrange, le ministère fait apparaître le département de Madre de Dios dans son classement des principales entreprises productrices d’or entre 2005 et 2014 (MINEM, 2015 : 53). Il est vraisemblable que cela s’explique par la volonté de l’institution publique de souligner, et surtout de comptabiliser, le poids de ce territoire dans la production péruvienne d’or ; même si celle-ci y est principalement illégale. 158 tonnes d’or auraient été extraites dans ce territoire sur cette période soit près d’un dixième (9,1%) de la production, soit un niveau somme toute égal à celui des « autres » entreprises productrices d’or non clairement identifiées sur cette période ; idem). Nous avons donc soustrait les données relatives à ce territoire pour calculer la production péruvienne d’or par entreprises (celles nommément identifiables sur la période et les « autres ») pour pouvoir la comparer à celle répertoriée entre 2002, 2003 et 2004.

17 En moyenne, entre 2005 et 2014, 509 individus par an entameraient un processus légal pour passer de la catégorie de l’exploitation aurifère informelle à celle de l’exploitation aurifère formelle (MINEM, 2015 : 54).

18 Au Pérou c’est généralement la volonté des acteurs qui permet de différencier - au moins à l’oral - l’exploitation informelle de l’exploitation illégale, la première insistant sur la volonté ou du moins la non objection radicale des acteurs à légaliser leur activité contrairement à la seconde. La majorité de ces mineurs relèvent de la catégorie de l’extraction minière artisanale, comme le laisser d’ailleurs penser l’expression utilisée par le ministère « artisanaux en formalisation » (cf. supra ; MINEM, 2015 : 54).

19 10,1% entre 2005 et 2014 et 9,2% entre 2002 et 2014 (MINEM, 2012 : 29, 2015 : 54).

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Ces données ont en outre été complétées par les entretiens réalisés dans le cadre de cette recherche ainsi que par divers rapports et articles de presse spécialisée.

L’identification des principaux producteurs légaux d’or au Pérou entre 2002 et 2014 met en évidence un phénomène de double concentration, territoriale et productive, de la production, étroitement lié à la transnationalisation de l’activité.

a. Caractéristiques de la production aurifère péruvienne entre 2002 et 2004

Au milieu des années 2000 près de 200 (192) entreprises minières sont engagées dans l’exploitation marchande de l’or au Pérou (MINEM, 2015 : 143-145). Toutefois, malgré ce nombre a priori élevé d’acteurs économiques intervenant dans le secteur minier aurifère, la production péruvienne d’or est assurée par un groupe restreint d’entreprises.

Entre 2002 et 2004 plus de 500 tonnes (environ 503 tonnes) d’or sont extraites au Pérou (MINEM, 2012 : 28). De ce total, plus de 400 tonnes (environ 434 tonnes), c’est-à-dire près des neuf dixièmes (86%), sont extraits par 18 entreprises minières (idem ; cf. tableau n°8). Parmi ces entreprises, neuf en produisent plus des trois-quarts (84%) soit environ 421 tonnes d’or (idem). En d’autres termes, entre 2002 et 2004, neuf entreprises produisent la quasi-totalité de l’or extrait au Pérou. Les autres entreprises productrices d’or, dont ni le nom ni le nombre ne sont précisés par le ministère, produisent environ 20 tonnes d’or soit 4% de la production enregistrée sur cette période (idem). Parallèlement, près de 50 tonnes (environ 46 tonnes) d’or auraient été extraites dans les cours d’eau et par dragages soit un dixième de la production (9% ; idem).

Tableau n°8 Production moyenne (en t), participation (en %) et localisation des 18 principales entreprises minières productrices d’or entre 2002 et 2004

Entreprise Production (en t) Part dans la production nationale (en %)

Localisation Type d’exploitation

Minera Yanacocha S.A

251 50 Cajamarca Ciel ouvert

Minera Barrick Misquichilca S.A

76 15,1 Áncash Ciel ouvert

Compañía Minera Ares S.A.C

19 3,8 Arequipa Souterraine

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* Créée sous le nom Chancadora Centauro en 1999, l’entreprise change de nom en 2011.

Légende : En gras figurent les 9 entreprises les plus importantes soit celles qui, parmi les 18 principaux producteurs d’or, produisent au moins 1% de l’or extrait au Pérou entre 2002 et 2004.

Source : MINEM, Perú 2011. Anuario minero. Reporte estadístico, op.cit., 2012, p. 2820. Élaboré par l’auteur.

À la concentration de l’offre minière aurifère répond une concentration des territoires d’extraction.

Entre 2002 et 2004 les 18 principaux producteurs d’or opèrent dans neuf départements (cf.

tableaux n°8 et n°9, encadré n°11). Plus précisément, cinq départements sont particulièrement

20 Cf. encadré n°11.

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touchés par l’extraction minière aurifère dans la mesure où au moins 2 des 18 principaux producteurs d’or du pays y développent leurs activités. 5 des principales entreprises productrices d’or entre 2002 et 2004 sont recensées dans le département de La Libertad, 4 dans le département d’Arequipa, 2 dans le département d’Áncash, 2 dans le département de Moquegua et 2 dans le département de Pasco (idem). Ce constat rappelle celui effectué plus haut : l’Amazonie apparaît comme une région « délaissée » par les principales entreprises minières légalement engagées dans la production de l’or21. Dans le même temps, le centre du Pérou est relativement peu touché par l’exploitation de l’or. La production aurifère enregistrée dans les territoires de Pasco, Apurímac et Cuzco représente à peine 1% de l’or produit entre 2002 et 2004 (MINEN, 2012 : 28). Par conséquent, entre 2002 et 2004 l’exploitation aurifère péruvienne est un phénomène fortement concentré dans l’espace, qui se développe selon deux pôles régionaux principaux, le nord et le sud du Pérou.

En outre, il n’y a pas de corrélation en termes de production entre le nombre d’entreprises minières par département et les volumes produits.

En effet, 1 seul des 18 principaux producteurs d’or du Pérou est présent dans le territoire nord-andin de Cajamarca entre 2002 et 2004. Toutefois, à cette date Cajamarca constitue le premier territoire d’extraction d’or du Pérou puisque Minera Yanacocha extrait la moitié de l’or péruvien sur cette période (cf. tableau n°8).

Tableau n°9 Localisation à l’échelle départementale des 18 principaux producteurs d’or du Pérou entre 2002 et 200422

Départements Nombre d’entreprises Nom des entreprises technique d’extraction

La Libertad 5 Consorcio Minero Horizonte S.A (CMH)

Compañía Minera Aurífera Santa Rosa S.A

21 Soit un constat presque diamétralement opposé que celui réalisé sur l’exploitation illégale et informelle de l’or (cf. chapitre n°3).

22 Plusieurs des entreprises répertoriées ici ne disposent pas de site internet. La localisation exacte à ces dates des activités de chaque acteur n’a donc pas été simple à identifier. Pour l’entreprise Minera Barrick Misquichilca S.A nous ne faisons figurer que le département d’Áncash où cet acteur exploite la mine de Pierina depuis 1998, et non celui de La Libertad car la mine de Lagunas Norte entre en production en 2005 soit après la période analysée. De même, la mine de Breapampa, située dans le département d’Ayacucho, n’étant exploitée par Compañía de Minas Buenaventura S.A.A que depuis 2012, ce département ne figure pas non plus dans le tableau. Cette entreprise est de surcroît actionnaire de trois autres entreprises minières qui extraient de l’or dans le département de Cajamarca mais une seule, Minera Yanacocha, est en phase de production entre 2002 et 2004 (cf. infra). Nous ne faisons pas pour autant figurer ce département dans les territoires d’extraction de Compañía de Minas Buenaventura S.A.A puisqu’il ne s’agit pas d’une exploitation directe.

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Compañía Minera Poderosa S.A (Poderosa) Compañía Minera San Simon S.A

Souterraine Ciel ouvert

Arequipa 4 Compañía de Minas Buenaventura S.A.A

Compañía Minera Ares S.A.C

Áncash 2 Minera Barrick Misquichilca S.A

Compañía Minera Nueva California S.A

Pasco 2 Compañía Minera Atacocha S.A*

Corporación Minera Centauro S.AC

Souterraine Ciel ouvert

Apurímac 1 El Misti Gold S.A.C Ciel ouvert

Cajamarca 1 Minera Yanacocha S.R.L Ciel ouvert

Cuzco 1 Xstrata Tintaya S.A Ciel ouvert

Tacna 1 Southern Copper Corporation (SCC) Ciel ouvert

* L’entreprise est spécialisée dans l’extraction de zinc, de cuivre et de plomb.

Sources : multiples. Élaboré par l’auteur.

Plus que la concentration des entreprises minières dans un même territoire c’est donc la part de la production de ces acteurs dans la production aurifère totale qu’il faut considérer pour déterminer les principales caractéristiques de la production d’or entre 2002 et 2004. Celle-ci semble étroitement liée à la technique d’extraction utilisée.

En effet, sur les 18 principaux producteurs d’or du Pérou entre 2002 et 2004, les neuf producteurs les plus dynamiques, soit les acteurs responsables de près des neuf dixièmes de la production, exploiteraient 16 mines d’or, 10 à ciel ouvert et 6 souterraines. L’exploitation minière à ciel ouvert de l’or apparaît alors comme le procédé d’extraction le plus utilisé au début du XXIe siècle au Pérou.

Plus exactement, le boom de l’exploitation aurifère à ciel ouvert date du début de la décennie quatre-vingt-dix et il explique l’inégal dynamisme de la production de l’or dans le pays.

En effet, les mines d’or dont l’activité est antérieure à la décennie quatre-vingt-dix se caractérisent majoritairement par une extraction souterraine (cf. tableau n°10). Les mines d’Orcopampa, exploitée par Compañía de Minas Buenvaventura S.A.A, et Arcata, exploitée par Compañía Minera Ares S.A.C, toutes deux situées dans le département d’Arequipa, semblent respectivement exploitées depuis 1960 et 1961. De même, les mines de Cerro El Gigante, Poderosa et Unidad Parcoy, situées dans le département de La Libertad, respectivement exploitées par Minera Aurífera Retamas S.A depuis 1981, Compañía Minera Poderosa S.A depuis 1982 et Consorcio Minero Horizonte S.A depuis 1986, montrent un début de production antérieur aux années 1990 (idem). Plus largement, sur les 16 mines d’or

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exploitées par les 9 premiers producteurs d’or du Pérou entre 2002 et 2004, seule une nouvelle mine souterraine semble avoir été développée après la décennie quatre-vingt-dix (idem). Il s’agit de la mine d’Ares exploitée depuis 1998 par la compagnie éponyme dans le département d’Arequipa23. Aucune mine d’or ne semble donc exploitée à ciel ouvert avant le début de la décennie quatre-vingt-dix. C’est l’entreprise minière Minera Yanacocha S.A qui ouvre cette nouvelle ère de l’exploitation aurifère en découverte au Pérou. L’exploitation débute en 1992 dans le département nord-andin de Cajamarca et l’entreprise produit son premier lingot en 199324. Entre le début des années 1990 et 2004 la quasi-totalité des nouvelles mines d’or qui entrent en production sur le territoire péruvien sont exploitées à ciel ouvert.

Tableau n°10 Informations générales et localisation des 16 mines d’or exploitées par les 9 principales entreprises minières productrices d’or du Pérou entre 2002 et 2004

Entreprise Nom de la

Département Province district Année de production

23 Ares S.A.C semble être la filiale péruvienne de l’entreprise britannique Hochshild Mining plc., spécialisée dans la production et le commerce des ressources naturelles. Le Grupo Hochschild est créé en 1911 au Chili. La société s’implante en Bolivie en 1922 puis développe ses activités au Pérou dès 1925.

24 Les mines d’or de Cerro Yanacocha, La Quinua, Cerro Negro et Chaquicocha, situées dans le département de Cajamarca et exploitées par Yanacocha semblent entrer en production entre 1996 et 2004 (cf. tableau n°10). La mine de Pierina située dans le département d’Áncash et exploitée par Minera Barrick Misquichilca entre en production en 1998, celle de Señor de los Milagros, exploitée par Compañía Minera Santa Rosa S.A entre en production en 1994 et celle d’Aruntani exploitée par l’entreprise éponyme, située dans le département de Moquegua, entre en production en 2002 (idem).

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Orcopampa 3800-4500 Souterraine Arequipa Castilla Orcopampa 1960

Minera

Unidad Parcoy 2800 Souterraine La Libertad Pataz Parcoy 1986

Compañía

Aruntani 4700 – 5300 Ciel ouvert Moquegua Mariscal Nieto

Carumas 2002

Compañía Minera Poderosa S.A

Poderosa 1250 - 3000 Souterraine La Libertad Pataz Pataz 1982

Légende : Les projets miniers aurifères mentionnés en italique ne sont pas comptabilisés dans la liste des 16 mines d’or en activité.

Source : idem. Élaboré par l’auteur.

Malgré de légères évolutions, le contrôle majoritaire de la production aurifère par un groupe restreint d’entreprises minières et la concentration dans l’espace de la production constituent une constante du secteur aurifère péruvien du début du XXIe siècle.