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La presse en exil : les antifascistes italiens en France. 1922-1943

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Submitted on 30 Mar 2018

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La presse en exil : les antifascistes italiens en France.

1922-1943

Carmela Maltone

To cite this version:

Carmela Maltone. La presse en exil : les antifascistes italiens en France. 1922-1943. 2013. �hal-01736876v2�

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Cet article est une francisation du texte : Carmela Maltone, Scrivere contro. I giornali

antifascisti italiani in Francia dal 1922 al 1943, Line@editoriale [En ligne], N° 005 - 2013, Varia,

mis à jour le : 24/03/2017, URL : http://revues.univ-tlse2.fr/pum/lineaeditoriale/index.php?id=675.

La presse en exil : les antifascistes italiens en France. 1922-1943

Carmela Maltone, Maître de Conférences en Histoire Politique et Sociale de l’Italie Contemporaine, Université Bordeaux Montaigne.

23 mars 2018

Résumé

Dès l’arrivée au pouvoir du fascisme, un grand nombre de parlementaires, responsables politiques, dirigeants syndicaux, d’intellectuels ou journalistes vont quitter l’Italie vers des pays démocratiques pour pouvoir mener leur combat contre le système totalitaire.

En France cette élite reconstituait leurs formations politiques et publiait un nombre considérable de journaux afin de mobiliser contre le fascisme l’opinion publique française et les immigrés italiens, très nombreux dans l’hexagone.

Entre 1923 et 1943, elle va créer 179 journaux antifascistes en langue italienne d’orientation libérale, socialiste, communiste ou anarchiste. Toutes les composantes politiques de l’antifascisme en exil en France donnèrent naissance à leurs organes de presse.

Ces journaux furent un lieu de débat et d’analyse sur les causes du fascisme, sur les modalités de le combattre et sur les objectifs et les moyens de la reconstruction sociale et politique du pays. Cette presse nous restitue la richesse intellectuelle des exilés, la pluralité des opinions et la profondeur des divergences. Elle constitue une source de première importance pour retracer l’histoire des idées des antifascistes italiens en France.

Mots clés

Journaux italiens antifascistes, presse antifasciste, fuoriusciti en France, partis antifascistes, exil, antifascisme.

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Reconstituer la mosaïque en terre d’exil

À partir de 1922-1923, le fascisme avec ses méthodes liberticides, son intolérance envers le parlementarisme, le pluralisme et la libre expression contraint à l’exil un grand nombre d’intellectuels, de parlementaires, de responsables politiques et syndicaux.

Certains se dirigent vers les États-Unis et l'Amérique latine, un noyau de communistes prend le chemin de l'URSS, tandis que la majorité s’installe dans des pays géographiquement proches comme la Belgique, la Suisse et la Franceafin de maintenir des contacts avec l'Italie.

De nombreux critères interviennent dans le choix du pays : outre la proximité, les exilés prennent en compte le caractère démocratique du pouvoir, la présence d’immigrés italiens - condition préalable à la création en dehors de la péninsule d'une opposition d’une certaine légitimité - ainsi que la situation économique locale leur permettant de s’assurer un gagne-pain, si possible digne1.

La destination la plus prisée fut la France car non seulement elle respectait ces critères, mais elle représentait dans l'imaginaire collectif antifasciste le pays des Droits de l'Homme et une terre qui avait déjà accueilli bien d’autres réfugiés italiens, d’abord les libéraux et les républicains du

Risorgimento, puis vers la fin du XIXe siècle, les socialistes et les anarchistes.

Il est très difficile de quantifier ce flux antifasciste vers la France car il s’est dilué dans le courant plus large des migrants économiques. Selon certaines estimations, il a représenté 10% des 760 000 Italiens résidant en France en 19262.

Pour cette élite, l'exil avait une double valeur : protéger son héritage culturel et politique de la vague destructrice du fascisme et rétablir la démocratie et l’Etat de droit en Italie. A cette fin, elle va reconstituer en France comme dans tous les pays d’exil ses formations politiques et syndicales accompagnées de leurs organes de presse respectifs.

Cette élite renait en effet hors d'Italie avec toutes ses nuances doctrinales qui vont s’exprimer par une intense activité journalistique. Comme la presse est le lieu où se reflètent les orientations politiques, elle représente une source d'une importance considérable pour comprendre et analyser le kaléidoscope des exilés.

1 Les titres fondamentaux sur la montée du fascisme sont en italien : Renzo De Felice, Mussolini il fascista. La

conquista del potere.1921-1925, vol.2, Einaudi, Milano, 1995 ; Angelo Tasca, Nascita e avvento del fascismo. L’Italia dal 1918 al 1922, vol.1, Bari, Laterza, 1976 ; Franco Della Peruta, Ettore Lepore, (sous la dir.), Storia della società italiana. La dittatura fascista, vol.22, Milano, Teti, 1982 ; Emilio Gentile, Il partito e lo Stato nel regime fascista, Roma, La Nuova Italia Scientifica, 1995.

En français : Pierre Milza, Mussolini, Fayard, 1999 ; Serge Berstein, Pierre Milza, Le fascisme italien (1919-1945), Points, édition 2018 ; Philippe Foro, L’Italie fasciste, A. Colin, 2016 ; Salvatore Lupo, Le fascisme italien,

Flammarion, 2003.

2 A propos de l’exil en France et de l’activité antifasciste, voir : Aldo Garosci, Storia dei fuoriusciti, Bari, Laterza, 1953 ; Simona Colarizi, L’Italia antifascista dal 1922 al 1940, Bari, Laterza, 1976 ; Santi Fedele, Il retaggio

dell’esilio. Saggi sul fuoriuscitismo antifascista, Catanzaro, Rubettino, 2000 ; Simonetta Tombaccini, Storia dei fuoriusciti italiani in Francia, Milano, Mursia, 1988.

En français : Collectif, L’Italie en exil. L’émigration italienne en France entre les deux guerres, Istituto Poligrafico dello Stato, Rome, 1984 ; Éric Vial, L’Union populaire italienne,1937-1940. Une organisation de masse du parti

communiste italien, Ecole de Rome, 2007 ; Carmela Maltone, Exil et Identité. Les antifascistes italiens dans le Sud-Ouest de la France, 1924-1940, Bordeaux, PUB, 2006.

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Un recensement des journaux antifascistes réalisé entre 1978 et 1987 par l’Istituto per la

Storia della Liberazione (INSML, Institut National de l'Histoire de la Libération) nous donne une

idée précise de la presse produite par les Italiens à l'étranger pendant l'Entre-deux-Guerres3. Ce recensement comporte trois données importantes : l’orientation politique du journal, sa durée et son lieu de publication. Ce précieux document nous a permis de rechercher dans les archives ces journaux, de les consulter là où c'était possible et d'en analyser le contenu. Cette recherche a été longue et difficile en raison de leur dispersion dans les différentes archives et de l'incomplétude des collections.

La plupart des journaux antifascistes imprimés en France est conservée aux Archivio

Centrale di Stato (Archives Nationales) à Rome où ils sont arrivés grâce au zèle des agents et

collaborateurs fascistes chargés de surveiller à l’étranger les fuoriusciti (les opposants au régime). La presse communiste est assez fragmentaire et quelques spécimens sont conservés aux archives du Parti Communiste Italien, Istituto Nazionale Gramsci à Rome ou à la Fondazione

Feltrinelli à Milan, grâce aux legs d'archives personnelles de la part des responsables antifascistes.

Côté français, il faut consulter la Bibliothèque Nationale et les Archives Départementales des lieux de parution.

Estimer la diffusion et comprendre le financement s’est avéré difficile car les journaux ne parlent pas d’eux-mêmes, mais la question est abordée parfois dans la correspondance entre antifascistes ou dans les rapports des informateurs du régime.

Ces sources sont bien sûr à utiliser avec prudence mais leur comparaison permette de construire un ordre de grandeur.

Pour la France, l’INSML recense 230 périodiques en langue italienne, dont 179 d’orientation antifasciste, soit 77% de la presse italienne publiée en France ; les autres sont fascistes ou catholiques. La presse antifasciste modérée a été la plus durable. A de rares exceptions, tous les journaux antifascistes avaient une diffusion très faible, limitée au cercle des exilés et aux immigrés économiques les plus instruits et politisés qui ne voulaient pas renoncer à l'information malgré de maigres ressources.

Si 75% de ces journaux étaient édités à Paris, des publications d’une certaine influence ont également vu le jour à Marseille, Nice, Toulouse et même dans des chefs-lieux de départements périphériques et ruraux comme Agen ou Montauban.

Les classer par orientation n'est pas toujours facile car, à côté des titres avec une connotation idéologique claire comme les journaux républicains, socialistes, communistes ou anarchistes,

3 Ce recensement se présente sous la forme d’un document dactylographié non daté avec un titre manuscrit Liste des

journaux produits par l’émigration italienne en France dans les années vingt et trente. Il est conservé par l’archive

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existaient des périodiques fruit du syncrétisme politique que nous définirons, en simplifiant, comme démocratiques et social-libéraux.

Les exilés les plus féconds furent les anarchistes avec 52 périodiques successifs. Chacune de ces publications avait une très courte durée de vie parce que les autorités françaises qui considéraient la diffusion des idées anarchistes comme très dangereuses les interdisaient fréquemment.

La presse communiste compta 61 titres dont 12 trotskystes. Ce grand nombre de journaux est là aussi le fruit de la censure. Un journal interdit réapparaissait sous un nouveau titre. Les titres communistes et anarchistes étaient discontinus mais d'une vitalité et d'une ténacité exceptionnelles.

Les socialistes appartenant aux deux courants, réformiste et maximaliste, fondèrent en France 19 journaux et les Républicains 8. A cette presse politiquement plus traditionnelle, s’ajoutent les 5 journaux sociaux-libéraux du mouvement Giustizia e Libertà (Justice et Liberté) et les 23 journaux du courant démocratique. Les autorités françaises eurent une attitude bienveillante à l’égard de cette presse modérée.

La presse antifasciste comprend également 6 journaux syndicaux d’obédience socialiste ou communiste. Il faut ajouter à ces journaux légaux antifascistes, certes plus ou moins acceptés, la presse communiste clandestine produite sous l’Occupation. Parmi les feuilles qui nous sont parvenues figurent : Lettere di Spartaco et La Parola degli Italiani.

Si l'écrasante majorité de cette presse antifasciste est rédigée en italien, on trouve quelques exemples de journaux bilingues tels que L'Attesa, publiée à Agen, ou même entièrement en français comme Italie, organe de la Lega Italiana dei Diritti dell’Uomo (Lidu, Ligue Italienne des Droits de l'Homme).

Pour compléter ce panorama il faut mentionner les périodiques de sens opposé, c'est-à-dire les organes de presse fasciste. Le recensement de l'INSML en compte 9, dont Il Legionario, l’organe des Fasci Italiani all’Estero (Faisceaux Italiens à l’étranger).

Enfin, des associations économiques, principalement agricoles tant antifascistes que fascistes ont publié en France 32 périodiques.

L'intérêt porté à l'émigration par l'Église catholique italienne a donné naissance à Agen à Il

Corriere, l’organe éminemment politique des Missions Catholiques en Europe, diffusé en France et

en Belgique. Il Corriere a été particulièrement durable, puisqu’il paraît de 1926 à 1944. Loin de s'occuper de questions d'église ou de foi, il commentait la politique italienne en termes ouvertement nationalistes.

Histoire, clivages, difficultés et espoirs de la presse antifasciste

Malgré la diversité des orientations, l’analyse de la presse antifasciste révèle des éléments de convergence : elle constituait un lien entre exilés, un lieu de contre-information sur la politique du régime et un espace d'éducation idéologique pour le lecteur immigré. Elle considérait unanimement le fascisme comme un retour à l'obscurantisme, comme l’expression d'un pouvoir

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oligarchique « barbare » et « rétrograde ». Les divergences étaient cependant passablement nombreuses, profondes et se cristallisant autour de trois clivages : les causes du fascisme, les méthodes pour le combattre et enfin le type de société à reconstruire après l'intermède totalitaire.

A propos du premier clivage : pour la presse socialiste et communiste, la dictature représentait la réaction de la bourgeoisie à l'agitation sociale de l’immédiat après-guerre, tandis que, pour la presse républicaine et social-libérale, son avènement puisait ses racines dans le déficit de démocratie de l’Italie libérale, une société au sens civique et morale assez faible, une situation qui prédisposait les Italiens à la soumission.

En matière de lutte contre le fascisme, la fracture se creusait sur l'utilisation de moyens illégaux. Si pour les journaux socialistes, tant réformistes que maximalistes, le fascisme devait être combattu par la parole, la presse républicaine et en particulier social-libérale soutenait que seul le déclenchement d’un soulèvement populaire permettrait de l’anéantir. Cette position était en partie partagée par la presse communiste qui proposait d'infiltrer les structures fascistes afin d'effondrer de l’intérieur la dictature. Campée sur des positions d'illégalité extrême, la presse anarchiste invitait elle aussi à frapper la dictature, mais au travers d’attentats.

Sur le projet politique de l’après-fascisme, l'ensemble de la presse antifasciste hors communiste et anarchiste prévoyait une renaissance de l'Italie sur une base démocratique, parce qu’une société socialement juste ne peut germer que dans la démocratie. La presse communiste évoluait également dans ce sens au cours des années 1930.

La composition de leurs rédactions donne un contenu nettement intellectuel à la plupart des journaux antifascistes. La plupart d’entre eux étaient dirigés par des leaders politiques très cultivés, des universitaires ou des intellectuels qui avaient occupé en Italie des postes institutionnels d'une certaine importance et qui disposaient aussi d’une expérience journalistique. Bien que facilitée par cette expérience, l'activité éditoriale devait faire face à de nombreusesdifficultés, et tout d’abord la collecte d’informations.

N’étant pas en mesure de disposer en Italie de ses propres correspondants ou envoyés, chaque journal antifasciste devait se créer un réseau clandestin d'informateurs composé de personnes fiables ; celles-ci envoyaient par des chemins inhabituels, imaginatifs et discrets, des nouvelles qui démontraient le visage anti-démocratique du régime et que la presse fasciste passait sous silence. Les informations n’arrivaient que de façon discontinue et depuis certaines régions seulement. Une affichette distribuée clandestinement en Italie intitulée Per comunicare con i Fuoriusciti (Pour communiquer avec les exilés) cherchait à créer un réseau clandestin d’informateurs :

On ne peut pas envoyer de correspondants parce que le gouvernement n'accorde de passeports qu’aux fascistes ; on ne peut pas envoyer les informations par lettres car elles sont censurées. Tu connais certainement l'adresse d'un compatriote, d'un ancien camarade de parti, d'un émigré que tu sais d’idées antifascistes. Eh bien, envoie périodiquement et très régulièrement des lettres à cet ami. Bien sûr, ne signe pas. Tape les lettres à la machine ou change d’écriture [...].

Tes lettres doivent avant tout servir à informer les exilés qu’ils disposent d’une presse en Europe et en Amérique [...]. Tout ce que la presse fasciste ne publie pas nous est utile. Envoie-nous aussi des journaux fascistes locaux qui arrivent difficilement à l'étranger et des affiches de propagande4.

4 Sur la question des canaux d’information avec l’Italie, un document très révélateur est Per comunicare con i

fuoriusciti, Archivio Centrale di Stato (dorénavant ACS), Ministero Interno, Direzione generale di Pubblica

Sicurezza (dorénavant Dir. Gen. PS), Affari Generali (dorénavant Aff.Gen), F 4 , busta (b.) 52, fascicolo (fasc.) I la

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Les informations arrivaient également de la presse étrangère, plutôt anglaise, plus riche en nouvelles sur l'Italie, mais aussi de la presse fasciste ou fascisante dont les exilés faisaient une contre-lecture ; ainsi les fastidieuses chroniques du gouvernement, la propagande des cérémonies fascistes et ses omissions étaient l'objet d’exégèses.

L'information antifasciste devait faire face à une autre difficulté, beaucoup plus grave, son financement. Les riches philanthropes étaient rares et peu généreux ; les sommes provenant de la solidarité internationale et des formations politiques françaises progressistes restaient modestes.

Les ressources inhérentes à l’activité éditoriale, les ventes au numéro ou par abonnement s'avéraient insuffisantes et peu fiables car le cercle des lecteurs, comme nous l'avons déjà dit, était très étroit et ses ressources limitées.

Enfin la publicité commerciale était presque absente. Au sujet des encarts publicitaires, le socialiste Filippo Turati écrivait à Torquato Di Tella, un industriel italo-argentin, le bienfaiteur clef du mouvement antifasciste 5:

Vous trouverez étrange que la publicité ne rapporte que 4 000 francs, nous avons essayé et réessayé en vain d'en faire plus. Les commerçants italiens, quoique nombreux en France, craignent les représailles des fascistes et des consulats et si quelqu'un, surmontant son avarice,

donne 50 francs, il nous recommande de ne pas publier son nom6.

L'endettement chronique était le mal endémique dont souffrait la presse antifasciste et la fermeture était l'inquiétude permanente. L'étranglement financier provoqua la disparition de nombreux journaux.

Les premiers journaux antifascistes ont été fondés au début des années vingt, peu après l'arrivée en France des communistes, les premiers à être persécutés par les chemises noires.

Pour conserver leur indépendance vis-à-vis du PCF, ces premiers communistes exilés donnaient vie aux premiers bulletins antifascistes et anticapitalistes de langue italienne.

Le premier d'entre eux est l’Araldo fondé à Paris en mars 1922 et interdit par les autorités françaises fin 1923. Suite à cette première interdiction, la publication prenait le nom de

Ordine Nuovo, puis la Riscossa de 1924 à 1926.

La censure systématique, conséquence d’une sévérité accrue du gouvernement français envers les communistes conduisait à la création, toujours dans la capitale, d'une longue série d'autres feuilles : Il Fronte Antifascista (1927-1930), La

5 Torquato Di Tella avait émigré en Argentine en 1892 ; en 1910, il ouvrait un petit atelier mécanique qui devint plus tard l'une des plus importantes usines mécaniques du pays, la Sociedad Industrial Americana de Maquinaria. Di Tella fut l'un des fondateurs du journal Italia Libera de Buenos Aires. Son activité antifasciste lui valait d’être était surveillé par la police fasciste, voir sa fiche de police archives ACS, fonds Casellario Politico Centrale (dorénavant CPC), dossier 64831.

6 Lettre du 5 juillet 1931, Fonds Torquato Tella, Buenos Aires, cité dans Bruno Tobia, « Il problema del finanziamento della Concentrazione d’azione antifascista negli anni 1928-1932 », in Storia Contemporanea, n°3, 1978, p. 462.

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Riscossa della Gioventù (1928), La Voce Proletaria (1928-1929), Bandiera Rossa (1933), La Nostra Bandiera (1933-1934), La Bandiera dei Lavoratori (1934), Vita Operaia (1934), Voce Operaia

(1934), L’Idea Popolare (1935-1936), Il Grido del Popolo (1936-1937), Fraternité (1937-1938), La

Voce degli Italiani (1937-1939)7. Parmi les journaux des dissidents communistes, on peut citer il

Bollettino dell’Opposizione (1931-1933) d’orientation trotskyste.

Le seul journal communiste à résister longtemps à la censure fut Stato Operaio8, publié de 1927 à

1939 à Paris et de 1940 à 1943 à New-York. Dans ses mémoires, Rivoluzionaria di professione (Révolutionnaire professionnelle), Teresa Noce, cadre du PCI 9 explique clairement les raisons du grand nombre de feuilles communistes :

Au cours des trois années où j'ai été responsable du journal communiste en exil, nous avons dû changer son nom au moins une vingtaine de fois. Bien que la France eût des gouvernements plus ou moins démocratiques, l'ambassade italienne et la police fasciste intervenaient continuellement sous prétexte de tel ou tel article et l'hebdomadaire était suspendu. Comme le journal était un lien organisationnel avec les travailleurs italiens que nous ne pouvions pas interrompre même pendant quelques semaines, nous avons appris à neutraliser les mesures réactionnaires du gouvernement français en gardant toujours en préparation un nouveau titre et une autorisation pour un autre directeur responsable. De cette façon, avec un

retard d’au maximum un jour ou deux, le nouveau journal prenait la place de l’ancien 10.

Dans sa publication, Teresa Noce nous apprend que les articles de la presse communiste étaient élaborés par une comité prolétaire composée de simples militants et de lecteurs assidus qui suggéraient aux rédacteurs, après des discussions souvent fort animées, les sujets à traiter et qui relayaient les informations reçues par leur réseau en Italie.

Teresa Noce raconte : « Après avoir bien critiqué le journal, les camarades sortaient des enveloppes, des petits papiers, des lettres venant d'Italie avec des nouvelles en provenance des usines et des villes italiennes. »11

A côté des feuilles communistes élaborées par la base, se distingue Stato Operaio, l'organe officiel du PCI en exil, une revue théorique qui définissait la ligne de parti selon la doctrine marxiste-léniniste-stalinienne et contre les dérives trotskystes.

Selon Ruggero Grieco, l’un des fondateurs du PCI, Stato Operaio n'était pas un organe de masse, mais un instrument destiné à former les cadres du parti pour qu’ils deviennent de bons propagandistes et d’efficaces courroies de transmission des directives du parti12.

A cause de sa lecture ardue, cette revue communiste avait un tirage assez faible, entre 2 et 3 000 exemplaires dont seulement la moitié diffusée en France, contre les 12 000 du Araldo à la fin 192313.

A une demande de la base pour la rendre plus accessible avec des articles plus simples, plus courts, plus populaires, les rédacteurs de la revue se montraient tout à fait intransigeants comme on peut le lire dans le numéro de mai 1927 : « On dit que la revue est incompréhensible, mais il faut

7 Il ne subsiste de ces feuilles que quelques numéros, recueillis par les Archives de l’Istituto Gramsci (archives nationales du parti communiste Italien) à Rome, la Fondation Feltrinelli à Milan, les Archives Nationales à Rome et INSML de Milan.

8 La collection complète, rééditée en 1966, se trouve à l’archive historique de la fondation Feltrinelli.

9 Teresa Noce fut en 1936 rédactrice du journal Grido del Popolo, voir fiche de police ACS, CPC, dossier 3553. 10 Teresa Noce, Rivoluzionaria di professione, Milano, La Pietra, 1974, p. 169.

11 Pour les témoignages, voir : Teresa Noce, Rivoluzionaria di professione, op. cit., p. 169. 12 Stato Operaio, décembre 1936 et octobre 1938.

13 Massimo Legnani, « La stampa antifascista 1926-1943 », in Valerio Castronovo, Nicola Tranfaglia, La stampa

italiana nell’età fascista, Bari, Laterza, 1980, p. 312-313 ; Loris Castellani, « I Comunisti (1922-1936) », in

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que les camarades et les lecteurs fassent l'effort non seulement de lire mais d'étudier au moins un peu. »

Ils réitèrent la même position dans le numéro de mars 1928 : « Stato Operaio a besoin de présenter des problèmes complexes qui ne peuvent se plier à une vulgarisation facile de type scolaire.»

Paradoxalement, l'organe officiel de presse du parti qui avait le plus grand nombre d’adhérents et de militants en France, la plus grande influence sur les immigrés italiens avait donc un nombre relativement faible de lecteurs.

Ce périodique va maintenir jusqu'à son transfert à New York en 1939 un profil purement conceptuel car le PCI en exil informait et mobilisait ses militants à travers les publications précitées d’approche beaucoup plus aisée.

Le journal communiste le plus populaire fut irréfutablement La Voce degli Italiani, (rédaction ci-contre) porte-parole de 1937 à 1939 de l’Unione

Popolare Italiana (UPI), une organisation dans

laquelle le PCI aspirait à fédérer tous les antifascistes et tous les immigrés italiens « honnêtes, amis de la paix et du progrès » 14.

L’UPI était la résultante entre le Front Populaire français et les nouvelles directives soviétiques selon lesquelles, face à la menace nazie, l’unité de la gauche devait primer sur la révolution anticapitaliste.

La Voce degli Italiani était un quotidien, une périodicité très rare dans la presse des exilés ;

il connaissait très vite une grande diffusion, 20 000 exemplaires et 4 000 abonnés15.

Son succès tenait à des causes multiples : des prises de positions largement partageables ; la volonté d'être le pôle d’agrégation des Italiens au-delà des barrières idéologiques et enfin le profil de ses directeurs de rédaction, deux personnalités très influentes et populaires : Giuseppe Di Vittorio, responsable de l'organisation syndicale Confederazione Generale del

Lavoro (CGdL, Confédération Générale du Travail) et

Luigi Campolonghi, le président de la Lidu, la plus connue des organisations antifascistes.

La Voce degli Italiani, liée au sort de l’UPI,

disparaissait en 1939 quand, à la suite du pacte de non-agression germano-soviétique, le gouvernement français interdisait toutes les organisations communistes.

14 Consultable ACS, Bibliothéque Ministero Interno (dorénavant BMI). Giornali dell'Emigrazione (dorénavant GE). 15 Pour les données, voir : Collectif, France des Etrangers. France des Libertés. Presse et Mémoire, Paris, Génériques

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Les publications socialistes éditées en France se ressentaientfortement des divisions internes du parti entre réformistes, unificazionisti (partisans de la réunification des socialistes), terzisti (partisans de l'unité entre les socialistes et les communistes) et massimalisti (opposés à toute

unification). Suite à l'exil de l'establishment socialiste, l’organe officiel du parti, l'Avanti16,

reparaissait à Paris en 1926, sous le contrôle du courant maximaliste. Ce journal vécut jusqu'en 1940 ; il fut dirigé à certaines périodes par Angelica Balabanoff, l'une des rares femmes du mouvement antifasciste à avoir pris les rênes d'un journal.

Les socialistes réformistes se rassemblaient à partir de 1928 autour de

Rinascita Socialista17, revue dirigée par Giuseppe Modigliani, Filippo Turati et Claudio Treves, figures historiques de ce parti et anciens députés. Comme il s’avérait impossible d’arracher la direction de l’Avanti aux maximalistes, les réformistes fondaient en 1934

Il Nuovo Avanti que Pietro Nenni dirige jusqu'en

1939. Les terzistes, eux, créaient Il Nostro Avanti avant de rejoindre le PCI en 1930.

Dans leur diversité, tous ces titres furent des lieux d'analyse de la défaite des socialistes devant le fascisme, de réflexion sur la manière de surmonter les divisions internes de l’antifascisme et sur la façon de concilier, dans une société italienne à reconstruire, démocratie et socialisme. Leur diffusion ne fut cependant pas à la hauteur de l'héritage dont cette presse socialiste se sentait dépositaire : l’Avanti ne dépassa jamais un tirage de 5 000 exemplaires, tandis que le

Nuovo Avanti atteint 7 à 8 000 exemplaires en 1934-1935 mais avec une diffusion en France, Suisse,

Belgique et Amérique18.

Malgré ce tirage plutôt modeste, la presse socialiste, en particulier l’Avanti et Rinascita

Socialista, n'avait pas de sérieux problèmes financiers. Elle a pu, en effet, compter sur le soutien des

milieux socialistes nord-américains et argentins, des coopératives de travail, l’Emancipation et le

Progrès, créées par les mêmes socialistes surtout dans le Sud-Ouest, et enfin d'une subvention

annuelle versée par l'Internationale Ouvrière et Socialiste (IOS). Cette organisation portait secours aux exilés socialistes ayant quitté des pays privés de démocratie ; les aides de l’IOS arrivaient aux socialistes italiens à travers le fonds Matteotti19. Une correspondance entre Friedrich Adler, le secrétaire de l'IOS, et Giuseppe Modigliani fait référence à une allocation mensuelle de 15 000 francs utilisée non seulement pour équilibrer les budgets du journal, mais aussi pour financer des initiatives antifascistes menées conjointement avec d'autres formations politiques20.

16 La collection complète est consultable ACS, BMI, GE.

17 La revue est conservée auprès de l’INSML ainsi qu’à ACS, BMI, GE.

18 Gaetano Arfe, Storia dell’Avanti! 1926-1940, Roma, Avanti Edizione, 1956, p. 29 e 121.

19 Voir Troisième Congrès de l’Internationale Ouvrière et Socialiste. Rapports et compte rendus. Questions d’organisation, Zürich, 1928, p. 11 et 75.

20 Lettre de Friedrich Adler à Giuseppe Modigliani, 20 avril 1927, Archives de l’Institut d’Histoire Sociale d’Amsterdam, 2244, citée par Bruno Tobia, « La stampa della concentrazione d’azione antifascista», op. cit., p. 56.

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Un soutien, certes en deçà des attentes de la rédaction, venait aussi des socialistes européens modérés. Dans une lettre à Valentino Pittoni, ancien dirigeant socialiste de Trieste, Filippo Turati, soulignait les efforts à fournir pour les obtenir :

Concrètement, personne n’a compris nos besoins et ne s’y est vraiment intéressé, y compris matériellement, c'est-à-dire avec de l'argent sonnant et trébuchant [...], ou du moins il n’y avait jusqu'à hier que les camarades autrichiens : un peu grâce à l’influence de Ellembogen et de toi-même, un peu parce qu’ils se sentent eux aussi menacés par le fléau qui nous a frappés. Cette dernière raison nous attire la sympathie des Belges, [...] mais quand il s’agit de nous envoyer trois sous, plus personne [...].

Les Français qui se vantent (?) de nous accueillir sont les premiers... à être les derniers. Les Anglais rivalisent avec eux [...]. Les Allemands se sont décidés seulement maintenant, suite à une lettre que j’ai envoyé à Stampfer en septembre dernier, à ouvrir leur porte-monnaie et nous offrir, bonjour l'avarice, 2 000 marks [...]21.

L'action éditoriale des socialistes réformistes s’exprimait aussi avec la Libertà, hebdomadaire de la Concentrazione Antifascista, un cartel qui a regroupé de 1927 à 1934 les forces antifascistes non communistes (ci-contre)22. Conformément à l'esprit pluraliste de l’organisation, la rédaction de la Libertà était composée de représentants du socialisme modéré, Claudio Treves et Giuseppe Modigliani, de dirigeants du courant socialiste maximaliste, Pietro Nenni et Angelica Balabanoff, des responsables du parti républicain, Mario Pistocchi et Ferdinando Schiavetti, des leaders de la Lidu, Alceste De Ambris et Alberto Cianca et enfin des chefs de file de la CGdL, Bruno Buozzi et Felice Quaglino.

L'analyse du journal révèle ses principaux objectifs : assurer la cohésion de l'antifascisme non communiste et utiliser l'information comme arme d’affaiblissement du régime. Révéler le vrai visage du fascisme devait pousser les immigrés italiens et l’opinion publique internationale à condamner le fascisme qui, isolé, déclinerait jusqu’à disparaitre.

Le journal reflète l'esprit de la

Concentrazione Antifascista : considérer le fascisme

comme un accident de parcours sur le chemin de la démocratie italienne ; manifester son opposition au régime par la dénonciation en attendant sa désintégration ; se préparer à restaurer l'Etat démocratique en continuité avec celui qui avait existé dans la période préfasciste. Avec cette position, le journal incarnait, aux yeux de ses détracteurs, une vision plutôt statique et attentiste de l'antifascisme. Ce titre avait également le mérite de faire passer le débat sur la démocratie de l'échelle italienne à celle européenne et d'accueillir les plus prestigieux plumes des exilés, y compris certains communistes.

21 Voir Alessandro Schiavi, Esilio e morte di Filippo Turati (1926-1932), Roma, Edizioni Opere Nuove, 1956, p. 221. 22 La Libertà est conservée dans 3 archives : INSML, Fondation Feltrinelli et ACS, BMI, GE.

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Comme elle ne disposait d’aucun réseau clandestin de correspondants en Italie, la Libertà fabriquait ses informations à partir d’une lecture critique de presque tous les journaux fascistes auxquels elle était abonnée : Corriere della Sera, Gazzetta Ufficiale (Journal Officiel), Corriere

Padano, L'Osservatore Romano, Popolo di Romagna, Resto del Carlino, Il Tevere, La Tribuna et

quelques revues comme la Nuova Antologia et Problemi di Lavoro. Les chiffres sur la diffusion décevaient les attentes de la rédaction : en 1927, la Libertà déclarait un tirage de 15 000 exemplaires et 2 500 abonnés23. L'impossibilité ou l'incapacité du journal à augmenter le nombre de lecteurs eut de graves conséquences financières qui ne furent pas étrangères à sa fermeture.

Ses principales sources extérieures de financement étaient les coopératives italiennes installées en France24 et les souscriptions dont le montant était publié dans chaque numéro pour des raisons d'émulation. Les chiffres publiés par le journal et la correspondance de Filippo Turati montrent que le plus grand donateurde la Libertà était Torquato Di Tella que Turati qualifie « d’ami idéaliste rare à l'étranger ».

Une lettre du 21 janvier 1929, dans laquelle le leader socialiste rendait hommage à la générosité Di Tella, jette une lumière glaciale sur les Italiens aisés qui vivaient hors d'Italie et sur lesquels le mouvement antifasciste comptait beaucoup :

Vous êtes l’un des rares soutiens parmi des nombreux amis riches dont la plupart masquent leur avarice sous le prétexte de la peur et ne comprennent pas que, jamais comme actuellement, s’ils le voulaient, ils pourraient faire fructifier, certainement sur un plan moral mais peut-être aussi matériellement, leurs richesses inutiles.

Quand le jour viendra, et il viendra certainement, où vous pourrez sortir de l'anonymat et que nous pourrons écrire l'histoire de ces années de passion, votre nom devra être placé en pleine lumière pour avoir depuis si loin, et sans le moindre intérêt égoïste et immédiat, financé,

presque seul, et si efficacement, notre travail modeste mais pas inutile.25

Le soutien de Di Tella figure sur la liste des souscriptions publiée par la Libertà sous la rubrique « Argentine », sous différents pseudonymes et en des sommes fractionnées pour d’une part protéger son seul soutien des représailles du régime et de l’autre pour faire croire que l'antifascisme était assez répandu. Di Tella a envoyé au journal 419 000 francs sur la période 1928-193126. Les généreux dons de Di Tella servaient également à enrichir la bibliothèque-archives du journal et à payer les nombreux abonnements à la presse fasciste.

La Libertà fermait ses portes en 1934 suite à l'alliance des socialistes avec les communistes italiens. Ce rapprochement mettait fin à l'entente entre socialistes et socio-démocrates et par ricochet au journal qui les unissait.

23 Voir : Collectif, France des Etrangers. France des Libertés. Presse et Mémoire, op. cit.,. p. 83. Ces données diffusées par le journal divergent de celles annoncées par les sources policières françaises et italiennes. Le rapport de police français de mai 1927 parle de 12 000, voir : Archives Nationales de Paris, F / 7, 13460 ; le télégramme de l'Ambassade d'Italie à Paris au Ministère de l'Intérieur du 29 novembre 1929 parle d'un tirage oscillant entre 3 000 et 6 000 exemplaires, voir : ACS, MI, Dir. Gen. PS, Aff. Gen., F 4, b. 52 e 53, liasse I e III la Libertà. Ces données sont à prendre avec précaution.

24 Une lettre du 19 mai 1929 envoyée par un informateur au commissaire de Modène signale que la Libertà aurait eu en 1929 un déficit de 100 000 francs comblé par les dons de l’Unione delle Cooperative Edili (Union des Coopératives en bâtiment public) pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 2 millions. Voir : ACS, Polizia Politica per materia, liasse 9, Francia, Partito Socialista.

25 Bruno Tobia, « Il problema del finanziamento della Concentrazione », op. cit., p. 433.

26 Sur les rapports entre F.Turati et T.Di Tella voir : Bruno Tobia, « Il problema del finanziamento della Concentrazione », op. cit., p. 432-465. La correspondance entre T. Di Tella et F.Turati est conservée par la fondation Torquato Di Tella, Buenos Aires. Les archives de cette fondation contiennent également les comptes de la Concentration de 1928 à 1931 établis par Turati.

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Cette fermeture fut accélérée par le grand déficit accumulé à partir de 1931, depuis que Di Tella, frappé par la crise économique, avait ralenti ses contributions. Pour s’en sortir et clôturer l’exercice 1932, le journal lançait auprès des lecteurs une souscription extraordinaire avec cet appel publié le 24 novembre :

Nous sommes pauvres, pauvres, pauvres ; nous n'avons pas de fonds secrets. La Libertà vit de ses ventes et des souscriptions ; nous comptons exclusivement sur le financement des antifascistes. Nous nous adressons avec confiance à l'antifascisme. Nous avons besoin de 30 000 francs pour clôturer l’activité de 1932. Nous avons besoin de 5 000 nouveaux abonnés [...]. C’est avec fermeté et franchise que nous vous disons que cet argent est pour nous vital.

La Libertà du 5 janvier 1933 signalait que la souscription extraordinaire avait rapporté 50

000 francs, insuffisants pour éponger la dette. La conjonction des crises économique et politique conduisait à la disparition du journal. Afin de sensibiliser l’opinion sur les risques de contagion du fascisme et le danger que ce dernier représentait pour l’Europe, les partis politiques italiens coalisés dans la Concentrazione Antifascista fondaient en 1928 Italie, un bimensuel en français27. En 1930, le groupe londonien Friends of Italian Freedom réalisait une version anglaise, Italy Today. Une version allemande fut également envisagée mais ne vit jamais le jour.

Italie eut un tirage de 3 000 exemplaires et était distribuée gratuitement auprès des membres

du gouvernement français, des ambassades à Paris et de la presse française et étrangère. Ce bimensuel fut largement financé par Di Tella, avant de disparaître en 193228.

Les Républicains furent très actifs dans la rédaction de la Libertà mais s'exprimaient aussi à travers leurs propres journaux dont l’Italia del Popolo, l'organe de la Fédération des Républicains d'Europe fondé à Paris en 1926 suite à l’exil des dirigeants de cette formation Cipriano Facchinetti, Mario Pistocchi, Mario Bergamo, Aurelio Natoli, Randolfo Pacciardi.

Ardent défenseur de l'union des forces antifascistes en exil, ce journal relayait auprès de ses lecteurs les positions de la Concentrazione Antifascista. Quand le soutien à cette organisation devint en 1932 une pomme de discorde entre Républicains, le courant de gauche publia un nouveau bimensuel, L’Iniziativa (1932-1933).

Les débats théoriques entre Républicains sont exposés dans le mensuel Problemi della Rivoluzione

Italiana, (1931-1939), une revue ouverte à la diversité des opinions. On trouve dans cette revue des

articles signés du socialiste Sandro Pertini, du social-libéral Silvio Trentin et de l’ancien anarcho-syndicaliste Alceste De Ambris. Par la discussion et le débat, cette revue favorisait le rapprochement entre républicains de gauche et socialistes. D'un bon niveau intellectuel, cette revue fut d'abord publiée à Marseille, puis à Nancy.

27 Ce bimensuel est consultable sur microfilm à la BNF et ACS, BMI, GE.

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Pour renouer avec les immigrés italiens, dont il s'était séparé en raison de ses fractures internes, le parti républicain créait à Paris un dernier hebdomadaire, La Giovine Italia, publié entre 1937 et

193929.

En 1929 voyait le jour à Paris une nouvelle formation politique Giustizia e Libertà (Justice et Liberté) qui créait en 1932 son organe de presse, au titre homonyme Quaderni di Giustizia e Libertà30 (Cahiers de Justice et Liberté) dirigé par un jeune intellectuel, Carlo Rosselli.

Cette formation et sa revue ont occupé une place à part dans l’univers de l’antifascisme, parce qu'elles s'opposaient à la fois au conformisme des socialistes modérés et au marxisme du PCI. I Quaderni Giustizia e

Libertà était une tribune où se traçait une troisième voie

politique. Par le syncrétisme des deux doctrines et en tirant le meilleur des deux, la revue élaborait la notion de socialisme libéral. Du libéralisme, elle retenait les libertés universelles, le principe de subsidiarité, de représentativité et la pleine réalisation de l'individu tandis qu’elle empruntait au socialisme les valeurs de solidarité, d'équité et le sens du bien commun.

Cette revue était à la fois théorique et pragmatique, se voulant un espace où dessiner la société future et proposer des mesures concrètes pour lutter contre le fascisme. A l’instar de la lutte héroïque du Risorgimento, la revue préconisait de débarrasser l’Italie du fascisme par une insurrection de masse préparée par l’envoi en Italie d’un groupe d'exilés vaillants, armés par les démocraties européennes, en premier lieu la France.

Cette insurrection devait aboutir à une révolution antifasciste, puis à la mise à l’écart de tous les partis et enfin à un changement intégral de classe politique, fasciste et préfasciste puisque l’ancienne classe était jugée responsable de l'avènement du régime. Pour Giustizia e Libertà, plus aucun parti n'était en mesure de proposer un authentique changement politico-social ; ce rôle revenait à des groupes sociaux fortement soudés et ancrées dans la réalité, comme les comités d'usine, de paysans ou de quartiers.

29 Les journaux républicains cités sont conservés aux archives nationales de Rome, ACS, BMI, GE, sauf Problemi

della Rivoluzione Italiana. Sur la presse républicaine, voir : Massimo Legnani, « La stampa antifascista », op.cit.,

p. 328-332 ; Collectif, France des Etrangers. France des Libertés. Presse et Mémoire, op.cit., p. 83. 30 Ce journal est conservé aux archives de la Fondation Feltrinelli, Milan.

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Giustizia e Libertà aspirait à préparer la nouvelle classe dirigeante, une avant-garde politique

qu'ils souhaitaient dynamique et créative31.On peut, en effet, lire dans le numéro du 15 juin 1934 « notre tâche est de former les cadres du mouvement Giustizia e Libertà, de parler aux masses, d'établir un lien idéal entre les immigrés italiens et le mouvement en Italie, de préparer l’antifascisme en exil aux tâches qui lui incomberont dans l'Italie de demain32 ».

La stigmatisation de la classe politique préfasciste et la remise en question du rôle des partis traditionnels valut de nombreux détracteurs à la revue parmi lesquels les communistes pour lesquels I Quaderni Giustizia e

Libertà exprimait des « positions utopiques,

intellectuellement stériles, petites-bourgeoises et antimarxistes33 ». Pour ne pas se couper de la réalité italienne, cette revue était diffusée clandestinement et gratuitement dans la péninsule.

Quand les responsables décidaient en 1935 de cesser la publication, elle fut remplacée par un nouveau périodique intitulé Giustizia e Libertà. Movimento

unitario di Azione per l’autonomia operaia, la repubblica socialista, un nuovo umanesimo. (Justice et Liberté. Mouvement unitaire d'action pour

l'autonomie ouvrière, la république socialiste, un nouvel humanisme) qui parut jusqu’en 1940. Les exilés comptaient aussi des dirigeants du Parti Populaire Italien (PPI), formation d’inspiration catholique ; trop peu nombreux pour reconstituer en terre de France leur formation, ils continuèrent individuellement à faire de la politique. Giuseppe Donati, directeur en Italie du Il Popolo, (le Peuple) organe de presse du PPI, fondait, en 1926 à Lyon avec Ricciotti Garibaldi et Carlo a Prato, le Corriere degli

Italiani34, une tribune née sous la forme d'un petit journal économique. Transféré à Paris quelques mois plus tard, il prenait un contenu purement politique et sa rédaction s’enrichissait de réfugiés venus d'autres horizons, comme le républicain Mario Pisticchi ou les socialistes Oddino Margari et Francesco Frola, réunis par l'idée que « l’antifascisme de l’immobilisme et de la résignation » devait laisser place à une « profonde action révolutionnaire ».

S’il stigmatisait l'antifascisme verbal, le

Corriere degli Italiani définissait mal les actions à

entreprendre. L'impalpabilité de son plan d'action était

31 Giustizia e Libertà, janvier 1935. 32 Giustizia e Libertà, 15 juin 1934.

33 Stato Operaio, septembre 1931, article signé Ercoli (alias Palmiro Togliatti) intitulé Sul movimento Giustizia e

Libertà.

34 Le journal est conservé à la BNF, mais tous les numéros ne sont pas consultables. La collection complète est disponible aux archives ACS, MI, PS F4, (1923-1943), b. 21 fasc. 1 Corriere degli Italiani, edizione Parigi.

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compensée par son intolérance à l'égard de la vieille garde antifasciste à qui le journal demandait de se retirer de la scène politique. Dans un article du 8 juillet 1927 intitulé Processare l’antifascismo

vuol dire purificarlo (Condamner l'antifascisme signifie le purifier), le Corriere degli Italiani

écrivait « l’ancienne classe politique, le vieux système constituent un lest encombrant qui entrave toute action et empêche l’émergence d'énergies nouvelles ».

L’animosité envers la vieille garde antifasciste revenait comme un leitmotiv dans ce journal. Dans un article du 18 août 1927 intitulé Verso un definitivo orientamento delle forze sane

dell’antifascismo (Vers une orientation définitive des forces saines de l’antifascisme), on lit :

L’ancien monde antifasciste est vermoulu d’ambitions, de vaines susceptibilités, de monopoles arbitraires, de bassesses mesquines et vieilles. Il faut le purifier. Les nouvelles forces antifascistes doivent occuper une place décisive dans la lutte contre le fascisme.

Le Corriere degli Italiani faisait donc peser la tragédie italienne sur les épaules de l'ancienne classe dirigeante en grande partie exilée en France, et considérait que ses différents favorisaient le fascisme. Cet antifascisme qualifié de sectaire et querelleur devait autant être combattu que le fascisme lui-même.

L’âpreté du ton s’accentuait lorsque, en février 1927, Giuseppe Donati quittait le journal. La campagne sans relâche contre les partis antifascistes, les invectives contre ses dirigeants, la promotion de la violence comme méthode de lutte faisait du Corriere degli Italiani le journal italien le plus isolé et le plus mal toléré non seulement dans le milieu des exilés mais aussi par les autorités françaises qui mettait un terme à sa publication en décembre 192735.

Avec cette interdiction, la France faisait taire une voix qui représentait pour les partisans du

Corriere degli Italiani un antifascisme « audacieux », alors que, pour tous les autres antifascistes,

elle n’était que le grommellement d’un groupuscule sans référence politique.

La fermeture du journal ne suscitait donc aucun regret dans le monde de l’antifascisme, désormais libéré d’un journal hostile et discréditant. Il ne faut cependant pas exclure que c’était Rome qui avait réussi à obtenir la censure du Corriere degli Italiani en raison de l’âpreté des propos contre le régime.

Giuseppe Donati après avoir quitté il Corriere degli Italiani reprenait son activité éditoriale avec Il Pungolo (L’Aiguillon) journal qu'il anima en 1928 et 1929 avec des plumes prestigieuses comme Silvio Trentin. Convaincu que le fascisme avait triomphé à cause du déficit de moralité et de sens civique des Italiens, ce nouveau journal misait sur l'éducation morale et civile des Transalpins pour éradiquer le régime.

Pour Il Pungolo, le fascisme était le produit même du caractère des Italiens, de leur comportement « factieux et individualiste ». Le journal considérait l’exil comme salutaire car il permettait de refonder une nouvelle classe politique sur de solides bases morales.

La presse anarchiste publiée en France compta, comme déjà dit, un grand nombre de titres, car à l’instar des journaux communistes, elle était systématiquementcensurée ; de nombreux titres comportaient très peu de numéros, certains furent même uniques. Comme les anarchistes étaient, avec les communistes, les premiers à se réfugier en France, ils publiaient dès 1923 La Voce del

35 Des documents intéressants inhérent aux événements du journal sont consultables aux archives INSML, fonds Carlo à Prato, b. 45, fasc. 5 et 6. Certaines informations sont contenues dans la publication de Francesco Frola, Vent’un

anni di esilio 1925-1946, Torino, Quartara Editore, 1948, p. 12-14. Sur la fermeture du journal, voir : Aldo Garosci, Storia dei fuoriusciti, op. cit..

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Profugo (La Voix de l’Exilé), et en 1924 Campane a Stormo (Le Glas) puis de 1923 à 1925

l'hebdomadaire La Rivendicazione.

Des anarcho-syndicalistes de l’Unione Sindacale Italiana (USI), des membres de l’organisation syndicale CGdL ainsi que des socialistes maximalistes participaient à ces premières feuilles anarchistes. Par la suite apparurent aissaient des journaux élaborés par des seuls anarchistes comme Il Monito (La Mise en Garde) en 1925, L’Agitazione, La Diana, Fede, en 1926 et Lotta

Umana en 1927 fondée par les disciples d’Enrico Malatesta.

Cette dernière revue destinée à une diffusion clandestine en Italie exprimait une forte opposition à l'antifascisme réformiste soutenu par la Concentrazione. En 1929, la France expulsait ses rédacteurs et la revue fut suspendue. Sa ligne éditoriale était reprise en 1931 par la Lotta

Anarchica, organe de L’Unione Comunista Anarchica dei Profughi Italiani (Union communiste

anarchiste des réfugiés italiens) où on débattait sur une insurrection armée contre le fascisme. Lotta

Anarchica était dirigé par Camillo Berneri, un brillant intellectuel qui sera assassiné à Barcelone en

mai 1937 sur ordre des staliniens.

Les années trente voyaient un renouveau des publications anarchistes avec Lotte Sociali (1933-1935), La Lanterna et Umanità Nova. La présence d’anarchistes italiens exilés dans les grandes villes françaises donnait naissance à des journaux locaux comme Non Molliamo (Tenons bon) à Marseille en 1927, conçu pour être diffusé clandestinement en Italie36.

Parmi les journaux qui tentaient une seconde vie en France, il faut mentionner l’hebdomadaire satirique Il

Becco Giallo37 (Le Bec Jaune), qui réapparut à Paris en

1927 avec l’objectif d’une diffusion clandestine en Italie. Ce retour fut assez court, puisqu’il disparut en 1931 par manque de fonds.

Certains courants n’ont cependant pas eu leur propre journal : ainsi la Lidu, l'une des organisations italiennes les plus connues des immigrés italiens et des exilés, choisissait de s'exprimer à travers l’organe unitaire des antifascistes, la Libertà, puis dans la revue de son homologue française, les Cahiers des Droits de

l'Homme38.

Le paysage médiatique antifasciste comprend également la presse syndicale. Les lois de 1926 entraînèrent la dissolution forcée des partis mais aussi des deux principaux syndicats, l'USI et la CGdL. Cette dernière connaissait alors une scission : la majorité dominée par les communistes décidait de rester en Italie dans la clandestinité alors que le courant socialiste de l’organisation syndicale suivait les cadres du parti socialiste et trouvait refuge à Paris où elle se reconstituait au sein de la CGT française et fondait son propre hebdomadaire, l’Operaio Italiano (Ouvrier italien).

36 Pour la reconstruction de la presse anarchiste voir : Leonardo Bettini, Bibliografia dell’anarchismo, vol.1 e 2, Firenze, CP Editrice, 1972. Sur l’activité politique des anarchistes en France, voir Luc Nemeth, « Gli anarchici (1918-1939) », in Collectif, L’Italie en exil. L’émigration italienne en France, op.cit., p. 306-308.

37 Certains numéros sont conservés aux archives de la fondation Feltrinelli et à l’Istituto Gramsci.

38 Entre 1930 et 1939, Luigi Campolonghi, président de la Lidu, a écrit de nombreux articles dans les Cahiers des

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Ce journal se proposait d'une part de développer chez les immigrés italiens une conscience démocratique considérée comme une condition fondamentale de l'exercice de la liberté syndicale, et d'autre part de les pousser à respecter les règles sociales du pays d'accueil et à solidariser avec les travailleurs français pour éviter d’être isolés et briseurs de grèves. L’hebdomadaire a eu une diffusion plutôt limitée, ne dépassant pas 1 500 abonnés39. Dirigé par Bruno Buozzi, l’Operaio Italiano a été publié grâce à la contribution de la Fédération Internationale du Bâtiment, affiliée à la Fédération Syndicale Internationale basée à Amsterdam. Son déficit de 70 000 francs fut épongé par une souscription internationale40.

Bien que le courant communiste de la CGdL eut choisi de rester clandestinement en Italie, il se reconstituait aussi à Paris et donnait naissance entre 1928 et 1939, à Battaglie Sindacali (Lutte Syndicale), journal qui dénonçait la politique anti-prolétarienne du régime, ses méthodes brutales et sensibilisait les immigrés italiens à la défense des victimes du fascisme41. Tant Battaglie Sindacali que Operaio Italiano érigeaient en une valeur cardinale la solidarité entre immigrés italiens et travailleurs français, pour éviter des tragiques affrontements comme celui d’Aigues-Mortes en 1893.

Le mouvement antifasciste comprenait également des femmes, compagnes, épouses ou filles d'exilés qui ont joué, bien que très souvent dans l'ombre de leurs hommes, un vrai rôle politique et éditorial. En 1933, le Comité Mondial des Femmes contre la Guerre et le Fascisme, - une organisation contrôlée par l'Internationale Communiste - chargeait Teresa Noce, alias Estella, compagne de Luigi Longo (haut dirigeant du PCI), d’organiser les femmes italiennes dans un mouvement féminin antifasciste.

Ce comité a financé en grande partie la revue du mouvement naissant, La Voce delle Donne, (La Voix des femmes) publiée à Paris en 1934 et renommée en 1937 Noi donne (Nous, les femmes)42. Cette revue dirigée par Xenia Silberberg, alias Marina, épouse du dirigeant communiste Emilio Sereni, devenait l'organe de l’Unione Donne Italiane, (UDI), association flanquée à l’Union Populaire Italienne (UPI).

39 Le journal est conservé aux archives ACS, fonds MI, Dir. Gen., PS, Div. Polizia Politica. Les orientations du journal étaient clairement définies dans son premier numéro du 1er mai 1926. Les données sur sa diffusion viennent d’une lettre d’un informateur fasciste du 7 octobre 1928, ACS, MI, Dir. Gen. PS, Aff. Gen, 1928, b. 156 (C2) ; voir aussi : Bruno Tobia, « La stampa della Concentrazione », op. cit., p. 60.

40 Voir : Collectif (sous la dir de ldo Forbine), Sindacato e riformismo. Bruno Buozzi,scritti e discorsi (1910-1943), Milano, F. Angeli, 1994,p. 238 ; L’Operaio Italiano 1 mai 1926, 10 septembre 1927.

41 Les missions sont définies dans le numéro du 13 mars 1928. Le journal Battaglie Sindacali est consultable aux archives ACS BMI GE, et fondation Feltrinelli.

42 Ces informations ont été retrouvés dans la fiche de police de Teresa Noce, ACS, CPC, b. 3553. Certains numéros de ce journal sont conservés aux archives ACS et à l’Istituto Gramsci.

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Cette revue avait pour mission de faire de la femme italienne une force de frappe contre la politique fasciste belliqueuse et une ressource pour la paix. Après la libération de l'Italie du Sud, la rédaction de Noi donne s’établissait à Naples et devenait, à partir de juillet 1944, le principal journal du mouvement féministe italien, édité encore de nos jours.

Le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, le pacte de non-agression entre l'Allemagne nazie et l'Union Soviétique d’août 1939 puis l'entrée en guerre de l’Italie en juin 1940 contre les démocraties occidentales eurent un effet dévastateur sur la presse antifasciste. Suite à ces événements dramatiques, les partis antifascistes qui avaient trouvé refuge en France étaient dissous, la fragile unité antifasciste éclatait, et certains réfugiés reprenaient l'exil tandis que d'autres étaient emprisonnés ou internés. En quelques mois, la presse antifasciste se désintégrait à cause des divisions internes, de la désorientation, mais surtout de l'action répressive du gouvernement français. Au début de 1940, la direction du parti communiste italien se reconstituait clandestinement pour renouer avec sa base perdue et découragée par le pacte germano-soviétique. Il donnait ainsi naissance à Paris à une feuille clandestine, Lettere di Spartaco43. Se référant au gladiateur mythique de l’antiquité qui avait mené la révolte des esclaves contre la Rome impériale, le PCI continuait à travers cette feuille sa lutte contre le fascisme et les puissances occidentales impérialistes. Jusqu'à l’agression nazie sur l'URSS en 1941, les Lettere di Spartaco ont continué d’exprimer la loyauté du PCI envers l’Union Soviétique et l'Internationale Communiste.

A côté des Lettere di Spartaco publiées jusqu'en 1943, le PCI publiait de 1942 à 1944 une deuxième feuille, La Parola degli Italiani 44 diffusée dans un nouveau contexte : l'occupation nazie de la France et la rupture du pacte germano-soviétique. Ces polycopiés exhortaient les immigrés italiens à rejeter le STO et à rejoindre la Résistance française, d’abord par solidarité avec le pays hôte, ensuitepour accélérer la défaite du nazisme et du fascisme.

En juillet 1942 paraissait clandestinement à Toulouse le premier numéro de Libérer et Fédérer, organe d’un mouvement de résistance locale composée d'intellectuels très proches de la SFIO. Ce journal, rédigé en français, comptait parmi ses principaux inspirateurs Silvio Trentin, figure de proue de l’antifascisme non communiste, ancien parlementaire et professeur de droit à l'Université de Venise. Après avoir perdu sa chaire en 1926, il s’exilait d’abord dans le Gers, puis ouvrait en 1934 à Toulouse la librairie du Languedoc qui devenait rapidement un lieu de rencontres et de discussions entre intellectuels toulousains. C'est dans cette librairie qu'en 1941 le groupe clandestin Libérer et

Fédérer donnait naissance au journal homonyme. Ce journal avait deux objectifs, libérer la France

et définir la société de demain.

43 Lettere di Spartaco est conservée aux archives ACS, MI, Dir. Gen., PS, Div. Polizia politica. Cette feuille est signalée par: Massimo Legnani, « La stampa antifascista », op.cit., p. 349-350 ; Paolo Spriano, Storia del partito

comunista italiano, vol 3, Torino, Einaudi, 1975, p. 331-333.

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Pour ce deuxième objectif, le groupe s'inspirait de la pensée de Silvio Trentin qui avait consacré ses années d'exil en France à définir une nouvelle société45. L'un des aspects les plus novateurs de sa pensée était la notion de fédéralisme à appliquer sur les plans à la fois institutionnel et social46. Trentin proposait de fédérer les peuples européens pour éviter de nouvelles guerres ; fédérer dans les différents espaces nationaux les travailleurs, les paysans, la classe moyenne et les intellectuels afin de créer une société harmonieuse et non conflictuelle. Le fédéralisme était proposé comme un instrument de paix, de civilisation, d'harmonie entre les classes sociales et les peuples.

Le groupe toulousain adoptait cette vision de la société et de l'Etat développée par Trentin et la diffusait dans le journal Libérer et Fédérer auquel le même Trentin participait activement jusqu'en 1943, date à laquelle il retourna en Italie, pour entrer dans la Résistance et contribuer à la libération de sa région47. Libérer et Fédérer a continué à paraître jusqu'au 14 avril 1944 grâce à la collaboration de l’imprimerie Lion. Lorsque les patrons de cette imprimerie furent déportés, le journal fut imprimé clandestinement à partir de la typographie Castelvi. Malgré les grandes difficultés et les risques sérieux, Libérer et Fédérer réussissait à publier 14 numéros avec un tirage de 20 000 exemplaires48.

La vivacité et l’originalité de la presse antifasciste du Sud-Ouest

Les publications antifascistes ont été également très florissantes dans les régions françaises où les exilés avaient trouvé refuge, et surtout dans le Sud-Ouest où ils vont fonder des journaux politiques et agricoles.

Comme de nombreux antifascistes, réfugiés dans le Sud-Ouest, avaient participé en Italie au montage des coopératives agricoles, ils créèrent, dès leur arrivée en 1924, des associations agricoles pour l'achat de produits et d’outillage agricoles et la vente collective de leur production.

Ces exilés complétèrent ces initiatives avec une presse agricole qui devait permettre à ces agriculteurs vénètes immigrés dans cette région d’être informés des nouvelles techniques agricoles modernes. Cette information visait à améliorer leurs pratiques et à favoriser tant leur émancipation sociale et économique que leur intégration grâce à la valorisation de leur image aux yeux des Français.

Ces revues étaient dirigées par des agronomes italiens et français qui, en plus de donner de véritables leçons de conduite culturale selon les méthodes de l’agriculture moderne, informaient les paysans sur les règles en vigueur en France. Cette presse, parfois bilingue, publiait également des informations très utiles aux agriculteurs comme les prix des denrées, les dates des foires, les annonces foncières, les offres d'emploi.

Le premier titre en avait deux, l’Agriculteur Franco-Italien et l’Agricoltore Franco-Italiano ; il fut créé à Agen en 1925 par deux agronomes antifascistes italiens en collaboration avec des techniciens agricoles locaux. Pour faciliter l'intégration des paysans immigrés italiens, il publiait des glossaires agricoles, donnait des leçons de français, et parfois des articles étaient consacrés à l'histoire de France.

45 La collection du journal est conservée à la BNF et à la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine. Pour le programme d’actions, voir : Libérer et Fédérer, 14 juillet 1942.

46 Pour connaître sa pensée, voir : Silvio Trentin, Federalismo e libertà. Scritti teorici 1935-1942, (édition préparée par Norberto Bobbio, Venezia, Marsilio, 1987.

47 Durant ses 18 années d’exil, Silvio Trentin fut surveillé par les informateurs fascistes, comme tous les exilés. Son activité antifasciste est confirmée par les rapports de police du CPC, dossier 5206.

48 Pour son action antifasciste voir la présentation de Michel Dreyfus dans l’ouvrage collectif, Libérer et Fédérer, Paris, Cedei, 1985, p. 5-6.

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En 1926, un journaliste antifasciste italien, Antonio Bettinardi et un pharmacien français lançaient à Montauban la Voix des Champs / Voce dei Campi. Ce journal agricole bilingue avait trois

éditions départementales : Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne et Haute-Garonne.

En 1929, les antifascistes du toulousain donnaient naissance à une dernière revue agricole, L’Informatore, émanation du Credito

Franco-Italiano, un institut de crédit

agricole fondé par les antifascistes pour faciliter aux paysans italiens l’accès au prêt bancaire.

Ce journalisme agricole initié par les antifascistes éveillait l'attention des fascistes locaux qui répondaient à ces initiatives soit par une fascisation de ces organes de presse comme ce fut le cas de la Voce dei Campi, soit en les concurrençant. Ainsi paraissait de 1927 à 1929 à Toulouse une revue agricole fasciste, le Consorzio Agrario (Consortium Agricole), organe de la société agricole homonyme49.

L'engagement politique du groupe de réfugiés dans le Sud-Ouest a été tout aussi intense. Le 10 octobre 1925 sortait à Toulouse le premier numéro du Il Mezzogiorno (Le Midi) 50, organe fondé par un groupe antifasciste politiquement diversifié ; le spectre allait des socialistes réformistes aux socialistes maximalistes, en passant des progressistes républicains et des libéraux socialistes.

La plupart des articles sont effectivement signés par les socialistes réformistes Francesco Ciccotti, Enrico Cuzzani, Adelmo Pedrini, Ernesto Caporali, Francesco Frola, Giovanni Faraboli, le libéral socialiste Luigi Campolonghi et surtout par l'anarcho-syndicaliste Alceste De Ambris qui en assurait la direction.

Presque tous les collaborateurs de la rédaction avaient eu des expériences syndicales. Ils fondaient Il Mezzogiorno avant de recréer leurs organisations syndicales et politiques : cela révèle combien la presse était considérée comme un moyen privilégié d'agrégation et de mobilisation antifasciste. L’impulsion à la création d’un journal politique venait aussi du plaisir de jouir à nouveau, en France, de la liberté de la presse.

Le Mezzogiorno doit être considéré comme l’un des premiers, sinon le premier, journal fondé par des réfugiés appartenant à la vaste mouvance socialiste ; en 1925 n’existaient sur le territoire français que les presses communiste et anarchiste. Ce journal permettait aux exilés de cette famille politique de disposer enfin d’un outil d'information et d’un espace auquel s'identifier. Au-delà de cet objectif, le groupe éditorial aspirait à s’implanter le plus largement possible parmi les immigrés non politisés,

49 Ces journaux sont conservés aux archives départementales du Lot-et-Garonne, de la Haute Garonne et du Tarn-et-Garonne.

50 Ce journal est conservé par les archives départementales de la Haute Garonne (dorénavant ADHG) et par les archives de ACS, BMI, GE. Pour une étude approfondie de la presse antifasciste publiée dans le Sud-Ouest, voir : Carmela Maltone, Exil et Identité. Les antifascistes italiens dans le Sud-Ouest 1924-1924, op. cit., p. 159-188.

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