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Entre "pouvoir" et "devoir" : dynamiques internes et construction sociale d'une famille de l'élite chilienne : le cas des Errazuriz Urmeneta, 1856-1930

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Texte intégral

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Entre ”pouvoir” et ”devoir” : dynamiques internes et

construction sociale d’une famille de l’élite chilienne : le

cas des Errazuriz Urmeneta, 1856-1930

Solène Bergot

To cite this version:

Solène Bergot. Entre ”pouvoir” et ”devoir” : dynamiques internes et construction sociale d’une famille de l’élite chilienne : le cas des Errazuriz Urmeneta, 1856-1930. Histoire. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I; Pontificia universidad católica de Chile (Santiago de Chile), 2013. Français. �NNT : 2013PA010723�. �tel-02070509�

(2)

1 Université Paris I – Panthéon Sorbonne

UFR d’Histoire

Ecole Doctorale d’Histoire de l’Université Paris 1 Mondes Américains / UMR 8168

Pontificia Universidad Católica de Chile Faculté d’Histoire, Géographie et Sciences Politiques

Institut d’Histoire

THÈSE en CO-TUTELLE Pour obtenir le titre de

Docteur de l’Université Paris 1 et de la Pontificia Universidad Católica de Chile Discipline : Histoire

Présentée et soutenue publiquement par

Solène BERGOT

Le 13 décembre 2013 Sous la direction de

Mme Annick LEMPÉRIÈRE et de Mme Sol SERRANO

ENTRE “POUVOIR” ET “DEVOIR”.

Dynamiques internes et construction sociale d’une famille de l’élite chilienne :

le cas des Errázuriz Urmeneta, 1856-1930.

JURY

Mme Frédérique Langue, Directeur d’Étude, CNRS, rapporteur

Mme Macarena Ponce de León, Professeur, Pontificia Universidad Católica de Chile Mme Annick Lempérière, Professeur, Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, directrice de

thèse

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2 RESUME

Entre 1860 et 1930, le Chili est dominé par une élite hégémonique au niveau politique, économique, social et symbolique. Une des familles parmi les plus importantes de cette élite est celle des Errázuriz, qui arrive du pays basque espagnol aux environ de 1735 et s’intègre très rapidement à l’élite coloniale. La génération qui est l’objet de notre étude, celle des Errázuriz Urmeneta, est composée de trois frères et une sœur dont la vie s’étale entre 1856 et 1930, chacun avec sa propre famille nucléaire (enfants et petits-enfants), regroupant un ensemble de presque cent individus. L’objectif de cette thèse est d’analyser cette famille au point de vue de ses dynamiques internes, en particulier en fonction des concepts de « devoir » et de « pouvoir ». On considérera donc leur éducation, mode de vie quotidienne, instances de sociabilité et spiritualité religieuse et artistique, afin de rendre compte du mode de construction de leur représentation, qui justifie le rôle dominant qu’elle occupe dans la société qui est la sienne. Il faudra aussi prendre en compte son intégration dans un espace euro-américain qui voit une augmentation des transferts culturels entre ses deux pôles, chacun générant un discours sur l’autre. Dans cette optique, le rapport de domination en faveur de ce groupe social auquel appartiennent les Errázuriz au Chili s’inverse en Europe, où il souffre l’ostracisme de l’aristocratie à laquelle il aspire s’intégrer.

TITLE AND ABSTRACT

Between “power” and “duty”. Internal dynamics and the social structure of an elite Chilean family: the case of the Errázuriz Urmeneta family, 1856-1930.

Between 1860 and 1930, Chile was politically, economically, socially and symbolically dominated by the hegemonic elite. One of the most important families in this group was the Errázuriz family, which arrived around 1735 from the Basque Country (Spain) and was not long in becoming part of the colonial elite. Our study focuses on the Errázuriz Urmeneta generation, which includes three brothers and one sister, who lived between 1856 and 1930 and each had their own nuclear families (children and grandchildren), made up of nearly 100 members in total. The purpose of this thesis is to study the internal dynamics of this family, based in particular on the concepts of “power” and “duty”. We will look at their education, way of daily life and examples of their social skills and religious and artistic spirituality in order to understand how they formed the image which explains their dominating role in society. We must also consider their integration into a Euro-American space which was experiencing a rise in cultural exchange between both poles, each one leading to talk on the otherness of the other. And so the dominance of the social group to which the Errázuriz family in Chile belonged was the inverse in Europe, where they faced the ostracism of the aristocracy, the class they aspired to join.

TITULO Y RESUMEN

“Entre « poder » y « deber ». Dinámicas internas y construcción social en una familia de la elite chilena: el caso de los Errázuriz Urmeneta, 1856-1930”.

Entre 1860 y 1930, Chile está dominado por una elite hegemónica a nivel político, económico, social y simbólico. Una de las familias entre las más importantes de esta elite corresponde a la familia Errázuriz, que llega desde el país vasco español alrededor de 1735 y se integra muy luego a la elite colonial. La generación que es objeto de nuestro estudio, la de los Errázuriz Urmeneta, está compuesta por tres hermanos y una hermana cuya vida se desarrolla entre 1856 y 1930, cada uno con su propia familia nuclear (hijos y nietos), agrupando un conjunto de cerca de cien individuos. El objetivo de esta tesis radica en el análisis de esta familia desde sus dinámicas internas, en particular en función de los conceptos de “poder” y de “deber”. Se considerará su educación, modo de vida cotidiana, instancias de sociabilidad y espiritualidad religiosa y artística, con el fin de dar cuenta del modo de construcción de su representación, que justifica el rol dominante que ocupa en la sociedad suya. Se tendrá también que tomar en cuenta su integración en un espacio euro-americano que ve un aumento de las transferencias

(4)

3 culturales entre sus dos polos, cada uno generando un discurso sobre la alteridad del otro. En esta óptica, la relación de dominación a favor de este grupo social al cual pertenecen los Errázuriz en Chile se invierte en Europa, donde se enfrenta al ostracismo de la aristocracia a la cual aspira integrarse.

MOTS-CLES

Chili, élite, famille, vie privée représentation. KEY WORDS

Chile, elite, family, private life, representation. PALABRAS CLAVES

Chile, elite, familia, vida privada, representación.

LABORATOIRE

(5)

4 SOMMAIRE

RESUMES EN FRANCAIS, ANGLAIS ET ESPAGNOL. MOTS-CLES .………..….……… 2

INTRODUCTION ………..……….………. 7

Chapitre I. MISE EN SCENE ET CONTROLE DES INDIVIDUS : LA PERSPECTIVE DES SOURCES ……….……… 21

1. SOURCES INDIRECTES ……….…… 21

A) Ebauche de biographie : Archives de l’Archevêché de Santiago et Presse …………. 22

B) Evaluer les fortunes et leur transmission : Archives notariales, archives judiciaires et archives du Ministère des Affaires Etrangères ……….……… 25

C) Vie privée et Art : Catalogues de ventes aux enchères et Musée des Beaux-Arts . 27 2. SOURCES DIRECTES ……….………28

A) La correspondance ……….…...……... 29

1- La méthodologie utilisée ………..……….. 29

2- Le corpus étudié : provenance et description physique ………. 30

3- Inventaires des lettres ……….………. 34

4- La cérémonie épistolaire ……….……… 39

5- Les fonctions de la correspondance : la cohésion familiale ………. 53

B) Ecrire sur les autres et sur soi-même : autobiographie, mémoire, journal intime et biographie………. 54

C) Le regard de l’objectif : la photographie comme source ……… 61

D) Entretiens ………..……. 66

Chapitre II. LES ORIGINES DU POUVOIR : ANTECEDENTS BIOGRAPHIQUES DE LA FAMILLE ERRAZURIZ URMENETA (1855-1930)………..………..………70

1- LES ERRÁZURIZ AU CHILI (1735-1855)………..………. 70

A) Francisco Javier Errázuriz Larraín (1711-1767) ..……… 71

B) Francisco Javier Errázuriz Madariaga (1744-1810) ………..……….. 74

(6)

5

D) Maximiano Errázuriz Valdivieso et Amalia Urmeneta Quiroga (1832-1890) …..…. 81

2- LES ERRÁZURIZ URMENETA (1856-1930)………..….……… 86

A) José Tomas Errázuriz (1856-1927) et Eugenia Huici (1860-1949) ….………….………. 87

B) Guillermo Errázuriz (1857-1895) et Blanca Vergara (1866-1955) ….…….………. 93

C) Amalia Errázuriz (1860-1930) et Ramón Subercaseaux (1854-1937) ………. 98

D) Rafael Errázuriz (1861-1923) et Elvira Valdés (1871-1957) ………..………. 107

3- LES ERRAZURIZ URMENETA : UNE FAMILLE DE L’ELITE?QUELQUES ELEMENTS DE REPONSE ……… 112

A) Qu’est-ce que l’élite chilienne et comment la définir ? ………..…… 112

B) Les Errázuriz Urmeneta et leur assise sociale ………. 115

C) Le capital économique de la famille ………..………… 117

1. La fortune des Urmeneta ……….……… 119

2. Succession de Maximiano Errázuriz Valdivieso (1890)………. 128

3. La fortune de Guillermo Errázuriz et de Blanca Vergara (1895 ).…... 131

4. Succession de Rafael Errázuriz Urmeneta (1923)……….…… 134

5. Une rapide comparaison……….. 137

Chapitre III. LE CONCEPT DE « FAMILLE » CHEZ LES ERRAZURIZ ET LA GESTION DU «FRONT DE PARENTE»……….………..……….….……… 141

1- LE DISCOURS DES ERRAZURIZ SUR LA FAMILLE ……….141

2- STRATEGIES D’ENTRE-AIDE ET PROTECTION DU FRONT DE PARENTE ………154

3- PREVENIR ET AFFRONTER LA DESUNION DU FRONT DE PARENTE ………..161

Chapitre IV.LES ETAPES DE LA VIE : INDEPENDANCE PROGRESSIVE OU MISE SOUS TUTELLE ?……….182

1- ENFANCE ……….……….183

2- EDUCATION SCOLAIRE ……….………205

3- RETROUVER L’AUTRE SEXE : DE L’ENTREE DANS LE MONDE AU MARIAGE ……….…………217

4- COUPLES DANS L’INTIMITE ……….………..237

(7)

6

Chapitre V.LE THEATRE DE LA VIE DOMESTIQUE ….……….256

1- LEVER DE RIDEAU SUR LA SCENE : LES DEMEURES DES ERRAZURIZ ………256

2- PREMIERS ET SECONDS ROLES : POUVOIR DECISIONNAIRE ET POUVOIR SYMBOLIQUE DANS L’ESPACE DOMESTIQUE ……..……….……….274

3- EN COULISSES : LA DOMESTICITE, UN ACTEUR CLE …..………..………….280

4- LES RICHES HEURES DES ERRAZURIZ, OU LA VIE SOUS COUPE REGLEE ……….291

5- SOUS LES FEUX DES PROJECTEURS: RESEAUX DE SOCIABILITE DES ERRAZURIZ ET CONTROLE MONDAIN ………...304

A) Les différentes modalités de la sociabilité ………..….….304

B) Se présenter en société : un facteur sous contrôle ……….….……….. 312

C) L’intégration des Errázuriz dans les sociétés européennes ……..……….315

Chapitre VI.LA SPIRITUALITE DES ERRAZURIZ, UNE DUALITE ENTRE LE NOIR ET LA COULEUR ……..……..….324

1- LE CATHOLICISME DES ERRAZURIZ: SPIRITUALITE ET PRATIQUES RELIGIEUSES ……….325

2- « JE VEUX ETRE SAINTE ».LES ERRAZURIZ : UNE FAMILLE PARTICULIEREMENT DEVOTE ?………….339

3- LA PROJECTION DE LA DEVOTION: L’ENGAGEMENT DES FEMMES DANS L’ACTION SOCIALE …..…….349

4- LA SPIRITUALITE ARTISTIQUE: PEINTRE, COMMANDITAIRE, MECENE ET MUSE ……….………374

CONCLUSION ……….……….. 412

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE ……….………. 416

ANNEXES ………. 445

Annexe 1. Codification servant à la classification des thèmes de la correspondance Annexe 2. Exemple de lettre transcrite, annotée et codifiée Annexe 3. Inventaire des lettres par archive et par volume d’archive Annexe 4. Entrevue type Annexe 5. Production artistique de José Tomás Errázuriz Urmeneta Annexe 6. Production artistique de Ramón Subercaseaux Vicuña REMERCIEMENTS ……..……….……… 476

(8)

7

I

NTRODUCTION

Les Errázuriz, famille d’origine basque installée au Chili vers 1735, constitue un exemple représentatif du phénomène d’intégration d’une famille en sol étranger, au point d’atteindre les plus hauts sommets de l’Etat un peu plus d’un siècle après son installation, grâce à des stratégies matrimoniales, commerciales et politiques qui leur permettent de se forger une réputation de « famille respectable ». L’histoire des Errázuriz Urmeneta, qui constituent une des branches de la cinquième génération sur laquelle nous allons nous pencher dans les pages qui suivent, s’insère dans la deuxième moitié du XIXème siècle, dans un contexte économique, politique et social changeant, qui permet de voir émerger une société différente à celle de la Colonie et des premiers temps de l’Indépendance. En particulier, au niveau social, les Errázuriz s’inscrivent dans une élite qui voit la fusion entre les familles « aristocratiques » héritées de la Colonie et quelques familles, souvent d’origine européenne, enrichies grâce à l’exploitation du salpêtre et des ressources minières. Cette nouvelle élite possède alors les moyens économiques, grâce à la consolidation de grandes fortunes, et culturels, grâce aux nombreux échanges entre le Vieux et le Nouveau Continent, de s’insérer dans l’espace culturel euro-américain, ce qu’elle va tenter de faire en se créant un nouvel ethos et de nouveaux cadres de vie. Une de ses stratégies va donc consister en la transformation de la capitale pour l’adapter aux canons européens, en particulier le modèle haussmannien et son programme de grands travaux qui rénovent le visage de la capitale française1, mais aussi en une progressive ségrégation qui va lui permettre de s’affirmer comme groupe dominant dans trois secteurs : une ségrégation physique par la concentration de ses lieux de vie dans certains secteurs de Santiago et la configuration de lieux de sociabilité exclusive (le Parc Cousiño, par exemple, dont l’entrée est interdite aux couches populaires en 18852); une ségrégation liée à son mode de vie qui suppose de grands moyens financiers et l’assimilation des manières des aristocraties européennes ; une ségrégation politique qui rend difficile l’arrivée dans les chambres de membres des couches moyennes.

1

Sur le rôle de l’élite sur la transformation du visage de la capitale chilienne, voir Manuel Vicuña, El Paris

Americano: la oligarquía chilena como actor urbano en el siglo XIX, Universidad Finis Terrae, Santiago,

1996.

2

Une brève histoire du parc Cousiño, dont la création est financée par Luis Cousiño entre 1870 et 1873, peut se trouver dans Sergio Martínez Baeza, « El actual parque O’Higgins, antiguo parque Cousiño », In

Revista chilena de Historia y Geografía, Santiago, n.160, 1992-1993, p.281-285. A propos de l’exclusion

des couches populaires en 1885, violemment fustigée par la presse de caricature, voir Solène Bergot, « Baile de fantasía ofrecido por don Víctor Echaurren Valero, 24 de septiembre de 1885 en Santiago », In

(9)

8 En 1855, quand commence notre histoire, Maximiano Errázuriz Valdivieso, héritier appauvri économiquement, mais non socialement, d’une des branches de la famille, vient de se marier avec Amalia Urmeneta, héritière de la colossale fortune des Urmeneta qui est issue de l’exploitation des mines d’argent de Tamaya3. De ce mariage, qui dure jusqu’à la mort d’Amalia en 1861, vont naître cinq enfants, quatre d’entre eux atteignant l’âge adulte. Notre étude se centrera sur ces quatre individus (José Tomás, Guillermo, Amalia, Rafael), ainsi que sur leurs familles nucléaires respectives, car ils nous permettent d’analyser les continuités et les ruptures qui s’opèrent dans les mentalités et dans le style de vie d’une famille de l’élite chilienne pendant plus de soixante-dix ans. Pour ce faire, nous nous centrerons sur la période 1856-1930, la première date correspondant à la naissance de l’aîné des Errázuriz Urmeneta (José Tomás) et la seconde à la mort du dernier d’entre eux (Amalia), ce qui permettra de passer trois générations au crible de notre analyse, tout en les inscrivant dans un contexte historique majeur. Le Chili de 1930 est en effet un pays bien différent de celui de 1856, avec l’irruption d’une modernité qui bouleverse le panorama social, politique et religieux du pays et qui remet en cause les valeurs et l’hégémonie de l’élite sur la société. Malgré sa « victoire » apparente lors de la guerre civile de 1891, à la fin de laquelle elle reste seule maîtresse du champ de bataille politique face à un pouvoir présidentiel affaibli, elle est incapable de résoudre les grands problèmes du pays, entre autres les conflits liés aux débats autour de la sécularisation, ou bien encore les conséquences de l’industrialisation naissante, connues sous le nom de « question sociale ». Ce sont des sujets qui, bien qu’appartenant avant tout à l’espace public, n’en affectent pas moins de nombreux aspects de la vie privée d’une famille de l’élite qui, paradoxalement, semble être à la fois consciente et inconsciente de la profonde crise que traverse le pays au moment du centenaire de son indépendance en 1910. En ce sens, son mode de vie fondé sur l’ostentation et l’oisiveté contraste profondément avec les conditions de vie désastreuses qui sont celles des couches les plus pauvres de la population, confinées à la périphérie de la capitale où la rénovation urbaine les a déplacées et entassées dans les « conventillos » où règnent l’alcoolisme, la prostitution et la misère.

L’objet de notre étude n’est pas ici de présenter une histoire linéaire ni généalogique de la famille - cette ligne méthodologique ayant été amorcée par José Toribio Medina en 1898 et complétée par Carlos Larraín en 1964 sur cette même famille4 -, mais de nous concentrer

3 Le père d’Amalia, José Tomás Urmeneta, est considéré, à son époque, comme l’un des hommes les

plus riches d’Amérique du Sud. A son sujet, voir Ricardo Nazer, José Tomas Urmeneta: un empresario del

siglo XIX, Centro Diego Barros Arana, DIBAM, Santiago, 1993.

4 José Toribio medina, Los Errázuriz: notas biográficas y documentos para la historia de esta familia

(10)

9 sur les changements internes qu’auraient pu expérimenter les Errázuriz sur les trois générations étudiées, raison pour laquelle nous avons pris le parti de faire apparaître les données politiques et économiques uniquement quand elles permettent d’éclairer les dynamiques internes de la famille. Nous écartons aussi le problème de leur représentativité au sein de leur groupe social, non pas parce que la question ne s’est pas posée à nous, mais parce que le manque d’études empêche toute comparaison avec d’autres familles chiliennes de ce groupe social. Nous nous centrerons donc sur leur vie familiale à partir de deux concepts clé, le « pouvoir » et le « devoir », dont nous engloberons l’analyse dans un ensemble de problématiques transversales. Dans un premier temps, nous nous demanderons donc comment les Errázuriz se conçoivent en tant que « famille », ce que nous espérons résoudre à partir des questions suivantes : quels sont les droits et devoirs qui découlent de l’appartenance à cette famille ? Quelles relations entretiennent les membres de la famille entre eux, en particulier du point de vue des sentiments, du droit de regard ou de contrôle ? Peut-on parler d’une cohésion familiale s’agissant de la pensée, de l’éducation, du mode de vie, de la manière d’affronter la vie (mentalité) ? Existe-t-il des changements notables entre les générations étudiées ? Dans un deuxième temps, nous aborderons le problème de leur mode de vie, en nous penchant sur le déroulement de la vie quotidienne, sur les différences entre vie privée et vie publique, mais aussi sur d’éventuelles divergences entre les branches de la famille, et en tentant de montrer que le cérémonial de la vie quotidienne répond à la projection de leur statut social hégémonique, d’autant plus important à conserver que le rapport dominant / dominé s’inverse lorsqu’ils tentent de s’insérer dans la bonne société européenne. En dernier lieu, nous nous interrogerons sur la façon dont l’individu pouvait parfois s’opposer à la famille, en nous demandant quelle est la part de liberté que chacun possède face à la volonté de la famille, et si cette dernière constitue un cadre rigide ou souple face aux « déviances ».

Mais avant d’entrer de plain-pied dans notre analyse, nous devons clarifier un certain nombre de concepts qui apparaissent dans le titre et qui d’emblée soulèvent des interrogations. Nous devons donc définir ce que nous entendons par « famille », « pouvoir » et « devoir », tout en les replaçant, tout au moins en ce qui concerne le terme de « famille », dans leur contexte historiographique national.

Si depuis les années 1970, la famille s'est imposée comme un cadre d'analyse et d'étude historique, l’intérêt qu’elle a suscité au Chili est bien plus récent. Celui-ci s’est en effet développé à partir des premières études démographiques de Carmen Arretx, Rolando Mellafe

Errázuriz: notas biográficas y documentos para la historia de esta familia en Chile, Ed. Universitaria,

(11)

10 et Jorge Somoza sur les taux de fécondité et de mortalité à la fin des années 19705, suivies par une étude de Robert Mc Caa qui permit de mettre en lumière la transition démographique dans une société traditionnelle6. Dans un des rares articles consacrés à l’historiographie de la famille au Chili, Igor Goicovic et René Salinas divisent en douze catégories les thèmes étudiés par les historiens durant le XXème siècle (jusqu’en 2003)7: régionalisation (microanalyses de populations régionales), foyer et structures familiales, économie domestique (système d’héritage et de transmission du patrimoine), mariage et alliances familiales, sexualité et sentiments, parenté et pouvoir, législation, femmes et enfants, famille et groupes socio-économiques, famille et groupes ethnico-sociaux, famille et groupes d’immigrants, autres. Si cette classification met en avant les grandes lignes historiographiques qui étudient la famille et s’avère extrêmement utile grâce à l’étude bibliographique qu’elle propose, même si elle ne semble pas avoir pris en compte les mémoires et thèses, elle ne propose pas de périodisation de l’histoire de la famille, de même qu’elle ne rend pas compte du nombre majoritaire d’études portant sur la période allant de la Conquête jusqu’à 1850, avec une nette préférence pour les XVIIème et XVIIIème siècles, ainsi que pour certains secteurs de la population (familles populaires du monde rural).

Si les textes portant sur la période 1860-1930 sont donc peu nombreux, de même que ceux ayant trait aux problématiques sur lesquelles nous allons nous pencher dans cette étude (monographies sur des familles de l’élite, fonctionnement interne de la famille, vie quotidienne, sociabilité, famille comme cadre éducatif, relation entre famille et entreprise ou entre famille et pouvoir, …), il existe cependant un certain nombre d’avancées que nous allons maintenant recenser, parce qu’elles nous ont aidé dans la genèse de notre réflexion sur la famille Errázuriz. Il existe ainsi quelques textes (livres et thèses) qui étudient certaines thématiques, comme le travail de Marco Feeley concernant les relations entre structure familiale et pouvoir politique au XIXème siècle8, ou bien encore l’étude prosopographique de

5

C. Arretx, R. Mellafe et J. Somoza, Estimaciones de mortalidad : religiosos de Chile en los siglos XVIII y

XIX, CELADE, Santiago, 1976; Estimaciones de mortalidad en una parroquia de Santiago a partir de información sobre orfandad : Ñuñoa, 1866-1871, CELADE, Santiago, 1976; Estimación de la mortalidad adulta a partir de información sobre la estructura por edades de las muertes : aplicación a datos de San Felipe en torno a 1787, CELADE, Santiago, 1977; Estimación de la fecundidad mediante el método de los hijos propios : aplicación a datos de la Argentina de 1895, CELADE, Santiago, 1977; Demografía histórica

en América Latina : fuentes y métodos, CELADE, Santiago, 1983.

6 Robert McCaa, Marriage and fertility in Chile: demographic turning points in the Petorca Valley,

1840-1976, Colo. Westview Press, Boulder, 1983.

7

René Salinas et Igor Goicovic, “Familia y sociedad en Chile tradicional. Enfoques teóricos, estructuras temáticas y avances historiográficos”, In Francisco Chacón Jiménez, Sin distancias. Familia y tendencias

historiográficas en el siglo XX, Universidad de Murcia, 2003, p.117-142 et p.283-301.

8

Feeley Marco, “La parenté, structure de pouvoir dans le Chili du XIXème siècle”, In Actes du colloque

international en hommage à François-Xavier Guerra, organisé par le Centre de Recherches d’histoire de

(12)

11 Leonardo Mazzei de Grazia sur la famille Urrejola à Concepción, la seule analyse à ce jour qui réunisse la généalogie et les documents notariaux sur une famille de l’élite, dans ce cas provinciale9. A cela, il faut ajouter l’intérêt récent de l’historiographie chilienne pour la vie privée, avec la publication d’une série d’articles réunis dans trois volumes, qui rendent compte de certains aspects de la vie quotidienne, sans pour autant permettre une vision d’ensemble d’aucune couche de la société, ni de son éventuelle évolution10. A notre avis, un des travaux les plus importants sur le fonctionnement de la famille se trouve être le texte de Teresa Pereira, Afecto e intimidades, paru en 2007, qui étudie la famille en tant qu’institution sociale et en tant que centre des principales manifestations de la vie privée, ce qui lui permet de s’interroger sur les relations entre les membres d’une même famille (amour, obéissance, loyauté…) et sur la validité d’un seul type de modèle familial qui pourrait s’appliquer à toutes les couches de la société et à la société rurale comme à la société urbaine11. Mais l’approche qui nous a le plus intéressé est celle travaillée par Francisca Rengifo dans sa thèse de doctorat sur le divorce ecclésiastique entre 1850 et 189012. Cette dernière montre en effet, à partir des dossiers judiciaires de l’Archevêché de Santiago, comment la famille de la seconde moitié du XIXème siècle expérimente une redéfinition des pouvoirs, tout particulièrement entre les conjoints, dans le sens d’une timide, mais réelle, émancipation des femmes face à des maris non respectueux de leur honneur et/ou de leur intégrité physique. Un débat surgit donc autour de la notion de « potestad marital », et surtout de ses limites. Francisca Rengifo perçoit en dernier lieu une évolution du rôle des femmes dans leur foyer, qu’elle définit comme un phénomène de féminisation de l’espace domestique au sens où les femmes réclament le contrôle réel - et non symbolique comme « reines de leur foyer » - de cet espace. Quelques concepts nous ont paru pertinents pour les appliquer aux Errázuriz.

9

Mazzei de Grazia Leonardo, La red familiar de los Urrejola de Concepción en el siglo XIX, Centro de Investigación Diego Barros Arana y Universidad de Concepción, E. DIBAM, Santiago, 2004. Il existe quelques autres études sur les familles chiliennes, mais dans la mesure où elles n’offrent pas une vision problématisée du panorama social, elles constituent un apport biographique plus qu’historiographique. On peut citer dans cette catégorie à Guillermo Cuadra, Familias chilenas. Origen y desarrollo de las

familias chilenas, Ed. Zamorano y Caperán, Santiago, 1982 (2 tomes) et à Julio Retamal (sous la direction

de), Familias fundadoras de Chile, Editoriales PUC, Santiago, 2000-2003 (3 volumes), bien que ce dernier s’arrête en 1700, trente ans avant l’arrivée des Errázuriz au Chili.

10

Sagredo Rafael et Gazmuri Cristían (sous la direction de), Historia de la vida privada en Chile, tome 1,

El Chile tradicional. De la Conquista a 1840; tome 2, El Chile moderno. De 1840 a 1925; tome 3, El Chile contemporáneo. De 1925 a nuestros días, Ed. Taurus, Santiago, 2005-2006.

11

Pereira Larraín Teresa, Afectos e intimidades. El mundo familiar en los siglos XVII, XVIII y XIX, Ediciones Universidad Católica de Chile, Santiago, 2007.

12 Francisca Rengifo, Un recurso de protección femenina: el divorcio eclesiástico en Santiago de Chile,

1850-1890, Thèse de Doctorat en Histoire, Pontificia Universidad Católica, Santiago, 2007. A l’heure où

nous écrivons ces lignes, cette thèse vient d’être publiée sous le titre de Vida conyugal, maltrato y

abandono. El divorcio eclesiástico en Santiago de Chile, 1850-1890, Editorial Universitaria et Centro de

(13)

12 Quant aux termes de « pouvoir » et de « devoir », il est aussi indispensable de définir ce qu’ils signifient. Dans le cas du concept de « pouvoir », nous l’assimilons à la définition que lui donne Michel Foucault, à savoir « une production multiforme de relations de domination qui

sont partiellement intégrables à des stratégies d’ensemble »13. Il ne s’agit donc pas d’un pouvoir monolithique, au travers duquel l’Etat se représente dans la figure du père de famille (qui à son tour assure l’obéissance de ses sujets), mais plutôt d’un ensemble de relations qui fonctionnement de manière à la fois dépendante et indépendante du cadre étatique. Ainsi, par exemple, s’il est évident que le pouvoir du pater familias possède un fondement légal validé par l’Etat, et encore par l’Eglise pour l’époque qui nous concerne, au travers du droit civil et du droit canon, il n’en demeure pas moins que ce même cadre législatif permet une marge d’interprétation qui peut être favorable aux contreparties (comme on le voit dans le cas du divorce ecclésiastique étudié par Francisca Rengifo), montrant par là même que les mentalités peuvent évoluer plus rapidement que les lois. Par ailleurs, une des manifestations tangibles de cette ensemble de relations est la mise en pratique de stratégies, que l’on pourrait définir, sur le modèle proposé par Giovanni Levi, comme une « politique de prestige commune » et la « convergence de toutes les ressources dans une stratégie commune »14. Il est bien évident que les formes de cette stratégie adoptées par la société italienne du XVIIème siècle sont différentes de celles qu’adopteront les Errázuriz, puisque, par exemple, ils ne misent pas sur un seul individu, vers lequel convergent les ressources économiques et symboliques du front de parenté, de manière à ce que sa réussite sociale profite au groupe dans son ensemble, mais il existe d’autres formes, qui tendent à la conservation du prestige du nom de famille (en ce cas, tous les Errázuriz, quelle que soit leur branche, appartiennent au « front de parenté »), notamment au travers le contrôle des alliances matrimoniales, le choix d’une activité professionnelle ou bien encore l’aide apportée aux branches appauvries, mais aussi par la mise en place d’une protection de tous face aux déviances et aux scandales.

Le « pouvoir » est donc un terme changeant, en constante « renégociation » entre ceux qui l’exercent et ceux qui le subissent, dans la mesure où, comme l’indique Foucault, « le

pouvoir se construit et fonctionne à partir de pouvoirs, d’une multitude de questions et d’effets de pouvoir »15. D’un autre côté, et pour que cette « renégociation » existe, il est indispensable qu’il y ait des formes de résistance, sinon les détenteurs du pouvoir, et leurs formes d’exercice

13

Michel Foucault, Microfísica del poder, La Piqueta, Madrid, 1992, p.171 (« una producción multiforme

de relaciones de dominación que son parcialmente integrables en estrategias de conjunto »).

14

Levi Giovanni, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, NRF, Ed. Gallimard. Paris, 1989, p.196.

15 Michel Foucault, op.cit., p.158. (« el poder se construye y funciona a partir de poderes, de multitudes

(14)

13 de ce pouvoir, seraient immuables. Or il existe une évolution visible par les changements légaux (émancipation légale et droit de vote des femmes, par exemple), mais aussi des mentalités. Dans ce sens, le « pouvoir » est généralement pensé en termes négatifs et prohibitifs (« le pouvoir, c’est ce qui dit non », comme l’écrit Foucault16), ce qui génère une réponse transgressive de la part de ceux qui cherchent à renégocier ses termes et ses limites. Or nous verrons au cours de ce travail que le « pouvoir » peut aussi permettre, et parfois même, faciliter la transgression.

En ce sens, la famille est un cadre normatif qui fonctionne de manière cohérente avec la société dans laquelle elle évolue, mais aussi et surtout avec la couche de la société à laquelle elle appartient, dont elle peut décider de respecter ou de transgresser les normes de conduite. Ce « devoir » des apparences, qui impose une « étiquette » définie par Norbert Elias comme un « argument scénique » qui règle les conduites et les relations de pouvoir entre les membres de la Cour d’Ancien Régime17, est non seulement le garant de l’ordre établi, mais aussi celui de l’appartenance à une bonne société qui se caractérise par une stratégie de ségrégation et d’isolement par rapport aux couches moins « privilégiées ». Dans ce sens, pour l’élite chilienne, « l’isolement, l’appartenance à cette « bonne société » sont les fondements de

l’identité personnelle aussi bien que de l’existence sociale de chaque individu ». L’individu ne

fait donc « effectivement partie de cette “bonne société” que pour autant que les autres en

sont convaincus, qu’ils le considèrent comme un des leurs »18, ce qui se traduit par le respect des règles et de l’éthos de ce groupe. Il existe cependant là aussi une certaine marge de manœuvre puisqu’une fois établie de manière décisive l’appartenance d’une famille à ce cercle privilégié, cette dernière peut cautionner un certain nombre de conduites « originales », voire scandaleuses. C’est ainsi, par exemple, que José Tomás Errázuriz est autorisé par son père à exercer la profession excentrique de peintre, au détriment d’une carrière honorable d’avocat ou de médecin.

Le « pouvoir » et le « devoir » sont donc des instruments de contrôle social, exercés à différents niveaux par la famille nucléaire, par la famille dans son entier en tant qu’ensemble de lignages et par la couche de la société à laquelle appartient un individu. Mais ils sont aussi des instruments en constante évolution, sujets à des transgressions et des négociations qui les transforment parfois de manière notoire, quelquefois de manière imprévisible, souvent de manière imperceptible. Mais comme l’affirme Giovanni Levi, cette lente évolution montre

16

Ibid., p.168 (« el poder, es aquello que dice que no »,).

17 Norbert Elias, La société de cour, Ed. Champs Flammarion, Paris, 1985, p.93. 18

(15)

14 « combien de choses importantes on peut voir se produire quand, en apparence, il ne se passe

rien »19.

Pour en finir avec les éclaircissements sémantiques et épistémologiques, nous devons aborder l’épineux problème de la dénomination du groupe social dans lequel nous prétendons inclure les Errázuriz. Le Chili de la deuxième moitié du XIXème siècle voit en effet l’émergence d’une nouvelle société, plus rigide en termes de mobilité sociale, avec la consolidation d’un groupe de familles qui domine la scène politique, économique, sociale et symbolique de son temps. Ce groupe, qui se forme vers 1850, est encore relativement dynamique vers 1860, en ce qu’il est capable d’accepter de nouveaux intégrants, mais va progressivement resserrer ses rangs afin de conserver ses prérogatives sociales et symboliques sur le reste de la société et opérer une distanciation avec d’autres couches de la population. D’un groupe ouvert, il devient donc progressivement un groupe qui adopte la ségrégation comme stratégie pour maintenir son contrôle sur le reste de la société.

Au niveau historiographique, la dénomination de ce groupe a généré de nombreuses interrogations et de nombreux débats. Il existe en effet des courants qui l’ont appelé «bourgeoisie », « oligarchie » ou bien encore « aristocratie », décrivant parfois même des caractéristiques différentes au sein d’un même concept. Un des textes fondateurs, en ce sens, est celui de Alberto Edwards, La Fronda aristocrática en Chile (1927), qui propose une caractérisation de ce groupe socio-économique, qui sert de cadre théorique à plusieurs travaux postérieurs. Edwards met en avant le fait qu’il existe une aristocratie héritée de la Colonie qui évolue jusqu’à se transformer en une oligarchie après être restée maîtresse du champ de bataille politique après la Guerre Civile de 1891 et la défaite du régime présidentiel, ce qui met en avant une lutte constante de ce groupe avec le « Pouvoir » en général. Edwards ajoute qu’il s’agit d’un groupe mixte, qui possède d’un côté certains traits de la bourgeoisie grâce à l’intégration de familles liées au commerce, mais qui en même temps conserve des traits « aristocratiques », presque féodaux, à cause de l’origine basque de ses membres (les terres basques jouissant d’un statut juridique à part en Espagne, ce qui permettait à tous leurs habitants de jouir du titre d’ « hidalgo ») et de leur possession de la terre20. Cette dualité est reprise dans plusieurs textes postérieurs, en particulier dans celui d’Alvaro Góngora, intitulé « El concepto de burguesía en la historiografía chilena »21. Ce texte, bien qu’ancien déjà (1986), résume clairement les problèmes suscités par la mise en forme d’un concept qui

19

Levi Giovanni, op.cit., p.14.

20

Alberto Edwards, La fronda aristocrática en Chile, Ed. Universitaria, Santiago, 2001, p.31-35.

21 Góngora Álvaro, “El concepto de burguesía en la historiografía chilena”, In Dimensión histórica,

(16)

15 définisse les caractéristiques de la « classe dominante » du XIXème siècle. Il analyse et recoupe donc les différentes acceptions du terme « bourgeoisie ». Historiquement, le terme « bourgeois » naît pour désigner les habitants des villes médiévales qui possèdent une certaine indépendance juridique et économique, et qui constituent donc un groupe différencié des paysans, du clergé et de la noblesse. Mais son sens actuel naît au XIXème siècle, avec le développement d’un concept de « classe », en tant que division d’une société fondée sur le capitalisme et la production, qui recoupe en réalité deux caractéristiques qui ne vont pas forcément de pair : d’un coté, la bourgeoisie telle que la définit Marx correspond à un groupe d’individus qui possède l’exclusivité des moyens de production et qui s’oppose au prolétariat dont il exploite la force de travail22 ; d’un autre coté, la bourgeoise, sous la plume de Weber, peut être considérée comme une sorte de « catégorie spirituelle » en ce que ses membres partagent une mentalité, fondée sur l’économie, le puritanisme, l’individualisme et le respect pour un certain nombre de règles éthiques et commerciales23. Mais le terme de « bourgeoisie » appliqué au Chili se heurte rapidement à des limites d’importance : s’il est vrai qu’il existe un groupe qui possède les moyens de production, il doit se substituer au groupe dominant hérité de l’Ancien Régime (c’est-à-dire une « aristocratie » ou une « noblesse » qui n’existe pas vraiment au niveau national, mais qui pourrait s’apparenter aux grands propriétaires terriens) et aurait dû agir suivant les intérêts de sa classe, alors même que la plupart des auteurs marxistes chiliens reconnaissent que la Révolution de 1859 et la Guerre Civile de 1891 sont dues à des affrontements idéologiques entre les propres membres de la bourgeoisie, qui ne peuvent même pas être divisés selon leur secteur d’activité24. Ce sont ces mêmes problèmes que dénoncent certains historiens chiliens, comme Anibal Pinto ou Claudio Veliz, qui mettent en avant la « grande imprécision idiomatique » du terme « bourgeoise »25. Julio Heise, un des rares auteurs qui s’écarte de l’interprétation marxiste, pense le XIXème siècle comme une période durant laquelle la vieille aristocratie se transforme en bourgeoise

22 Karl Marx, Le capital. Critique de l’économie politique (édition d’origine de 1867), cité par Alvaro

Góngora, op.cit. p.14-16.

23

Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (édition originale de 1904-1905), cité par Alvaro Góngora, op.cit. p.16-17.

24 Marcelo Segall et Hernán Ramírez, cités par Álvaro Góngora, op.cit. p.21-.31. Rappelons ici que la

Révolution de 1859 voit s’affronter le gouvernement du Président Montt, de tendance conservatrice, aux forces révolutionnaires menées par Pedro León Gallo, riche minier de la région de Copiapó, de tendance libérale. Bien que les idées de Gallo ne soient pas celles qui prévalent, ni militairement, ni politiquement, le mouvement provoque le retrait de la candidature d’Antonio Varas, considéré comme le bras répressif du gouvernement, à la Présidence, l’élection en 1861 de José Joaquin Perez, de tendance plus libérale, et la formation du Parti Radical (1863).

25

(17)

16 financière, mais reste cependant « une nouvelle aristocratie qui dominera jusqu’en 1920 »26. A leur tour, des historiens dont l’œuvre est plus récente, comme Gonzalo Vial, Mario Gongora et Sergio Villalobos, se penchent sur la définition du terme « bourgeoisie », les deux premiers considérant qu’il n’y a pas eu de bourgeoisie durant le XIXème siècle, tandis que le dernier pose l’hypothèse de son existence, mais sans préciser sa composition ou ses caractéristiques. En définitive, il existe un vide historiographique sur la définition du terme « bourgeoisie » au Chili, ce qui est en grande partie du à l’application d’un terme qui n’a pas été pensé pour la réalité chilienne et qui sans doute ne peut représenter une réalité différente de celle vécue par les pays européens, tant au niveau économique que politique ou social.

Les années 1990 voient l’arrivée sur la scène nationale de nouveaux historiens qui s’écartent de la perception marxiste et poursuivent le débat sur la dénomination de ce « groupe dominant », abandonnant de ce fait le terme de « bourgeoisie » pour privilégier ceux d’ « oligarchie » et d’ « élite (s) ». S’il a en effet existé une « classe dominante » au Chili, elle se forme sans doute de manière différente de la bourgeoisie européenne dans la mesure où elle hérite d’une situation historique différente. Elle n’est donc sans doute ni réellement une « bourgeoisie », ni sans doute une « aristocratie » de par le fait qu’il lui manque une monarchie à laquelle se référer. Surgissent donc plusieurs études qui emploient de nouveaux termes : ainsi, par exemple, Luis Alberto Romero parle d’ « élites », mais sans vraiment définir ce que le concept signifie puisque son étude se centre sur leur contrepartie, les secteurs populaires27 ; Manuel Vicuña parle lui aussi d’ « élite », mais utilise en même temps, et indistinctement, les termes d’ « oligarchie », « aristocratie » et « patriarcat », se défendant d’éventuelles critiques en alléguant, que « l’analyse prosopographique de l’élite chilienne (…)

ne compte pas entre [ses] objectifs » et en définissant chaque terme en note de page28 ; Ana Maria Stuven emploie elle aussi le terme d’ « élites », mais sans en donner une réelle définition, sauf qu’il s’agit des « membres de la classe dirigeante », qui « tout en partageant

leur origine aristocratique, assumèrent des caractéristiques de la bourgeoise »29. Ces quelques exemples nous montrent que les termes d’ « élite » et d’ « élites » ont peu à peu remplacé d’autres vocables possédant des connotations politiques trop marquées, mais laissant la place

26

Julio Heise, 150 años de evolución institucional, cité par Álvaro Góngora, op.cit., p.42 (« una nueva

aristocracia que dominará hasta 1920 »).

27 Luis Alberto Romero, ¿Qué hacer con los pobres? Elites y sectores populares en Santiago de Chile,

1840-1895, Ariadna ediciones, Santiago, 2007.

28

Manuel Vicuña, La Belle Epoque chilena: alta sociedad y mujeres de elite en el cambio de siglo, Ed. Sudamericana, Santiago, 2001, p.13 (« el análisis prosopográfico de la elite chilena (…) no cuenta entre

[sus] objetivos »).

29

Ana Maria Stuven, La seducción de un orden. Las elites y la construcción de Chile en las polémicas

culturales y políticas del siglo XIX, PUC, Santiago, 2000, p.19 (« miembros de la clase dirigente »,

(18)

17 à des concepts qui n’ont pas encore été suffisamment définis. Pourquoi, par exemple, parler d’ « élite » au singulier plutôt qu’au pluriel ? Est-ce parce qu’il existe plusieurs élites qui cohabitent en haut de la pyramide sociale ? Recoupent-elles des réalités différentes ? Ces mêmes questions se posent à Maria RosariaStabili durant la genèse de son travail sur les élites chiliennes entre 1860 et 1960, et la conclusion à laquelle elle parvient est qu’il faut considérer l’existence d’ « une seule élite : celle de Santiago et celle-là est « l’élite », sans qualificatif »30. Le titre de son ouvrage parle cependant d’ « elites chilenas frente al espejo », ce qui ne laisse pas de paraître paradoxal.

Pour notre part, nous croyons qu’il est plus juste de parler d’une élite (au singulier) qui opère une fusion entre certaines caractéristiques de la bourgeoisie d’une part, et de l’aristocratie de l’autre, même si cette hypothèse reste à prouver à la lumière d’études prosopographiques, économiques, politiques et sociales, notamment en résolvant le problème de l’industrialisation du Chili. Par ailleurs, cette élite est présente à Santiago et son importance n’est pas remise en cause ou contrebalancée par les élites locales, ce qui lui confère une position hégémonique sur le reste de la société, et limite là aussi l’utilisation du terme d’ « élites », même s’il est bien évident qu’il existe des familles et des individus influents au niveau local, comme peut être le cas des familles Braun et Menéndez dans la région de Punta Arenas ou celui des Urrejola à Concepción31. En dernier lieu, la famille Errázuriz, qui est sans conteste une des familles influentes au niveau national, n’utilise jamais le qualificatif de « bourgeois », ni celui d’ « aristocrate » ou d’ « oligarque », mais plutôt les termes d’ « élite » et de « bonne société », voire celui de « société ». Nous avons donc opté pour conserver cette appellation d’ « élite », qui, comme nous le verrons dans le deuxième chapitre, recoupe, à notre sens, un pouvoir économique, politique, social et symbolique, au détriment de celle de « bonne société ». Il nous semble en effet que ce terme possède une forte connotation morale, comme si par comparaison et par exclusion le reste de la société était « mauvais », ce qui est sans doute l’enjeu qui est au cœur de cette dénomination. Il ne fait en effet pas le moindre doute que cette « bonne société » croit être un modèle à exporter, parfois même à imposer, aux autres couches de la population, notamment quand elle doit affronter et résoudre les effets négatifs de l’industrialisation et de la migration urbaine sur les secteurs populaires, qui passent par une dégradation substantielle de leurs conditions de vie. Ce

30

Maria Rosaria Stabili, El sentimiento aristocrático: elites chilenas frente al espejo (1860-1960), Ed. Andrés Bello et Centro de Investigaciones Diego Barros Arana, Santiago, 2003, p.33 (« una sola elite: la

de Santiago y ésta es la « elite no más » sin calificativos »).

31

Sur les Menéndez et les Braun, voir Mateo Martinic, Menéndez y Braun: prohombres patagónicos, Ediciones de la Universidad de Magallanes, Punta Arenas, 2001. Sur les Urrejola, voir Leonardo Mazzei de Grazia, La red familiar de los Urrejola de Concepción en el siglo XIX, Centro de Investigación Diego Barros Arana y Universidad de Concepción, E. DIBAM, Santiago, 2004.

(19)

18 problème, connu au Chili sous le nom de « cuestión social », fait l’objet d’un intense débat parlementaire et dans l’opinion publique à partir de 1880, étant à l’origine d’une rénovation des politiques sociales, en particulier liées à l’habitat et aux aspects sanitaires32.

Au cours des années qui ont vu les recherches préliminaires à cette étude, nous avons eu accès à un grand nombre de sources, une d’entre elles ayant joué un rôle clé à l’heure de décider de l’orientation à donner à ce travail de thèse. En effet, dans un premier temps, notre objet d’étude devait être le même que celui abordé en DEA, à savoir les palais construits par l’élite chilienne durant la deuxième moitié du XIXème siècle et les significations symboliques qui leur étaient associées. Cependant, devant le manque de sources disponibles sur ce sujet, nous avons décidé de le réorienter à la lumière d’un incroyable ensemble de documents provenant des familles Errázuriz et Urmeneta qui avait été donné par un de leurs descendants (nous découvrîmes plus tard qu’il s’agissait de Maximiano Errázuriz Valdés), jusqu’alors relativement inconnu et sous-exploité par le monde des chercheurs. Cet ensemble de 26 volumes, dont nous avons travaillé une petite partie (six volumes regroupant 756 lettres), nous a surpris par sa richesse documentaire, son potentiel historique mais surtout par son caractère intime et sa force évocatrice du passé. Comme le souligne Arlette Farge, « l’archive est une brèche dans le

tissu des jours, l’aperçu tendu d’un évènement inattendu »33, « un long voyage incertain, à

l’essentiel des êtres et des choses » qui « agit comme une mise à nu ; ployés en quelques lignes, apparaissent non seulement l’inaccessible mais le vivant »34. Ces individus, morts et enterrés depuis tant d’années, dont nous avons vu à leur tour disparaître deux des petits-enfants depuis que nous avons entrepris nos recherches, ont repris un contour plus dense et retrouvé leur voix à mesure que nous partagions les aléas de leur vie. Certaines voix, sans doute, sonnent plus fort que d’autres dans cet ensemble, mais chacun a eu son mot à dire sur le déroulement de la trame de sa vie. Ils sont devenus nos chers fantômes, à la fois bienveillants et tyranniques ; ils sont un peu devenus notre famille. En ce sens, nous tenons à remercier l’aide des descendants des Errázuriz Urmeneta qui ont fait preuve d’une grande générosité et d’une grande disponibilité à notre égard, nous facilitant des documents inédits et acceptant de répondre à nos questions. Nous souhaitons ici leur exprimer toute notre gratitude car ils ont sans conteste permis l’enrichissement de ce travail.

32

A propos de la « cuestión social », on peut consulter Sergio Grez, La « cuestión social » en Chile. Ideas

y debates precursores (1804-1902), BIBAM y Centro de Investigaciones Diego Barros Arana, Santiago,

1997 et Ana Maria Stuven, “El “primer catolicismo social” ante la cuestión social. Un momento en el proceso de consolidación nacional”, In Teología y vida, Santiago, vol. XLIX, 2008, p.483-497.

33 Arlette Farge, Le gout de l’archive, Ed. du Seuil, Points Histoire, Santiago, 1989, p.13. 34

(20)

19 Ce problème des sources fera l’objet de notre premier chapitre, dans lequel nous présenterons chaque type de source étudiée (archives paroissiales, presse, archives notariales, correspondance, mémoires, entretiens, photographies), en détaillant la méthodologie et les questionnements qui leur sont particulièrement associés, ainsi qu’une étude qui mettra en lumière leur composition au point de vue quantitatif, ce que nous espérions y trouver et ce qui, en dernier lieu, s’en dégage.

Dans notre deuxième chapitre, nous aborderons la famille Errázuriz sous un angle biographique et généalogique. Nous avons pris ce parti afin de pouvoir les situer dans leur contexte social et économique, tout en découvrant individuellement les membres qui composent la famille, ce qui facilitera la compréhension des chapitres analytiques ultérieurs. Nous exposerons aussi les fondements de leur assise sociale (tout particulièrement les raisons de leur appartenance à l’élite chilienne, avec en filigrane une ébauche de définition du concept d’« élite »), politique et économique, tout au long de la période 1860-1930.

Nous nous proposerons, dans le troisième chapitre, d’étudier ce que signifie pour les Errázuriz le concept de « famille », à partir de leur propre discours, lequel apparaît tout particulièrement dans leur correspondance et leurs mémoires. Nous analyserons aussi les conséquences de l’appartenance à une même famille, que ce soit dans un sens positif, comme le sont par exemple les stratégies d’entraide, ou négatif, auquel cas nous aborderons les degrés qui vont de la protection des secrets jusqu’à la réaction face aux scandales, quand apparaît une situation extrême comme un suicide ou un meurtre.

Dans le quatrième chapitre, nous déroulerons les différentes étapes de la vie des Errázuriz (naissance, éducation, vie adulte et vie de couple, mort), ce qui nous permettra de montrer en quoi leur cadre familial peut être un espace coercitif de contrôle et de reproduction sociale et en quoi, au contraire, il peut être un espace de dialogue et de liberté individuelle. Nous nous intéresserons tout particulièrement au thème du mariage, dans la mesure où il nous est apparu comme une instance paroxystique du contrôle familial sur les individus et l’éventuel résultat d’une stratégie de groupe.

Nous aborderons, dans le cinquième chapitre, la vie quotidienne des Errázuriz. Nous tenterons d’y montrer comment cette dernière est soumise à un rituel astreignant, semblable à la mise en scène d’une pièce de théâtre, qui fixe l’organisation des espaces de vie, le rôle et l’emploi du temps, ainsi que les relations sociales. Chaque acte de la journée acquiert donc une signification spéciale, presque transcendantale, qui permet à la famille de projeter ses valeurs et son statut au reste de la société, en même temps qu’elle affirme son appartenance à une certaine couche de la population, dans le cas des Errázuriz, l’élite. En ce sens, l’assimilation de ce code est une manière de montrer leur appartenance à une élite internationale qui

(21)

20 s’identifie au travers de ce mode de vie, mais aussi un moyen de cacher leur échec quand ils tentent effectivement de s’y intégrer en Europe.

Finalement, dans notre sixième chapitre, nous nous pencherons sur deux formes de spiritualité intensément vécues par la famille Errázuriz, à savoir la spiritualité religieuses et l’esprit artistique (tout particulièrement en rapport avec la peinture), à partir de son discours et de celui de leurs contemporains sur ce sujet. Nous tenterons de voir comment le religieux (le noir) et l’artistique (la couleur) constituent des cadres qui peuvent se substituer ou affronter l’autorité familiale, et comment leurs principes ont une influence déterminante sur les décisions des membres de la famille, par exemple à l’heure d’aider leur prochain, que celui-ci soit un pauvre de leur quartier, une ouvrière ou un artiste génial mais impécunieux.

(22)

21

I. M

ISE EN SCENE ET CONTROLE DES INDIVIDUS

:

LA PERSPECTIVE DES SOURCES

.

Dans le cadre de nos recherches sur la famille Errázuriz Urmeneta, nous avons eu accès à un vaste corpus de sources allant des correspondances privées aux comptes-rendus de ventes aux enchères, des mémoires et journaux intimes aux photographies, de la presse aux archives notariales et paroissiales. Si une grande partie de ces sources se trouve dans des archives ouvertes au public, nous avons aussi eu la chance de pouvoir compter sur des sources inédites, qui sont actuellement aux mains des descendants de la famille et qu’ils ont accepté de nous communiquer.

Dans ce premier chapitre, nous présenterons chaque type de source étudiée (archives paroissiales, presse, archives notariales, correspondance, mémoires, entretiens, photographies), en détaillant la méthodologie et les questionnements propres à chacune, ainsi qu’une étude de leur composition du point de vue quantitatif, ce que nous espérions y trouver et ce qui, en dernier lieu, s’en dégage.

Ces sources peuvent être classées en deux catégories, soit qu’elles nous offrent des informations indirectes d’ordre biographique et économique sur les Errázuriz (presse, archives notariales et archives paroissiales), soit qu’elles constituent un témoignage direct de et sur la famille (correspondance, mémoires, entretiens, photographies). Si nous allons passer relativement rapidement sur la première catégorie, nous nous attarderons en revanche sur la seconde car elle offre la possibilité d’esquisser une première réflexion autour du contrôle de la famille sur ses membres. Nous analyserons donc les différents types de sources afin de mettre en avant les règles inhérentes à chacune de ses formes de représentation de soi et les éventuelles entorses au modèle.

1. SOURCES INDIRECTES

Dans cette catégorie, nous avons regroupé les sources émanant de l’Eglise (Archevêché de Santiago) et de l’Etat (tribunaux de Santiago, notaires, ministère des Affaires Etrangères), qui offrent des informations d’ordre essentiellement biographique et économique sur les Errázuriz, ainsi que la presse et les archives privées de la maison d’enchères Ramón Eyzaguirre. Ces sources nous ont permis de poser les jalons de la vie des Errázuriz (naissance, baptême, mariage, décès), d’obtenir des informations sur leur vie publique et privée et de cerner plus concrètement leur activité dans le domaine des arts. Pour chacune de ces sources, nous présentons la démarche suivie, les problèmes rencontrés ainsi que les informations qu’elles fournissent.

(23)

22 A) Ebauche de biographie : Archives de l’Archevêché de Santiago et Presse.

Afin de déterminer les grandes dates biographiques des Errázuriz (date de naissance, baptême, mariage, décès), nous avons fait appel dans un premier temps à la mémoire familiale et à ses documents personnels. Ainsi, par exemple, il n’est pas rare, en cas d’absence, de transmettre par lettre ses vœux lors d’un anniversaire ou d’un mariage, ou bien encore de commémorer le décès d’un proche. Dans le même temps, nous avons récolté d’autres informations disponibles sur la famille dans différentes études, par exemple celle réalisée par l’historien José Toribio Medina35.

Pour corroborer ces informations et les compléter, nous avons par la suite consulté les archives de l’Archevêché de Santiago, dans lesquelles est conservée une grande partie des registres de baptême, mariage et décès des paroisses chiliennes. Cependant, certains des volumes sont tronqués et d’autres se trouvent dans les paroisses elles-mêmes, ce qui a compliqué leur consultation. Mais quand les actes ont pu être consultés, nous avons recueilli les informations de date, de lieu, le nom du prêtre officiant et celui des parrains ou des témoins.

Pour pallier les vides laissés par les archives de l’Archevêché, nous avons ensuite consulté certains journaux aux dates supposées des faits. Nous avons ainsi utilisé, selon la période et le lieu de l’évènement, les journaux et revues suivants : El Mercurio de Valparaíso (1827-), El Mercurio de Santiago (1900-), El Ferrocarril de Santiago (1855-1911), La Libertad

Electoral de Santiago (1886-1901), El Diario Ilustrado de Santiago (1902-1970), La Unión de

Santiago (1906-1920), Zig-Zag (1905-1965), Familia (1910-1928) et Pacifico Magazine (1913-1921). Ces journaux et revues, quotidiens pour les uns, hebdomadaires pour les autres, étaient de tendance conservatrice et publiaient tous une page de « Vida Social », où les Errázuriz, socialement actifs et occupant des postesdans la politique et la diplomatie, étaient largement présents, d’autant plus que certains de ces journaux appartenaient à des familles liées aux Errázuriz par des alliances matrimoniales. Ainsi, La Libertad Electoral avait été fondée par José Francisco Vergara Echevers, beau-père de Guillermo Errázuriz Urmeneta. De la même manière, la puissante famille Edwards (alliée aux Errázuriz grâce au mariage de Guillermo Errázuriz Vergara avec Maria Edwards Mac-Clure) contrôlait un empire qui englobait quelques-uns des

35 José Toribio Medina, Los Errázuriz: notas biográficas y documentos para la historia de esta familia en

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23 journaux (El Mercurio de Valparaiso et de Santiago) et revues (Zig-Zag, Familia, Pacifico

Magazine) jouissant des plus gros tirages du pays36.

Ainsi, pour les 49 personnes qui composent la branche des Errázuriz qui nous intéresse, c’est-à-dire les quatre Errázuriz Urmeneta, leurs conjoints, leurs enfants et les conjoints de ces derniers, et en prenant en compte que pour chacune d’entre elles il nous fallait une date de naissance, une date de baptême, une date de mariage dans 40 des cas et une date de décès, nous devions trouver un total de 187 informations37. De ce total, il nous a été possible de vérifier 57 dates grâce à la consultation des archives paroissiales et civiles et 16 grâce à la presse, et d’en compléter 38 grâce à la mémoire familiale (mémoires, correspondance et entretiens). Nous avons ainsi collecté un total de 111 informations sûres, auxquelles il a été possible d’ajouter 25 supplémentaires, correspondant à des informations non vérifiées ou incomplètes provenant d’internet et de la mémoire familiale38.

Mémoire familiale Presse Archives paroissiales Information non vérifiée Total 38 16 57 25 136

Pour faciliter la présentation et la récupération de cette masse d’informations, nous avons eu recours au logiciel Heredis, qui nous a permis de remplir une fiche par individu et de regrouper toutes les informations disponibles qui le concernaient, non seulement en entrant

36 Pour une introduction à l’histoire de la presse chilienne au XIXème siècle et début du XXème siècle, on

peut consulter Carlos Ossandón et Eduardo Santa-Cruz, Entre las alas y el plomo, la gestación de la

prensa moderna en Chile, LOM, Santiago, 2001; Ángel Soto (ed.), Entre tintas y plumas: historias de la prensa chilena del siglo XIX, Universidad de Los Andes, Santiago, 2004 et.

Sur le journal El Mercurio en particulier, on peut consulter: Santiago Lorenzo, “El Mercurio de Valparaíso, órgano de expresión de la burguesía comercial porteña”, In Lo público y lo privado en la

historia americana, Fundación Mario Góngora, Santiago, 2000, p.225-241; Patricio Bernedo et Eduardo

Arriagada, “Los inicios de El Mercurio de Santiago en el epistolario de Agustín Edwards Mac-Clure (1899-1905)”, In Historia, PUC, Santiago, vol.35, 2002, p.13-33.

A propos de El Mercurio et El Ferrocarril, il existe la thèse suivante: Carolina Cherniavsky, El Ferrocarril y

El Mercurio de Santiago. ¿El comienzo de una época o el fin de otra en la historia de la prensa chilena?,

Tesis de Licenciatura en Historia, PUC, Santiago, 1999.

37 Nous avons écarté la date de première communion, trop difficile à trouver dans les archives

paroissiales, bien que les actes eussent pu nous fournir des informations très intéressantes sur les modalités et les acteurs de cette cérémonie. Nous avons en revanche conservé la date de baptême car sur les actes sont indiquées les dates de naissance, ce qui nous permet d’obtenir des renseignements sur les deux évènements au travers d’une seule recherche. Quant à la date de mariage, il s’agit du mariage religieux, et non du civil, car c’est la cérémonie religieuse qui consacre socialement l’union, même après la promulgation de l’obligation du mariage civil (1884). Dans la majorité des cas, le mariage civil a lieu la veille ou le jour même du mariage religieux, mais n’est pas accompagné des mêmes célébrations.

38

Ainsi, entre autres, les albums photos de Maximiano Errázuriz Valdés contiennent des informations biographiques fragmentaires (l’évaluation de l’année de naissance de ses cousins par exemple), que nous n’avons pas toujours pu vérifier.

Figure

Tableau 1. Distribution de la correspondance par volume d’archive, nombre de lettres  transcrites et pourcentage de lettres transcrites para rapport au nombre total de lettres.
Tableau 2. Distribution des lettres transcrites en lettres écrites et lettres reçues par  Individu
Tableau 4. Répartition par sexe de la correspondance envoyée et reçue.
Tableau 6. Usage du tutoiement et du vouvoiement selon le degré de hiérarchie familiale
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Références

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