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DEUXIEME PARTIE PROPOSITION DE SPECIFICATION DES NIVEAUX C DU CADRE

Chapitre 1 Spécifications générales

I.2 Les connaissances : les objets d'étude Les textes

2.5 Les échanges conversationnels

Les échanges de type conversationnels, entendus ici comme des échanges composés

d’interactions structurées sur la base d’actes de langage, reposent, selon le modèle de l’école

de Lausanne que nous adoptons (E. Roulet, 1999, J. Moeschler, 1985), sur l’interaction de contraintes de types interactionnel, structurel et d’enchaînements. Le Cadre en propose une description à deux niveaux qui distingue sans vraiment les définir « conversation » de « discussion informelle/formelle » ( :62-64):

Ces descriptions ne sont pas totalement satisfaisantes. Nous noterons une certaine discontinuité de définitions au niveau C2; rien n’explique en effet pourquoi le niveau de

compétence de discussion informelle serait atteint en C1 alors qu’il ne le serait qu’en C2 en

situation formelle, comme si les variabilités de langue « entre amis » présentaient moins de

difficultés qu’avec des professionnels. Rien ne permet par ailleurs de considérer que les

187 le Cadre revient encore sur la référence au locuteur natif que nous avons déjà déplorée et qu’il réitère une lecture accomplie du niveau C2, qu’il définit en conversation comme étant « sans

limite pour la conduite d’une vie personnelle et accomplie ».

Sur le plan des stratégies, le Cadre n’apporte aucune information sur les capacités à planifier les échanges, gérer l’aléatoire ou encore remédier à la communication. Tout au plus nous

indique-t-il que la gestion des tours de parole et de la coopération (nous supposerons qu’il s’agit d’une coopération interpersonnelle qui n’inclut pas la coopération de pensée mais rien

ne le précise) sont atteints au niveau C1, la compétence à faire clarifier semblant atteinte dès le niveau B2 ( :70-71).

Cette description ne donne pas non plus entière satisfaction. La gestion des tours de parole en

situation conversationnelle, qu’elle soit informelle ou formelle, présente en effet un certain

nombre de contraintes dont le non respect peut entraîner des comportements déviants non spécifiés par le Cadre mais relevant à notre avis des niveaux C. Nous en distinguerons au moins deux types.

Il existe premièrement des normes de politesse dont le non respect peut en C1 ou C2 être attribué à une attitude volontaire et dont la valeur perlocutoire peut avoir un impact difficile à

anticiper et/ou à gérer. Interrompre quelqu’un, contester le tour de parole ou réagir faiblement

188 échanges confirmatifs ou réparateurs définis par E. Goffman (1973) qui peuvent constituer une offense non seulement territoriale mais aussi rituelle avec remise en cause de la « face de

l’interlocuteur »30. C’est un peu ce que le Cadre propose dans l’échelle

sociolinguistique quand il souligne que le locuteur C2 « apprécie complètement les implications sociolinguistiques et socioculturelles utilisées par les locuteurs natifs » ( :95):

Nous reviendrons sur ce sujet dans le chapitre consacré à la compétence sociolinguistique (3.7). Mais il existe un deuxième type de normes relatives à la composante relationnelle et interactionnelle qui nous semble définir les niveaux C en conversation et qui ne relève pas à

proprement parler des normes de politesse. Nous pouvons l’illustrer en nous penchant sur le

problème de la clôture des échanges dans une situation de discours polémique. La clôture

d’un échange polémique peut se baser sur l’accord, la négociation ou la concession. Dans ce

cas-là, O. Ducrot (1977) a démontré que les locuteurs choisissent implicitement de dédier leurs deux dernières interventions à la reformulation en termes institutionnels des faits interactionnels précédents. Nous avons là un indicateur de performance pertinent. En termes

de savoirs linguistiques et de matière verbale, cela suppose la maîtrise d’éléments

métadiscursifs, comme par exemple la formule c’est une question que je vous pose, ou encore de connecteurs marquant la coorientation, en effet, alors, d’ailleurs…

Mais la clôture de ce type d’échanges peut également se baser sur le désaccord,

consensuellement accepté ou non. Dans ce cas-là, il est probable que la capacité du locuteur de niveau C à identifier et/ou utiliser les connaissances, croyances et idéologies de son

interlocuteur à travers les moyens lexicaux et argumentatifs employés se révèle précieuse s’il

prétend « emporter le débat ». Des inverseurs argumentatifs tels que justement ou quand même permettent au locuteur de proposer une clôture qui permet d’inverser l’orientation argumentative des énoncés, mais d’autres techniques de réfutation peuvent être basées sur la

30La notion de face selon E. Goffman désigne les attributs interactionnels de l’individu liés à son désir d’une part de protéger son territoire et d’autre part de se voir apprécier et juger favorablement.

189 récupération du cadre argumentatif de son contradicteur, en tirant par exemple de ses prémisses des conclusions absurdes, pour opposer dans un deuxième temps à ces conclusions

absurdes d’autres conclusions opposées tirées de prémisses également contradictoires. Ces

mouvements discursifs, concessifs, consécutifs ou conclusifs pour reprendre une typologie de J. Moeschler (1985 :149), constituent en cela des éléments observables en fonction de

l’enchaînement proposé des constituants subordonnés.

Enfin, les ethnographes de la communication ont isolé des fonctions communicatives subtiles

des variantes dialectales dans des contextes particuliers. Ainsi, dans la constitution d’un

environnement social chaleureux et familier, T. Kochman (1975) a-t-il donné une série

d’exemples illustrant le rôle que jouent, pour les Noirs, la rythmicité et le symbolisme sonore.

A.M. Piestrup (1973)31a noté pour sa part qu’en milieu scolaire cette même rythmique, selon

qu’elle était acceptée ou non par les enseignants, pouvait modifier leur perception des élèves et donc leur rendement scolaire. C’est également le sort réservé aux locutions figées, aux

collocations ou aux proverbes qui ne nécessitent pas forcément d’être énoncés complètement pour être entendu et compris par les membres d’une même communauté discursive (nous

pouvons ainsi estimer qu’il n’est pas forcément nécessaire de citer dans son entier le proverbe

« tant va la cruche à l’eau… » pour les lecteurs de la présente recherche).

F. Cicurel (2005) va plus loin qui décrit l’agir de l’enseignant sur la base de la notion de

flexibilité communicative. Dans la situation classique de la classe, et rappelons que nous

estimons bien qu’une partie au moins des locuteurs de niveau C est ou sera enseignante de FLE, le contrat didactique impose à l’enseignant d’alterner des phases planifiées avec des

phases plus improvisées qui seules lui permettent de « remplir ses obligations interactives et de permettre une prise de parole individualisée et « fraîche ». Cela implique le recours à des pratiques de transmission qui doivent être flexibles (sollicitation des apprenants, planification et déplanification).

« En résumé, les processus d’inférence conversationnelle (…) impliquent, d’une part, la

perception des indices de contextualisation ; d’autre part, l’aptitude de les rapporter à d’autres canaux de signalement. L’interprétation, à son tour, exige d’abord de déterminer les attentes d’autrui et ensuite de rechercher une interprétation pertinente au regard de ce que nous savons de l’expérience passée et de ce que nous avons perçu. Nous ne pouvons jamais être certains du sens ultime d’un message ; mais considérant les rapports entre la perception des indices de

surface et l’interprétation, nous sommes en mesure de mettre en évidence le fondement social

190 des conventions de contextualisation et le processus de signalement des buts communicationnels » (J. Gumperz, 1989 :76).

Ces phénomènes langagiers que nous ne pouvons lister dans leur totalité, constituent donc à notre sens des spécifications qui rejoignent les descripteurs du Cadre cités antérieurement, et qui précisent les compétences fonctionnelles des locuteurs de niveau C.

Si en B2 le locuteur est capable de commencer, soutenir et terminer une conversation avec

naturel et avec des tours de parole efficaces, et qu’en C1 il peut choisir une expression

adéquate dans un répertoire courant de fonctions discursives, en préambule de ses propos,

pour obtenir la parole et la garder, ou pour gagner du temps pour la garder pendant qu’il

réfléchit, il nous semble possible de proposer la spécification provisoire suivante pour préciser ces compétences en C2 et C2+.

Spécification provisoire n°1

C2 : est capable de reconnaître et maîtriser la plupart des règles implicites de l’échange

permettant par exemple de clore une conversation polémique en emportant le débat, sans altérer la face de son interlocuteur.

C2+: est capable d’agir en médiateur de situations conversationnelles, polémiques à cause de références interculturelles différentes. Peut interpréter ou traduire ce type d’échanges en

tenant compte des effets que sa médiation aura sur l’auditoire.