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Entre désirs et structures. L’usage cultuel de l’encens dans le taoïsme et la société chinoise contemporaine

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Techniques & Culture

Revue semestrielle d’anthropologie des techniques

 

70 | 2018

Matérialiser les désirs

Entre désirs et structures

L’usage cultuel de l’encens dans le taoïsme et la société chinoise contemporaine

Georges Favraud

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/tc/10318 DOI : 10.4000/tc.10318

ISSN : 1952-420X Éditeur

Éditions de l’EHESS Édition imprimée

Date de publication : 30 octobre 2018 Pagination : 162-167

ISBN : 2-7132-2751-6 ISSN : 0248-6016 Référence électronique

Georges Favraud, « Entre désirs et structures », Techniques & Culture [En ligne], 70 | 2018, mis en ligne le 06 décembre 2018, consulté le 21 octobre 2021. URL : http://journals.openedition.org/tc/10318 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tc.10318

Tous droits réservés

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SYNTHÈSE

article complet en accès libre : http://tc.revues.org/

Lors de mon arrivée sur mon terrain d’étude au grand sanctuaire du Pic du Sud en juillet 2015, tout le monde parlait de la récente interdiction de faire entrer de l’encens dans la montagne.

En Chine, l’encens peut être considéré comme l’objet votif par excellence lors de la démarche de pèlerinage : le terme chinois qui désigne le culte signifie littéralement « brûler l’encens » (xianghuo 香火) et « faire entrer, présenter l’encens », désigne précisément le fait d’aller en pèlerinage dans un temple (jinxiang 進香). Transformé par le feu, l’encens produit des fumées et des cendres, deux formes fluides à la frontière de l’immatériel. Ses volutes odorantes sont réputées attirer les dieux et purifier les personnes et les lieux. Mais plus encore, comme l’a souligné la Vénérable taoïste Li Yuankong, maître des oracles au belvédère de la Cour jaune, le rôle central de ces volutes est de « transmettre les messages » (zhuanxin 傳信) exprimés avec sincérité par les humains face aux dieux qui gouvernent le destin. De fait, le culte ne se limite pas nécessairement à sa dimension dévotionnelle : comme le confirme une expression issue du Canon taoïque, les volutes d’encens sont estimées capables de mettre en contact les pèlerins avec l’obscurité en abîme de leur intériorité et d’en faire émerger une intentionnalité profonde (zhaoxuan dayi 照玄达意) 1. En d’autres termes, les fumées d’encens sont conçues dans le taoïsme et dans les religions locales chinoises comme le support éphémère d’énoncés formulant les souffrances et les désirs des personnes et des communautés locales.

Alors que les volutes rejoignent les nuages toujours en mouvement et en transformation où vivent les sages immortels, les cendres se déposent dans le brûle encens (xianglu 香爐).

Elles se voient alors attribuées des vertus thérapeutiques, prophylactiques et apotropaïques.

Qui plus est, comme m’en ont témoigné des chefs de la communauté de culte du temple villageois des Transformations intensifiées (Zenghua guan 增化觀), situé non loin du Pic du Sud, les cendres agglomérées forment la mémoire et l’identité de la communauté de culte.

On le comprend, l’encens se situe au centre d’enjeux de savoir et de pouvoir concernant la Georges Favraud

Entre désirs et structures

L’usage cultuel de l’encens dans le taoïsme et la société chinoise contemporaine

SYNTHÈSE

article complet en accès libre : http://tc.revues.org/

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1. Audience au Baiyunguan. Offrandes d’encens lors des fêtes du printemps de 2004 au belvé- dère des Nuages blancs de Pékin. Dernière année où il était autorisé de transformer l’encens par le feu lors des jours de grande affluence.

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2. Une mère (femme d’affaires) et sa fille (étudiante) se concentrent sur la formulation de leur demande aux divinités, au belvédère des Nuages blancs de Pékin.

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capacité des personnes et des localités à élaborer de manière autonome des discours et des interactions communautaires chargés de sens.

L’interdiction pesant sur l’encens que j’ai constatée au Pic du Sud en 2015 était notamment légitimée par le souvenir d’un incendie provoqué par les braises tombées d’un camion évacuant les cendres votives quelques années auparavant. Les autorités invoquent, outre le risque d’in- cendie dans cette célèbre montagne classée comme zone touristique prioritaire et comme parc naturel qui reçoit chaque année trois millions de visiteurs, la complexité et le coût de la logis- tique impliquée pour sécuriser les lieux, et le risque écologique en termes de pollution de l’air et de réchauffement climatique par les volutes d’encens. Deux ans plus tôt, au printemps 2013, lors de l’anniversaire du célèbre bodhisattva de la Compassion (Guanyin 觀音), des camions et des bulldozers étaient mobilisés pour évacuer vers la déchetterie les cendres des multiples offrandes jetées pêle-mêle dans de grands brasiers qui débordaient largement le dispositif prévu.

Ce contrôle des offrandes, justifié par différentes raisons « techniques », touche indirectement mais de plein fouet le dispositif rituel, et par ce biais la vie sociale et politique des Chinois. Ce type de tensions suscité par une multiplication des désirs et des interdits est emblématique de l’actuel « socialisme de marché à la chinoise ». Elles témoignent d’une réaction de l’État-parti face à une amplification des désirs qui s’exprime aussi bien dans le consumérisme marchand que dans la ferveur cultuelle. Les interdits qui les accompagnent s’inscrivent dans la conti- nuité de l’ère maoïste et d’une volonté de contrôler la société par le biais d’un secteur religieux défini officiellement. Ce faisant elles remettent aussi au goût du jour une logique ancienne de colonialisme continental et de contrôle des cultes déviants (xie 邪) ou débordants (yin 淫).

L’analyse se complique néanmoins quand on prend en compte le fait que dans un grand site comme le Pic du Sud, la ferveur cultuelle observée est elle-même stimulée par des poli- tiques de développement patrimonial et touristique aux visées économiques et politiques assumées. Cette valorisation du site consiste notamment à multiplier les récits divertissants faisant de la montagne un symbole de la civilisation « multimillénaire » de la Chine. Certes, le tourisme constitue une manne financière pour les entrepreneurs et pour l’administration, mais on peut aussi considérer que ces symboles agréables et préconstruits fournissent une dimension cultuelle nécessaire au Marché pour bâtir des réseaux de consommateurs, et plus encore qu’elle est indispensable à l’État-parti pour se légitimer et souder une communauté nationale. On peut même considérer que cette politique de divertissement fait proliférer des désirs éparpillés pour mieux les canaliser comme force de production. Cette stratégie entre en contradiction avec les politiques de contrôle administratif direct du social que l’on associe habituellement à l’État et qui fonctionnent plutôt selon une logique d’interdit et d’extinction du désir. En stimulant les désirs, elle vient aussi déstructurer le dispositif coutumier de pèlerinage dont l’objectif est, par-delà la répétition dévotionnelle, de soutenir la capacité de concentration par la méditation et le rituel pour construire des personnes et des communautés s’énonçant « spontanément, de par elles-mêmes » (ziran 自然).

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E N T R E D É S I R S E T S T R U C T U R E S 167 3. Fourneau débordant d’ex-voto enflammés sur le parvis du Grand temple du Sage empereur du Pic du Sud,

lors de l’anniversaire du Bodhisattva de la Compassion, en 2013.

G. FAVRAU D

En ligne

Retrouver l’article complet sur journals.openedition.org/tc : Techniques&Culture 70 « Matérialiser les désirs ».

Notes

1. Cette expression, qui est analysée en détail dans la version numérique de cet article, est tirée des Extraits des liturgies et préceptes essentiels (Yaoxiu keyi jielü chao 要修科仪戒律钞), texte du Canon taoïque (DZ.463).

Iconographie

Image d’ouverture. Un maître officiant de tradition Zhengyi au belvédère des Nuages blancs de Shanghai, lors de l’apex du rituel de « présentation de la requête » aux empyrées célestes (jinbiao ou songbiao). Les groupes de ritualistes effectuent quotidiennement ces rituels

d’une journée complète, à la demande de familles shanghaïennes de diverses classes sociales. © Georges Favraud, 2007.

1. © Georges Favraud, 2004.

2 & 3. © Georges Favraud, 2013.

L’auteur

Georges Favraud est chercheur associé au LISST - Centre d’anthropologie sociale (UMR 5193) et enseignant en anthropologie et en sinologie à l’université Toulouse Jean Jaurès.

Pour citer l’article

Favraud, G. 2018 « Entre désirs et structures. L’usage cultuel de l’encens dans le taoïsme et la société chinoise contem- poraine », Techniques&Culture 70 « Matérialiser les désirs. Techniques votives », p. 162-167.

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