Pas d'évaluation du « travail collectif » !
« La prise en compte du travail collectif devrait-elle être envisagée » dans l'évaluation des personnels ? A cette question posée par le rapport préparatoire, nous répondons clairement : non ! D'abord, le « travail collectif » est en grande partie informel, non-encadré (discussions dans la salle des profs, petites réunions rapides entre collègues, échanges de courriels, etc.), et à ce titre impossible à mesurer de manière objective. L'intégrer dans l'évaluation, c'est à coup sûr provoquer injustices et tensions. Ou alors, on ne comptera comme travail collectif que ce qui a lieu dans un cadre institutionnel, formalisé en temps de réunion obligatoire (mais comment mesurer la contribution individuelle à ces réunions ?). Ce serait de toute manière transformer en contrainte formelle ce qui est encore réglé par la liberté individuelle des personnels. Il est d'ailleurs parfaitement illusoire de vouloir intégrer dans l'évaluation « toutes les dimensions du travail » (le nombre de copies corrigées ? Le temps passé chez soi à se documenter ?...). Illusoire, et surtout dangereux : ce qui est évalué ne peut l'être que par rapport à une norme contraignante. Vouloir élargir la base de l'évaluation, c'est revendiquer davantage de contraintes formelles sur les personnels.
Mais surtout, comment oublier que ces pratiques relèvent exactement des méthodes managériales visant à briser la solidarité au travail ? Intégrer le travail collectif dans l'évaluation individuelle, c'est passer d'une coopération librement choisie à une interdépendance subie, où chacun devient le
"contrôleur" de ses collègues : c'est le moyen utilisé dans de nombreuses entreprises pour créer des tensions et de la concurrence entre collègues (celui qui « conteste » tel dispositif devenant « celui à cause de qui ma note / mon salaire va baisser »).
Le corollaire inévitable de cette méthode est enfin la fixation d'objectifs chiffrés collectifs, à atteindre collectivement, justement parce qu'il est impossible de mesurer le travail collectif réel : les
« modernisateurs » de l’École ne s'y trompent pas, qui promeuvent l'évaluation du travail collectif comme moyen pour imposer les « contrats d'objectifs », et pour accroître l'autonomie des établissements (le « travail collectif » étant évalué par les « performances » de l'établissement).
Il ne faut donc surtout pas intégrer le travail collectif dans l'évaluation des personnels.
Romain Gény, pour le S3 de Lille