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Vieillissement, organisation du travail et santé

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3-1 | 2001 Réflexions

Vieillissement, organisation du travail et santé

Ageing, Organization of Work and Health Envejecimiento, organización del trabajo y salud

Hélène David, Serge Volkoff, Esther Cloutier et Francis Derriennic

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/pistes/3745 DOI : 10.4000/pistes.3745

ISSN : 1481-9384 Éditeur

Les Amis de PISTES Édition imprimée

Date de publication : 1 mai 2001

Référence électronique

Hélène David, Serge Volkoff, Esther Cloutier et Francis Derriennic, « Vieillissement, organisation du travail et santé », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé [En ligne], 3-1 | 2001, mis en ligne le 01 mai 2001, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/pistes/3745 ; DOI : 10.4000/pistes.3745

Ce document a été généré automatiquement le 19 avril 2019.

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Vieillissement, organisation du travail et santé

Ageing, Organization of Work and Health

Envejecimiento, organización del trabajo y salud

Hélène David, Serge Volkoff, Esther Cloutier et Francis Derriennic

NOTE DE L'AUTEUR

Dans cet article, on utilisera la notion « d’organisation du travail » dans une acception large, renvoyant à un ensemble d’options de l’entreprise dans des domaines comme les horaires, les contraintes temporelles, la technologie, les modalités de répartition des tâches entre les individus et les collectifs, les modalités de contrôle de l’activité de travail, etc. Cette acception, fréquente dans l’approche des situations de travail en entreprise, ne privilégie aucune référence conceptuelle particulière.

Le texte qui suit a servi de base à la discussion de l’atelier sur Vieillissement, organisation du travail et santé qui a eu lieu dans le cadre du deuxième séminaire franco-québécois sur le vieillissement et la santé. Celui-ci a eu lieu à Montréal en juillet 2000. Ce texte ne se proposait pas d’être exhaustif ni dans son propos ni dans ses références aux ouvrages sur lesquels il s’appuie. Il visait plutôt à amorcer des discussions dans le but de développer des collaborations fructueuses entre chercheurs. Dans cette perspective, il est structuré autour des principaux enjeux dont il nous semble devoir traiter en priorité à cause de leur importance dans la problématique du maintien en emploi des personnels

vieillissants. Pour ce travail, les auteurs ont bénéficié du soutien financier du ministère des Relations internationales du Québec et du ministère des Affaires étrangères de France dans le cadre du programme de la 58e session de la Commission permanente de

coopération franco-québécoise.

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1. Introduction

1 Le vieillissement au travail est principalement déterminé par les conditions dans lesquelles se fait le travail (Teiger, 1995) et celles-ci sont très rarement spécifiques aux emplois dans lesquels se trouvent les personnels vieillissants. Il importe donc, pour en cerner les principaux enjeux, de rappeler brièvement quels sont les effets des grandes mutations de l’emploi et du monde du travail sur les choix organisationnels portant sur le travail dans les sociétés industrielles avancées : les changements démographiques, l’évolution des secteurs d’emploi et de la technologie, les modes de gestion des entreprises et la contribution des institutions politiques à ces transformations. Après avoir identifié les tendances lourdes dans les principaux champs de mutation du monde du travail, leurs effets spécifiques sur les personnels vieillissants seront brièvement énumérés. La seconde partie traitera ensuite plus en détail des principaux enjeux que soulèvent les relations entre le vieillissement et les choix organisationnels concernant l’activité réelle de travail.

2. Les grandes mutations du monde du travail

2.1 Les changements démographiques

2 Les changements démographiques qui annoncent un vieillissement accru de la population et de la population active, rendent urgentes une réflexion et des interventions dans les entreprises et auprès des personnels vieillissants. Il importe de prendre la mesure des conséquences des changements prévisibles qui s’accentueront au cours des prochaines décennies et d’examiner comment le monde du travail peut et devra composer avec le phénomène nouveau et durable qu’est le vieillissement de la population active. De plus, ces changements démographiques n’ont pas lieu dans un vacuum. Elles doivent donc être analysées et comprises en tenant compte des grandes mutations qui bouleversent le monde du travail depuis quelques décennies.

3 Quatre mutations majeures caractérisent les tendances lourdes des changements démographiques qui affectent actuellement la population active : le vieillissement de la population, qui entraîne celui de la population active, le resserrement de la pyramide d’âge de la population active, une scolarisation plus élevée chez les plus jeunes et, enfin, la féminisation de la population active.

2.1.1 Le vieillissement de la population et de la population active

4 Tant au Québec (David, 1990 ; Légaré et Martel, 1996) qu’en France (Molinié, 1995 ; Molinié et Volkoff, 1995), le vieillissement de la population active est une tendance lourde ; la proportion des plus âgés a commencé à croître et s’accroîtra encore pendant longtemps. L’effet du baby-boom, une forte hausse du taux de natalité après la guerre jusqu’au début des années soixante, y est pour beaucoup. Par exemple au Québec, l’âge médian de la population totale est passé de 26 ans en 1971 à 36 ans en 1996 (Duchesne, 1998). Par la suite, donc depuis plusieurs décennies, une baisse importante du taux de natalité y a également contribué. La population active demeure toutefois plus jeune que

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l’ensemble de la population à cause de différents mécanismes de fermeture et d’expulsion du marché du travail, mais elle commence aussi à vieillir (David, 1990).

5 Ce vieillissement de la population totale et de la population active suscite des inquiétudes face aux coûts anticipés de la hausse des charges sociales. Il constitue également un terrain fertile pour le développement de représentations sociales négatives à l’égard des personnes à la retraite ou âgées (en termes de lacunes et de coûts excessifs).

Simultanément, et de façon contradictoire, augmentent les représentations sociales négatives à l’égard des personnels vieillissants qui continuent à travailler, même s’ils contribuent à diminuer ces charges sociales (Teiger, 1995).

2.1.2 Une plus grande scolarisation chez les plus jeunes

6 En France, on remarque que deux facteurs, différents selon le groupe d’âge en cause, s’ajoutent à l’effet démographique (Molinié, 1995). Ceux-ci produisent, au sein de la population active, des pyramides d’âge dont la base (jeune) se rétrécit, alors que l’élargissement du milieu se poursuivra par celui du sommet (plus âgé). Chez les plus jeunes, il s’agit de la tendance à une scolarité plus longue et de leurs difficultés d’insertion professionnelle qui réduisent encore leur faible poids parmi la main-d’œuvre.

Ainsi en 1996 au Québec, il n’y avait plus que 25 % des jeunes de 25 à 29 ans qui n’avaient pas complété leurs études secondaires, comparé à 56 % en 1981 et en 1995, le taux d’emploi des 20 à 24 ans était de 62 % (BSQ, 1998). En France, il y a une vingtaine d’années, le taux d’activité des 20-24 ans se situait aux alentours de 80 % pour les hommes et 65 % pour les femmes ; aujourd’hui, ces pourcentages sont respectivement de l’ordre de 55 % et 45 %. Ce mécanisme jouera sans doute moins à l’avenir, si le chômage des jeunes diminue, et si la tendance à la prolongation de la scolarité laisse place à une relative stabilité (c’est l’hypothèse la plus couramment admise). Mais il est peu probable que cette inflexion bouleverse les structures d’âge dans les entreprises, au point de remettre en cause la tendance générale au vieillissement.

7 L’allongement de la scolarité est une tendance à long terme liée à l’industrialisation. Son importance s’accroît encore davantage dans la nouvelle économie informationnelle. La position dans la division internationale du travail, selon des réseaux et des flux qui traversent chacun des pays, dépend, en effet, de plus en plus des caractéristiques de la main-d’œuvre, dont son savoir, ce qui rend encore plus central le rôle de l’éducation et de la formation pour les nouvelles générations (Molinié, 1995 ; Castells, 1998 ; Kumar, 2000).

8 Cette plus grande scolarisation des jeunes, dans un contexte économique où les gestionnaires recherchent la flexibilité numérique et valorisent davantage une main- d’œuvre qualifiée, crée des conditions propices à l’exacerbation des tensions et conflits intergénérationnels, à l’intensification de l’exclusion des personnels vieillissants ainsi qu’à sa justification (Tindale, 1987 ; Beaud et Pialoux, 1999).

2.1.3 Le resserrement de la pyramide d’âge de la population active

9 Les comportements d’activité des différents groupes d’âge sont fortement infléchis par des décisions d’entreprises qui détiennent le pouvoir d’embaucher et de licencier, de même que par la mise en œuvre de certaines politiques gouvernementales. Dans le cas des personnels vieillissants, leur accroissement au sein de la population active est contré par un taux élevé de sorties hâtives du marché du travail qui sont fortement encouragées.

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10 Depuis quelques décennies, l’effet combiné des politiques publiques et privées a incité une forte proportion des générations plus âgées à sortir définitivement du marché du travail plus tôt que les générations précédentes. Ainsi, en France, entre 1968 et 1990, le taux d’activité des 55-59 ans est passé de 82 % à 70 % pour les hommes, alors qu’il augmentait un peu (de 42 % à 46 %) chez les femmes, en raison d’un effet de génération.

Au cours de la même période, le taux d’activité des 60-64 ans passait de 66 % à 21 % pour les hommes, de 32 % à 17 % pour les femmes (Choffel, 1994). Au Canada en 1998, le taux d’activité des hommes de 55 à 64 ans n’était plus que de 56 % (36 % pour les femmes). Il s’agit d’une baisse de 20 % en vingt ans pour les hommes et une hausse de 6 % pour les femmes (Statistique Canada, 2000). À l’échelle du Canada, l’âge de retraite souhaité est maintenant de 58 ans, ce qui est sensiblement plus bas que l’âge moyen auquel les salariés prennent actuellement leur retraite (62 ans) et que l’âge officiel (65 ans) selon Mc Donald (1994). À l’heure actuelle ce phénomène, ainsi que le faible taux d’embauche des jeunes, ampute la pyramide d’âge de la population active aux deux extrémités, ce qui a pour effet de la resserrer autour des tranches d’âge moyen. Les personnels d’âge moyen continuent toutefois d’avancer en âge (Guillemard, 1995 ; Molinié, 1995 ; BSQ, 1998). Simultanément, l’espérance de vie de la population âgée continue d’augmenter. Ainsi au Canada, en 1996, elle était de 18,4 ans pour les personnes de 65 ans, soit trois ans de plus qu’en 1971 (Statistique Canada, 2000).

11 Ce resserrement de la pyramide d’âge de la population active, dû notamment aux départs massifs à la retraite, entraîne une perte considérable de compétences et de savoir-faire de métier. Compte tenu de l’importante hausse de l’espérance de vie globale et surtout en bonne santé, une bonne partie des personnels qui quittent la vie active aurait pu continuer à travailler.

2.1.4 La féminisation de la population active

12 Le taux d’activité des femmes de 25 à 45 ans dépasse maintenant 75 % au Québec (BSQ, 1998) et avoisine les 70 % en France (Eurostat, 1997). Il ressemble de plus en plus, par son niveau et ses variations selon l’âge, à celui des hommes. Les femmes ne sont cependant pas réparties dans les mêmes emplois que les hommes, malgré des changements importants. Elles subissent aussi davantage le chômage, le sous-emploi et la précarité (Maruani, 1995).

13 Cette féminisation de la population active se fait sans que la division sexuelle de l’emploi et du travail ne disparaisse, malgré l’atténuation de certaines différences sur le plan des conditions d’emploi et de travail. De 1976 à 1996 au Québec, par exemple, l’emploi autonome a augmenté de 132 % parmi les femmes (60 % pour les hommes) et en 1996, 70 % gagnaient moins de 10 000 $ par an alors que ce n’était le cas que de 28 % des hommes (Payeur, 1998).

14 C’est surtout chez les femmes avec enfants que le taux d’activité a connu une hausse spectaculaire (BSQ, 1998). Ce changement a contribué beaucoup à l’essor du secteur des services car ils remplacent souvent, dans la sphère marchande et publique, ceux que les femmes produisaient au sein de leur famille. Celles-ci sont aussi très nombreuses à être salariées dans ce secteur. C’est en grande partie à cause de cette hausse spectaculaire du taux d’activité des femmes qu’au Québec, notamment, le taux de croissance de la population active est plus élevé que celui de la population totale (David, 1990).

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15 À l’heure actuelle, on connaît peu les particularités du vieillissement au travail parmi les femmes ; on sait néanmoins que l’exclusion a plus d’ampleur et se manifeste de manière plus précoce dans les secteurs et les emplois où les femmes sont plus nombreuses (Teiger, 1989). Il importe donc que les travaux sur le vieillissement au travail prennent en compte le genre sexuel ainsi que la division sexuelle du travail salarié et domestique dans leurs analyses (David, 1994).

2.2 L’évolution des secteurs d’emploi et de la technologie

2.2.1 Les grands secteurs d’emploi

16 De profondes transformations s’opèrent dans la structure même de l’économie des pays industriels avancés. Le tertiaire représente maintenant de 60 à 74 % de l’emploi pour les pays du G-7 alors que le secondaire ne compte plus que pour environ 28 % (selon l’OCDE, 1997, citée par l’IQS, 1999). Le déclin de l’emploi industriel, cependant, ne se poursuivra pas nécessairement. Selon les analyses sur l’émergence de ce nouveau mode de développement, l’industrie manufacturière, marquée par des transformations technologiques importantes, est essentielle à la productivité. Elle est appelée à demeurer et à jouer un rôle d’ancrage important pour beaucoup de services. Le secteur primaire, qui ne représente plus que 2 à 4 % de l’emploi, est pour sa part de plus en plus soumis aux normes de production de l’industrie en aval et intégré à celle-ci (Castells, 1998 ; Pinard, 2000).

17 Les analyses sur les nouvelles tendances de l’économie prévoient qu’un certain nombre de tendances déjà amorcées se poursuivront. Il s’agit de :

• l’élimination progressive de l’agriculture ;

• le déclin régulier de l’emploi industriel traditionnel ;

• l’essor des services aux entreprises (surtout des services d’affaires) et des services sociaux (surtout de la santé) ;

• la diversification accrue des activités de services fournissant des emplois nouveaux ;

• la multiplication rapide des gestionnaires, des spécialistes et des techniciens ;

• la formation d’un prolétariat de cols-blancs composés d’employés de bureau et de commerce ;

• la relative stabilité d’une proportion substantielle d’emplois dans le commerce de détail ;

• l’accroissement simultané des niveaux supérieurs et inférieurs de la structure professionnelle ;

• le relèvement relatif du niveau global de la structure professionnelle dans le temps (Castells, 1998).1

18 La transformation du poids des différents secteurs n’est pas sans affecter d’une manière particulière les personnels vieillissants. Le déclin de l’industrie manufacturière, dont la main-d’œuvre est majoritairement masculine, se manifeste par la fermeture de branches industrielles complètes, des licenciements collectifs ou encore des programmes de mise à la retraite hâtive. Les ouvrières et ouvriers vieillissants touchés par ces modalités se retrouvent difficilement du travail.

19 Dans les services, dont la proportion est à la hausse, les exigences et contraintes de travail sont différentes de celles de l’industrie, bien que les transformations récentes du travail tendent à réduire les différences. Ces emplois sont en très grande partie comblés par des femmes.

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2.2.2 Les changements technologiques

20 Les transformations de l’emploi sont associées à l’introduction de nouvelles technologies dont le rôle est beaucoup plus grand qu’auparavant. Les données d’enquêtes récentes, au Canada et aux États-Unis, indiquent que la vague actuelle de changements a commencé au cours des années quatre-vingt et s’est accentuée au cours de la décennie suivante.

L’ampleur de ces changements est évidemment variable selon la taille et la branche des entreprises ainsi que selon les stratégies choisies par leurs dirigeants. Plus répandus dans l’industrie manufacturière, ils sont associés à des pratiques de flexibilité numérique et fonctionnelle. Ces nouvelles pratiques de travail et de gestion toucheraient d’un tiers à la moitié des entreprises. Les pratiques centrales s’avèrent être la réduction des effectifs, la sous-traitance et le travail sur appel (Kumar, 2000).

21 Les enquêtes les plus récentes réalisées au Canada (Statistique Canada, 1998 ; Ekos, 1998 ; Kumar et coll., 1998) révèle que 90 % des salariés ont été touchés par des changements organisationnels. Plus du quart des entreprises ont déclaré avoir réduit leur personnel, modifié l’organisation du travail et recouru à la flexibilité fonctionnelle, ce qui a affecté plus de la moitié de leurs personnels. En outre, près de 20 % de toutes les entreprises interrogées ont déclaré recourir à la sous-traitance et utiliser les horaires flexibles. Ces pratiques sont plus fréquentes dans les grandes entreprises. Ainsi, 60 à 80 % de celles-ci ont implanté des modalités de flexibilité numérique, en particulier le travail à temps partiel ou sur appel et le travail en temps supplémentaire (Kumar, 2000).

22 L’informatisation et l’automatisation, qui introduisent notamment de nouvelles contraintes physiques et cognitives, les superposent ainsi à celles déjà présentes dans les milieux de travail. Selon la dernière enquête sur les conditions de travail en France (1998), l’automatisation touche maintenant environ le tiers des ouvriers, quel que soit le secteur. Elle s’accompagne de nouvelles contraintes (liées directement à la technologie ou associées aux impératifs de la valorisation économique) sans avoir éliminé la pénibilité ni les risques. Par ailleurs l’informatisation, qui touchait la moitié des salariés en France en 1991, si elle fait diminuer la pénibilité, ne diminue pas les risques et ajoute des contraintes mentales aux tâches manuelles (Gollac et Volkoff, 1996).

23 Certaines enquêtes auprès de travailleurs ou d’organisations syndicales au Canada fournissent des informations supplémentaires sur les conséquences de ces changements sur les personnels (Kumar, 2000 ; Kumar et coll., 1998). D’une part, dans leur ensemble, les pratiques novatrices sont généralement associées à des salaires et avantages sociaux plus élevés ainsi qu’à un taux de syndicalisation plus fort. Mais, alors que la flexibilité fonctionnelle est également associée à des salaires plus élevés et à un plus grand nombre d’heures de travail, la flexibilité numérique, est liée à des salaires inférieurs.

24 Les résultats des enquêtes auprès de syndicats et de leurs membres indiquent qu’on estime généralement qu’il y a eu détérioration de la qualité de vie au travail. On déclare notamment des hausses de charges de travail et de cadences, des pertes de contrôle et d’autonomie, des hausses de stress physique et affectif ainsi que des inquiétudes relatives à la santé au travail et à l’emploi. On les associe aux pratiques de flexibilité numérique et fonctionnelle. Ainsi, au moins la moitié des répondants considèrent avoir peu de contrôle sur leur travail et se disent tendus. Quarante pour cent estiment avoir une charge excessive de travail et autant considèrent devoir travailler dans des postures inconfortables au moins la moitié du temps. Enfin, le tiers des répondants affirment

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devoir travailler à des cadences trop rapides et autant disent éprouver des douleurs pendant le travail au moins la moitié du temps.

25 Pour les personnels vieillissants, les exigences et les contraintes du travail qu’entraîne l’essor des nouvelles technologies est lourd de conséquences. Comme l’ont souligné Teiger (1989) et Laville (1989), le vieillissement au travail résulte de la confrontation d’une transformation fonctionnelle des travailleurs et travailleuses à un travail modelé tant par son contenu et ses conditions de réalisations que par ses caractéristiques sociales et économiques. Certaines exigences physiques et mentales deviennent plus souvent excessives, compte tenu des antécédents des personnels vieillissants tels qu’une formation initiale faible, qui affectent leurs capacités physiques et mentales. Il arrive aussi que les exigences soient excessives à cause des lacunes de la formation en emploi et de l’exclusion des personnels vieillissants de ces activités (voir plus bas les pages sur l’apprentissage et la formation professionnelle). De telles situations avivent certains enjeux que soulève la démographie de la population active. Dans l’économie actuelle, l’importance accrue du savoir (Touraine, 1999), notamment, contribue à polariser les générations les unes contre les autres alors que la mise en place de nouveaux dispositifs de transmission des savoirs tarde (Carnoy, 2000). C’est pourquoi certains considèrent que cela confère aux gouvernements et aux acteurs sociaux une grande responsabilité (Carnoy, 2000 ; Castells, 1998).

2.2.3 L’importance des services

26 La hausse de la proportion des emplois de service, comparée aux emplois de production, ne signifie pas pour autant la disparition de la pénibilité. Déjà en 1991, l’enquête française sur les conditions de travail indiquait que la moitié des employés des services disaient avoir à transporter des charges lourdes et vingt pour cent déclaraient aussi avoir à respecter des normes de production à horizon temporel de moins d’une journée. Le tiers des employés des services aux particuliers affirmaient devoir maintenir des postures pénibles.

27 Ces différents constats, ainsi que d’autres qui seront mentionnés au sujet du travail, font remarquer à certains observateurs qu’il y a de plus en plus d’hybridation entre le travail ouvrier du secondaire et les tâches et l’encadrement des emplois des services. On retrouve de plus en plus de pénibilité physique, de travail sous pression temporelle et de normes industrielles là où, avant, il y avait seulement le contact direct avec la clientèle.

Les analyses sociologiques constatent également que dans beaucoup d’emplois des services, on ne peut distinguer entre le travail physique et mental car les tâches de ces emplois exigent souvent les deux (Gollac et Volkoff, 1996).

2.2.4 Des enjeux méconnus dans les services

28 Jusqu’à tout récemment, les sciences du travail qui se sont surtout développées au cours d’études dans la grande industrie, ont traité le secteur tertiaire et les emplois de services comme un ensemble résiduel indifférencié. La croissance de ce type d’emploi, qui se poursuivra, rend urgent un travail d’observation et d’analyse pour fournir une base conceptuelle afin de distinguer différents types d’emplois et de tâches (Offe, 1985 ; Castells, 1998 ; Pinard, 2000).

29 Parmi les analyses économiques et sociologiques de la société informationnelle en gestation, certains ont proposé de distinguer, par exemple, entre les services de

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distribution (commerce, communications, transport), les services aux entreprises, les services sociaux qui ont trait à la consommation collective (le plus souvent gouvernementaux) et, enfin, les services personnels qui ont trait à la consommation individuelle (Castells, 1998). La résistance de la part de certaines professions aux visées de contrôle des organisations qui leur ont donné naissance, ainsi que leur ambivalence sont aussi mise en relief (Offe, 1985). D’autres soulignent l’importance du travail réflexif qui porte sur des personnes présentes au moment de l’activité de travail à titre d’usagères et qui sont, à ce titre, un élément constitutif de l’activité de travail (Offe, 1985 ; Maheu et Robitaille, 1991). En ergonomie, certains ont amorcé un travail de réflexion pour arriver à caractériser les tâches des emplois de services lorsqu’il y a relation de service entre un opérateur et un usager qui est son partenaire (Falzon et Lapeyrière, 1998), ce qui est le cas d’une proportion très élevée de ces emplois.

30 Bien que la structure d’âge actuelle dans les services soit sensiblement plus jeune qu’en industrie, les problèmes du vieillissement au travail ne s’y posent pas moins (David et Bigaouette, 1989 ; David et Payeur, 1995 ; Cloutier et coll., 1999 ; Davezies, 1998). Ils concernent le plus souvent des populations féminines. Malgré leur importance numérique, les conditions du vieillissement au travail des femmes dans les services, et leurs conséquences, sont toutefois rarement identifiées et analysées.

2.3 Les modes de gestion des entreprises

2.3.1 L’emploi

31 Selon certains observateurs, nous assistons actuellement non pas à la fin du travail, mais à la fin d’un mode de structuration des activités professionnelles et non professionnelles (Mercure et Dubé, 1997 ; Kumar, 2000). Ce nouveau mode se caractériserait par la pluralité et l’éclatement des statuts d’emploi ainsi que par le passage du temps de travail au temps de l’emploi et de la subsistance (Thommens, 2000). La grande variété des structures temporelles des emplois serait attribuable au fait que ce sont les variations et la variabilité de la production qui induisent dorénavant le cadrage temporel des activités professionnelles (OCDE, 1999). Il se produirait ainsi une différenciation marquée entre le temps de travail et le temps de l’emploi. En France, près de 90 % de la population active était encore salariée en France en 1991 (Gollac et Volkoff, 1996) alors qu’au Québec, l’emploi salarié à temps complet est passé de 83 % à 72 % de l’emploi total de 1976 à 1995 (Matte, 1998).

32 Plus globalement, la journée et la semaine de travail sont remises en question. Il s’agit non seulement de la norme temporelle, mais aussi de la norme de la charge de travail, de la rémunération et d’une condition associée à des garanties et des droits (Payeur, 1998).

L’écroulement de cette norme induit des modes de rémunération dont le référent est maintenant le marché (Castel, 1998).

33 Pour les personnels vieillissants, le nouveau mode de structuration des emplois peut s’avérer très pénible à cause des nouvelles contraintes telle que la variabilité de la production qui détermine de plus en plus le cadre temporel des activités professionnelles.

La sous-traitance favorise l’embauche des jeunes ; mais on les remplace à courte échéance et on exige d’eux une intensité de travail très élevée, ce qui constitue aussi une menace à la sécurité d’emploi des personnels vieillissants avec davantage d’ancienneté et augmente indirectement leur charge de travail.

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34 Ainsi dans l’industrie automobile en France, par le biais de la sous-traitance, on privilégie à l’embauche une main-d’œuvre jeune, mieux formée, soumise à une rotation rapide et moins payée (Pialoux, 1996). Au Québec, une étude sur le recours aux agences privées pour les soins de santé et d’hygiène à domicile, constate que pour exécuter un même travail (prescrit), des employées d’agences privées d’aide et de soins, comparées à celles du système de santé public, sont beaucoup moins payées. Elles ont également des horaires brisés, souvent autres que ceux de jour et de semaine, et n’ont ni sécurité d’emploi ni avantages sociaux. Moins qualifiées, elles gardent moins longtemps leur emploi. Les bassins d’employés à statut précaires servent aussi souvent de « vivier » à l’établissement qui recrute pour des postes réguliers les salariées des agences dont le comportement est le plus conforme à ses critères de sélection (David et coll., à paraître).

2.3.2 L’encadrement

35 Les tentatives antérieures de transformer les fluctuations du marché en flux réguliers de production ont maintenant fait place à des stratégies par lesquelles des dirigeants d’entreprise répercutent ces fluctuations jusqu’au bas de l’échelle et les gèrent avec des techniques raffinées de relations humaines axées sur la participation et l’implication de salariés (Kumar, 2000). Des changements de modalités de contrôle, comme les cercles de qualité ou l’autonomie procédurale (souvent associée à la gestion participative ou aux équipes de travail semi-autonomes) peuvent sembler correspondre à une amélioration sur le plan des conditions de travail. L’effet inverse est aussi possible lorsque de nouvelles formes de concurrence exercent simultanément des contraintes sur les rythmes de travail. En associant l’autonomie procédurale aux contraintes temporelles, les gestionnaires se délesteraient des « choix » contradictoires et les imposeraient aux exécutants. Ceux-ci n’auraient plus que le « choix » de la méthode la plus rapide, les autres méthodes qui les auraient ménagés ayant disparu sous l’effet des exigences inconciliables de quantité et de qualité. C’est le cas, par exemple, lorsque qu’un atelier qui fonctionne selon les principes des flux tendus se voit simultanément imposer des normes de qualité telles que les normes ISO (Lefebvre, 1996).

36 Des méthodes pour justifier la « flexibilité du travail », s’avèrent nécessaires pour faire accepter et assurer le fonctionnement des nouveaux dispositifs. Des ensembles complexes de normes de conduite professionnelles et extra-professionnelles et d’inculcation de nouvelles normes culturelles à l’égard de l’entreprise (fidélité, adhésion à ses valeurs et ses objectifs, participation, disponibilité temporelle, contrôles personnalisés de la productivité dans une perspective « d’excellence ») sont alors souvent mis en place par les dirigeants d’entreprise.

37 Des changements tels que l’imposition de normes de production, qui limite les stratégies de travail permettant aux personnels vieillissants de durer, obligent ceux-ci à adopter le mode opératoire le plus rapide et non le plus approprié à leurs capacités. Les consignes de production, associées aux transformations de l’organisation du travail, ont aussi souvent pour effet de polariser les plus jeunes contre les plus vieux (Pialoux, 1996).

2.3.3 Le travail

38 Dans le débat sur l’avenir du travail qui divise ce milieu de recherche, certains soulignent que dans la société informationnelle en émergence, le rôle accru de la technologie a pour effet de rendre les problèmes du travail encore plus centraux (Bidet et Texier, 1995 ;

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Freyssenet, 1995). La centralité du travail, à titre de moyen de construction de soi comme acteur libre, s’opposerait à la logique du marché et de la compétitivité. Les revendications d’autonomie, de continuité et de définition négociées des règles d’un travail, qui se professionnalise, s’opposeraient alors aux exigences de flexibilité de la production (Castel, 1998 ; Touraine, 1999).

39 L’intensification du travail fait partie de ces problèmes qui perdurent à travers les transformations du travail, sous un mode de production plus capitaliste que jamais. Les inventaires « juste à temps », la pression de la demande, le contrôle de la productivité individuelle et collective plus serrée, la recherche d’un fonctionnement avec le minimum d’effectifs constituent les nouveaux moyens par lesquels cette intensification s’impose (Pialoux, 1996). Les données de l’enquête française sur les conditions de travail de 1991 permettent de cerner certains indices de l’intensification du travail et montrer comment, par le biais de la pression de la demande, qui s’ajoute à celle de l’organisation scientifique du travail, les contraintes temporelles se sont amplifiées là où elles existaient déjà et se sont disséminées là où elles n’existaient pas, comme dans les services (Gollac et Volkoff, 1996).

40 L’intensification des contraintes progresse en sens contraire de la hiérarchie sociale car, plus les qualifications sont faibles et les postes au bas de l’échelle, plus les contraintes sont fortes. Certaines recherches dans la métallurgie ont mis au jour les effets de l’intensité des contraintes de travail, notamment par l’introduction d’une organisation fondée sur les flux tendus (Lefebvre, 1996). Dans ce secteur, une forte baisse de l’intérêt pour l’action syndicale ainsi que pour les rituels sociaux du groupe ouvrier, qui contribuent à la cohésion sociale, seraient attribuables à la restriction du choix des temps de repos, à l’irrégularité des rythmes de travail et à la précarisation de l’emploi. Simpson (1999) fait état des mêmes tendances aux États-Unis. Plusieurs recherches montrent que ces facteurs contribuent à la transformation ou à l’augmentation des risques professionnels selon les secteurs et les professions. À l’heure actuelle, on assiste donc à une augmentation de la complexité des exigences et du travail. Cette complexification induit de multiples contraintes physiques et cognitives avec lesquelles la main-d’œuvre active doit composer pour accomplir le travail de façon efficace et sécuritaire (Gollac et Volkoff, 1996).

41 Plusieurs études ont démontré depuis longtemps que l’effet de telles contraintes peut contribuer à l’exclusion de segments importants de la population du marché du travail, notamment pour causes de lésions au travail, de déqualification professionnelle et d’âge (Teiger, 1989). À l’heure actuelle, ce phénomène s’accentue encore davantage (Teiger, 1995). De nouvelles formes de résistance et de lutte apparaissent cependant afin d’obtenir des droits collectifs pour les exclus, améliorer leurs conditions de travail et d’emploi, car les formes traditionnelles d’action ont perdu de leur efficacité avec ces mutations et se renouvellent difficilement (Payeur, 1998 ; Fontan et Klein, 2000).

2.4 Le politique : pratiques et idéologies

2.4.1 Les politiques et les pratiques

42 Lorsque l’on prend en compte la mondialisation pour ce qu’elle est, c’est-à-dire l’expression voulue des intérêts privés et de ceux des gouvernants de plusieurs pays, et non un facteur exogène qui impose ses contraintes aux États-nations, il devient évident

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que les gouvernements des États nationaux jouent un rôle important au sein des différentes forces qui orientent les grandes mutations du monde du travail (Théret, 2000).

Des données convaincantes indiquent que les changements technologiques ne déterminent pas l’avenir du travail et de l’emploi. Certaines comparaisons parmi les pays du G-7, par exemple, indiquent clairement que les taux de chômage et les structures professionnelles dans ces différents pays sont davantage associés aux forces sociales en présence, aux dispositifs institutionnels ainsi qu’à des traditions historiques plutôt qu’au taux de pénétration des nouvelles technologies (Castells, 1998).

43 La rupture du pacte social des différents systèmes nationaux adopte en effet des configurations variées qui mettent l’accent soit sur l’abandon de la logique universaliste, soit sur la dérégulation des salaires et un affaiblissement de la protection au travail ou, encore, sur le maintien des acquis, ce qui fragilise les nouveaux venus sur le marché du travail (Esping-Andersen, 1996). L’affaiblissement du droit du travail, face à l’offensive patronale pour instaurer le plus de flexibilité possible en regard des objectifs de maximisation des profits et son inadéquation face aux nouvelles conditions d’emploi précaires est notoire. Il pourrait être corrigé afin de continuer à jouer un rôle important dans la régulation sociale des relations de travail (Castel, 1998).

44 À l’heure actuelle, la situation qui prévaut est plutôt l’inverse : selon plusieurs analyses, la faiblesse syndicale contribue à ce que les salariés ne puissent plus s’opposer efficacement à la détérioration de leurs conditions de travail. Dans bien des pays, cet effritement est en partie due à l’intervention active de l’État pour déréguler les régimes de protection des normes du travail, de l’emploi et des marchés, simultanément au démantèlement de l’État-providence (contraction de la protection sociale, ajouts aux critères d’accès aux bénéfices de la plupart des régimes de protection sociale et hausse des seuils d’accès).

Face à cette dissociation entre le travail et les droits sociaux (Castel, 1998), s’esquissent de nouvelles mobilisations (Fontan et Klein, 2000).

45 Dans le cadre de cet effritement des droits associés au travail, dont la refonte de plusieurs dispositifs de sécurité du revenu tels que l’assurance-emploi, certaines modifications, qui s’appliquent à toute la population active, touchent particulièrement les personnels vieillissants. Tant au Canada qu’en France, ceux-ci, bien qu’ayant un taux de chômage plus faible que les plus jeunes, chôment plus longtemps lorsqu’ils se retrouvent sans emploi. Ainsi, au Québec en 1997, 25 % des travailleurs et travailleuses de 45 ans et plus en chômage l’étaient depuis plus d’un an alors que ce n’était le cas que de 6 % des jeunes de 15 à 24 ans (Grenier, 1998). Paradoxalement, gagné de haute lutte, le droit à la retraite, qui est devenue une institution sociale valorisée, permet de faire fi du droit au travail des personnels vieillissants car les entreprises trouvent maintenant légitime de mettre fin à leur emploi, invoquant le fait que ces salariés auront d’autres sources de revenu (Kohli, 1990). De plus, les transformations de voies de sortie de la vie active et des mesures de sécurité du revenu à la retraite fragilisent leur situation (Firbank, 1997).

2.4.2 L’idéologie

46 Un discours très articulé, et sans cesse martelé, accompagne le démantèlement de l’État- providence et la dérégulation du marché par l’État. On y retrouve, d’une part, une critique de l’État-providence dont les interventions économiques constitueraient un frein à l’initiative privée des entreprises et fausseraient les règles de la concurrence en soutenant indûment des entreprises qui ne devraient pas survivre. D’autre part, à l’égard

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de la population active, ce discours justifie la réduction et l’abolition de certaines mesures de sécurité du revenu. La valorisation de l’autonomie individuelle se traduit par l’imposition de normes et de conduites individuelles considérées « responsables » que les citoyens sont dorénavant supposés adopter tant au travail qu’à la retraite. Les mesures qui sont remises en cause encourageraient aussi la passivité et une trop grande dépendance à l’égard de l’État.

47 Tout comme dans le monde du travail, les mutations de l’État s’accompagnent d’un discours qui tente de les justifier. En ce qui a trait aux personnels vieillissants, celui-ci porte essentiellement sur la retraite. Si à l’heure actuelle la retraite est considérée comme le droit à une étape de vie entre la fin de la vie de travail et la grande vieillesse, elle est également perçue comme un devoir qu’il ne faut pas tarder à respecter au nom de l’équité intergénérationnelle. La possibilité de choisir le moment et les conditions de prise de retraite est ainsi souvent réduite.

48 Il est donc nécessaire, compte tenu du rythme de vieillissement de la population active, de tenter de réguler le marché et ses initiatives hégémoniques afin de le redomestiquer car le travail et l’emploi demeurent un enjeu stratégique majeur tant pour les personnels vieillissants que pour les autres composantes de la population active (Bidet et Texier, 1995 ; Freyssenet, 1995 ; Castel, 1998 ; Touraine, 1999).

49 À la suite de ce tableau général, qui indique combien les grandes mutations du travail affectent les personnels vieillissants, cette problématique se poursuit dans la deuxième partie. Elle cible six grands enjeux, particulièrement saillants pour les personnels vieillissants, qui s’articulent autour de l’organisation du travail.

3. Les enjeux actuels des relations entre vieillissement et organisation du travail

3.1 Introduction

50 Les liens entre le vieillissement au travail et l’organisation du travail n’épuisent pas toutes les facettes du vieillissement au travail, mais il s’agit d’une dimension centrale - à laquelle d’autres s’articulent - qui permet le mieux de saisir l’ampleur et l’importance de la question du vieillissement au travail. L’organisme humain se transforme au fil des années. On ne peut pas raisonner comme si l’état fonctionnel de chaque homme ou chaque femme au travail était immuable. Avec l’avance en âge s’accroît la probabilité que survienne un amoindrissement des capacités fonctionnelles, dans des domaines comme la force musculaire maximale, l’amplitude des mouvements des articulations, la vue et l’audition, la régulation du sommeil, les performances relevant de la mémoire immédiate ou de la prise de décisions nombreuses en temps limité. Les connaissances disponibles fournissent à présent des appréciations assez fines de ces phénomènes (Laville, 1989 ; Millanvoye, 1995). Elles montrent qu’il s’agit d’évolutions souvent modérées (si l’on s’en tient aux âges d’activité professionnelle), variables selon les individus et selon les fonctions étudiées. À chacun ses propres rythmes de vieillissement, en quelque sorte.

51 Le travail joue un rôle dans l’expression des effets du vieillissement. Les déclins qu’on vient d’évoquer peuvent être pour partie induits par le travail. À l’inverse, des conditions et une organisation de travail bien adaptées peuvent avoir un effet protecteur vis-à-vis de certaines dégradations de la santé. Mais le travail peut aussi jouer un rôle de révélateur.

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Car ce sont surtout les performances maximales qui manifestent un déclin. Or, selon l’organisation adoptée, le travail nécessitera plus ou moins souvent ces niveaux de performance extrêmes, ce face-à-face avec des exigences, physiques ou mentales, particulièrement difficiles. Tout cela va se traduire par le fait que certaines exigences du travail provoquent des difficultés spécifiques pour les âgés, voire des mécanismes de sélection en lien avec l’âge, alors que dans des situations de travail parfois voisines aucune disparité de ce type n’apparaît (Laville, 1989).

52 L’inégale espérance de vie par catégorie professionnelle, qui ne paraît redevable d’aucune cause de décès spécifique, reste importante entre les cadres et les ouvriers, malgré la baisse des taux de mortalité dans tous les groupes sociaux. Aussi, en dépit du fait que la catégorie socio-professionnelle ne parle pas que du travail, on peut faire l’hypothèse qu’il existe des dégradations de la santé plus ou moins précoces en âge en fonction des facteurs professionnels.

53 Du point de vue épidémiologique, l’observation de ces évolutions de la santé n’est pas aisée car cela suppose la mise en place d’études de cohortes prospectives à partir d’échantillons aléatoires de grande taille pour obtenir un minimum de puissance statistique. Une telle enquête (enquête ESTEV) a été réalisée en France sur un échantillon de 20 000 salariés des deux sexes nés en 1938, 1943, 1948 et 1953. Les sujets ont été interrogés en 1990 et 1995 à l’aide de questionnaires auto-administrés portant sur le travail (expositions professionnelles, conditions au travail et facteurs psychosociaux de travail) et sur la santé (Derriennic et coll., 1996).

54 Les principaux aspects de la santé explorés ont trait aux différentes composantes de la santé perçue décrites par l’indicateur du Nottingham Health Profile, les troubles musculo-squelettiques et l’hypertension artérielle.

55 Dans ces différents domaines, chez les hommes comme chez les femmes, les résultats suggèrent des différences liées à la catégorie socioprofessionnelle car les ouvrières et les ouvriers présentent des prévalences plus élevées que les cadres moyens. On observe des effets d’« âge » indépendants des effets de « génération » en ce qui a trait aux troubles du sommeil et de la mobilité physique. Les tendances associées à l’âge qui se dessinent plaident davantage pour des effets précoces du vieillissement plutôt que pour une modification des rythmes au cours de l’avance en âge.

56 Il ressort très clairement des résultats obtenus que, pour chaque sexe, après ajustement sur l’âge et la catégorie socioprofessionnelle, ces troubles de la santé dépendent à la fois des exigences ou contraintes physiques du travail (port de charges lourdes, efforts sur outils, postures contraignantes, etc.) qui affectent la mobilité physique ; de celles des horaires de travail (horaires alternés, atypiques, etc.), qui entraînent des troubles du sommeil, et d’autres choix organisationnels tels que la faible latitude décisionnelle et la forte demande psychocognitive qui caractérisent de nombreux postes de travail (modèle de Karasek) et qui sont également associés à une augmentation de ces différents troubles de la santé.

57 Dans ces conditions, ces troubles que l’on peut apparenter au contenu des concepts de déficiences et d’incapacités développés par l’OMS, et qui deviennent particulièrement prévalents aux âges élevés, prennent probablement racine dès le début de la vie active.

L’influence de la vie au travail s’exerce d’une part par l’intermédiaire de facteurs de risque spécifiques, associés à des lésions ou des altérations particulières de la santé.

D’autre part, elles entrent en jeu plus globalement en facilitant plus ou moins le cumul

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des altérations de la santé et en augmentant plus ou moins les risques de chronicité (notamment dans le domaine des TMS). Ces différents troubles de la santé n’annihilent pas forcément la capacité de travailler, mais ils sont associés à une plus grande probabilité de sortie hâtive du marché du travail.

58 À l’inverse, des conditions de travail et une organisation de travail bien adaptées peuvent avoir un effet protecteur à l’égard de certaines dégradations de la santé. Les résultats de l’enquête ESTEV suggèrent qu’une forte autonomie dans la conduite de son travail avec des moyens en temps, information et matériel pour faire un travail de bonne qualité constituent des facteurs protecteurs.

59 Chaque salarié n’est pas pour autant le spectateur passif du plus ou moins bon ajustement entre son état fonctionnel et les caractéristiques de sa tâche. Il élabore des compromis entre les objectifs de la production, les compétences dont il dispose, et le souci de préserver sa santé. Ces compromis ne sont pas stables. Il les réaménage en permanence, compte tenu des transformations techniques, des modifications dans l’organisation et de son changement d’âge. De façon plus ou moins consciente, il élabore des stratégies de contournement à l’égard des causes de pénibilité ou de difficulté, et de compensation pour arriver à réaliser une tâche malgré telle ou telle déficience. Dans ces stratégies, l’expérience professionnelle joue un rôle considérable (Cloutier et coll., 1999 ; Gaudart et Weill-Fassina, 1999), et elle se combine avec l’expérience de soi-même, c’est-à-dire la connaissance que la ou le salarié acquiert peu à peu sur les aspects du travail qui vont s’avérer difficiles ou pénibles pour lui-même. Ces compensations (anticipations, vérifications, coopérations, etc.) ne se mettent en place que si l’organisation du travail les permet, voire les favorise. La question posée est donc celle d’une compatibilité entre d’une part les exigences du travail, et d’autre part les marges de manœuvre dont les individus et les collectifs disposent pour tenir ces exigences et pour construire leurs stratégies dans ce but.

60 Ces remarques valent aussi quand on s’intéresse non plus à une situation de travail, mais à un changement de situation : nouveau produit ou service, nouvelle technique, changement d’organisation, mobilité professionnelle, formes diverses de rotations des tâches ou de polyvalence. En ce domaine, les salariés âgés ne bénéficient pas d’un a priori favorable (ce qui se traduit notamment par un moindre accès à la formation). Les changements peuvent en effet induire ou révéler une obsolescence des savoirs et savoir- faire chez les plus anciens (Marquié et Baracat, 1995). Mais ces difficultés peuvent être atténuées si l’on prend en considération la diversité entre les individus au moment du changement (au vu de leur âge, de leurs parcours professionnels, de leurs projets), et si l’on cherche à élargir les marges de manœuvre dans le changement lui-même (Teiger, 1990).

61 Les relations entre l’organisation du travail et les caractéristiques de la main-d’œuvre, notamment les caractéristiques liées à l’âge, sont souvent posées en termes d’adaptation des salariés à des exigences établies en dehors d’eux (Pueyo, 1999) : exigences de respect des normes, de flexibilité, de délégation de responsabilité, etc. L’idée sous-jacente est alors que le système est efficace si les salariés « se plient » convenablement à ces exigences. Dans les pages qui suivent, nous interrogerons plutôt l’organisation (sous quelques-uns de ses principaux aspects), et sa plus ou moins grande aptitude à faire place aux salariés de tous âges. Sous ces aspects se retrouvent les principaux enjeux auxquels sont déjà confrontés les personnels vieillissants et, bientôt, celles et ceux qui les suivent : la polyvalence et la variété des tâches, les contraintes de temps, les horaires de travail, les

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aspects collectifs du travail, les apprentissages et la formation professionnelle ainsi que la précarité. Nous aborderons chacun de ces aspects cruciaux de l’organisation du travail pour les personnels vieillissants en traitant les enjeux qu’ils soulèvent, de leurs effets sur la santé, des mécanismes éventuels d’exclusion ainsi que des modes de gestion et des marges de manœuvre qui y sont associés.

3.2 Polyvalence et variété de tâches

3.2.1 Enjeux

62 Le développement de formes flexibles d’organisation rend de plus en plus fréquentes les situations où un même salarié doit effectuer plusieurs tâches différentes, voire occuper plusieurs postes de travail, au cours d’une période de quelques semaines, quelques jours ou quelques heures. Selon les enquêtes nationales sur les conditions et l’organisation du travail en France, la proportion de salariés déclarant « changer de poste en fonction des besoins de l’entreprise » est passée de 17,5 % en 1987 à 23 % en 1998 ; et le pourcentage de ceux qui doivent changer de poste par « rotations régulières » est passé de 4 % à 6,5 %.

63 Or les salariés vieillissants ont la réputation d’éprouver des difficultés spécifiques lors des changements dans le travail. Leur supposé « manque d’adaptabilité » constitue d’ailleurs la principale appréciation négative les concernant, de la part des employeurs (Le Minez, 1995). Ces représentations des employeurs méritent d’être examinées avec prudence, mais elles convergent souvent avec les préférences des salariés vieillissants eux-mêmes pour une relative stabilité de leur environnement de travail (Marquié et Baracat, 1995).

3.2.2 Effets sur la santé

64 La polyvalence, la variété des tâches, pourraient avoir des effets bénéfiques sur l’état de santé et le vieillissement pour au moins deux raisons. La première est que dans le cas de travaux physiquement exigeants, une rotation des tâches permet de limiter les sollicitations répétées d’un même segment corporel, d’un même muscle ou d’une même articulation. La variation, autant que faire se peut, des gestes et des postures, peut exercer une action préventive vis-à-vis de l’usure accélérée de certaines fonctions. La deuxième raison concerne les travaux répétitifs et peu qualifiés (souvent les mêmes que ceux que l’on vient d’évoquer). La répétition durable d’une série limitée d’opérations est peu propice à la construction de compétences, en dehors de celles, très spécifiques, que la tâche nécessite. Une diversité suffisante des tâches peut être la bienvenue pour éviter des formes de « sclérose cognitive » dont les effets néfastes, pour les capacités cognitives comme pour l’ensemble de la personnalité, ont été décrits dans les études sur les « bas niveaux de qualification », et notamment chez les plus âgés d’entre eux (Grossin, 1980).

Ces effets sont d’autant plus redoutables qu’ils compromettent les apprentissages (quand ceux-ci finissent tout de même par devenir nécessaires), et qu’ils font obstacle à la construction de projets personnels et professionnels.

65 Pourtant la polyvalence, la diversification des tâches, sont parfois redoutées, et si possible évitées, par les salariés vieillissants. L’encadrement de proximité cherche alors à leur épargner cette « épreuve ». Un motif très simple peut être que les autres tâches sont perçues, parfois à juste titre, comme plus pénibles que celles que l’on exerce déjà. Il est logique de se dire que, plus les situations et les postes de travail varient, plus le risque est grand de se trouver confronté à des facteurs de pénibilité - surtout pour des salariés

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vieillissants dont l’itinéraire antérieur leur a permis de s’abriter autant que possible de cette pénibilité.

66 De façon plus précise, on peut insister sur le caractère aléatoire du transfert des compétences d’une situation à une autre. L’exemple des habiletés sensori-motrices, étudié de façon précise par Gaudart (1996) sur une chaîne de montage dans l’automobile, est révélateur et correspond à une situation répandue. L’auteur montre que les stratégies

« économiques », en termes de gains de temps ou d’efforts, chez les salariés vieillissants (et expérimentés) reposent souvent sur un recours accru à des tours de main, à des modalités particulières de stabilisation posturale, à des contrôles tactiles en lieu et place de contrôles visuels (qui obligeraient à se pencher, par exemple), etc. Ces habiletés - de même que celles que l’on peut échafauder pour les composantes cognitives du travail -

« fonctionnent » pour une tâche donnée. Le salarié n’est pas sûr de pouvoir les mettre en œuvre dans une situation différente (David et Bigaouette, 1989), même si la différence paraît modérée au premier abord. S’il y parvient ou s’il parvient à élaborer de nouvelles stratégies du même type dans la nouvelle situation, la période nécessaire pour maîtriser les nouvelles exigences sera peut-être vécue péniblement, avec son lot de fatigue et d’inquiétude.

67 À cela s’ajoutent les formes d’appréhension spécifiques à la situation d’apprentissage elle- même (voir ci-après), et les dimensions plus conatives - psychoaffectives et motivationnelles - de cette appréhension.

3.2.3 Mécanismes éventuels d’exclusion

68 On a dit que la polyvalence, la diversification des tâches, pouvaient avoir sur l’évolution de la santé avec l’âge des effets contrastés. En termes d’exclusion, ou de fragilisation du statut des âgés dans l’entreprise, on retrouve ces deux facettes.

69 Évoquons d’abord, même si peu de travaux ont exploré cette question, les mécanismes fragilisateurs qui sont à l’œuvre chez ceux qui « jouent le jeu » (de façon plus ou moins volontaire ou consentie) de la polyvalence. Compte tenu des difficultés évoquées ci- dessus, il peut advenir que cette participation à des modes d’organisation moins stabilisés soit coûteuse en termes de santé (David et Bigaouette, 1989 ; Gaudart et Pondaven, 1998), de fatigue, de déceptions suite à des échecs. Or on sait (comme notamment l’enquête ESTEV en France l’a bien montré - voir Saurel-Cubizolles et coll., 2000) que de façon générale les « petits troubles » de santé présentent une association statistique forte avec le risque de perte d’emploi dans les années qui suivent.

70 L’autre versant est mieux connu : à tous niveaux (enquêtes nationales, secteurs, entreprise, ateliers, etc.) la polyvalence - en tout cas la polyvalence réellement exercée - diminue avec l’âge (Molinié et coll., 1996). Dans une période où l’orientation dominante est la flexibilité de l’appareil de production, et où en même temps la population active vieillit, ce constat est source d’inquiétudes, car il renforce le stéréotype de la moindre adaptabilité des âgés. Cette préoccupation d’ensemble se décline au plan individuel : en période de diminution d’effectifs, l’encadrement sera tenté de garder les salariés les plus disponibles pour la tenue de plusieurs postes ou la réalisation de tâches multiples. Dans quelques cas, la « monovalence » d’un âgé correspond à un haut niveau d’expertise spécifique de sa part, mais alors la question posée est celle de la pérennité du poste qu’il occupe ou de la tâche qu’il assume.

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71 Les deux facteurs de fragilisation se combinent parfois au fil du temps. En analysant par exemple le parcours professionnel antérieur de personnels de bureaux vieillissants, on va constater qu’une partie d’entre eux sont d’anciens cols-bleus polyvalents, usés ou accidentés pour des raisons auxquelles cette polyvalence n’est pas étrangère. Dans leur nouveau poste, le cumul de leur âge, de leur faible expérience, et de leur santé déficiente les voue au risque de perte d’emploi, ou (si la sécurité d’emploi leur est assurée) à une position marginale dans la collectivité de travail.

3.2.4 Modes de gestion et marges de manœuvre

72 Compte tenu de ce qui précède, on pourrait être tenté de proposer, pour que les vieillissants gardent toute leur place dans l’entreprise, une modération dans la tendance générale à une polyvalence accrue. Dans certains cas, sans doute, une analyse attentive de la situation autoriserait à mettre en doute le bien-fondé du tout-polyvalence. Mais cette analyse n’est pas simple, elle implique des champs de connaissances divers, incluant les sciences de la gestion. Il n’est pas sûr qu’au bout du compte les bienfaits d’une limitation de la polyvalence pour l’entreprise soient établis, et moins encore qu’ils soient de nature à convaincre les décideurs. La marge d’action la plus prometteuse se situe donc plutôt du côté d’une maîtrise sociale des formes et des rythmes de la polyvalence.

73 De façon résumée, on peut considérer que ce qui pénalisera les salariés âgés - et l’ensemble des salariés, d’ailleurs - c’est la polyvalence dans l’urgence ou sous la pression de l’implantation de la flexibilité numérique. Si les conditions sont créées d’une exploration progressive de nouvelles tâches, par voisinages successifs, avec les appuis nécessaires dans le collectif de travail, avec aussi la possibilité de faire des essais et de renoncer sans dommage quand c’est trop difficile, il y a toutes chances pour que les difficultés des âgés s’estompent et qu’au contraire les atouts de leur expérience se trouvent valorisés.

74 Ce souci de maîtriser les modalités de mise en œuvre de la polyvalence peut prendre des formes très concrètes : petits modules de rotation des tâches, délais suffisamment souples lors des transitions, élucidation et reconnaissance des compétences effectivement développées pour chaque tâche, etc. L’idée qui prévaut est alors qu’une recherche trop volontariste et trop hâtive de flexibilité peut, au bout du compte, s’avérer un facteur de rigidité dans le fonctionnement réel des ateliers et des services. Les âgés peuvent jouer, en ce domaine comme dans bien d’autres, un rôle de révélateurs.

3.3 Les horaires de travail

3.3.1 Enjeux

75 Les transformations du travail visant l’augmentation de la flexibilité fonctionnelle font que les entreprises de différents secteurs d’activité économique ont de plus en plus recours au travail en horaires atypiques. Pour un même nombre hebdomadaire d’heures de travail, l’horaire peut prendre diverses formes. Actuellement, en Amérique du Nord, de 20 à 25 % des salariés travaillent en horaires atypiques (Tremblay, 1997 ; Presser, 2000 ; Shields, 2000 ; Statistique Canada, 2000) : travail les fins de semaine, de soir ou de nuit, posté, sur appel, en temps supplémentaire, quarts allongés - jusqu’à 12 heures et plus - et semaines comprimées, horaires variables à court préavis, brisés, etc. Cette proportion augmente constamment. En France, l’Enquête nationale sur les conditions de travail

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montre que malgré la réduction du temps de travail hebdomadaire, les horaires évoluent dans le sens d’une plus grande dispersion des plages quotidiennes et hebdomadaires, d’une augmentation du travail de nuit et de fin de semaine et d’une hausse du travail occasionnel (Bué et Rougerie, 1998 ; Gouvernement français, ministère de l’Emploi et de la solidarité, 1999).

76 Comment le personnel relativement âgé réagit-il à ce type de contrainte de travail qui n’est jamais présente seule dans le milieu de travail ? Ceci constitue un enjeu non négligeable étant donné l’augmentation de la proportion de la main-d’œuvre âgée de 45 ans et plus, autant au Québec qu’en France. Comme la division sexuelle du travail se reflète dans les horaires, il y a aussi lieu de se demander s’il existe des différences entre hommes et femmes qui avancent en âge face à cette particularité du travail. En outre, avec l’augmentation du nombre d’emplois dans les secteurs des services et des soins, il serait urgent et pertinent de s’intéresser plus particulièrement à cet enjeu, puisque les salariés y sont en majorité à statut précaire et que les personnes qui y sont affectées doivent souvent travailler à toutes sortes d’heures.

3.3.2 Effets sur la santé

77 Plusieurs études ont montré l’effet de certains horaires atypiques sur la santé des individus qui avancent en âge (Bourget-Devouassoux et Volkoff, 1991 ; Härmä et coll., 1994 ; Quéinnec et coll., 1995 ; de Zwart et Meijman, 1996 ; Brugère et coll., 1997 ; Derriennic et coll., 1999 ; Härmä et Ilmarinen, 1999). Elles rapportent par exemple qu’avec l’âge et la durée d’exposition, les capacités d’ajustement chronophysiologique au travail posté diminuent ; les travailleurs postés vieillissants montrent une tolérance de plus en plus réduite au travail de nuit et à la rotation des quarts, ainsi qu’une augmentation des problèmes de santé et de sommeil et ce, dès la trentaine. Ces effets sont diversifiés : on observe principalement des problèmes de fatigue et des perturbations du sommeil, des baisses de vigilance, une augmentation des troubles digestifs et cardio-vasculaires et des effets négatifs dans la sphère psycho-émotionnelle (modifications de l’humeur, stress, etc.). Certains de ces problèmes de santé sont déjà difficilement réversibles après cinq ans de travail posté, en moyenne. Le vieillissement et les horaires atypiques cumulent donc leurs effets négatifs et il n’y a qu’un faible pourcentage des travailleurs sont capables de soutenir cette forme d’horaire jusqu’à un âge avancé sans altération de leur santé.

Certains individus arrivent cependant à se maintenir au travail avec ces horaires particuliers à un coût d’adaptation acceptable pour eux et leur famille. Ils rapportent relativement peu de problèmes et se disent satisfaits de l’horaire. En ce qui concerne la sécurité et la satisfaction au travail, plusieurs études montrent peu ou pas de différence entre les travailleurs âgés et les jeunes.

78 Par ailleurs, plusieurs recherches ont montré une augmentation de la fréquence des accidents et des incidents durant la nuit (Folkard et Monk, 1985 ; Quéinnec et coll., 1992) Une étude récente indique par contre que dans les raffineries au Québec, les accidents les plus fréquents et les plus graves surviennent principalement dans la journée, au moment où les opérateurs sont détournés de leurs tâches régulières de surveillance et de contrôle pour effectuer des tâches connexes requises par et pour le personnel technique de jour ; ces accidents se produisent surtout dans les sites où les opérateurs sont les moins nombreux et les moins polyvalents (Bourdouxhe et coll., 1997). Ceci illustre de façon

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convaincante le fait que la relation entre âge, horaire et santé ne peut pas être dissociée de l’activité et du contexte de travail.

3.3.3 Mécanismes éventuels d’exclusion

79 Les horaires atypiques sont très exigeants pour les personnels qui continuent à les supporter même si ces travailleurs sont les survivants d’une sélection qui s’opère en fonction de la santé, notamment. Certaines recherches (Bourget-Devouassoux et Volkoff, 1991 ; Derriennic et coll., 1996) ont en effet montré que les problèmes de santé sont plus visibles chez les anciens travailleurs postés ayant pris un poste de jour régulier. En moyenne, ces derniers ont plus de maladies que les travailleurs qui sont encore postés et que ceux qui ne l’ont jamais été. L’étude de Bourdouxhe et coll. (1997) montre bien que la hausse du nombre de maladies avec l’âge, bien que prévisible pour tous, est particulièrement importante chez les anciens postés de cette raffinerie. Il est donc pertinent de s’intéresser au cheminement professionnel des personnels car ceux-ci accumulent des traces de leur passé au travail.

3.3.4 Modes de gestion et marges de manœuvre

80 D’autres facteurs de l’organisation du travail peuvent jouer un rôle très important par rapport à l’aménagement des horaires de travail et permettre de dégager une marge de manœuvre pour le personnel qui avance en âge. Ceci est d’autant plus important que les horaires ne constituent pas les seules difficultés associées à l’activité de travail ; ce sont les cumuls de contraintes simultanées au travail qui pénalisent le plus les travailleurs plus âgés. Ainsi, l’aménagement des horaires de travail ne peut être dissocié de la tâche à accomplir. D’après Bourdouxhe et coll. (1999), même s’

« il n’existe pas de bon horaire, ni de bonne solution, ni de solution unique valable pour tout le monde »,

81 il y a cependant des principes de base à respecter par la gestion afin de protéger les travailleurs de tous âges et plus particulièrement le personnel plus âgé :

• prévoir de 12 à 16 heures de repos entre deux quarts successifs ;

• accorder un repos de un ou deux jours avant un changement de rotation de quart ;

• éviter les quarts allongés dans les activités qui requièrent une vigilance soutenue ou un effort physique intense ;

• réduire le plus possible le recours au temps supplémentaire ;

• faire des échanges terme à terme lors des négociations : si le travailleur donne de son temps, il doit recevoir du temps en échange, plutôt qu’une compensation monétaire ;

• tenir compte des caractéristiques de l’équipe de travail, notamment de l’âge des personnes qui la composent ;

• tenir compte du travail réel (nature des tâches, contraintes, variations, etc.) ;

• introduire souplesse et variété dans les solutions retenues ;

• ne pas oublier qu’une solution qui peut avoir des avantages aura sans doute également des inconvénients.

82 Avec les mutations du travail en cours, les organisateurs du travail ont tendance à limiter le plus possible les effectifs et leur renouvellement et à éliminer les possibilités de reclassement à des postes de jour pour les travailleurs « usés » ou vieillissants, ce qui empêche la réaffectation de ces travailleurs de jouer son rôle protecteur. Pour parer à leur exclusion, il faut donner la possibilité aux travailleuses et travailleurs le choix d’être

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